LES SUJETS DE L’ EAF 2013 - suite

 

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CENTRES ÉTRANGERS
SÉRIE L

 

Objets d'étude : Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours.
                         Les réécritures, du XVllème siècle jusqu'à nos jours.
Textes : 
Texte A : Pierre de Ronsard (1524-1585), « Madrigal », Premier Livre des Sonnets pour Hélène.
Texte B : Antoine de La Sablière (1624-1679), « Éloigné de vos yeux, mon ange », Madrigaux, XVI.
Texte C : Charles Cros (1842-1888), « Madrigal », Le Coffret de santal.
Texte D : Léon-Paul Fargue (1876-1947), « Merdrigal », Ludions.
Texte E : Paul Eluard (1895-1952), « Surgis... », Derniers poèmes d'amour.

 

Texte A : Pierre de Ronsard (1524-1585), Premier Livre des Sonnets pour Hélène.

      MADRlGAL1

Si c'est aimer, Madame, et de jour et de nuit
Rêver, songer, penser le moyen de vous plaire,
Oublier toute chose, et ne vouloir rien faire
Qu'adorer et servir la beauté qui me nuit;

Si c'est aimer de suivre un bonheur qui me fuit,
De me perdre moi-même et d'être solitaire,
Souffrir beaucoup de mal, beaucoup craindre et me taire,
Pleurer, crier merci2, et m'en voir éconduit3;

– Si c'est aimer de vivre en vous plus qu'en moi-même,
Cacher d'un front joyeux une langueur extrême,
Sentir au fond de l'âme un combat inégal,
Chaud, froid, comme la fièvre amoureuse me traite,

Honteux, parlant à vous, de confesser mon mal;
Si cela c'est aimer, furieux4 je vous aime,
Je vous aime, et sais bien que mon mal est fatal.
Le cœur le dit assez, mais la langue est muette.

1. madrigal : bref poème galant s'achevant souvent sur un trait d'esprit.
2. crier merci : demander grâce.
3. éconduit : écarté, rejeté.
4. furieux : hors de soi, emporté par la passion.

 

Texte B : Antoine de La Sablière (1624-1679), « Éloigné de vos yeux, mon ange », Madrigaux, XVI.

Éloigné de vos yeux, mon ange,
Savez-vous bien ce que je fais ?
Force vers1 à votre louange,
Des desseins de vous plaire, et d'amoureux projets;
Aux échos d'alentour je dis de vos nouvelles;
Que vous passez partout pour la belle des belles;
Je me fais un plaisir de mon propre tourment;
Je rêve à vous quand je sommeille,
J'y pense dès que je m'éveille,
Et je m'endors en vous nommant.

1. force vers : de nombreux vers.

 

Texte C : Charles Cros (1842-1888), Le Coffret de santal.

MADRIGAL

Sur un carnet d'ivoire
Mes vers, sur les lames d'ivoire
De votre carnet1, font semblant
D'imiter la floraison noire
Des cheveux sur votre cou blanc.

Il faudrait d'immortelles strophes
A votre charme triomphal,
Quand dans un tourbillon d'étoffes
Vous entrez follement au bal.

Le sein palpite sous la gaze2
Et, fermés à demi, les yeux
Voilent leurs éclairs de topaze3
Sous la frange des cils soyeux.

Willis4 parisienne, empreinte
D'un charme inquiétant, mais doux,
J'attends, voluptueuse crainte,
La mort, si je valse avec vous.

1. les lames d'ivoire / De votre carnet : les pages en ivoire d'un carnet de bal sur lequel la danseuse inscrit la liste des danses de la soirée et le nom des partenaires qu'elle sollicitera pour danser.
2. gaze : tissu léger.
3. topaze : pierre semi-précieuse, pâle, souvent jaune.
4. Selon une légende slave, les willis sont les fantômes de fiancées mortes avant leurs noces, qui dansent avec tout jeune homme qu'elles rencontrent, jusqu'à ce qu'il meure.

 

Texte D : Léon-Paul Fargue (1876-1947), Ludions.

        MERDRlGAL1

en dédicrasse2.

Dans mon cœur en ta présence
Fleurissent des harengs saurs3
Ma santé, c'est ton absence,
Et quand tu parais, je sors.

1. merdrigal : mot inventé par Fargue.
2. dédicrasse : mot inventé par Fargue.
3. hareng saur : poisson séché et fumé.

 

Texte E : Paul Eluard (1895-1952), Derniers poèmes d'amour.

SURGIS

Surgis d'une seule eau
Comme une jeune fille seule
Au milieu de ses robes nues
Comme une jeune fille nue,
Au milieu des mains qui la prient
Je te salue

Je brûle d'une flamme nue
Je brûle de ce qu'elle éclaire
Surgis ma jeune revenante
Dans tes bras une île inconnue
Prendra la forme de ton corps
Ma souriante

Une île et la mer diminue
L'espace n'aurait qu'un frisson
Pour nous deux un seul horizon
Crois-moi surgis cerne ma vue
Donne la vie à tous nos rêves
Ouvre les yeux.

 

I - Question sur le corpus (4 points) :

Comparez, dans les textes du corpus, les adresses à la femme aimée. Vous aurez soin de justifier vos réponses.

II - Travail d'écriture (16 points) :

  • Commentaire
    Vous commenterez le poème de Ronsard, « Madrigal » (texte A).
  • Dissertation
    Peut-on innover, en poésie, dans l'expression du sentiment amoureux ?
    Vous veillerez à mener une réflexion construite et à vous appuyer sur des exemples précis issus du corpus proposé, de vos travaux de classe et de vos lectures personnelles.
  • Invention
    Les poèmes du corpus ont tous été publiés sur un blog du lycée ouvert aux commentaires. Deux élèves réagissent en ligne. L'un assigne à la poésie d'autres missions que l'expression des sentiments, l'autre veut lui montrer l'intérêt de ces poèmes.
    Vous rédigerez le débat argumenté qui se construit au fil de leurs commentaires.

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CENTRES ÉTRANGERS
SÉRIES ES / S

 

Objet d'étude : Le texte théâtral et sa représentation du XVIIème siècle à nos jours.
Textes : 
Texte A : Pierre Corneille, L'Illusion comique, 1635, acte l, scène 2, vers 121 à 153.
Texte B : Jean Racine, Bérénice, 1669, acte l, scène 5, vers 301 à 317.
Texte C : Marguerite Duras, L'Eden Cinéma, 1977, première partie.

 

Texte A : Pierre Corneille, L'Illusion comique, 1635, acte l, scène 2, vers 121 à 153.

[Désespéré par l'absence de son fils que sa sévérité a poussé à fuir, Pridamant, sur les conseils de son ami Dorante, consulte le célèbre magicien Alcandre. Celui-ci lui propose de faire apparaître son fils sous ses yeux.]

ALCANDRE
Commencez d'espérer; vous saurez par mes charmes1
Ce que le ciel vengeur refusait à vos larmes.
Vous reverrez ce fils plein de vie et d'honneur:
De son bannissement il tire son bonheur.
C'est peu de vous le dire : en faveur de Dorante
Je veux vous faire voir sa fortune éclatante.
Les novices de l'art2, avec tous leurs encens,
Et leurs mots inconnus, qu'ils feignent tout puissants,
Leurs herbes, leurs parfums et leurs cérémonies,
Apportent au métier des longueurs infinies,
Qui ne sont, après tout, qu'un mystère pipeur3,
Pour se faire valoir, et pour vous faire peur :
Ma baguette à la main, j'en ferai davantage.

