LE MONDE DES PASSIONS
LE RÉSUMÉ DE TEXTE

 

 

 

Le résumé de texte.
La dissertation.

 

 

TEXTE OBSERVATIONS

  Le devoir, inséparable d’une attitude polémique contre le mal, c’est-à-dire de débat et de combat avec le monde et les hommes, trouve sa vérité philosophique et concrète dans la passion. Rien ne trahit plus le cœur humain que la réduction de la vie morale à une lutte de la raison contre les passions en vue de la possession d’une sagesse paisible. Ôtée la passion, il ne resterait de l’homme qu’une plate caricature, une ombre sur un mur. L’immoralité lorsqu’elle va jusqu’au bout d’elle-même poursuit la même dégradation : le propre du vice est d’être sans passion, comme un rituel et une mécanique. L’Enfer est le désert de la passion et il faudrait le dire de glace et non de feu. L’homme entre en immoralité lorsqu’il organise la fuite devant la passion, comme l’avouent si elles sont correctement interrogées les trois figures essentielles du mal humain, le dilettantisme, l’avarice, le fanatisme. Les décrire serait la tâche d’une phénoménologie morale ; on se contentera de les analyser brièvement comme autant de philosophies en action.
  Le dilettantisme est un don juanisme du cœur, des sens et de l’esprit. Rendez-vous élégant de tous les humanismes et de toutes les cultures, produit précieux des civilisations décadentes par excès de richesses, le dilettantisme est monstrueusement intelligent, il excelle à montrer la relativité et le mélange indéfinis du bien et du mal dans les intentions et les actions humaines, il se garde de la partialité et de l’engagement comme d’une grossière faute de goût, il se réclame des apparences successives et contradictoires de la nature et de l’histoire. Le dilettante pratique une technique d’évanouissement du mal qui fait du monde un beau mensonge. Parce qu’il refuse la passion, l’accès à l’existence lui est interdit. Parce qu’il a peur de prendre le mal au sérieux dans l’angoisse, toute réalité et la sienne propre deviennent de purs possibles sans substance. Le dilettante ne vit pas, il a l’air de vivre.
  L’avarice, en dépit d’un lieu commun tenace, n’est pas une passion. Ne pas vouloir dépendre, s’enfermer dans un système de sécurité, chercher une expérience de parfaite suffisance à soi, c’est l’avarice même et le contraire de la passion qui est l’épreuve continue d’une vulnérabilité à autrui. L’avare vrai est Gobseck1 et non pas Harpagon2, ce timide, inconséquent et comique apprenti. L’avare intégral entasse l’argent pour ne rien devoir à personne et pour avoir entre ses mains l’infaillible solution de tous les problèmes, pour constamment se retirer et dominer sans le faste puéril du pouvoir visible, bref pour tenir toujours efficacement le mal à distance. L’argent n’est qu’un moyen d’y parvenir, plus vivement symbolique, parmi beaucoup d’autres. Le pharisaïsme, ce respect littéral de la loi, qui demande austérité et vertu réelles, est une technique sûre de préservation du péché et par conséquent une forme d’avarice et une même carence de passion. L’avare est toujours ce prudent, ce vertueux qui a la morale avec lui et qui a su se séparer du mal. Incapable de reconnaissance, il se perd dans une ingratitude de dimensions métaphysiques, parce qu’il n’a pas voulu s’engager dans la passion qui dissout les sécurités et dans le risque s’ouvre à l’espérance.
  Le dilettante et l’avare étaient des êtres de solitude, des hommes psychologiques ; le fanatique est un être de communauté, un homme foncièrement sociologique. Le dilettantisme était une esthétique universelle, l’avarice un absolu de morale, le fanatisme est une religion politique qui entend résoudre dans l’histoire le problème du mal par des techniques d’écrasement et d’extirpation radicale. Il professe une doctrine de salut par la nation, la classe ou le parti. Le fanatique est aussi bien esclave terroriste que maître despotique : c’est le même esprit de tyrannie, le même manichéisme qui ne supporte pas le partage des valeurs, le dialogue des expériences et qui a besoin pour se rassurer sur le bien et le vrai d’une unification des consciences, impériale, charnelle, violente. Familier des procès d’hérésie, le fanatique poursuit à la fois le déshonneur, la réfutation et la mort de l’adversaire. Sa cruauté est le fruit d’une haine sans passion qui s’exerce légalement, mécaniquement, rituellement. Le fanatique réduit ses victimes à une condition anonyme, substitue à leur visage concret la définition abstraite de l’hérétique et du traître. Il résout le problème du mal par la destruction des méchants, comme on vient à bout d’une invasion de microbes et d’un vol de sauterelles. Mais dépersonnalisant l’esprit, perpétuant la guerre par sa mythologie de la dernière des guerres avant la victoire totale, il paraît parfois se confondre avec l’esprit du mal.
  Dilettantisme, avarice et fanatisme ne cessent d’ajouter au mensonge, à l’ingratitude, à la haine ; ils sont le mal parce que dès le départ ils ont refusé cette participation au mal dans l’angoisse qui est la seule voie vers la libération ; chacun d’eux est un système cohérent et fort de liquidation du mal, une solution intégrale du problème — et vécus ils aboutissent à une exaspération du mal. Il manque aux moralismes comme aux immoralismes de connaître que la passion est la substance de la vie ; ou plutôt ils n’en ont que trop conscience, tant sont savantes et habiles les précautions qu’ils prennent pour ne se point brûler à cette flamme.
  La passion sera alors pour la conscience morale critère d’authenticité. L’âme du devoir est ce prophétisme qui, depuis les temps de l’ancien Israël, se manifeste par la dénonciation des tyrannies et des servitudes, la protestation contre l’iniquité de la mort, la guerre aux idoles, c’est-à-dire au partage de Dieu en valeurs ennemies. Le dilettantisme oubliait, en moquant l’esprit de sérieux que la colère et l’indignation sont les premiers sentiments moraux. La conscience morale ne sera fidèle à sa propre essence que si elle ne renie pas ses origines. En ce premier sens et comme par enracinement, le devoir est déjà passion, ou dilettantisme vaincu.

