LES SUJETS DE L’ EAF 2016 - suite

 

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POLYNÉSIE
SÉRIE L

 

Objet d'étude : les réécritures.
Corpus : 
Texte A : Jean-Jacques Rousseau, Pygmalion, 1762-1770.
Texte B : Louis Veuillot, La Fable de Pygmalion, 1878.
Texte C : Charles Cros, Le Collier de griffes, 1908 (posthume), « Galatée et Pygmalion ».
Annexe : (texte source) Ovide, Les Métamorphoses, livre 10, vers 243-297, début 1er siècle après J.C.

 

Texte A : Jean-Jacques Rousseau, Pygmalion, 1762-1770.

[Dans ce drame lyrique en un acte, Rousseau met en scène le sculpteur Pygmalion1, en proie aux tourments de la passion créatrice. Avant ce passage, ce personnage de la mythologie grecque a hésité à retoucher son œuvre et y a finalement renoncé.]

(Il va pour lever le voile, et le laisse retomber comme effrayé.)

  Je ne sais quelle émotion j'éprouve en touchant ce voile; une frayeur me saisit; je crois toucher au sanctuaire de quelque Divinité... Pygmalion ! c'est une pierre; c'est ton ouvrage. Qu'importe ? On sert des Dieux dans nos temples, qui ne sont pas d'une autre matière et n'ont pas été faits d'une autre main.

(Il lève le voile en tremblant, et se prosterne. On voit la statue de Galathée posée sur un piédestal fort petit, mais exhaussé par un gradin de marbre, formé de quelques marches demi-circulaires.)

  O Galathée! recevez mon hommage. Oui je me suis trompé : j'ai voulu vous faire Nymphe, et je vous ai faite Déesse : Vénus même est moins belle que vous.
  Vanité, faiblesse humaine ! je ne puis me lasser d'admirer mon ouvrage; je m'enivre d'amour-propre; je m'adore dans ce que j'ai fait... Non jamais rien de si beau ne parut dans la nature; j'ai passé2 l'ouvrage des dieux... Quoi ! tant de beautés sortent de mes mains ? Mes mains les ont donc touchées ? Ma bouche a donc pu... Pygmalion ! Je vois un défaut. Ce vêtement couvre trop le nu; il faut l'échancrer davantage; les charmes qu'il recèle doivent être mieux annoncés.

(Il prend son maillet et son ciseau, puis s'avançant lentement, il monte, en hésitant, les gradins de la statue qu'il semble n'oser toucher. Enfin, le ciseau déjà levé, il s'arrête.)

  Quel tremblement! quel trouble ! Je tiens le ciseau d'une main mal assurée... je ne puis... je n'ose... je gâterai tout.

(Il s'encourage, et enfin, présentant son ciseau, il en donne un seul coup, et, saisi d'effroi, il le laisse tomber, en poussant un grand cri.)

  Dieux ! je sens la chair palpitante repousser le ciseau !

(Il redescend, tremblant et confus.)

  ...Vaine terreur, fol aveuglement... Non, je n'y toucherai point; les Dieux m'épouvantent. Sans doute elle est déjà consacrée à leur rang.

(Il la considère de nouveau.)

  Que veux-tu changer ? regarde; quels nouveaux charmes veux-tu lui donner ?... Ah ! c'est la perfection qui fait son défaut... Divine Galathée ! moins parfaite, il ne te manquerait rien. ( Tendrement.) Mais il te manque une âme : ta figure ne peut s'en passer. (Avec plus d'attendrissement encore.) Que l'âme faite pour animer un tel corps doit être belle !

1. Roi de Chypre, et grand sculpteur, il vénère Vénus et est récompensé par elle, car il obtient de la déesse la métamorphose de sa statue en une femme, à laquelle il s'unit et qui lui donne une fille, nommée Paphos.
2. J'ai passé : j'ai fait mieux que les dieux.

 

Texte B : Louis Veuillot, La Fable de Pygmalion, 1878.