Il donne un coup de baguette, et on tire un rideau, derrière lequel sont en parade4 les plus beaux habits des comédiens.

Jugez de votre fils par un tel équipage :
Eh bien, celui d'un prince a-t-il plus de splendeur ?
Et pouvez-vous encor douter de sa grandeur ?

PRIDAMANT
D'un amour paternel vous flattez les tendresses;
Mon fils n'est point de rang à porter ces richesses,
Et sa condition ne saurait consentir
Que d'une telle pompe5 il s'ose revêtir.

ALCANDRE
Sous un meilleur destin sa fortune rangée,
Et sa condition avec le temps changée,
Personne maintenant n'a de quoi murmurer6
Qu'en public de la sorte il aime à se parer.

PRIDAMANT
A cet espoir si doux j'abandonne mon âme :
Mais parmi ces habits je vois ceux d'une femme;
Serait-il marié ?

ALCANDRE
                      Je vais de ses amours
Et de tous ses hasards vous faire le discours.
Toutefois, si votre âme était assez hardie,
Sous une illusion vous pourriez voir sa vie,
Et tous ses accidents devant vous exprimés
Par des spectres pareils à des corps animés ;
Il ne leur manquera ni geste ni parole.

1. « charmes » : sortilèges, pouvoirs magiques.
2. « art » : ici, l'art du magicien.
3. « pipeur » : trompeur.
4. « en parade » : costumes dépliés, présentés de façon spectaculaire.
5. « pompe» : somptueuse richesse, déploiement de faste.
6 « murmurer » : protester, se plaindre à voix basse.

 

 

Texte B : Jean Racine, Bérénice, 1669, acte l, scène 5, vers 301 à 317.

 [Bérénice, amoureuse de Titus, raconte à sa confidente Phénice la cérémonie au cours de laquelle son amant est devenu empereur de Rome.]

      BÉRÉNICE

De cette nuit, Phénice, as-tu vu la splendeur ?
Tes yeux ne sont-ils pas tout pleins de sa grandeur ?
Ces flambeaux, ce bûcher, cette nuit enflammée,
Ces aigles, ces faisceaux1, ce peuple, cette armée,
Cette foule de rois, ces consuls, ce sénat,
Qui tous de mon amant empruntaient leur éclat;
Cette pourpre, cet or, que rehaussait sa gloire1,
Et ces lauriers encor témoins de sa victoire;
Tous ces yeux qu'on voyait venir de toutes parts
Confondre sur lui seul leurs avides regards;
Ce port majestueux, cette douce présence.
Ciel ! avec quel respect et quelle complaisance
Tous les cœurs en secret l'assuraient de leur foi !
Parle : peut-on le voir sans penser, comme moi,
Qu'en quelque obscurité que le sort l'eût fait naître,
Le monde en le voyant eût reconnu son maître ?
Mais, Phénice, où m'emporte un souvenir charmant ?

1. « faisceaux » : bâtons liés entre eux, symboles du pouvoir des magistrats romains.
2. « gloire » : ici, signifie aussi éclat triomphal.

 

Texte C : Marguerite Duras, L'Eden Cinéma, première partie 1977.

 [L'extrait suivant constitue le tout début de la pièce.]

     La scène c'est un grand espace vide qui entoure un autre espace rectangulaire.
     L'espace entouré est celui d'un bungalow meublé de fauteuils et de tables de style colonial. Mobilier banal, très usé, très pauvre.
    L'espace vide autour du bungalow sera la plaine de Kam, dans le Haut-Cambodge, entre le Siam1 et la mer.
    Derrière le bungalow il faudrait une zone lumineuse qui serait celle de la piste des chasseurs le long de ces montagnes du Siam. Décor simple, large, qui devrait permettre une circulation facile.
    Le bungalow est fermé. Fermé par un manque de lumière. Éteint. La plaine est éclairée.
    Des gens arrivent devant la scène fermée : la mère, Suzanne, Joseph2, le Caporal.
    La mère s'assied sur un siège bas et les autres se groupent autour d'elle. Tous s'immobilisent et restent ainsi, immobiles, devant le public - cela pendant trente secondes peut-être pendant que joue la musique. Puis ils parlent de la mère. De son passé. De sa vie. De l'amour par elle provoqué.
    La mère restera immobile sur sa chaise, sans expression, comme statufiée, lointaine, séparée - comme la scène - de sa propre histoire.
    Les autres la touchent, caressent ses bras, embrassent ses mains. Elle laisse faire: ce qu'elle représente dans la pièce dépasse ce qu'elle est et elle en est irresponsable.

    Ce qui pourrait être dit ici l'est directement par Suzanne et Joseph. La mère - objet du récit - n'aura jamais la parole sur elle-même.

    Musique.

JOSEPH

La mère était née dans le nord de la France, dans les Flandres françaises, entre le pays de mines et la mer.
Il y a maintenant presque cent ans.
Fille de fermiers pauvres, l'aînée de cinq enfants, elle était née, elle avait été élevée dans ces plaines sans fin du nord de l'Europe.

Musique.
Ils attendent que s'écoule le temps de la musique. Cette musique c'est aussi l'histoire de la mère.

SUZANNE

Prise en charge par le département,
elle avait fait une école normale d'institutrice.
Son premier poste est Dunkerque - elle a entre vingt-trois et vingt-cinq ans.

Un jour elle fait une demande pour entrer dans le cadre de l'enseignement colonial.
Sa demande est acceptée.
Elle est nommée en Indochine française.
On doit être en 1912.

Ainsi la mère était quelqu'un qui était parti.
Qui avait quitté sa terre natale, son pays, très jeune, pour aller vers l'inconnu.

Il fallait un mois de bateau pour aller de Marseille à Saïgon3.

Temps.

Plusieurs journées de chaloupe pour inspecter les postes de la brousse le long du Mékong.
Dans cette brousse il y avait la lèpre, les épidémies de la peste, et de choléra. Et la faim.

La mère avait donc commencé très tôt à inventer d'entreprendre des choses comme ça. De partir, de quitter sa famille pour aller vers le voyage. Et la lèpre. Et la faim.

Silence. Joseph et Suzanne embrassent la mère, ses mains, son corps, se laissent couler sur elle, cette montagne qui, immuable, muette, inexpressive, leur prête son corps, laisse faire.

1. « Siam» : ancien nom de la Thaïlande.
2. Suzanne et Joseph sont les enfants de la mère.
3. « Saïgon » : à cette date, capitale de l'Indochine française.

 

I - Question sur le corpus (4 points) :

Que nous apprennent les textes du corpus sur le lien ou l'écart entre ce qui est dit et ce qui est montré au théâtre ?

II - Travail d'écriture (16 points) :

  • Commentaire
    Vous commenterez le texte extrait de la première partie de L'Eden Cinéma, de Marguerite Duras (texte C).
  • Dissertation
    Selon vous, quelle place la représentation théâtrale doit-elle laisser à l'imaginaire du spectateur ?
    Vous répondrez à cette question en utilisant les textes du corpus, les œuvres que vous avez étudiées, vos lectures ou expériences personnelles.
  • Invention
    Vous êtes metteur en scène au sein d'une compagnie qui s'apprête à monter L'Illusion comique. Vous écrivez aux comédiens un texte détaillant vos choix pour représenter l'extrait de l'Acte l, scène 2 (texte A).

