le tableau de confrontation

 

 

IV

« Évolution des formes de délinquance »

 

1 Un peu d'histoire
  À l'époque, d'ailleurs presque contemporaine1, où se passe l'action de ce livre, il n'y avait pas, comme aujourd'hui, un sergent de ville à chaque coin de rue (bienfait qu'il n'est pas temps de discuter); les enfants errants abondaient dans Paris. Les statistiques donnent une moyenne de deux cent soixante enfants sans asile ramassés alors annuellement par les rondes de police dans les terrains non clos, dans les maisons en construction et sous les arches des ponts. Un de ces nids, resté fameux, a produit " les hirondelles du pont d'Arcole ". C'est là, du reste, le plus désastreux des symptômes sociaux. Tous les crimes de l'homme commencent au vagabondage de l'enfant.
  Exceptons Paris pourtant. Dans une mesure relative, et nonobstant le souvenir que nous venons de rappeler, l'exception est juste. Tandis que dans toute autre grande ville un enfant vagabond est un homme perdu, tandis que, presque partout, l'enfant livré à lui-même est en quelque sorte dévoué et abandonné à une sorte d'immersion fatale dans les vices publics qui dévore en lui l'honnêteté et la conscience, le gamin de Paris, insistons-y, si fruste, et si entamé à la surface, est intérieurement à peu près intact. Chose magnifique à constater et qui éclate dans la splendide probité de nos révolutions populaires, une certaine incorruptibilité résulte de l'idée qui est dans l'air de Paris comme du sel qui est dans l'eau de l'océan. Respirer Paris, cela conserve l'âme. [...]
  Soit dit en passant, ces abandons d'enfants n'étaient point découragés par l'ancienne monarchie. Un peu d'Égypte et de Bohème dans les basses régions accommodait les hautes sphères, et faisait l'affaire des puissants. La haine de l'enseignement des enfants du peuple était un dogme. À quoi bon les " demi-lumières " ? Tel était le mot d'ordre. Or l'enfant errant est le corollaire de l'enfant ignorant.
  D'ailleurs, la monarchie avait quelquefois besoin d'enfants, et alors elle écumait la rue.
  Sous Louis XIV, pour ne pas remonter plus haut, le roi voulait, avec raison, créer une flotte. L'idée était bonne. Mais voyons le moyen. Pas de flotte si, à côté du navire à voiles, jouet du vent, et pour le remorquer au besoin, on n'a pas le navire qui va où il veut, soit par la rame, soit par la vapeur; les galères étaient alors à la marine ce que sont aujourd'hui les steamers. Il fallait donc des galères; mais la galère ne se meut que par le galérien; il fallait donc des galériens. Colbert faisait faire par les intendants de province et par les parlements le plus de forçats qu'il pouvait. La magistrature y mettait beaucoup de complaisance. Un homme gardait son chapeau sur sa tête devant une procession, attitude huguenote; on l'envoyait aux galères. On rencontrait un enfant dans la rue, pourvu qu'il eût quinze ans et qu'il ne sût où coucher, on l'envoyait aux galères. Grand règne; grand siècle.
Victor Hugo, Les Misérables, (1862) III, I, VI.
1 - aux environs de la révolution de 1848.