________________________
1. Personnage d'usurier chez Balzac.
2. L'Avare de Molière.

Étienne Borne, Le problème du mal, Chapitre V, 1958. © PUF

Première étape : l'énonciation :
Une première - voire une seconde - lecture doit vous amener à identifier les caractères essentiels du texte, que votre résumé devra reproduire :
- situation d'énonciation (de type expressif ici);
- niveau de langue;
- difficultés de vocabulaire : attention par exemple aux mots dilettantisme, phénoménologie, don juanisme, pharisaïsme (néanmoins expliqué dans son contexte), manichéisme.

Deuxième étape : thème, thèse :
- Efforcez-vous de formuler pour vous-même le sujet du texte (au besoin, donnez-lui un titre; ici, le texte pourrait s'intituler : Le salut par la passion).
- Plus important encore : repérez la (ou les) thèse(s) et prenez soin de la (les) rédiger rapidement. Dans ce texte, l'auteur considère qu'une vie authentique suppose d'accepter les tourments de la passion.

Troisième étape : l'organisation :
La lecture du texte vous fait percevoir par les paragraphes différentes unités de sens. Ces paragraphes constituent cependant des indices insuffisants de l'organisation. Vous savez que tout raisonnement discursif s'accompagne de connexions logiques (nous les soulignons en rouge : en gras pour les connexions essentielles) qui vous feront percevoir l'enchaînement des arguments. Ici, trois unités de sens dominent le texte après une introduction et avant synthèse et conclusion qui occupent les deux derniers paragraphes : dilettantisme, avarice et fanatisme sont pour l'auteur trois figures du mal dans leur volonté d'esquiver la passion.
  Comme toujours dans une argumentation, les arguments s'accompagnent d'exemples : leur caractère concret et circonstancié vous permet de les repérer d'emblée (nous les soulignons en bleu).

  C'est cette organisation que nous vous invitons à représenter précisément dans un tableau de structure : ne pensez pas que le fait d'établir ce tableau au brouillon vous fera perdre du temps. Une fois rempli, il vous permettra au contraire d'aller plus vite dans la reformulation, chaque unité de sens étant nettement repérée :
- la colonne Parties sépare chaque étape de l'argumentation, que la colonne Sous-Parties décompose si nécessaire.
- la colonne Arguments vous permet d'identifier rapidement chaque argument et d'aller déjà vers son expression la plus concise en repérant les mots-clefs. C'est cette colonne, surtout, qui vous sera précieuse.
- quant à la colonne Exemples, elle vous permet de repérer ce que votre résumé pourra ensuite ignorer (attention cependant au fait qu'un long paragraphe d'exemples peut avoir une valeur argumentative !).

 

TABLEAU DE STRUCTURE

PARTIES SOUS-PARTIES ARGUMENTS (mots-clefs)

EXEMPLES

Le devoir ---> en action
    Introduction
/
Le mal véritable est d’esquiver la lutte de la raison contre la passion. /
Le dilettantisme ---> l'esprit du mal.
Les trois figures essentielles du mal humain.
Le dilettantisme > il a l'air de vivre. Le dilettantisme s’abrite derrière un relativisme universel pour échapper à l’angoisse du mal.