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CENTRES ÉTRANGERS
SÉRIE L

 

Objet d'étude : Les réécritures.
Textes : 
Texte A : Charles Perrault, « La Belle au bois dormant », Contes, 1696.
Texte B : Catulle Mendès, « La Belle au bois rêvant », Les Oiseaux bleus, 1888.
Texte C : Paul Valéry, « La Belle au bois dormant », La Conque, 1891.
Texte D : Paul Valéry, « Au bois dormant », Album de vers anciens, 1920
.

 

TEXTE A : Charles Perrault, « La Belle au bois dormant », Contes, 1696.

 « Mon Prince, il y a plus de cinquante ans que j'ai ouï dire à mon père qu'il y avait dans ce Château une Princesse, la plus belle du monde ; qu'elle devait y dormir cent ans, et qu'elle serait réveillée par le fils d'un Roi, à qui elle était réservée. »1 Le jeune Prince à ce discours se sentit tout de feu; il crut sans hésiter qu'il mettrait fin à une si belle aventure; et poussé par l'amour et par la gloire, il résolut de voir sur-le-champ ce qu'il en était. A peine s'avança­ t-il vers le bois, que tous ces grands arbres, ces ronces et ces épines s'écartèrent d'eux­ mêmes pour le laisser passer: il marcha vers le Château qu'il voyait au bout d'une grande avenue où il entra, et ce qui le surprit un peu, il vit que personne de ses gens ne l'avait pu suivre, parce que les arbres s'étaient rapprochés dès qu'il avait été passé. Il ne laissa pas de continuer son chemin : un Prince jeune et amoureux est toujours vaillant. Il entra dans une grande avant-cour où tout ce qu'il vit d'abord était capable de le glacer de crainte: c'était un silence affreux, l'image de la mort s'y présentait partout, et ce n'était que des corps étendus d'hommes et d'animaux, qui paraissaient morts. Il reconnut pourtant bien au nez bourgeonné et à la face vermeille des Suisses qu'ils n'étaient qu'endormis, et leurs tasses, où il y avait encore quelques gouttes de vin, montraient assez qu'ils s'étaient endormis en buvant. Il passe une grande cour pavée de marbre, il monte l'escalier, il entre dans la salle des Gardes qui étaient rangés en haie, la carabine sur l'épaule, et ronflants de leur mieux. Il traverse plusieurs chambres pleines de Gentilshommes et de Dames, dormant tous, les uns debout, les autres assis; il entre dans une chambre toute dorée, et il vit sur un lit, dont les rideaux étaient ouverts de tous côtés, le plus beau spectacle qu'il eût jamais vu : une Princesse qui paraissait avoir quinze ou seize ans, et dont l'éclat resplendissant avait quelque chose de lumineux et de divin. Il s'approcha en tremblant et en admirant, et se mit à genoux auprès d'elle. Alors comme la fin de l'enchantement était venue, la Princesse s'éveilla; et le regardant avec des yeux plus tendres qu'une première vue ne semblait le permettre : « Est-ce vous, mon Prince ? lui dit-elle, vous vous êtes bien fait attendre. »
 Le Prince charmé de ces paroles, et plus encore de la manière dont elles étaient dites, ne savait comment lui témoigner sa joie et sa reconnaissance; il l'assura qu'il l'aimait plus que lui-même. Ses discours furent mal rangés, ils en plurent davantage; peu d'éloquence, beaucoup d'amour. Il était plus embarrassé qu'elle, et l'on ne doit pas s'en étonner; elle avait eu le temps de songer à ce qu'elle aurait à lui dire, car il y a apparence (l'Histoire n'en dit pourtant rien) que la bonne Fée, pendant un si long sommeil, lui avait procuré le plaisir des songes agréables. Enfin il y avait quatre heures qu'ils se parlaient, et ils ne s'étaient pas encore dit la moitié des choses qu'ils avaient à se dire.

1- Paroles adressées au Prince par un paysan.

 

TEXTE B : Catulle Mendès, « La Belle au bois rêvant », Les Oiseaux bleus, 1888.

– Un autre délice, le plus grand de tous vous attend.
– Eh ! lequel ?
– Vous serez aimée !
– Par qui ?
– Par moi ! Si vous ne me jugez pas indigne de prétendre à votre tendresse...
– Vous êtes un prince de bonne mine, et votre habit vous va fort bien.
– .... Si vous daignez ne pas repousser mes vœux, je vous donnerai tout mon cœur, comme un autre royaume dont vous serez la souveraine, et je ne cesserai jamais d'être l'esclave reconnaissant de vos cruels caprices.
– Ah ! quel bonheur vous me promettez !
– Levez-vous donc, chère âme, et suivez-moi.
– Vous suivre ? déjà ? Attendez un peu. Il y a sans doute plus d'une chose tentante parmi tout ce que vous m'offrez, mais savez-vous si, pour l'obtenir, il ne me faudrait pas quitter mieux ?
– Que voulez-vous dire, princesse ?
– Je dors depuis un siècle, c'est vrai, mais, depuis un siècle, je rêve. Je suis reine aussi, dans mes songes, et de quel divin royaume ! Mon palais a des murs de lumière; j'ai pour courtisans des anges qui me célèbrent en des musiques d'une douceur infinie, je marche sur des jonchées d'étoiles. Si vous saviez de quelles belles robes je m'habille, et les fruits sans pareils que l'on met sur ma table, et les vins de miel où je trempe mes lèvres ! Pour ce qui est de l'amour, croyez bien qu'il ne me fait pas défaut; car je suis adorée par un époux plus beau que tous les princes du monde et fidèle depuis cent ans. Tout bien considéré, monseigneur, je crois que je ne gagnerais rien à sortir de mon enchantement; je vous prie de me laisser dormir.

 Là-dessus, elle se tourna vers la ruelle, ramenant ses cheveux sur ses yeux, et reprit son long somme, tandis que Pouffe, la petite chienne, cessait de japper, contente, le museau sur les pattes. Le prince s'éloigna fort penaud. Et, depuis ce temps, grâce à la protection des bonnes fées, personne n'est venu troubler dans son sommeil la « Belle au bois rêvant ».

 

TEXTE C : Paul Valéry, « La Belle au bois dormant », La Conque, 1891.

         LA BELLE AU BOIS DORMANT

La Princesse, dans un palais de roses pures
Sous les murmures et les feuilles, toujours dort.
Elle dit en rêvant des paroles obscures
Et les oiseaux perdus mordent ses bagues d'or.

Elle n'écoute ni les gouttes dans leurs chutes
Tinter, au fond des fleurs lointaines, lentement
Ni s'enfuir la douceur pastorale1 des flûtes
Dont la rumeur antique emplit le bois dormant.

... O belle ! suis en paix ta nonchalante idylle
Elle est si tendre l'ombre à ton sommeil tranquille
Qui baigne de parfums tes yeux ensevelis :

Et, songe, bienheureuse, en tes paupières closes
Princesse pâle dont les rêves sont jolis
A l'éternel dormir sous les gestes des Roses !

1- Douceur pastorale: qui évoque la campagne et les plaisirs champêtres des bergers.

 

TEXTE D : Paul Valéry, « Au bois dormant », Album de vers anciens, 1920.