[Le texte suivant est le tout début de l'œuvre.]

Pygmalion en vain poussait le sentiment1 :
Il est interrompu par un long bâillement;
La demoiselle était froide comme les pluies.
Il presse. Elle répond sans chaleur : « Tu m'ennuies ! »
Ainsi l'artiste heureux, pour la première fois,
De son marbre fait chair put entendre la voix,
Une voix très jolie, élégante, argentine :
Elle entrait dans le cœur comme une lame fine
Qui pénétrait toujours et qui gagnait le fond.
Tandis qu'il s'avouait, en un trouble profond,
Qu'à son roman d'amour il fallait des retouches,
Galatée aux parois suivait de l'œil les mouches;
Excepté le mari, tout amusait ses yeux.
Et toujours elle bâille et soupire. Anxieux,
Il lui dit d'un accent où vibraient ses tendresses :
« Que veux-tu ? - Rien ! - Quoi! rien ? - Eh bien, que tu me laisses ! »
Qui sait par quel endroit ce propos le charma ?

Son amour néanmoins crût, ou s'envenima.
Un instant il rêva d'épée ou de ciguë2.
Puis, excusant l'idole, à sa froideur aiguë
Il jura d'opposer la douceur et le temps.
Il attendit. Ses soins furent doux et constants;
Mais les soins et le temps la laissèrent rebelle.
Il s'en prit à Vénus : « O déesse immortelle !
Cria-t-il, tu la vois ! Par quel amer dessein
Mis-tu le mouvement, non la vie, en son sein ?
Ton funeste présent la détruit et me tue.
Le marbre était moins froid, moins morte la statue! »
[...]

1. Poussait le sentiment: exprimant son amour.
2. Ciguë : poison.

 

Texte C : Charles Cros, Le Collier de griffes, 1908 (posthume), « Galatée et Pygmalion ».

                   À GALATÉE ET PYGMALION
                   GROUPE SCULPTÉ PAR...


Pygmalion, sculpteur, a travaillé la pierre
Si bien que Galatée idéale apparaît.
Il a mis tout son cœur à cet effort secret
Toute son âme émue et toute sa lumière.

La voilà, blanche dans l'atelier solitaire,
Finie aux yeux, finie aux reins et l'on croirait
Que le pied délicat quitte le socle, prêt
A courir dans la vie. Et même la paupière

A remué.
Ce n'est pas une illusion...
Le marbre devient chair ! Pourquoi, Pygmalion,
As-tu fait si charmeurs ces seins et ces épaules ?

Elle vit. Écrasé sous sa mignonne main
Tu subis nos douleurs d'hier et de demain :
L'épine de la rose et la neige des pôles.

 

Annexe : Ovide, Les Métamorphoses, livre 10, vers 243-297 (début 1er siècle après J.C.).