2  La délinquance d'exclusion impose une redéfinition des missions de l'État
 
- Vous parlez, dans le cas de la France, de délinquance d'exclusion. Pouvez-vous nous la définir ?
- Il me paraît important de bien se démarquer de l'idée actuelle selon laquelle il y aurait un noyau dur de délinquants multirécidivistes qui empoisonnerait nos quartiers et qu'il faudrait éradiquer. Je pense au contraire qu'il faut évaluer précisément les types de délinquance. Il y a d'abord la délinquance initiatique, transitoire, où l'adolescent a besoin de se confronter à la loi, et pour lequel l'ordonnance de 1945 a prévu l'audience de cabinet. Cette rencontre ponctuelle entre l'enfant et son juge marque la loi et sa ritualisation permet à l'enfant de rencontrer ses limites. Et puis il y a la délinquance pathologique, lourde, liée à des troubles de personnalité, pour laquelle l'ordonnance de 1945 prévoit un travail long et difficile de prise en charge dans le cadre du tribunal pour enfants.
  Mais, depuis les années 90, émerge un nouveau profil de délinquance, que j'ai appelé la délinquance d'exclusion, qui coexiste avec les deux modèles antérieurs. C'est une délinquance massive, territorialisée, liée aux quartiers de la relégation et chronicisée par le chômage de longue durée. Elle se caractérise par l'adaptation à des formes de survie, à la débrouille individuelle, aux lois du business et finit par former une manière de vivre. C'est la délinquance qui devient socialisante et non les institutions. Tout cela forme une " fabrique délinquante " une série de jeunes, dans ces cités, qui veulent lever la chape de déveine qui pèse sur eux, refusent de jouer le jeu dans les règles et cherchent une reconnaissance en embrassant une " carrière " délinquante. Parmi ces jeunes cependant, il est important de rappeler qu'il y a toujours des individus qui souffrent. Les problèmes liés à la délinquance initiatique et pathologique demeurent. Simplement ils se complexifient par la dimension collective que prend cette délinquance aujourd'hui.
- Cette délinquance des mineurs semble tenir toujours plus en échec les institutions traditionnelles que sont la famille, l'école...
- Il y a en effet une défaillance des institutions classiques dans leur mission éducative à l'égard des mineurs délinquants. La police a abandonné la spécialisation des brigades des mineurs pour les délinquants; les foyers d'hébergement de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ne contiennent plus les adolescents les plus difficiles - en 1996, environ 1 000 mineurs ont été hébergés dans les foyers de la PJJ alors que 3600 étaient incarcérés ; la psychiatrie offre peu d'accueils spécifiques pour les mineurs de quatorze à dix-huit ans; les conseils généraux s'engagent inégalement dans leur mission d'aide sociale à l'enfance... N'oublions pas que beaucoup de ces jeunes sont suivis par des associations aux faibles moyens; peu reconnues, loin des institutions officielles. Tout cela fait peser sur la justice le poids d'attentes qui excèdent ses capacités.
- Cette situation vous paraît-elle être de nature à réviser les principes de la justice des mineurs, fondés par l'ordonnance de 1945 ?
- Je crois qu'il est important de rester attaché à un texte fondateur qui exige une priorité éducative à l'égard des mineurs. Ceci étant, il est clair que la justice des mineurs connaît une grave crise de légitimité. Ses fondements, basés sur l'enfant, son histoire et sa personnalité, ne mordent plus sur la délinquance d'exclusion. Cette justice suppose du temps, pour individualiser les mesures et pour permettre la maturation du jeune, or, aujourd'hui, c'est l'urgence qui domine - on le voit bien avec l'instauration des procédures en temps réel. Elle est centrée sur le mineur, l'auteur des faits, alors que c'est la victime qui a une place de choix dans notre société compassionnelle. Elle est fondée sur l'idée d'éducation alors que c'est l'insertion qui domine désormais le travail social. Au final, c'est au moment où cette délinquance des mineurs devient une catégorie de la responsabilité politique, que ses fondements éducatifs, que l'on croyait inébranlables, sont remis en cause. On est donc arrivé à une croisée des chemins où se joue l'avenir de la justice des mineurs
Denis Salas1, " La délinquance d'exclusion impose une redéfinition des missions de l'État "
Le Monde du 9 juin 1998
1. ancien juge des enfants.