           AU BOIS DORMANT

La princesse, dans un palais de rose pure,
Sous les murmures, sous la mobile ombre dort,
Et de corail ébauche une parole obscure
Quand les oiseaux perdus mordent ses bagues d'or.

Elle n'écoute ni les gouttes, dans leurs chutes,
Tinter d'un siècle vide au lointain le trésor,
Ni, sur la forêt vague, un vent fondu de flûtes
Déchirer la rumeur d'une phrase de cor.

Laisse, longue, l'écho rendormir la diane1,
O toujours plus égale à la molle liane
Qui se balance et bat tes yeux ensevelis.

Si proche de ta joue et si lente la rose
Ne va pas dissiper ce délice de plis
Secrètement sensible au rayon qui s'y pose.

1- La diane : sonnerie d'instrument à cuivre (cor, clairon... ).

 

I- Après avoir lu tous les textes du corpus, vous répondrez â la question suivante (4 points) :

 Quelles constantes et quelles variantes repérez-vous dans ces différentes versions ?

II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :

  • Commentaire
    Vous commenterez le premier texte de Valéry (texte C), LA BELLE AU BOIS DORMANT.
  • Dissertation
    Pensez-vous que la réécriture porte atteinte à l'œuvre dont on s'inspire ?
    Vous répondrez à cette question de manière organisée, en vous appuyant sur les textes du corpus, sur les œuvres étudiées en classe, ainsi que sur vos lectures personnelles.
  • Invention
    Le Prince de « La Belle au bois rêvant» (texte B), déçu, s'efforce de détourner la Belle de son projet de rester endormie. Rédigez son discours.

 

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CENTRES ÉTRANGERS
SÉRIES ES / S

 

Objet d'étude : La question de l'homme dans les genres de l'argumentation du XVlème à nos jours.
Textes : 
Texte A : Michel de Montaigne, De l'expérience in Essais III, XIII, 1588.
Texte B : Jean-Jacques Rousseau, Cinquième Promenade in Les Rêveries du Promeneur solitaire, 1778.
Texte C : Alain, « La danse des poignards » in Propos sur le bonheur, 1928.
Texte D : Albert Camus, « Noces à Tipasa » in Noces, 1939.

 

Texte A : Michel de Montaigne, Essais, De l'expérience.

 Quand je danse, je danse; quand je dors, je dors; voire et quand je me promène solitairement en un beau verger, si mes pensées se sont entretenues des occurrences étrangères quelque partie du temps, quelque autre partie je les ramène à la promenade, au verger, à la douceur de cette solitude et à moi. Nature a maternellement observé cela, que les actions qu'elle nous a enjointes pour notre besoin nous fussent aussi voluptueuses, et nous y convie non seulement par la raison, mais aussi par l'appétit : c'est injustice de corrompre ses règles.
  Quand je vois et César et Alexandre1, au plus épais de sa grande besogne, jouir si pleinement des plaisirs naturels, et par conséquent nécessaires et justes, je ne dis pas que ce soit relâcher son âme, je dis que c'est la roidir2, soumettant par vigueur de courage à l'usage de la vie ordinaire ces violentes occupations et laborieuses pensées. Sages, s'ils eussent cru que c'était là leur ordinaire vacation3, celle-ci l'extraordinaire. Nous sommes de grands fols : « Il a passé sa vie en oisiveté, disons-nous; Je n'ai rien fait d'aujourd'hui. - Quoi ! avez-vous pas vécu ? C'est non seulement la fondamentale, mais la plus illustre de vos occupations. - Si on m'eût mis au propre des grands maniements, j'eusse montré ce que je savais faire. - Avez­ vous su méditer et manier votre vie ? vous avez fait la plus grande besogne de toutes. »
 Pour se montrer et exploiter, nature n'a que faire de fortune4 ; elle se montre également en tous étages, et derrière, comme sans rideau. Composer nos mœurs est notre office, non pas composer des livres, et gagner, non pas des batailles et des provinces, mais l'ordre et tranquillité à notre conduite. Notre grand et glorieux chef-d'œuvre, c'est vivre à propos.

1- Célèbres conquérants de l'antiquité.
2- Raidir.
3- Occupation.
4- Destinée.

 

Texte B : Jean-Jacques Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire, Cinquième promenade.

  Tout est dans un flux continuel sur la terre. Rien n'y garde une forme constante et arrêtée, et nos affections qui s'attachent aux choses extérieures passent et changent nécessairement comme elles. Toujours en avant ou en arrière de nous, elles rappellent le passé qui n'est plus ou préviennent l'avenir qui souvent ne doit point être : il n'y a rien là de solide à quoi le cœur se puisse attacher. Aussi n'a-t-on guère ici-bas que du plaisir qui passe; pour le bonheur qui dure je doute qu'il y soit connu. A peine est-il dans nos vies plus vives jouissances un instant où le cœur puisse véritablement nous dire : Je voudrais que cet instant durât toujours; et comment peut-on appeler bonheur un état fugitif qui nous laisse encore le cœur inquiet et vide, qui nous fait regretter quelque chose avant, ou désirer encore quelque chose après ?
 Mais s'il est un état où l'âme trouve une assiette1 assez solide pour s'y reposer tout entière et rassembler là tout son être, sans avoir besoin de rappeler le passé ni d'enjamber sur l'avenir; où le temps ne soit rien pour elle, où le présent dure toujours sans néanmoins marquer sa durée et sans aucune trace de succession, sans aucun autre sentiment de privation ni de jouissance, de plaisir ni de peine, de désir ni de crainte que celui seul de notre existence, et que ce sentiment seul puisse la remplir tout entière; tant que cet état dure celui qui s'y trouve peut s'appeler heureux, non d'un bonheur imparfait, pauvre et relatif, tel que celui qu'on trouve dans les plaisirs de la vie mais d'un bonheur suffisant, parfait et plein, qui ne laisse dans l'âme aucun vide qu'elle sente le besoin de remplir. Tel est l'état où je me suis trouvé souvent à l'île de Saint-Pierre dans mes rêveries solitaires, soit couché dans mon bateau que je laissais dériver au gré de l'eau, soit assis sur les rives du lac agité, soit ailleurs, au bord d'une belle rivière ou d'un ruisseau murmurant sur le gravier.
  De quoi jouit-on dans une pareille situation ? De rien d'extérieur à soi, de rien sinon de soi-même et de sa propre existence, tant que cet état dure on se suffit à soi-même comme Dieu. Le sentiment de l'existence dépouillé de toute autre affection est par lui-même un sentiment précieux de contentement et de paix, qui suffirait seul pour rendre cette existence chère et douce à qui saurait écarter de soi toutes les impressions sensuelles et terrestres qui viennent sans cesse nous en distraire et en troubler ici-bas la douceur.

1- État d'équilibre.

 

Texte C : Alain, Propos sur le bonheur.