  Témoin de l'existence criminelle qu'elles avaient menée, et révolté des vices dont la nature a rempli le cœur des femmes, Pygmalion vivait sans compagne, célibataire; jamais une épouse n'avait partagé sa couche. Cependant, grâce à une habileté merveilleuse, il réussit à sculpter dans l'ivoire blanc comme la neige un corps de femme d'une telle beauté que la nature n'en peut créer de semblable et il devint amoureux de son œuvre. [...]
  Le jour était venu où Chypre tout entière célébrait avec éclat la fête de Vénus : des génisses, dont on avait revêtu d'or les cornes recourbées, étaient tombées sous le couteau qui avait frappé leur cou de neige; l'encens fumait de toutes parts; alors, après avoir déposé son offrande, Pygmalion, debout devant l'autel, dit d'une voix timide : « Ô dieux, si vous pouvez tout accorder, donnez-moi pour épouse, je vous en supplie, (il n'ose pas dire: la vierge d'ivoire) une femme semblable à la vierge d'ivoire ». Vénus, parée d'or, qui assistait elle-même à sa fête, comprit ce que signifiait cette prière. Présageant les dispositions favorables de la déesse, trois fois la flamme se ralluma et dressa sa crête dans les airs. De retour chez lui, l'artiste va vers la statue de la jeune fille; penché sur le lit il lui donne un baiser; il croit sentir que ce corps est tiède. De nouveau il en approche sa bouche, tandis que ses mains tâtent la poitrine; à ce contact, l'ivoire s'attendrit; il perd sa dureté, il fléchit sous les doigts; il cède; ainsi la cire de l'Hymette1 s'amollit au soleil; ainsi, façonnée par le pouce, elle prend les formes les plus variées et se prête à de nouveaux services, à force de servir. L'amant reste saisi : il hésite à se réjouir, il craint de se tromper; sa main palpe et palpe encore l'objet de ses désirs; c'était bien un corps vivant; il sent des veines palpiter au contact de son pouce. Alors le héros de Paphos2 adresse à Vénus de longues actions de grâces; sa bouche presse enfin une bouche véritable; la jeune fille a senti les baisers qu'il lui donne et elle a rougi; levant vers la lumière un timide regard, elle a vu en même temps le ciel et son amant.
(Traduit du latin par Georges Lafaye)

1. Montagne de l'Attique, réputée pour ses abeilles qui produisent du miel et de la cire.
2. C'est-à-dire Pygmalion.

 

I - Après avoir lu les textes du corpus, vous répondrez à la question suivante (4 points) :

Quels sont les différents aspects du mythe de Pygmalion privilégiés par les auteurs dans leurs réécritures (textes A, B et C) ?

II - Travail d'écriture (16 points) :

  • Commentaire
    Vous ferez le commentaire du texte de Charles Cros (texte C).
  • Dissertation
    Dans le texte de Rousseau, Pygmalion s'écrie en regardant son œuvre :
    « Quels nouveaux charmes veux-tu lui donner ? ».
    Pourquoi une œuvre littéraire jugée parfaite peut-elle susciter un désir de réécriture ?
    Vous répondrez à cette question en un développement structuré, en vous appuyant sur les textes du corpus et sur ceux étudiés pendant l'année. Vous pouvez aussi faire appel à vos connaissances et lectures personnelles.
  • Invention
    Dans un récit d'une soixantaine de lignes au minimum, proposez votre propre réécriture du mythe de Pygmalion. Cette réécriture transposera le mythe au XXle siècle.

 

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POLYNÉSIE
SÉRIES ES / S

 

Objet d'étude : Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours.
Corpus : 
Texte A : André CHÉNIER, Le Jeu de Paume, strophes XXI-XXII (extrait), 1833, édition posthume.
Texte B : Victor HUGO, Les Châtiments, « Lux » (extrait), édition de 1870.
Texte C : Louis ARAGON, Le Fou d'Elsa, « Fable du navigateur et du poète » (extrait).

 

Texte A : André CHÉNIER, Le Jeu de Paume, strophes XXI-XXII (extrait), 1833, édition posthume.

[Le poète français André Chénier (1762-1794) participa au mouvement révolutionnaire de 1789, mais son opposition à la Terreur le conduisit à la mort sur l'échafaud. Il écrivit ce poème en 1791. L'extrait suivant est la fin du texte.]

                        XXI.
[...]

           Et vous, usurpateurs du monde,
Rois, colosses d'orgueil, en délices noyés,
           Ouvrez les yeux : hâtez-vous. Vous voyez
Quel tourbillon divin de vengeances prochaines
           S'avance vers vous. Croyez-moi,
Prévenez l'ouragan et vos chutes certaines.
           Aux nations déguisez-mieux vos chaînes :
               Allégez-leur le poids d'un roi.
Effacez de leur sein les livides blessures,
           Traces de vos pieds oppresseurs.
           Le ciel parle dans leurs murmures.
Si l'aspect d'un bon roi peut adoucir vos mœurs;
Ou si le glaive1 ami, sauveur de l'esclavage,
Sur vos fronts suspendu, peut éclairer vos cœurs
           D'un effroi salutaire et sage :

                       XXII.