/

L'avarice  > l'espérance. L’avarice se coupe du monde pour éviter l’épreuve de la passion. Gobseck, Harpagon
Le dilettante... le fanatique > l'esprit du mal. Le fanatisme prétend à l’éradication systématique et dépassionnée des différences. /
Dilettantisme, avarice et fanatisme ---> à cette flamme.
Synthèse
/
Tous trois incarnent le mal par leur refus des souffrances de la passion /
La passion sera alors ---> dilettantisme vaincu.
Conclusion
/
La passion manifeste la conscience morale capable d’indignation et de colère. /

 

 

REFORMULATION

Résumez ce texte en 120 mots ±10%.

Les contraintes de l'exercice :

  • une reformulation fidèle au système énonciatif (le jeu des pronoms, les registres) et à l'organisation du texte (vous en conserverez les connecteurs logiques essentiels).
  • une réduction en un nombre défini de mots assortie d'une marge de + ou - 10% (rappelons qu'on appelle mot toute unité typographique signifiante séparée d'une autre par un espace ou un tiret : ainsi c'est-à-dire = 4 mots, mais aujourd'hui = 1 mot puisque les deux unités typographiques n'ont pas de sens à elles seules). Vous aurez soin d'indiquer le nombre de mots que compte votre résumé et d'en faciliter la vérification en précisant nettement tous les cinquante mots le nombre obtenu. Proposons-nous de résumer notre texte de 900 mots environ en 120 mots (+ ou 10%).
  • une recherche systématique de l'équivalence par des synonymes.
  • une langue correcte, sur le plan de l'orthographe comme de la syntaxe, qui évite le simple collage des phrases-clés du texte.

Comment procéder ?

  Reprenons notre texte. Nous allons décomposer la démarche en traitant successivement chaque unité de sens dégagée par le tableau de structure. Chacune d'elles nous offrira en outre de quoi appliquer les règles essentielles de la concision. Vous observerez comment, pour reformuler chaque unité de sens, le résumé s'efforce de se limiter à une seule phrase.

 

PARTIES

Observations sur les réductions

PROPOSITION DE RÉSUMÉ

1° §

/
C’est dans la lutte contre les passions que se manifeste le mieux le devoir moral. S’y dérober caractérise le mal dans ses trois formes principales.
2°,  3° et  4° §
Les trois figures du mal sont réunies dans une seule unité de sens. Des connecteurs sont utilisés pour marquer leur succession.
Le dilettantisme affiche avec raffinement son scepticisme et, dans son refus de considérer les valeurs, se condamne à ne pas vivre. L’avarice [50], de son côté, prétend esquiver l’insécurité de la passion par l’autonomie et la prudence ingrate de la vertu. Le fanatisme choisit, lui, la forme politique de ce même refus par une volonté d’éradication systématique des différences. Réduisant ses adversaires à des abstractions, il incarne le mal même. [100]

5° et 6° §

Les deux paragraphes identifiés comme synthèse et conclusion sont traités ensemble grâce à une subordonnée relative.
Tous trois ont choisi d’esquiver l’inconfort de la passion qui, par la violence de ses révoltes, est bien le vrai critère du sens moral.   [126 mots].

 

