Groupe II - Juin 1996 - Séries générales
Robert Desnos, (1900-1945). Destinée arbitraire, publication posthume,1975.
Jean Giono, Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, parue en 1938 et reprise dans le recueil, Écrits pacifistes.

DESNOS - TEXTE I

Ce coeur qui haïssait la guerre, voilà qu'il bat pour le combat et la bataille!
Ce coeur qui ne battait qu'au rythme des marées, à celui des saisons, à celui des heures du jour et de la nuit,
Voilà qu'il se gonfle et qu'il envoie dans les veines un sang brûlant de salpêtre et de haine
Et qu'il mène un tel bruit dans la cervelle que les oreilles en sifflent,
Et qu'il n'est pas possible que ce bruit ne se répande pas dans la ville et la campagne,
Comme le son d'une cloche appelant à l'émeute et au combat.
Écoutez, je l'entends qui me revient renvoyé par les échos.
Mais non, c'est le bruit d'autres coeurs, de millions d'autres coeurs battant comme le mien à travers la France.
Ils battent au même rythme, pour la même besogne tous ces coeurs,
Leur bruit est celui de la mer à l'assaut des falaises
Et tout ce sang porte dans des millions de cervelles un même mot d'ordre:
Révolte contre Hitler et mort à ses partisans!
Pourtant ce coeur haïssait la guerre et battait au rythme ses saisons,
Mais un seul mot: Liberté a suffit à réveiller les vieilles colères
Et des millions de Français se préparent dans l'ombre à la besogne que l'aube proche leur imposera,
Car ces coeurs qui haïssaient la guerre battaient pour la liberté au rythme même des saisons et des marées, du jour et de la nuit.

Robert Desnos

GIONO  - TEXTE II

      Je n'aime pas la guerre, je n'aime aucune sorte de guerre. Ce n'est pas par sentimentalité. Je suis resté quarante-deux jours devant le fort de Vaux1 et il est difficile de m'intéresser à un cadavre désormais. Je ne sais pas si c'est une qualité ou un défaut: c'est un fait. Je déteste la guerre. Je refuse de faire la guerre pour la seule raison que la guerre est inutile. Oui, ce simple petit mot. Je n'ai pas d'imagination. Pas horrible, non, inutile simplement. Ce qui me frappe dans la guerre, ce n'est pas son horreur, c'est son inutilité. Vous me direz que cette inutilité précisément est horrible. Oui, mais par surcroît. Il est impossible d'expliquer l'horreur de quarante-deux jours d'attaque devant Verdun à des hommes qui, nés après la bataille sont maintenant dans la faiblesse et dans la force de la jeunesse. Y réussirait-on, qu'il y a pour ces hommes neufs une sorte d'attrait dans l'horreur en raison même de leur force physique et de leur faiblesse. Je parle de la majorité. Il y a toujours, évidemment, une minorité qui fait son compte et qu'il est inutile d'instruire. La majorité est attirée par l'horreur: elle se sent capable d'y vivre et d'y mourir comme les autres ; elle n'est pas fâchée qu'on la force a en donner la preuve. Il n'y a pas d'autre vraie raison à la continuelle acceptation de ce qu'après on appelle le martyre et le sacrifice. Vous ne pouvez pas leur prouver l'horreur. [...] L'horreur s'efface. Et j'ajoute que malgré toute son horreur, si la guerre était utile il serait juste de l'accepter. Mais la guerre est inutile et son inutilité est évidente. L'inutilité de toutes les guerres est évidente. Qu'elles soient défensives, offensives, civiles, pour la paix, le droit pour la liberté, toutes les guerres sont inutiles. La succession des guerres dans l'histoire prouve bien qu'elles n'ont jamais conclu puisqu'il a toujours fallu recommencer les guerres. La guerre de 1914 a d'abord été pour nous, Français, une guerre dite défensive. Nous sommes-nous défendus ? Non, nous avons vécu depuis des temps pareillement injustes. Elle devait être la dernière des guerres, la guerre à tuer la guerre. L'a-t-elle fait ? Non. On nous prépare de nouvelles guerres ; elle n'a pas tué la guerre ; elle n'a tué que des hommes inutilement. La guerre civile d'Espagne n'est pas encore finie, qu'on aperçoit déjà son évidente inutilité. Je consens à faire n'importe quel travail utile, même au péril de ma vie. Je refuse tout ce qui est inutile et en premier lieu toutes les guerres car c'est un travail dont l'inutilité pour l'homme est aussi claire que le soleil.


1. Fort de Vaux: fort situé sur un éperon des hauts de Meuse, au sud du village de Vaux-devant-Damloup, dominant Verdun. Il succomba après une héroïque résistance le 7 juin 1916, mais il fut réoccupé par les Français du général Mangin le 2 novembre suivant.

QUESTIONS (10 points)

1. Relevez quelques indices de la présence de l'auteur dans chacun des deux textes. Quels autres indices marquent le passage de l'individuel au collectif ?

2. Quelle est la thèse formulée par Giono ? Énumérez les arguments sur lesquels elle s'appuie.

3. Quels sont les moyens de persuasion utilisés par les deux écrivains ?

TRAVAIL D’ÉCRITURE (10 points)

Montrez, en vous appuyant sur les deux textes, en quoi les positions de Desnos et de Giono divergent, en quoi elles peuvent se rejoindre.