Apprenez la justice; apprenez que vos droits
          Ne sont point votre vain caprice,
Si votre sceptre impie2 ose frapper les lois;
Parricides3, tremblez; tremblez, indignes rois.
          La liberté législatrice,
La sainte liberté, fille du sol français,
          Pour venger l'homme et punir les forfaits,
Va parcourir la terre en arbitre suprême.
         Tremblez ! ses yeux lancent l'éclair.
Il faudra comparaître et répondre vous-mêmes;
         Nus, sans flatteurs, sans cour, sans diadêmes4,
            Sans gardes hérissés de fer.
La nécessité traîne, inflexible et puissante,
           À ce tribunal souverain,
           Votre majesté chancelante :
Là seront recueillis les pleurs du genre humain :
Là, juge incorruptible, et la main sur sa foudre,
Elle entendra le peuple, et les sceptres d'airain5?
          Disparaîtront, réduits en poudre.

1. Glaive: épée.
2. Impie: qui ne respecte pas les valeurs sacrées.
3. Parricides: meurtriers de leurs parents.
4. Diadêmes : orthographe de l'édition originale. On écrit aujourd'hui « diadèmes ».
5 Airain : métal dur (bronze).


Texte B : Victor HUGO, « Lux1 » (extrait), Les Châtiments, édition de 1870.

[Victor Hugo (1802-1885), en réaction au coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte en 1851, s'est exilé à Jersey. Le recueil Les Châtiments est l'expression de sa révolte politique.]

Bannis ! bannis ! bannis ! c'est là la destinée.
Ce qu'apporte le flux sera dans la journée
         Repris par le reflux.
Les jours mauvais fuiront sans qu'on sache leur nombre,
Et les peuples joyeux et se penchant sur l'ombre
         Diront : cela n'est plus !

Les temps heureux luiront, non pour la seule France,
Mais pour tous. On verra, dans cette délivrance,
        Funeste au seul passé,
Toute l'humanité chanter, de fleurs couverte,
Comme un maître qui rentre en sa maison déserte,
        Dont on l'avait chassé.

Les tyrans s'éteindront comme des météores.
Et, comme s'il naissait de la nuit deux aurores
        Dans le même ciel bleu,
Nous vous verrons sortir de ce gouffre où nous sommes,
Mêlant vos deux rayons, fraternité des hommes,
        Paternité de Dieu !

Oui, je vous le déclare, oui, je vous le répète,
Car le clairon redit ce que dit la trompette,
       Tout sera paix et jour !
Liberté ! plus de serf et plus de prolétaire !
Ô sourire d'en haut ! ô du ciel pour la terre
       Majestueux amour !

L'arbre saint du Progrès, autrefois chimérique,
Croîtra, couvrant l'Europe et couvrant l'Amérique,
       Sur le passé détruit,
Et, laissant l'éther2 pur luire à travers ses branches,
Le jour, apparaîtra plein de colombes blanches,
      Plein d'étoiles, la nuit.

Et nous qui serons morts, morts dans l'exil peut-être,
Martyrs saignants, pendant que les hommes, sans maître,
      Vivront, plus fiers, plus beaux,
Sous ce grand arbre, amour des cieux qu'il avoisine,
Nous nous réveillerons pour baiser sa racine
      Au fond de nos tombeaux !

Jersey, septembre 1853.

1 Lux : « lumière », en latin.
2. Éther : espaces célestes.

 

Texte C : Louis ARAGON, « Fable du navigateur et du poète » (extrait), Le Fou d'Elsa, 1963.

[Louis Aragon (1897-1982) est un poète et romancier français connu également pour son engagement politique. Dans ce poème, il fait référence à la mort, près de Grenade, du poète Federico Garcia Lorca assassiné en 1936 par les milices franquistes pendant la guerre d'Espagne.]


[...]