3 « Une pléthore d'oranges mécaniques1 ».
  Il n'est pas de jour qui ne connaisse sa moisson d'actes de violence touchant villes, réseaux de transports urbains, écoles, HLM... Mais ces événements ne sont pas nouveaux. La délinquance évolue, se répète, se déplace et se renouvelle. Durant quatre siècles, une véritable extinction des crimes de sang (de plus de cent pour cent mille habitants à moins de deux) a été enregistrée. La ville a civilisé le crime. Cependant, au fil des ans, des phénomènes récurrents apparaissent. Bandes de mineurs délinquants des faubourgs (" apaches " au début du siècle, " blousons noirs " ou " loubards " après la Seconde Guerre mondiale), criminalité sur la première ligne du métro dès son ouverture, en 1900, développement de la toxicomanie (100 000 cocaïnomanes à Paris en 1921).
  La délinquance d'appropriation explose dès 1964, en pleine période de plein-emploi. La statistique des faits constatés passera ainsi de 500 000 faits dans l'après-guerre à 4 millions en 1994 pour retomber à 3,5 millions en 1997.
  La déstructuration de la cellule familiale, le départ des retraités vers un univers séparé, la progression des familles monoparentales (1,3 million) créaient des espaces sans présence, donc sans surveillance. En complément, l'arrivée sur le marché de nouveaux produits de consommation (véhicules, télévisions, autoradios...) engendrait une forte augmentation de la délinquance contre les biens, qui atteignait ensuite la voie publique, impliquant un retour aux agressions contre les personnes... pour atteindre les biens. Le tout combiné avec de nouvelles " offres " téléphones portables, distributeurs de billets...
  " Orphelins de 16h30 ", les scolaires se retrouvaient laissés à eux-mêmes, les parents travaillant de plus en plus tard, les grands-parents n'assurant plus le relais, l'école ne prodiguant plus les devoirs surveillés, expulsant les enfants les plus perturbants et connaissant un absentéisme scolaire rarement traité. Plus important pour la première fois dans notre histoire, l'univers virtuel, moins celui de la télévision que celui des jeux vidéo, permet à des enfants de plus en plus jeunes et de plus en plus dépendants de leurs consoles de vivre dans un monde parallèle, imitant le plus possible le réel, où les actions, même les plus meurtrières, n'ont jamais de conséquences. Chaque mort vaut des points, chaque partie permet la résurrection des victimes antérieures. [...]
  Ce n'est donc pas de la nouveauté de ces phénomènes qu'il faut s'inquiéter, mais du renversement de tendance qu'ils démontrent. Le nombre de mineurs délinquants n'a jamais été aussi important (près de 20 % du total des mis en cause). Ils sont plus jeunes, plus récidivistes, plus violents. Les structures sociales et éducatives issues des ordonnances de 1945 et de 1958 ne semblent plus répondre aux actions de jeunes qui, suivant la logique du " déni, défi, délit ", attaquent désormais tous les représentants des institutions (policiers, pompiers, agents des sociétés HLM, agents EDF, postiers et même médecins). En même temps, le nombre de jeunes mineurs délinquants emprisonnés n'a jamais été aussi faible, même si les incriminations sont de plus en plus fortes et les peines de plus en plus longues.
 La délinquance est devenue un phénomène d'expression sociale, marqué par des tendances d'enfermement dans un univers fini, " le quartier ", marqué par des modes d'appropriation qui vont des tags au contrôle territorial caractérisé par des passages de " frontières ", sans oublier l'utilisation des téléphones portables ou des " pagers " pour l'organisation des trafics. Les bandes se féminisent, développent des dépendances à l'alcool, connaissent un niveau de troubles psychiatriques important. Près de 1100 quartiers sont " sensibles " en France, environ 200 présentent des signes tangibles de rejet des institutions et d'agressions récurrentes contre ses représentants. Les affrontements sont de plus en plus violents, homicides et tentatives sont en hausse constante et les saisies d'armes à feu sont loin d'être anecdotiques.
  Pour autant, l'économie souterraine et le trafic organisé de produits stupéfiants sont, paradoxalement, des facteurs de stabilité interne, comme l'islamisme militant. Pour des raisons liées à la volonté de ne pas attirer l'attention de la police, un autre ordre se substitue à l'État républicain, mettant les autorités devant un dilemme complexe : choisir de rétablir l'ordre ou se contenter d'une absence de désordres visibles.
Alain Bauer2, " Une pléthore d'oranges mécaniques ", Le Monde du 2 juin 1998.
1. Ce titre fait allusion au film Orange mécanique de Stanley Kubrick, qui a dénoncé la violence au début des années 70.
2. Alain Bauer est PDG d'AB Associates, conseil en sûreté urbaine, enseignant à l'IEP de Paris, à l'université Paris-V et à la Sorbonne.

« Je veux de l'espoir »

Dessin de Plantu (C'est le goulag)
(La Découverte/Le Monde, 1983.)

 

Attention ! Dans votre tableau de confrontation, choisissez comme document "de base" (celui sur lequel les autres s'aligneront) le texte qui vous paraît le plus riche et le moins sujet à interprétation : en général, un texte argumentatif. Ici, le document 3 devient ce document de référence, et les autres s'alignent sur lui, du plus référentiel au moins objectif :

Doc.3 - Alain Bauer Doc.2 - Denis Salas Doc.1 - Victor Hugo Doc. 4 - Plantu PISTES
article de presse : analyse sociologique entretien d'ordre sociologique extrait de roman : évocation historique dessin humoristique

la délinquance évolue et se renouvelle plusieurs types de délinquance : initiatique, pathologique, d'exclusion

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la délinquance est le refus d'une norme pluralité des formes de délinquance
défection des institutions classiques (famille, école) qui crée des espaces sans surveillance

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tous les crimes de l'homme commencent au vagabondage de l'enfant incompétence éducative de la famille défection des institutions classiques
l'univers virtuel permet de vivre dans des mondes parallèles

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désirs utopiques fuite dans un monde virtuel
délinquants plus jeunes, plus récidivistes, plus violents les problèmes se complexifient par la dimension collective de la délinquance

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délinquance plus complexe et violente
phénomène d'expression sociale marqué par un enfermement dans les quartiers la délinquance d'exclusion s'est territorialisée

"les hirondelles du pont d'Arcole" -
une exception parisienne

marginalisation par l'apparence physique territorialisation de la délinquance d'exclusion
cette économie souterraine est un facteur de stabilité visible l'économie parallèle devient socialisante

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une société parallèle aux airs de stabilité

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défaillance des institutions judiciaires, grave crise de légitimité pour la justice des mineurs les abandons d'enfants n'étaient pas découragés par la monarchie qui avait besoin de galériens

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défection de la justice

 

  En observant la colonne Pistes, déterminez les arguments apparentés et construisez un plan thématique et un plan analytique.