L'HEROÏSME
LA DISSERTATION (II)

 

 

LE PLAN ANALYTIQUE

 

"Les héros sont bien sûr marqués d'une démesure qui signale leur exception. Mais ils ne sont pas non plus exempts des faiblesses qui les ramènent à l'humanité moyenne. Ce sont seulement, dans leur ordre, des hommes qui se sont entièrement réalisés, qui ont atteint cette fidélité à soi que nous leur envions tous."
  Comment les œuvres au programme vous semblent-elles vérifier cette affirmation ?

 

Mise en place du sujet :

- les mots-clés : La citation proposée ici est construite en trois étapes qui nous font évoluer de la notion classique du héros (être d'exception) à une représentation simplement humaine (non exempte de faiblesses) pour aboutir à une définition où l'héroïsme est identifié à l'accomplissement de soi. Cette progression peut rappeler celle de la notion d'héroïsme à travers nos trois œuvres (l'Iliade, La Chartreuse de Parme et Henry V). : celles-ci nous font en effet passer du demi-dieu grec au problématique souverain médiéval puis au fiévreux  personnage stendhalien. Il n'est évidemment pas question de bâtir le plan sur ce passage en revue ! Le libellé rend clairement reconnaissable le plan analytique qu'il convient de suivre ici : nous reprendrons une à une dans chaque partie les trois notions évoquées dans la citation.
- la problématique est suggérée par le libellé : il ne s'agit pas de mettre en cause la validité de la citation mais de se demander comment les trois œuvres situent l'héroïsme sur le plan de l'accomplissement individuel.

Organisation du plan :

1. Les œuvres au programme mettent en scène des êtres exceptionnels...
- par leur origine : à demi divine (Achille, Enée), de lignée royale (Hector, Henry V) ou aristocratique (Fabrice del Dongo).
- par l'aura que leur donne leur jeunesse, leur beauté, leur bravoure à toute épreuve.
- par l'élection divine qui les distingue : la faveur d'Athéna pour Achille, celle de Dieu pour Henry V, celle des présages sur la route de Fabrice.
- par la singularité même de leur nature, qui les rend différents des hommes du commun : l'intensité de leur colère ou de leur chagrin (Achille), la soudaineté de leur métamorphose (Henry V), le curieux mélange d'énergie combative et de ferveur contemplative (Fabrice).

2. Mais ces mêmes œuvres leur attribuent aussi des défauts ou des bassesses...
- ils sont souvent les jouets des dieux (Iliade), des caprices de la nature ou de l'arbitraire du hasard qui vient freiner leur exaltation (Henry V) ou démolir leurs rêves (Fabrice).
- ils sont ainsi en proie aux doutes (Hector), ressentent durement le fardeau de leur charge (Henry V) ou se montrent ridicules dans leur candeur inconsciente (Fabrice).
- les héros ne sont pas à l'abri de l'égoïsme ni de l'orgueil. Ils peuvent manifester la plus grande cruauté (Achille, Henry V), sont parfois lourdement responsables du malheur de leur entourage (Fabrice). La guerre, lieu idéal de leur démesure, est peinte dans les trois œuvres sous les traits de l'horreur.
- le héros peut être ainsi un homme comme les autres, et y gagner notre sympathie : "Loin de nous les héros sans humanité ! Ils pourront bien forcer les respects et ravir l'admiration, comme font les objets extraordinaires; mais ils n'auront pas les cœurs." (Bossuet, Oraison funèbre du prince de Condé).

3. Dans sa fidélité à soi, le héros mobilise des vertus qui ne sauraient rester moyennes :

  Il convient donc de distinguer l’acte héroïque du héros : si celui-ci peut être n’importe qui, car n’importe qui peut être appelé à se sublimer, l’acte héroïque, lui, suppose des vertus particulières. C'est dire que chacun peut manifester le "noble éclat" auquel Henry V invite chacun de ses soldats (III, I) à condition de rencontrer l'occasion qui va lui permettre d'épanouir les vertus cardinales de l'héroïsme :
- la force de l'âme, comme l'affirme Rousseau, est le caractère essentiel du héros : c'est par elle qu'il vainc ses passions et touche au sublime. Achille apaise sa colère et restitue le corps d'Hector avec une cordialité nouvelle; Henry V efface en lui le douteux prince Hal et choisit d'assumer le fardeau royal; Fabrice sacrifie son rêve de gloire à l'amour.
- la suprême lucidité du héros lui fait percevoir l'Esprit de l'Histoire (Hegel) et l'incarner hautement pour les autres, qu'il appelle à sa suite. Comme Bonaparte incarne l'aspiration des peuples à la liberté, Achille fait le geste qui annonce la Cité pacifique, Henry V crée un nouvel ordre fraternel et miséricordieux; Fabrice lui-même porte haut dans un monde médiocre les couleurs de l'Amour.
- c'est cette différence qui, finalement, constitue l'héroïsme : si le héros est en effet un humain comme les autres, il l'est aussi plus que tous les autres. Homme d'excès et de démesure, il porte à leur acmé les qualités et les défauts qui font l'humanité.