Tout ce que l'homme fut de grand et de sublime
Sa protestation ses chants et ses héros
Au-dessus de ce corps et contre ses bourreaux
À Grenade aujourd'hui surgit devant le crime

Et cette bouche absente et Lorca qui s'est tu
Emplissant tout à coup l'univers de silence
Contre les violents tournent la violence
Dieu le fracas que fait un poète qu'on tue

Ah je désespérais de mes frères sauvages
Je voyais je voyais l'avenir à genoux
La Bête triomphante et la pierre sur nous
Et le feu des soldats porté sur nos rivages

Quoi toujours ce serait par atroce marché
Un partage incessant que se font de la terre
Entre eux ces assassins que craignent les panthères
Et dont tremble un poignard quand leur main l'a touché

Quoi toujours ce serait la guerre la querelle
Des manières de rois et des fronts prosternés
Et l'enfant de la femme inutilement né
Les blés déchiquetés toujours des sauterelles

Quoi les bagnes toujours et la chair sous la roue
Le massacre toujours justifié d'idoles
Aux cadavres jeté ce manteau de paroles
Le bâillon pour la bouche et pour la main le clou

Un jour pourtant un jour viendra couleur d'orange
Un jour de palme un jour de feuillages au front
Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

Et le plus simplement du monde il y aura
La jeunesse d'aimer et les yeux des pervenches1
Des parfums plus profonds et des aubes plus blanches
Et le tendre infini dont m'entourent tes bras

.......................................................................
Où t'en vas-tu mon cœur à cette heure des larmes

1. Pervenche : fleur de couleur bleue.

 

I - Vous répondrez d’abord à la question suivante (4 points) :

Pour quelles raisons les trois poètes du corpus accordent-ils une place importante au futur ?

II - Travail d'écriture (16 points) :

  • Commentaire
    Vous ferez le commentaire du texte de Louis Aragon (texte C).
  • Dissertation
    Pour interpeller la société, pour éveiller la conscience humaine, que gagne l'écrivain à s'exprimer dans une forme poétique ?
    Vous répondrez à cette question en vous fondant sur les textes du corpus ainsi que sur les œuvres poétiques que vous avez étudiées et lues.
  • Invention
    Une anthologie poétique paraît, intitulée Les poètes inventent l'avenir. Vous écrirez la préface qui présente ce recueil de poèmes, où figurent notamment les trois textes du corpus. Vous pourrez également faire référence aux poèmes étudiés en classe et à vos lectures personnelles.
    Votre préface comportera au moins une soixantaine de lignes.

 

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POLYNÉSIE
SÉRIES TECHNOLOGIQUES

 

Objet d'étude : Écriture poétique et quête du sens du Moyen-Age à nos jours.
Corpus :
Texte A : Théophile GAUTIER, La comédie de la mort, « Absence », 1838.
Texte B : Paul VERLAINE, La Bonne Chanson, X, 1870.
Texte C : Guillaume APOLLINAIRE, Lettres à Lou (1955), Lettre du 25 mars 1915, « Faction ».
Texte D : Paul ELUARD, Le temps déborde, « Notre vie », 1947.

 

Texte A : Théophile GAUTIER, La comédie de la mort, « Absence », 1838.

                   Absence

Reviens, reviens, ma bien-aimée !
Comme une fleur loin du soleil,
La fleur de ma vie est fermée
Loin de ton sourire vermeil.

Entre nos cœurs tant de distance !
Tant d'espace entre nos baisers !
Ô sort amer ! Ô dure absence !
Ô grands désirs inapaisés !

D'ici là-bas, que de campagnes,
Que de villes et de hameaux,
Que de vallons et de montagnes,
À lasser le pied des chevaux !

Au pays qui me prend ma belle,
Hélas ! Si je pouvais aller;
Et si mon corps avait une aile
Comme mon âme pour voler !

Par-dessus les vertes collines,
Les montagnes au front d'azur,
Les champs rayés et les ravines,
J'irais d'un vol rapide et sûr.