EXEMPLE 2

  La tempérance

  Les passions sont des effets naturels de l'organisation des hommes, et des idées qu'ils se font ou qu'on leur donne du bonheur : mais si l'homme est un être raisonnable et sociable, il doit avoir des idées vraies de son bien-être, et tâcher de l'obtenir par des voies compatibles avec les intérêts de ceux auxquels la société l'unit. Un inconsidéré qui suit les impulsions aveugles de ses passions, n'est ni un être intelligent, ni un être sociable et doué de raison. L'être intelligent est celui qui prend de justes mesures pour obtenir son bonheur ; l'être sociable est celui qui concilie son bien-être avec celui de ses semblables ; l'être raisonnable est celui qui distingue le vrai du faux, l'utile du nuisible, et qui sait qu' il doit mettre un frein à ses désirs. L'homme n'est jamais ce qu'il doit être, s'il ne montre de la retenue dans sa conduite. La tempérance est dans l'homme l'habitude de contenir les désirs, les appétits, les passions nuisibles, soit à lui-même soit aux autres. Cette vertu, de même que toutes les autres, est fondée sur l'équité. Que deviendrait une société dans laquelle chacun se permettrait de suivre ses fantaisies les plus déréglées ? Si chacun pour son intérêt souhaite que ses associés résistent à leurs caprices, il doit reconnaître que les autres ont droit d'exiger qu'il contienne les siens dans les bornes prescrites par l'intérêt général. D'un autre côté si, comme on l'a dit plus haut, l'homme isolé lui-même doit, en vue de sa conservation et de son bonheur durable, refuser de satisfaire ses appétits désordonnés, il y est encore plus obligé dans la vie sociale, où ses actions influent sur un grand nombre d'êtres qui réagissent sur lui-même. Si les excès du vin sont capables de nuire à tout homme qui s'y livre, ils lui nuiront encore bien plus dans la société, où ces excès l'exposent au mépris, et peuvent en troublant sa raison le porter à des actions punissables par les lois.
  Quelques moralistes sévères, pour rendre l'homme tempérant, lui ont prescrit un divorce total avec tous les plaisirs, et même lui ont ordonné de les haïr, de les fuir. Des maximes si dures mettraient l'homme dans une guerre continuelle contre sa propre nature, et sembleraient se proposer d'en faire un misanthrope ennemi de lui-même, et désagréable à la société. Les appétits de l'homme doivent être, sans doute, réglés par la raison; tout lui prouve qu'il est des plaisirs dont il doit se priver pour son propre avantage, et cela par la crainte des conséquences, souvent terribles, qu'
ils pourraient avoir pour lui-même et pour ses associés. C'est contre les séductions des plaisirs de cette espèce, que l'être sociable doit se mettre en garde ; c'est contre des passions injustes et criminelles, qu'il doit apprendre à combattre sans cesse, afin de contracter l'habitude d'y résister. L'habitude en effet nous rend faciles des choses qui d'abord nous paraissaient impossibles. Un des principaux objets de l'éducation devrait être d'accoutumer de bonne heure les hommes à résister aux impulsions inconsidérées de leurs désirs, par la crainte des effets qui peuvent en résulter. La tempérance a pour principe la crainte de déplaire aux autres et de se nuire à soi-même : cette crainte, rendue habituelle, suffit pour contrebalancer les efforts des passions qui peuvent nous solliciter au mal. Tout homme qui ne serait point susceptible de crainte, ne pourrait guère réprimer les mouvements de son cœur. Nous voyons que les hommes exempts de crainte par le privilège de leur état, sont communément les plus nuisibles à la société. Une crainte juste et bien fondée des êtres qui nous environnent, et dont nous sentons le besoin pour notre propre félicité, constitue l'homme vraiment sociable et lui fait un devoir de la tempérance. C'est par elle qu'il s'habitue à réprimer les effervescences subites de la colère ou de la haine pour les objets qui mettent quelques obstacles à ses désirs. C'est par elle qu'il apprend à se refuser aux plaisirs déshonnêtes, c'est-à-dire qui le rendraient odieux ou méprisable à la société. C'est par elle qu'il résiste aux séductions de l'amour, cette passion qui produit tant de ravages parmi les hommes. La chasteté, qui résiste aux désirs déréglés de l'amour, est une suite de la tempérance ou de la crainte des effets de la volupté. La passion naturelle qui porte un sexe vers l'autre est une des plus violentes dans un très grand nombre d'hommes ; mais l'expérience et la raison font connaître les dangers de s'y livrer. Les lois de presque toutes les nations, les opinions de la plupart des peuples policés, conformes en ce point à la nature et à la droite raison, ont mis des entraves à l'amour déréglé, pour prévenir les désordres qu'il causerait dans la société. C'est d'après les mêmes idées que la continence absolue, le célibat, le renoncement total aux plaisirs même légitimes de l'amour, ont été admirés comme des perfections, comme les efforts d'une vertu surnaturelle. Les pensées enflamment les désirs, échauffent l'imagination, donnent de l'activité à nos passions. D'où il suit que la tempérance nous prescrit de mettre un frein même à nos pensées, de bannir de notre esprit celles qui peuvent nous rappeler des idées déshonnêtes, capables d'irriter nos passions pour les objets dont l'usage nous est interdit. Il est certain qu'en méditant sans cesse le plaisir qu'un objet peut nous causer ou que l'imagination nous exagère, nous ne faisons qu'attiser nos désirs, leur donner de nouvelles forces, les rendre habituels, les changer en des besoins impérieux que l'on ne peut dompter. La tempérance, dit Démophile, est la vigueur de l'âme. Elle suppose la force, qui mérita toujours la considération des hommes. [...] La vraie tempérance est accompagnée de la modération qui nous fait éviter les excès en tous genres. La vraie morale, toujours guidée par la raison et la prudence, prescrit à l' homme de vivre suivant sa nature et de ne point prétendre s'élever au-dessus d'elle : elle sait que des préceptes trop rigoureux sont inutiles pour le plus grand nombre des mortels, et ne tendent qu'à faire des enthousiastes orgueilleux ou des fourbes hypocrites. Les yoghis ou pénitents de l'Inde sont des fourbes, et non des hommes tempérants. Le fanatique qui fait consister la perfection à s'affaiblir, ou à se détruire peu à peu, devient un membre inutile de la société.

d'Holbach, La Morale universelle ou Les devoirs de l'homme fondés sur la nature, II, 11(1776).

Résumez ce texte en 130 mots (± 10%).