 Le passé et l'avenir n'existent que lorsque nous y pensons; ce sont des opinions, non des faits. Nous nous donnons bien du mal pour fabriquer nos regrets et nos craintes. J'ai vu un équilibriste qui ajustait une quantité de poignards les uns sur les autres; cela faisait une espèce d'arbre effrayant qu'il tenait en équilibre sur son front. C'est ainsi que nous ajustons et portons nos regrets et nos craintes en imprudents artistes. Au lieu de porter une minute, nous portons une heure; au lieu de porter une heure, nous portons une journée, dix journées, des mois, des années. L'un, qui a mal à la jambe, pense qu'il souffrait hier, qu'il a souffert déjà autrefois, qu'il souffrira demain; il gémit sur sa vie tout entière. Il est évident qu'ici la sagesse ne peut pas beaucoup; car on ne peut toujours pas supprimer la douleur présente. Mais s'il s'agit d'une douleur morale, qu'en restera-t-il si l'on se guérit de regretter et de prévoir ?
 Cet amoureux maltraité, qui se tortille sur son lit au lieu de dormir, et qui médite des vengeances corses, que resterait-il de son chagrin s'il ne pensait ni au passé, ni à l'avenir ? Cet ambitieux, mordu au cœur par un échec, où va-t-il chercher sa douleur, sinon dans un passé qu'il ressuscite et dans un avenir qu'il invente ? On croit voir le Sisyphe1 de la légende qui soulève son rocher et renouvelle ainsi son supplice.
 Je dirais à tous ceux qui se torturent ainsi : pense au présent; pense à ta vie qui se continue de minute en minute; chaque minute vient après l'autre; il est donc possible de vivre comme tu vis, puisque tu vis. Mais l'avenir m'effraie, dis-tu. Tu parles de ce que tu ignores. Les événements ne sont jamais ceux que nous attendions; et quant à ta peine présente, justement parce qu'elle est très vive, tu peux être sûr qu'elle diminuera. Tout change, tout passe. Cette maxime nous a attristés assez souvent; c'est bien le moins qu'elle nous console quelquefois.

1- Personnage mythologique condamné à rouler sans fin un rocher.

 

Texte D : Albert Camus, Noces à Tipasa (Noces).

[Le narrateur se promène au milieu du site antique de Tipasa.]

 Que d'heures passées à écraser les absinthes1, à caresser les ruines, à tenter d'accorder ma respiration aux soupirs tumultueux du monde ! Enfoncé parmi les odeurs sauvages et les concerts d'insectes somnolents, j'ouvre les yeux et mon cœur à la grandeur insoutenable de ce ciel gorgé de chaleur. Ce n'est pas si facile de devenir ce qu'on est, de retrouver sa mesure profonde. Mais à regarder l'échine solide du Chenoua2, mon cœur se calmait d'une étrange certitude. J'apprenais à respirer, je m'intégrais et je m'accomplissais. Je gravissais l'un après l'autre des coteaux dont chacun me réservait une récompense, comme ce temple dont les colonnes mesurent la course du soleil et d'où l'on voit le village entier, ses murs blancs et roses et ses vérandas vertes. Comme aussi cette basilique sur la colline Est : elle a gardé ses murs et dans un grand rayon autour d'elle s'alignent des sarcophages exhumés, pour la plupart à peine issus de la terre dont ils participent encore. Ils ont contenu des morts; pour le moment il y pousse des sauges et des ravenelles. La basilique Sainte-Salsa est chrétienne, mais à chaque fois qu'on regarde par une ouverture, c'est la mélodie du monde qui parvient jusqu'à nous: coteaux plantés de pins et de cyprès, ou bien la mer qui roule ses chiens blancs à une vingtaine de mètres. La colline qui supporte Sainte-Salsa est plate à son sommet et le vent souffle plus largement à travers les portiques. Sous le soleil du matin, un grand bonheur se balance dans l'espace..

1. Plante odorante.
2. Massif montagneux au nord de l'Algérie.

 

I- Après avoir lu tous les textes du corpus, vous répondrez â la question suivante (4 points) :

Quelles sont les différentes visions du bonheur que proposent ces textes ?

II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :

  • Commentaire
    Vous commenterez le texte de Camus (texte D).
  • Dissertation
    Une réflexion fondée sur l'expérience personnelle de l'auteur vous semble-t-elle efficace pour traiter des grandes questions humaines ?
  • Invention
    Vous avez vécu un moment de bonheur privilégié au contact d'un lieu. Racontez cette expérience en mêlant la description de cet espace, les sensations qu'il suscite, et une réflexion sur la condition humaine.

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CENTRES ÉTRANGERS
SÉRIES TECHNOLOGIQUES

 

Objet d'étude : Le personnage de roman, du XVIIème siècle à nos jours.
Textes : 
Texte A : Victor HUGO, Quatrevingt-treize, troisième partie, IV, " Le Verbe et le rugissement", 1874.
Texte B : Emile ZOLA, Germinal, quatrième partie, chapitre 7, 1885.
Texte C : Emmanuel DONGALA, Photo de groupe au bord du fleuve, 2010
.

 

Texte A : Victor HUGO, Quatrevingt-treize, troisième partie, IV, " Le Verbe et le rugissement", 1874.

 [L'action se passe en 1798, en pleine guerre de Vendée, qui oppose les révolutionnaires et les royalistes. Cimourdain, ancien prêtre converti aux idéaux de la Révolution, commande la troupe qui assiège la forteresse de La Tourgue où s'est réfugié le marquis de Lantenac, chef des Vendéens qui retiennent en otage trois enfants innocents. Cimourdain tente de négocier pour empêcher l'assaut imminent. Il s'adresse à l'lmânus, lieutenant du marquis de Lantenac.]

Cimourdain repartit avec une inflexion singulière, qui était à la fois haute et douce :
– Insultez, mais écoutez. Je viens ici en parlementaire1. Oui, vous êtes mes frères. Vous êtes de pauvres hommes égarés. Je suis votre ami. Je suis la lumière et je parle à l'ignorance. La lumière contient toujours de la fraternité. D'ailleurs, est-ce que nous n'avons pas tous la même mère, la patrie ? Eh bien, écoutez-moi. Vous saurez plus tard, ou vos enfants sauront, ou les enfants de vos enfants sauront que tout ce qui se fait en ce moment se fait par l'accomplissement des lois d'en haut, et que ce qu'il y a dans la Révolution, c'est Dieu. En attendant le moment où toutes les consciences, même les vôtres, comprendront, et où tous les fanatismes, même les nôtres, s'évanouiront, en attendant que cette grande clarté soit faite, personne n'aura-t-il pitié de vos ténèbres ? Je viens à vous, je vous offre ma tête; je fais plus, je vous tends la main. Je vous demande la grâce de me perdre pour vous sauver. J'ai pleins pouvoirs, et ce que je dis, je le puis. C'est un instant suprême; je fais un dernier effort. Oui, celui qui vous parle est un citoyen, et dans ce citoyen, oui, il y a un prêtre. Le citoyen vous combat, mais le prêtre vous supplie. Écoutez-moi. Beaucoup d'entre vous ont des femmes et des enfants. Je prends la défense de vos enfants et de vos femmes. Je prends leur défense contre vous. Ô mes frères...
– Va, prêche ! ricana l'Imânus.
Cimourdain continua :
– Mes frères, ne laissez pas sonner l'heure exécrable. On va ici s'entr'égorger. Beaucoup d'entre nous qui sommes ici devant vous ne verront pas le soleil de demain ; oui, beaucoup d'entre nous périront, et vous, vous tous, vous allez mourir. Faites-vous grâce à vous-mêmes. Pourquoi verser tout ce sang quand c'est inutile ? Pourquoi tuer tant d'hommes quand deux suffisent ?
– Deux ? dit l'Imânus.
– Oui. Deux.
– Qui ?
– Lantenac et moi.
Et Cimourdain éleva la voix :
– Deux hommes sont de trop, Lantenac pour nous, moi pour vous. Voici ce que je vous offre, et vous aurez tous la vie sauve: donnez-nous Lantenac, et prenez-moi. Lantenac sera guillotiné, et vous ferez de moi ce que vous voudrez.
– Prêtre, hurla l'Imânus, si nous t'avions, nous te brûlerions à petit feu.
– J'y consens, dit Cimourdain.
Et il reprit :
– Vous, les condamnés qui êtes dans cette tour, vous pouvez tous dans une heure être vivants et libres. Je vous apporte le salut. Acceptez-vous ?
L'lmânus éclata.
– Tu n'es pas seulement scélérat, tu es fou. Ah çà, pourquoi viens-tu nous déranger ? Qui est-ce qui te prie de venir nous parler ? Nous, livrer monseigneur ! Qu'est-ce que tu veux ?
– Sa tête. Et je vous offre...
– Ta peau. Car nous t'écorcherions comme un chien, curé Cimourdain. Eh bien, non, ta peau ne vaut pas sa tête. Va-t'en.
– Cela va être horrible. Une dernière fois, réfléchissez.
 La nuit venait pendant ces paroles sombres qu'on entendait au-dedans de la tour comme au-dehors. Le marquis de Lantenac se taisait et laissait faire. Les chefs ont de ces sinistres égoïsmes. C'est un des droits de la responsabilité.