Le corps ne suit pas la pensée;
Pour moi, mon âme, va tout droit,
Comme une colombe blessée,
S'abattre au rebord de son toit.

Descends dans sa gorge divine,
Blonde et fauve comme de l'or,
Douce comme un duvet d'hermine,
Sa gorge, mon royal trésor;

Et dis, mon âme, à cette belle :
« Tu sais bien qu'il compte les jours,
Ô ma colombe ! À tire d'aile
Retourne au nid de nos amours. »

 

Texte B : Paul VERLAINE, La Bonne Chanson, X, 1870.

[Les poèmes du recueil La Bonne chanson évoquent la liaison de Verlaine avec Mathilde Mauté de Fleurville, qu'il épousera. Il s'agit ici du poème X du recueil. ]

                          X

Quinze longs jours encore et plus de six semaines
Déjà ! Certes, parmi les angoisses humaines
La plus dolente1 angoisse est celle d'être loin.
On s'écrit, on se dit comme on s'aime; on a soin
D'évoquer chaque jour la voix, les yeux, le geste
De l'être en qui l'on mit son bonheur, et l'on reste
Des heures à causer tout seul avec l'absent.
Mais tout ce que l'on pense et tout ce que l'on sent
Et tout ce dont on parle avec l'absent, persiste
À demeurer blafard et fidèlement triste.

Oh ! l'absence ! le moins clément2 de tous les maux !
Se consoler avec des phrases et des mots,
Puiser dans l'infini morose des pensées
De quoi vous rafraîchir, espérances lassées,
Et n'en rien remonter que de fade et d'amer !
Puis voici, pénétrant et froid comme le fer,
Plus rapide que les oiseaux et que les balles
Et que le vent du sud en mer et ses rafales
Et portant sur sa pointe aiguë un fin poison,
Voici venir, pareil aux flèches, le soupçon
Décoché par le Doute impur et lamentable.

Est-ce bien vrai ? tandis qu'accoudé sur ma table
Je lis sa lettre avec des larmes dans les yeux,
Sa lettre, où s'étale un aveu délicieux,
N'est-elle pas alors distraite en d'autres choses ?
Qui sait ? Pendant qu'ici pour moi lents et moroses
Coulent les jours, ainsi qu'un fleuve au bord flétri,
Peut-être que sa lèvre innocente a souri ?
Peut-être qu'elle est très joyeuse et qu'elle oublie ?

Et je relis sa lettre avec mélancolie.

1. Dolente : douloureuse.
2. Clément : indulgent.

 

Texte C : Guillaume APOLLINAIRE, Lettres à Lou (1955), Lettre du 25 mars 1915, « Faction ».

[Guillaume Apollinaire s'est engagé comme soldat en août 1914. La même année il a rencontré Louise de Coligny-Châtillon, qu'il surnomme Lou. Il entretient avec elle une correspondance jusqu'en 1915. L'œuvre a été publiée en 1955.]

[Nîmes, le] 25 mars 1915.

Pris garde hier, c'est pourquoi ai écrit peu.
En reviens ce soir huit heures.
Si moi, je n'avais pas ma permission, télégraphierais au Terminus de Marseille au nom Coligny. Le Terminus est à la gare même.


                        Faction

Je pense à toi, ma Lou, pendant la faction1
J'ai ton regard là-haut en clignements d'étoiles
Tout le ciel, c'est ton corps, chère conception
De mon désir majeur qu'attisent les rafales
Autour de ce soldat en méditation

Amour, vous ne savez ce que c'est que l'absence
Et vous ne savez pas que l'on s'en sent mourir.
Chaque heure infiniment augmente la souffrance.
Et quand le jour finit on commence à souffrir
Et quand la nuit revient la peine recommence

J'espère dans le Souvenir, ô mon Amour
Il rajeunit, il embellit, lorsqu'il s'efface.
Vous vieillirez, Amour, vous vieillirez un jour.
Le Souvenir au loin sonne du cor de chasse
Ô lente, lente nuit, ô mon fusil si lourd

Gui.

