Sujet national - Séries technologiques - Septembre 1996
Jacques-Yves Cousteau et Yves Paccalet, Almanach Cousteau de l'environnement, 1991.

      Aujourd'hui, beaucoup de fonds sous-marins qui furent des paradis ont été transformés en quasi déserts. Bien entendu, la pollution agricole et industrielle est responsable d'une partie de ce désastre écologique. Mais l'industrie du tourisme, telle que nous la subissons, doit être mise en cause.

      Le «mur de béton», comme on l'appelle, n'a pas été édifié pour le confort des seuls vacanciers: la mer «appelle» les hommes, et on observe dans tous les pays d'importantes migrations de populations en direction de la façade maritime. Mais quand même... Les «marinas pieds dans l'eau», les ports de plaisance artificiels, les terrains de camping géants dont les égouts vont directement dans la mer, les ravages des chasseurs «sportifs» au harpon, etc.: tout cela est bien réel. L'étude que nous avons faite en 1976-1977 en Méditerranée nous a prouvé que le principal ennemi de la mer, c'est la destruction mécanique des côtes, qui anéantit les herbiers littoraux où la grande majorité des espèces animales viennent se reproduire.

      Si nous prenons l'exemple de la France (mais des pays comme l'Italie, l'Espagne ou la Grèce lui sont comparables), nous nous apercevons que plus de la moitié du littoral maritime est déjà urbanisée: 2800 km sur 5 500. Dans quatre départements (Nord, Loire-Atlantique, Pyrénées-Atlantiques et Alpes-Maritimes), le taux d'occupation humaine permanente dépasse 80 %. Il est de 92 % dans les Alpes-Maritimes, et de 95 % dans les Pyrénées Atlantiques. Dans ces deux dernières unités administratives, le mal est presque entièrement consommé. [...]

      Ne regrettons pas le temps où quelques riches Anglais habitaient de rares et luxueux palaces à Nice ou à Cannes. Mais nous sommes passés sans transition d'un excès à l'autre, de l'élitisme à la démagogie. Aujourd'hui, la marée humaine arrive en juillet; chacun veut se loger, s'amuser, se restaurer, ranger son bateau et se faire dorer au soleil. C'est un désir légitime, mais, par défaut d'organisation, c'est un non-sens écologique. Les promoteurs, qui ont depuis longtemps trouvé leur compte dans cette grande transhumance saisonnière, multiplient les programmes immobiliers. On en vient à ouvrir des ports de plaisance artificiels pour justifier l'érection de nouveaux bâtiments, du reste tous plus inesthétiques les uns que les autres. Et comme tous les vacanciers réclament du poisson, les pêcheurs locaux tentent de les satisfaire en utilisant souvent des méthodes dévastatrices, d'ailleurs interdites.

      Hormis quelques profiteurs, personne ne gagne rien à cette folie. La mer en est la première victime. Or, quelle peut être la qualité de vacances passées au bord d'un cloaque1 sans vie? Quelle est l'utilité réelle d'un port de plaisance pour des bateaux qui ne sortent que quelques jours par an? Quel plaisir les vacanciers prennent-ils à voir se multiplier des «murs de la honte» comme celui de Saint-Raphaël, où l'appropriation privée du littoral interdit plus de 1500 m de côte d'un seul tenant aux non-résidents?

      Il faut arrêter le massacre. Pour cela, les moyens ponctuels (recommandations, schémas d’urbanisme, plans d'occupation des sols, etc.) ne suffisent pas. Les décisions doivent être nationales et radicales. Il faut multiplier les zones protégées, les réserves naturelles et les parcs. Il faut, comme on a déjà commencé de le faire, créer un Conservatoire du littoral, sur le modèle de celui – très efficace – qui existe en Angleterre. Mais deux mesures, plus que toutes les autres, doivent être arrêtées d'urgence: l’étalement des vacances et l'interdiction absolue de construire dans une bande de 500 m en bord de mer.

Sans étalement des vacances, la situation ne cessera pas d'empirer. Pour permettre à des millions de personnes de s'entasser comme des sardines sur les plages, entre le 15 juillet et le 15 août, il faudra assassiner la mer, et cela à coup de constructions qui ne serviront qu'un mois par an. Peut-on imaginer situation plus absurde? Je puis, quant à moi, garantir qu'aucune saison n'est plus belle, au bord de l'Atlantique ou de la Méditerranée, que l'automne et le printemps. La côte, alors, encore loin des excès de la canicule, est un jardin de fleurs odorantes, que caresse la plus tendre brise. L'eau est à peu près propre, et les animaux se pressent pour s'y reproduire. [...]

      L'interdiction de construire à l'intérieur d'une bande de 500 m en bord de mer résoudrait, quant à elle, la plupart des autres problèmes. Les écosystèmes marins les plus fragiles seraient préservés. Le libre accès au rivage se trouverait du même coup garanti pour tout le monde.


1. Cloaque: égout

QUESTIONS (10 points)

1. Quelle est la thèse présentée dans le premier paragraphe à propos du milieu marin? (2 pts)

2. Quelles sont les valeurs différentes de «nous» dans le troisième paragraphe et le quatrième paragraphe?

3. Quel est l’intérêt des trois questions posées dans le cinquième paragraphe? (3 pts)

4. À la première partie du texte qui dresse un bilan de la situation, succède une deuxième partie? Où commence-t-elle? et comment est-elle soulignée dans le texte? Indiquez brièvement son contenu. (3 pts)

TRAVAIL D'ÉCRITURE (10 points)

1. Promoteur à Cannes d’un ensemble immobilier au bord de l’eau, vous rédigez un texte publicitaire en vous efforçant de répondre aux questions posées dans le cinquième paragraphe. (5 pts)

2. Pensez-vous que l’on puisse attendre de l’étalement des vacances autant que ce qu’en espèrent les auteurs? Dans une réponse composée, vous pourrez vous demander s’il n’existe pas d’autres solutions au problème posé. (5 pts)