1- parlementaire : négociateur.

 

Texte B : Emile ZOLA, Germinal, quatrième partie, chapitre 7,1885.

[Etienne Lantier, ouvrier mineur à la mine du Voreux, à Montsou, dans le Nord de la France, prend la tête d'un mouvement de rébellion contre les injustices et la misère qui accablent les ouvriers. Ces derniers mènent une grève difficile depuis un mois. Etienne les réunit pour les inciter à poursuivre leur lutte.]

  Il fut terrible, jamais il n'avait parlé si violemment. D'un bras, il maintenait le vieux Bonnernort1, il l'étalait comme un drapeau de misère et de deuil, criant vengeance. En phrases rapides, il remontait au premier Maheu, il montrait toute cette famille usée à la mine, mangée par la Compagnie, plus affamée après cent ans de travail, et, devant elle, il mettait ensuite les ventres de la Régie2, qui suaient l'argent, toute la bande des actionnaires entretenus comme des filles depuis un siècle, à ne rien faire, à jouir de leur corps. N'était-ce pas effroyable : un peuple d'hommes crevant au fond de père en fils, pour qu'on paie des pots-de-vin à des ministres, pour que des générations de grands seigneurs et de bourgeois donnent des fêtes ou s'engraissent au coin de leur feu ! Il avait étudié les maladies des mineurs, il les faisait défiler toutes, avec des détails effrayants : l'anémie3, les scrofules4, la bronchite noire, l'asthme qui étouffe, les rhumatismes qui paralysent. Ces misérables, on les jetait en pâture aux machines, on les parquait ainsi que du bétail dans les corons5, les grandes Compagnies les absorbaient peu à peu, réglementant l'esclavage, menaçant d'enrégimenter6 tous les travailleurs d'une nation, des millions de bras, pour la fortune d'un millier de paresseux. Mais le mineur n'était plus l'ignorant, la brute écrasée dans les entrailles du sol. Une armée poussait des profondeurs des fosses, une moisson de citoyens dont la semence germait et ferait éclater la terre, un jour de grand soleil. Et l'on saurait alors si, après quarante années de service, on oserait offrir cent cinquante francs de pension à un vieillard de soixante ans, crachant de la houille, les jambes enflées par l'eau des tailles7. Oui ! le travail demanderait des comptes au capital, à ce dieu impersonnel, inconnu de l'ouvrier, accroupi quelque part, dans le mystère de son tabernacle8, d'où il suçait la vie des meurt-de-faim qui le nourrissaient ! On irait là-bas, on finirait bien par lui voir sa face aux clartés des incendies, on le noierait sous le sang, ce pourceau9 immonde, cette idole monstrueuse, gorgée de chair humaine !

1. Bonnemort : ancien mineur.
2. Régie: services financiers de la Compagnie des mines.
3. anémie : état de faiblesse.
4. scrofules : affection qui prédispose à la tuberculose.
5. corons: cités composées de petites maisons en pays minier.
6. enrégimenter : embrigader, mettre au pas.
7. eau des tailles : eau qui suinte au fond des galeries de mines.
8. tabernacle : lieu sacré.
9. pourceau : porc.

 

Texte C : Emmanuel DONGALA, Photo de groupe au bord du fleuve, 2010.

[Méréana vit en Afrique à l'époque actuelle. Abandonnée par son mari Tito, elle élève seule ses deux garçons et le bébé de sa sœur, décédée du sida. Elle travaille avec un groupe de femmes dans une carrière à concasser des blocs de pierre pour obtenir du gravier. Le président du pays, afin d'augmenter son prestige international, vient de décider la construction d'un aéroport. Ce projet nécessite des quantités importantes de gravier. Le prix du sac augmente mais tout le profit ira aux intermédiaires. Un groupe de femmes se réunit pour débattre. Méréana prend la parole.]

 Là, tu1 es prise de court. Tu pensais qu'une idée allait émerger de la discussion, or elles te demandent d'en avancer une toi-même. Tu ne sais que dire. Tu n'as pas préparé de discours à lire. Tu bafouilles un instant puis une idée surgit soudainement dans ton esprit, une marche sur le commissariat de police. Sont-ce les séquelles des pensées que tu as ruminées après le coup de fil provocateur de Tito ? Alors les mots te viennent clairement et facilement, pas de la tête mais du cœur.
 « Chers sœurs et camarades, nous sommes des femmes qui essayons de gagner notre vie en cassant et en vendant la pierre. Il y a parmi nous des femmes qui sont allées à l'école et des femmes qui ne savent pas lire, il y a des jeunes et des plus âgées, il y a des femmes mariées et des célibataires, des veuves et des divorcées. Nous n'attendons pas que l'État nous donne un salaire. Non, nous sommes des femmes actives et tout ce que nous voulons, c'est qu'on nous achète notre marchandise à son juste prix. »
 Les applaudissements de la foule te donnent plus d'assurance encore. Tu veux parler à toutes ces femmes qui vous accompagnent, qu'elles soient du chantier ou pas, mais aussi aux mouchardes et aux mouchards présents. Tu continues en faisant l'historique des deux jours passés pour ceux qui ne sont pas encore au courant, tu parles du nouvel aéroport, de la flambée du prix de la caillasse, de votre refus de vendre, de la violente répression. Et tu continues :
 « L'union fait la force. C'est parce que nous étions des dizaines devant la prison du commissariat qu'ils ont relâché nos camarades Moukiétou, Moyalo et Ossolo. Je vous le dis, mes sœurs, ce n'est que de la même façon que nous récupérerons les sacs qu'ils2 ont volés. Ces hommes qui ont volé nos cailloux pensent que parce que nous sommes femmes nous allons nous taire comme d'habitude. Quand ils nous battent au foyer, nous ne disons rien, quand ils nous chassent et prennent tous nos biens à la mort de nos maris, nous ne disons rien, quand ils nous paient moins bien qu'eux-mêmes, nous ne disons rien, quand ils nous violent et qu'en réponse à nos plaintes ils disent que nous l'avons bien cherché, nous ne disons toujours rien et aujourd'hui ils pensent qu'en prenant de force nos cailloux, encore une fois nous ne dirons rien. Eh bien non ! Cette fois-ci ils se trompent ! Trop, c'est trop ! »
  Toujours debout sur ta chaise, tu continues à haranguer3. Tu ne savais pas que les mots pouvaient avoir ce pouvoir enivrant. Plus tu parles, plus tu es exaltée, plus tu te sens sortir de toi-même, tu n'es plus toi. Tu n'es plus Méréana. Tu es une des pasionarias4 de l'histoire ! Tu es cette Noire arnéricaine5 dont tu ne te rappelles plus du tout le nom mais dont le leitmotiv6 d'un célèbre discours à une convention de femmes te remonte spontanément à la mémoire : « Ne suis-je pas une femme ? »
  – Ne sommes-nous donc femmes que pour souffrir ? tu lances, en un cri venu du plus profond de ton cœur. Non, non et non ! Nous irons camper devant le commissariat avec nos nattes et nos enfants, et nous ne partirons pas de là tant qu'ils n'auront pas rendu nos sacs ou tant qu'ils ne nous les auront pas achetés.
  – A vingt mille francs, crie une femme.
  – Oui, à vingt mille francs ou au nouveau prix que nous allons négocier mais en tout cas pas à dix mille francs comme avant. Sinon, qu'il fasse soleil ou qu'il pleuve, nous resterons devant ce commissariat avec nos nattes et nos enfants.
  – Et nos maris aussi, lance une autre femme, il faut bien qu'ils servent à quelque chose !
  – Rires et applaudissements. De la foule des badauds, une voix crie :
  – Je sais que nous n'avons pas la parole ici, mais nous, les femmes qui souffrons au marché, nous allons nous joindre à vous, nous allons marcher et camper avec vous.

