Sujet national - Séries générales - Septembre 1996
Philippe CIBOIS, Revue Esprit, septembre
1989.
À propos de la réforme de l'orthographe
Il est évident que la réforme est difficile: en effet, toute modification de l'aspect visuel des mots nécessitera des efforts d'adaptation du lecteur et donc le perturbera. La même modification qui soulagera les scripteurs apportera une gêne au lecteur et nous sommes beaucoup plus lecteurs que scripteurs. Il faut donc envisager des réformes modérées et progressives.
En effet, une réforme modérée peut facilement être digérée par le lecteur: elle ne le perturbera pas plus que lorsque son quotidien favori modifie sa présentation ou ses polices de caractères. On est gêné quelques jours et au bout de quelques semaines on en arrive à oublier la présentation antérieure.
Cette faculté d'oubli alliée à une progressivité de la réforme fait que l'on peut envisager des réformes, même profondes, mais à long terme (c'est d'ailleurs la stratégie employée par toutes les commissions de réforme européennes). Il suffit de faire des réformes cohérentes qui ne se remettent pas en cause les unes les autres et de n'en faire une nouvelle que lorsque la précédente a été intégrée, c'est-à-dire oubliée.
Mais, dira-t-on, si on ne modifie que ce qui fait problème aux adultes, on laisse de côté toutes les difficultés d'apprentissage auxquelles sont soumis les enfants et les étrangers. Il est peut-être vrai que la fameuse liste «choux, cailloux, hiboux...» des pluriels en X ne fait plus problème aux adultes qui se la récitent comme une comptine enfantine aux souvenirs délicieux, il n'en reste pas moins que cette liste, et d'autres, ne sont pas entrées dans les mémoires sans pleurs ni grincements de dents. Il est vrai que l'on pourrait s'en dispenser et aligner les pluriels de ces mots sur le lot commun en S.
Si l'on veut soulager la peine des enfants et celle des étrangers, il faudra envisager des réformes plus profondes que celles qui seraient suffisantes pour régler les difficultés rencontrées par les adultes. Cela est indiscutable, et avoir le souci des enfants et de leurs difficultés est une exigence éthique normale. De même, d'un strict point de vue rationnel, il faut éviter de faire perdre du temps d'apprentissage sur des particularités orthographiques qui pourraient être évitées. Il n'en reste pas moins que ce sont les adultes qui forment l'immense masse des usagers de l'orthographe et que l'on ne peut ignorer cet état de fait: toute modification de l'orthographe doit être acceptée par les adultes et donc doit être modérée et progressive. Ce n'est que sur une période longue que des modifications substantielles pourront advenir qui faciliteront nettement l'apprentissage par les enfants et les étrangers.
L'opinion a été récemment sondée par la revue Lire: de cet examen il ressort que sur la question d'une possible réforme, environ une personne sur deux est hostile et l'autre non. Ce partage de l'opinion est certainement dû au fait que chacun est partagé entre le lecteur qui ne veut pas voir modifier le système et le scripteur qui doit consulter le dictionnaire en cas d'hésitation. Par contre les trois quarts des interrogés pensent qu'il est possible de supprimer les bizarreries et les absurdités de l'orthographe: cela manifeste que le droit de réformer est massivement acquis. En dehors de cette situation, aussitôt que l'on propose une réforme un peu plus ambitieuse que la suppression des bizarreries et absurdités, le nombre de ceux qui sont d'accord s'affaiblit: les réformistes deviennent minoritaires.
Cette situation est normale: personne n'envisage de gaieté de cur de se provoquer des difficultés, même pour un avantage à long terme. On ne se met au régime que contraint et forcé: se soigner n'est jamais agréable. Il n'y a pas de raison qu'une amélioration à long terme soit souhaitée, surtout en ce qui concerne un apprentissage qui ne touche plus les adultes, si elle doit d'abord passer par une période de modification qui sera douloureusement ressentie.
Cela ne rend pas la réforme impossible: si elle est appuyée par les instituteurs au nom des enfants et du long terme, si elle est appuyée par le souci de favoriser l'apprentissage du français à l'étranger, si elle est modérée et progressive et commence par s'attaquer aux bizarreries et absurdités que beaucoup s'accordent à vouloir supprimer, une telle réforme peut être proposée par l'autorité publique.
QUESTIONS (10 points)
Les réponses à ces questions doivent être entièrement
rédigées.
1. Quelle métaphore l'auteur utilise-t-il dans l'avant-dernier paragraphe? Quel rôle joue-t-elle dans la conduite de l'argumentation? (2 pts)
2. Quelle est la thèse détendue par l'auteur? Sur quels mots clés se fonde-t-elle? (4 pts)
3, Quelles positions l'auteur écarte-t-il? À quelles objections fait-il des concessions? (4 pts)
TRAVAIL D'ÉCRITURE (10 points)
À la lumière de votre propre expérience, et dans une composition organisée, vous proposerez des arguments pour ou contre une réforme de l'orthographe.