  Fait, certes, de la même pâte que ses semblables et susceptible comme eux des pires faiblesses, le héros est donc celui qui s'affirme dans sa singularité et la propose en modèle généreux. Loin des morales closes où les hommes s'avachissent et renient leurs idéaux, le héros choisit librement l'épanouissement de soi et ce choix n'est pas sans sacrifice : Achille accepte son destin, Henry V la lourdeur d'une tâche, Fabrice le risque d'un retour à sa prison heureuse. Dans leur progression, les trois œuvres au programme dégagent de mieux en mieux cette dimension, image de l'humanité même dans sa tragique grandeur.

 

 

LE PLAN THÉMATIQUE

 

 « Le héros tend à être asocial. » (Philippe Sellier)
Vous montrerez comment les œuvres au programme vérifient ce jugement. 

 

Mise en place du sujet :

  Hegel a montré comment le héros est nécessairement en dehors des normes sociales et de l'adhésion immédiate du groupe à ses valeurs : saisissant par avance l'Esprit de l'Histoire, il ne peut qu'être en butte à des morales closes où chacun s'avachit. D'autre part, l'excellence de ses qualités comme la nature exceptionnelle de ses dons ou de son énergie ne peuvent qu'attiser les rancœurs et les jalousies ou décourager l'homme du commun de vouloir imiter un si prestigieux modèle. A l'inverse, les héros boulonnés trop tôt sur leur socle par des régimes politiques qui voient dans cette déférence obligée une occasion d'inféoder les peuples (Stakhanov pour Staline), ne correspondent guère à l'image authentique du héros qui, toujours, se définit par le combat voire la souffrance.
   Le sujet qui vous est posé vous commande de valoriser ces aspects et donc d'ignorer ce qui peut, dans un second temps, ramener le héros vers les autres et justifier ses épreuves par le don de soi au salut du groupe. Ce plan thématique est proposé après une courte citation : vous ne pouvez plus ici vous aider de la succession de ses notions ! Dans ce cas-là, il vous faut l'examiner autour de différents domaines. Vous pourrez, pour approfondir la réflexion, prendre connaissance de ces deux textes qui établissent qu'en effet le héros ne saurait être compris de la foule, et étoffer les axes directeurs du plan que nous proposons :

  Si les grands hommes ne sont pas heureux, c’est qu’ils sont suivis par un cortège jaloux qui dénonce leurs passions comme des fautes. En effet, la forme de la passion peut s’appliquer à leur manifestation extérieure et, dans le jugement qu’on porte sur eux, il est possible de mettre l’accent sur le côté moral et dire que c’est leur passion qui les a poussés. En fait, ils ont été des passionnés, c’est-à-dire ils ont passionnément poursuivi leur but et lui ont consacré tout leur caractère, leur génie et leur tempérament. [...] L’homme qui produit quelque chose de valable, y met toute son énergie. Il n’est pas assez sobre pour vouloir ceci ou cela ; il ne se disperse pas dans une multitude d’objectifs, mais il est entièrement voué à la fin qui est sa véritable grande fin. La passion est l’énergie de cette fin et la détermination de cette volonté. C’est un penchant presque animal qui pousse l’homme à concentrer son énergie sur une seule chose. Pour que l’homme produise quelque chose de valable, il lui faut la passion. C’est pourquoi la passion n’a rien d’immoral.
Hegel, La Raison dans l'Histoire

  Il y a chez [l'homme noble et généreux] un certain nombre de sentiments, soit attractions, soit répugnances, qui parlent avec une telle force que son intelligence, en face d'eux, ne peut que se taire ou se rendre et se mettre à leur service : le cœur monte au cerveau et l'on parle de « passion ». [...] C'est la déraison de la passion, ou sa fausse raison, que le vulgaire méprise chez l'être noble, surtout lorsque cette passion s'adresse à des objets dont la valeur lui paraît parfaitement chimérique ou arbitraire. Il se fâche contre qui succombe à la passion de son ventre, mais il comprend l'attrait de cette tyrannie ; ce qu'il ne comprend pas, c'est, par exemple, comment on peut jouer sa santé et son honneur par passion de la connaissance. Le goût des natures supérieures s'attache à des choses exceptionnelles, à des choses qui laissent froids la plupart des autres hommes et ne semblent avoir aucun attrait ; la nature supérieure mesure les valeurs à une échelle personnelle.
F. Nietzsche, Le Gai savoir

 

1. Le héros est asocial par la nature de ses passions :
       - énergie, courage hors normes suscitent chez les autres admiration ou terreur (Achille, Fabrice del Dongo);
       - chagrin, colère, orgueil sont chez nos héros des passions poussées à l'extrême qui les posent farouchement en individus,
       - et leur font choisir des voies étrangères au groupe.

2. Le héros est asocial par sa révolte :
  
    - contre l'ordre qu'il juge injuste et infondé (insolence d'Achille à l'égard d'Agamemnon, défi prométhéen)
       - contre l'abandon que chacun fait de sa responsabilité (Henry V),
       - contre la platitude indigne des valeurs matérialistes (ainsi du réel fangeux que fuit Fabrice).

3. Le héros est asocial par la hauteur de ses choix :
       - la vengeance où court Achille au mépris de la mort,
       - l'exercice fraternel du pouvoir dans lequel Henry V abolit sa personne,
       - la réclusion contemplative de Fabrice.

  Ce dernier aspect vous permet de conclure par un dépassement voire une amorce de contestation du sujet : si le héros est asocial, c'est souvent pour signaler au groupe l'inauthenticité des valeurs auxquelles la masse obéit et proposer un nouveau modèle que son sacrifice finira par faire reconnaître.