1. tu : pronom qui renvoie à Méréana.
2. ils : exploitants de la carrière de pierre, employeurs des femmes.
3. haranguer : prononcer un discours devant une assemblée.
4. pasionaria : femme qui se passionne pour une cause.
5. cette noire américaine : Sojourner Thruth, ancienne esclave noire qui prononça un discours, à Abron, Ohio en 1851, lors d'une convention. Elle milita pour le droit de vote des femmes et contre l'esclavage. Lors de son intervention, elle lança: « Ne suis-je donc pas une femme? ».
6. leitmotiv : phrase, formule qui revient à plusieurs reprises.

 

I - Après avoir lu attentivement les textes du corpus, vous répondrez aux questions suivantes de façon organisée et synthétique. (6 points) :

1. Mettez en évidence la situation commune des personnages. (2 points)
2. A quoi tient l'efficacité de ces discours? (4 points)

II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (14 points) :

  • Commentaire
    Vous ferez le commentaire du texte de Dongala (texte C) en vous appuyant sur le parcours de lecture suivant :
    - Montrez comment le romancier exprime l'émotion et l'indignation croissantes des personnages.
    - Étudiez l'argumentation développée pour la cause des femmes.
  • Dissertation
    Pourquoi les personnages de roman doivent-ils avoir la parole ?
    Vous répondrez à cette question en un développement argumenté en mobilisant les textes du corpus ainsi que ceux que vous avez lus et étudiés.
  • Invention
    A la suite du discours de Lantier, un débat s'instaure entre les mineurs : certains émettent des doutes, certains soutiennent la grève, d'autres non. Rédigez le dialogue de roman en tenant compte des informations délivrées dans le texte de Zola.

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CENTRES ÉTRANGERS
SÉRIES GÉNÉRALES

 

Objet d'étude : Le personnage de roman, du XVIIème siècle à nos jours.
Textes : 
Texte A : Stendhal, La Chartreuse de Parme, livre premier, chapitre 11, 1839.
Texte B : Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, chapitre IV, 1844.
Texte C : Guy de Maupassant, Bel-Ami, première partie, chapitre VI, 1885.

 

Texte A : Stendhal, La Chartreuse de Parme, livre premier, chapitre 11, 1839.

 [Bien qu’engagé dans une carrière ecclésiastique, Fabrice Del Dongo est amoureux d’une actrice, Marietta. Giletti, l’amant en titre de la jeune femme, jure de tuer Fabrice. Le hasard les met en présence tous les trois sur une route.]

Au moment où Fabrice passait auprès de la portière ouverte, il entendit Marietta qui lui disait à demi-voix :
— Prends garde à toi ; il te tuera. Tiens !
Au même instant, Fabrice vit tomber de la portière une sorte de grand couteau de chasse ; il se baissa pour le ramasser, mais, au même instant il fut touché à l'épaule par un coup d'épée que lui lançait Giletti. Fabrice, en se relevant, se trouva à six pouces de Giletti qui lui donna dans la figure un coup furieux avec le pommeau de son épée ; ce coup était lancé avec une telle force qu'il ébranla tout à fait la raison de Fabrice ; en ce moment il fut sur le point d'être tué. Heureusement pour lui, Giletti était encore trop près pour pouvoir lui donner un coup de pointe. Fabrice, quand il revint à soi, prit la fuite en courant de toutes ses forces ; en courant, il jeta le fourreau du couteau de chasse et ensuite, se retournant vivement, il se trouva à trois pas de Giletti qui le poursuivait. Giletti était lancé, Fabrice lui porta un coup de pointe ; Giletti avec son épée eut le temps de relever un peu le couteau de chasse, mais il reçut le coup de pointe en plein dans la joue gauche. Il passa tout près de Fabrice qui se sentit percer la cuisse, c'était le couteau de Giletti que celui-ci avait eu le temps d'ouvrir. Fabrice fit un saut à droite ; il se retourna, et enfin les deux adversaires se trouvèrent à une juste distance de combat.
Giletti jurait comme un damné. Ah ! je vais te couper la gorge, gredin de prêtre, répétait-il à chaque instant. Fabrice était tout essoufflé et ne pouvait parler ; le coup de pommeau d'épée dans la figure le faisait beaucoup souffrir, et son nez saignait abondamment ; il para plusieurs coups avec son couteau de chasse et porta plusieurs bottes1 sans trop savoir ce qu'il faisait ; il lui semblait vaguement être à un assaut public. Cette idée lui avait été suggérée par la présence de ses ouvriers qui, au nombre de vingt-cinq ou trente, formaient cercle autour des combattants, mais à distance fort respectueuse ; car on voyait ceux-ci courir à tout moment et s'élancer l'un sur l'autre.
Le combat semblait se ralentir un peu ; les coups ne se suivaient plus avec la même rapidité, lorsque Fabrice se dit : à la douleur que je ressens au visage, il faut qu'il m'ait défiguré. Saisi de rage à cette idée, il sauta sur son ennemi la pointe du couteau de chasse en avant. Cette pointe entra dans le côté droit de la poitrine de Giletti et sortit vers l'épaule gauche ; au même instant l'épée de Giletti pénétrait de toute sa longueur dans le haut du bras de Fabrice, mais l'épée glissa sous la peau, et ce fut une blessure insignifiante.
Giletti était tombé ; au moment où Fabrice s'avançait vers lui, regardant sa main gauche qui tenait un couteau, cette main s'ouvrait machinalement et laissait échapper son arme.
Le gredin est mort, se dit Fabrice ; il le regarda au visage, Giletti rendait beaucoup de sang par la bouche. Fabrice courut à la voiture.
— Avez-vous un miroir ? cria-t-il à Marietta.