1. Pendant la faction: pendant la surveillance.

 

Texte D : Paul ELUARD, Le temps déborde, « Notre vie », 1947.

[Paul Eluard compose ce poème alors que son épouse, Nusch, vient de décéder brutalement.]

                          Notre vie

Notre vie tu l'as faite elle est ensevelie
Aurore d'une ville un beau matin de mai
Sur laquelle la terre a refermé son poing
Aurore en moi dix-sept années toujours plus claires
Et la mort entre en moi comme dans un moulin

Notre vie disais-tu si contente de vivre
Et de donner la vie à ce que nous aimions
Mais la mort a rompu l'équilibre du temps
La mort qui vient la mort qui va la mort vécue
La mort visible boit et mange à mes dépens

Morte visible Nusch invisible et plus dure
Que la faim et la soif à mon corps épuisé
Masque de neige sur la terre et sous la terre
Source des larmes dans la nuit masque d'aveugle
Mon passé se dissout je fais place au silence.

 

I - Après avoir lu attentivement les documents du corpus, vous répondrez aux questions suivantes, de façon organisée et synthétique (6 points) :

Question 1 : À quelles formes d'absence les poètes sont-ils confrontés ? (3 points).

Question 2 : Comment l'absence de l'être aimé est-elle évoquée dans les différents poèmes ? (3 points).

 

II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (14 points) :

  • Commentaire
    Vous ferez du texte de Paul Verlaine (texte B) un commentaire. Vous pourrez vous inspirer du parcours de lecture suivant :
    - En quoi ce poème propose-t-il une analyse précise des effets de l'absence ?
    - Comment le poète suggère-t-il sa douleur ?
  • Dissertation
    La poésie vous semble-t-elle destinée à traiter de sujets douloureux ?
    Vous répondrez à cette question dans un développement argumenté qui s'appuiera sur les textes du corpus, les œuvres étudiées en classe et vos lectures personnelles.
  • Invention
    Imaginez que la lettre de Guillaume Apollinaire a été remise par erreur à une autre personne que Lou. Elle est renvoyée au poète par celui ou celle qui l'a reçue.
    Écrivez la lettre qui accompagne la réexpédition du poème à son auteur.
    Dans votre lettre, vous exprimerez l'émotion qu'ont suscitée la lecture du poème et la situation des amants séparés.

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EUROPE DU SUD-EST
SÉRIES ES / S

 

Objet d'étude : Écriture poétique et quête du sens du Moyen Âge à nos jours.
Corpus : 
Texte A : Victor Hugo, Toute la lyre, 1846, « Nuit », édition posthume de 1889
Texte B : Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris, 1869, « Le crépuscule du soir »,
extrait du poème en prose
Texte C : Henri Michaux, Un certain Plume, 1930, « Dans la nuit »
Texte D : Maurice Rollinat, Les Névroses, 1883, « Sonnet à la nuit ».

 

Texte A : Victor Hugo, Toute la lyre, 1846, « Nuit », édition posthume de 1889.

Nul asile que la prière !
Cette heure sombre nous fait voir
La création tout entière
Comme un grand édifice noir !

Quand flottent les ombres glacées,
Quand l'azur s'éclipse à nos yeux,
Ce sont d'effrayantes pensées
Que celles qui viennent des cieux !

Oh ! la nuit muette et livide
Fait vibrer quelque chose en nous !
Pourquoi cherche-t-on dans le vide ?
Pourquoi tombe-t-on à genoux ?

Quelle est cette secrète fibre ?
D'où vient que, sous ce morne effroi,
Le moineau ne se sent plus libre,
Le lion ne se sent plus roi ?

Questions dans l'ombre enfouies !
Au fond du ciel de deuil couvert,
Dans ces profondeurs inouïes
Où l'âme plonge, où l'œil se perd,

Que se passe-t-il de terrible
Qui fait que l'homme, esprit banni,
A peur de votre calme horrible,
Ô ténèbres de l'infini ?

