Asie du sud-est - Séries générales - Juin 1999
Alphonse de Lamartine, "Du droit au travail et de l'organisation du travail",
1844.
Ces hommes se marient, ont des femmes et des enfants que l'industrie saisit au berceau et emploie selon leur force; tout ce peuple vit, multiplie, consomme, prospère pendant que le salaire les rétribue. Que le salaire s'arrête ou décroisse, tout ce peuple chôme, souffre, maigrit, mendie, s'exténue et tombe en haillons et en pourriture humaine. Peuple du salaire, né du salaire, ne vivant que par le salaire, il périt avec le salaire, et s'insurge dans son coeur contre une société qui le condamne par sa condition au travail et qui lui refuse le travail. Or, le travail pour lui c'est la vie. La société impassible et égoïste, peut-elle voir tout cela et détourner les yeux en renvoyant ce peuple à la concurrence pour toute réponse et pour tout secours? Nous disons: non! Le dernier mot d'une société bien faite à un peuple qui périt ne peut pas être la mort! Le dernier mot d'une société bien faite doit être du travail et du pain. Le droit au travail n'est pas dans ce cas autre chose que le droit de vivre. Si vous reconnaissez le droit de vivre, vous devez reconnaître à ce peuple le droit au travail! L'Assemblée constituante 1 dans tous les droits à l'homme qu'elle a proclamés, n'en a oublié qu'un seul: le droit de vivre. Mais c'est sans doute parce qu'il était d'une telle évidence qu'il n'avait pas besoin d'être écrit! Les phénomènes, les vicissitudes, les catastrophes, les ruines soudaines, les interruptions de salaire dans une société devenue industrielle, nous imposent la nécessité d'écrire ce droit de plus.
Les anciennes sociétés n'avaient pas ce problème à examiner. Nul ne pouvait y mourir de faim légalement. Le maître y nourrissait l'esclave, le seigneur y nourrissait le serf, le gouvernement y nourrissait le peuple, l'église y nourrissait le mendiant. Mais l'industriel qui liquide sa fortune et qui ferme ses ateliers ne nourrit personne. La vie du peuple et des ouvriers est remise au hasard. L'ouvrier renvoyé de son usine fermée, ne trouvant pas de place dans une autre, sans toit, sans pain pour loger et nourrir lui sa femme et ses enfants, n'a pas le droit d'aller à un magistrat de la Providence publique, et de lui dire: Voilà mes bras, occupez-les; occupez-les à un salaire aussi minime que vous voudrez, mais occupez-les pour que je vive de mon travail en attendant que l'industrie privée me rouvre ses ateliers et me rende mon salaire. Voilà le droit que nous voulons que la société reconnaisse à tout individu qui la compose. La société qui s'est moralisée, perfectionnée et enrichie à mesure qu'elle a reconnu et garanti un plus grand nombre de propriétés à ceux qui vivent sous ses lois, doit reconnaître une propriété de plus au travailleur, et la plus naturelle et la plus sainte de toutes les propriétés: la propriété de ses bras. Or, que ferait la propriété de ses bras reconnue à l'ouvrier, s'il n'avait pas, dans certains cas d'urgence, le droit de demander à la société d'occuper ses bras et de lui en payer un salaire de nécessité? C'est ce que nous voulons, c'est ce que veulent la justice, la religion, l'humanité, la prudence. Une société qui se mure dans son égoïsme, qui s'en rapporte de tout à l'égoïsme, qui se désintéresse de la vie des derniers de ses citoyens, qui glorifie l'axiome 2 du chacun chez soi, chacun pour soi; qui dit: Mourez! là où la nature dit: Je dois vivre! une société sans entrailles, sans âme et sans vertu, qui appelle ainsi sur ses gouvernements, sur ses chefs, sur ses législateurs, sur ses riches, le ressentiment, le blasphème et le désordre, cette vengeance des masses; une société à qui on tend des bras sans travail et qui se refuse à s'en occuper! à qui on demande du pain et qui laisse affamer ses enfants, une telle société n'est ni de la religion, ni de l'esprit, ni de la date de ce siècle. Ce n'est ni une société de chrétiens, ni une société de philosophes, ni une société de frères: ou plutôt ce n'est pas une société, c'est une avarice civilisée!
Lamartine, "Du droit au travail et de l'organisation du travail",
article paru dans Le Bien Public en décembre 1844.
QUESTIONS (10 points)
1. Résumez le texte en une phrase. (2 points)
2. Retrouvez les différentes étapes de l'argumentation. (3
points)
3. Qui parle, et à qui donne-t-il successivement la parole? Répondez
en relevant des indices d'énonciation. (2 points)
4. Quelle est la tonalité du texte, Justifiez votre réponse
en relevant au moins quatre procédés de style. (3 points)
TRAVAIL D'ÉCRITURE (10 points)
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