1- porter plusieurs bottes : porter plusieurs attaques.

 

Texte B : Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, chapitre IV, 1844..

[En 1625, arrivé à Paris pour se présenter à M. de Tréville, capitaine des Mousquetaires du Roi, d’Artagnan, en raison de maladresses successives, est contraint d’affronter en duel trois mousquetaires : Athos, Porthos et Aramis. Arrive le moment des affrontements, alors qu’un édit de Son Éminence le cardinal de Richelieu interdit les duels.]

  « Et maintenant que vous êtes rassemblés, messieurs, dit d'Artagnan, permettez-moi de vous faire mes excuses. »
À ce mot d'excuses, un nuage passa sur le front d'Athos, un sourire hautain glissa sur les lèvres de Porthos, et un signe négatif fut la réponse d'Aramis.
« Vous ne me comprenez pas, messieurs, dit d'Artagnan en relevant sa tête, sur laquelle jouait en ce moment un rayon de soleil qui en dorait les lignes fines et hardies : je vous demande excuse dans le cas où je ne pourrais vous payer ma dette à tous trois, car M. Athos a le droit de me tuer le premier, ce qui ôte beaucoup de sa valeur à votre créance1, monsieur Porthos, et ce qui rend la vôtre à peu près nulle, monsieur Aramis. Et maintenant, messieurs, je vous le répète, excusez-moi, mais de cela seulement, et en garde ! »
À ces mots, du geste le plus cavalier qui se puisse voir, d'Artagnan tira son épée.
Le sang était monté à la tête de d'Artagnan, et dans ce moment il eût tiré son épée contre tous les mousquetaires du royaume, comme il venait de faire contre Athos, Porthos et Aramis.
Il était midi et un quart. Le soleil était à son zénith et l'emplacement choisi pour être le théâtre du duel se trouvait exposé à toute son ardeur.
« Il fait très chaud, dit Athos en tirant son épée à son tour, et cependant je ne saurais ôter mon pourpoint ; car, tout à l'heure encore, j'ai senti que ma blessure saignait, et je craindrais de gêner monsieur en lui montrant du sang qu'il ne m'aurait pas tiré lui-même.
— C'est vrai, monsieur, dit d'Artagnan, et tiré par un autre ou par moi, je vous assure que je verrai toujours avec bien du regret le sang d'un aussi brave gentilhomme ; je me battrai donc en pourpoint comme vous.
— Voyons, voyons, dit Porthos, assez de compliments comme cela, et songez que nous attendons notre tour.
— Parlez pour vous seul, Porthos, quand vous aurez à dire de pareilles incongruités2, interrompit Aramis. Quant à moi, je trouve les choses que ces messieurs se disent fort bien dites et tout à fait dignes de deux gentilshommes.
— Quand vous voudrez, monsieur, dit Athos en se mettant en garde.
— J'attendais vos ordres », dit d'Artagnan en croisant le fer.
Mais les deux rapières3 avaient à peine résonné en se touchant, qu'une escouade4 des gardes de Son Éminence, commandée par M. de Jussac, se montra à l'angle du couvent.
« Les gardes du cardinal ! s'écrièrent à la fois Porthos et Aramis. L'épée au fourreau, messieurs ! l'épée au fourreau !
Mais il était trop tard. Les deux combattants avaient été vus dans une pose qui ne permettait pas de douter de leurs intentions.
« Holà ! cria Jussac en s'avançant vers eux et en faisant signe à ses hommes d'en faire autant, holà ! mousquetaires, on se bat donc ici ? Et les édits, qu'en faisons-nous ? »

1. ce qui ôte beaucoup de valeur à votre créance : ce qui ôte beaucoup de valeur à ce que je vous dois.
2. Incongruités : paroles déplacées.
3. Rapières : épées longues et effilées.
4. Escouade : petite troupe de quelques hommes.

 

Texte C : Guy de Maupassant, Bel-Ami, première partie, chapitre VI, 1885.

 Puis on l'amena jusqu'à une des cannes piquées en terre et on lui remit son pistolet. Alors il aperçut un homme debout, en face de lui, tout près, un petit homme ventru, chauve, qui portait des lunettes. C'était son adversaire.
Il le vit très bien, mais il ne pensait à rien qu'à ceci : « Quand on commandera feu, j'élèverai le bras et je tirerai. » Une voix résonna dans le grand silence de l'espace, une voix qui semblait venir de très loin ; et elle demanda :
— Êtes-vous prêts, messieurs ?
Georges cria :
— Oui !
Alors la même voix ordonna :
— Feu...
Il n'écouta rien de plus, il ne s'aperçut de rien, il ne se rendit compte de rien, il sentit seulement qu'il levait le bras en appuyant de toute sa force sur la gâchette.
Et il n'entendit rien.
Mais il vit aussitôt un peu de fumée au bout du canon de son pistolet ; et comme l'homme en face de lui demeurait toujours debout, dans la même posture également, il aperçut aussi un autre petit nuage blanc qui s'envolait au-dessus de la tête de son adversaire.
Ils avaient tiré tous les deux. C'était fini.
Ses témoins et le médecin le touchaient, le palpaient, déboutonnaient ses vêtements en demandant avec anxiété :
— Vous n'êtes pas blessé ?
Il répondit au hasard :
— Non, je ne crois pas.
Langremont, d'ailleurs, demeurait aussi intact que son ennemi, et Jacques Rival1 murmura d'un ton mécontent :
— Avec ce sacré pistolet, c'est toujours comme ça, on se rate ou on se tue. Quel sale instrument !
Duroy ne bougeait point, paralysé de surprise et de joie : « C'était fini ! » Il fallut lui enlever son arme qu'il tenait toujours serrée dans sa main. Il lui semblait maintenant qu'il se serait battu contre l'univers entier. C'était fini. Quel bonheur ! il se sentait brave tout à coup à provoquer n'importe qui.
Tous les témoins causèrent quelques minutes, prenant rendez-vous dans le jour pour la rédaction du procès-verbal, puis on remonta dans la voiture ; et le cocher qui riait sur son siège repartit en faisant claquer son fouet.
Ils déjeunèrent tous les quatre sur le boulevard, en causant de l'événement. Duroy disait ses impressions :
— Ça ne m'a rien fait, absolument rien. Vous avez dû le voir du reste ?

1. Jacques Rival : chroniqueur à la « Vie française », fameux duelliste, il fournit armes et munitions à Duroy à l’occasion de ce duel.

 

I - Vous répondrez d’abord à la question suivante : (4 points) :

En quoi ces scènes de duel permettent-elles d’illustrer les caractéristiques du personnage principal ?
Vous répondrez à cette question en confrontant les trois textes composant le corpus.

II. Vous traiterez ensuite, au choix, l’un des sujets suivants : (16 points)

  • Commentaire
    Vous commenterez le texte d’Alexandre Dumas (texte B).
  • Dissertation
    Un personnage de roman ne se construit-il qu’à travers les scènes d’actions ?
    Vous répondrez à cette question dans un développement structuré, en vous fondant sur les textes du corpus, ceux étudiés en classe et votre culture personnelle.
  • Invention
    En vous inspirant du texte de Maupassant (texte C), imaginez le récit que Georges Duroy, rassuré par l’issue du duel, pourrait faire de cet épisode à l’une de ses conquêtes amoureuses.

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