 

Texte B : Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris, 1869, « Le crépuscule du soir », extrait du poème en prose.

[…]

  O nuit ! ô rafraîchissantes ténèbres ! vous êtes pour moi le signal d'une fête intérieure, vous êtes la délivrance d'une angoisse! Dans la solitude des plaines, dans les labyrinthes pierreux d'une capitale, scintillement des étoiles, explosion des lanternes, vous êtes le feu d'artifice de la déesse Liberté !
  Crépuscule, comme vous êtes doux et tendre ! Les lueurs roses qui traînent encore à l'horizon comme l'agonie du jour sous l'oppression victorieuse de sa nuit, les feux des candélabres qui font des taches d'un rouge opaque sur les dernières gloires du couchant, les lourdes draperies qu'une main invisible attire des profondeurs de l'Orient, imitent tous les sentiments compliqués qui luttent dans le cœur de l'homme aux heures solennelles de la vie.
  On dirait encore une de ces robes étranges de danseuses, où une gaze transparente et sombre laisse entrevoir les splendeurs amorties d'une jupe éclatante, comme sous le noir présent transperce le délicieux passé; et les étoiles vacillantes d'or et d'argent, dont elle est semée, représentent ces feux de la fantaisie qui ne s'allument bien que sous le deuil profond de la Nuit.

 

Texte C : Henri Michaux, Un certain Plume, 1930, « Dans la nuit ».

Dans la nuit
Dans la nuit
Je me suis uni à la nuit
A la nuit sans limites
A la nuit.
Mienne, belle, mienne.
Nuit
Nuit de naissance
Qui m’emplit de mon cri
De mes épis.
Toi qui m’envahis
Qui fais houle houle
Qui fais houle tout autour
Et fumes, es fort dense
Et mugis
Es la nuit.
Nuit qui gît, nuit implacable.
Et sa fanfare, et sa plage
Sa plage en haut, sa plage partout,
Sa plage boit, son poids est roi, et tout ploie sous lui
Sous lui, sous plus ténu qu’un fil
Sous la nuit
La Nuit.

 

Texte D : Maurice Rollinat, Les Névroses, 1883, « Sonnet à la nuit ».

Mère des cauchemars amoureux et funèbres,
Madone des voleurs, complice des tripots,
Ô nuit, qui fais gémir les hiboux, tes suppôts,
Dans le recueillement de tes froides ténèbres,

Que tu couvres de poix opaque ou que tu zèbres
Les objets las du jour et friands de repos,
Je t’aime, car tu rends mon esprit plus dispos,
Et tu calmes mon cœur, mon sang et mes vertèbres.

Mais, hélas ! dans ta brume où chancellent mes pas,
Mon regard anxieux devine et ne voit pas ;
Et j’écarquille en vain mes prunelles avides !

Oh ! que n’ai-je les yeux du chacal ou du lynx
Pour scruter longuement les grands spectres livides
Que j’entends palpiter sous ta robe de sphinx !

 

I - Vous répondrez à la question posée en vous appuyant avec précision sur les quatre textes du corpus : ( /4)

En quoi ces différents textes présentent-ils une vision poétique de la nuit ?

II - Travaux d’écriture : Vous choisirez un sujet parmi les trois proposés. ( /16)

  • Commentaire
    Vous commenterez le texte D, « Sonnet à la nuit » de Maurice Rollinat.
  • Dissertation
    En quoi la poésie fait-elle apparaître ces beautés insoupçonnées ?
    Vous appuierez votre développement sur les textes du corpus, les textes étudiées pendant l’année, ainsi que sur vos lectures personnelles.
  • Invention
    Vous écrirez un poème (en prose ou en vers libres ou comptés de votre choix) qui fera l’éloge de l’aube et mettra en valeur les émotions que ce moment peut susciter.
    Votre texte comportera un minimum de vingt lignes.

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