Métropole Séries technologiques Session de
remplacement 1999
BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, Paul et
Virginie,1788
Les héros du roman, Paul et Virginie, ont été élevés comme frère et sur par leurs mères respectives dans l'île Maurice ~ Mme de la Tour, la mère de Virginie, a prévu le départ de cette dernière vers l'Europe pour assurer son avenir.
"II faut, répondit Virginie, que j'obéisse à mes parents, à mon devoir. Vous nous quittez, reprit Paul, pour une parente éloignée que vous n'avez jamais vue ! Hélas ! dit Virginie, je voulais rester ici toute ma vie; ma mère ne l'a pas voulu. Mon confesseur m'a dit que la volonté de Dieu était que je partisse; que la vie était une épreuve... Oh ! c'est une épreuve bien dure !
Quoi, repartit Paul, tant de raisons vous ont décidée, et aucune ne vous a retenue ! Ah ! il en est encore que vous ne me dites pas. La richesse a de grands attraits. Vous trouverez bientôt, dans un nouveau monde, à qui donner le nom de frère, que vous ne me donnez plus. Vous le choisirez, ce frère, parmi des gens dignes de vous par une naissance et une fortune que je ne peux vous offrir. Mais, pour être plus heureuse, où voulez-vous aller ? Dans quelle terre aborderez-vous qui vous soit plus chère que celle où vous êtes née ? Où formerez-vous une société plus aimable que celle qui vous aime ? Comment vivrez-vous sans les caresses de votre mère, auxquelles vous êtes si accoutumée ? Que deviendra-t-elle elle-même, déjà sur l'âge, lorsqu'elle ne vous verra plus à ses côtés, à la table, dans la maison, à la promenade où elle s'appuyait sur vous ? Que deviendra la mienne, qui vous chérit autant qu'elle ? Que leur dirai-je à l'une et à l'autre quand je les verrai pleurer de votre absence ? Cruelle ! je ne vous parle point de moi: mais que deviendrai-je moi-même quand le matin je ne vous verrai plus avec nous, et que la nuit viendra sans nous réunir; quand j'apercevrai ces deux palmiers plantés à notre naissance, et si longtemps témoins de notre amitié mutuelle ? Ah ! puisqu'un nouveau sort te touche, que tu cherches d'autres pays que ton pays natal, d'autres biens que ceux de mes travaux, laisse-moi t'accompagner sur le vaisseau où tu pars. Je te rassurerai dans les tempêtes, qui te donnent tant d'effroi sur la terre. Je reposerai ta tête sur mon sein, je réchaufferai ton cur contre mon cur; et en France, où tu vas chercher de la fortune et de la grandeur, je te servirai comme ton esclave. Heureux de ton seul bonheur, dans ces hôtels où je te verrai servie et adorée, je serai encore assez riche et assez noble pour te faire le plus grand des sacrifices, en mourant à tes pieds."
Les sanglots étouffèrent sa voix, et nous entendîmes aussitôt celle de Virginie qui lui disait ces mots entrecoupés de soupirs.. "C'est pour toi que je pars..., pour toi que j'ai vu chaque jour courbé par le travail pour nourrir deux familles infirmes. Si je me suis prêtée à l'occasion de devenir riche, c'est pour te rendre mille fois le bien que tu nous as fait. Est-il une fortune digne de ton amitié ? Que me dis-tu de ta naissance ? Ah ! s'il m'était encore possible de me donner un frère, en choisirais-je un autre que toi ? Ô Paul ! Ô Paul ! tu m'es beaucoup plus cher qu'un frère ! Combien m'en a-t-il coûté pour te repousser loin de moi ! Je voulais que tu m'aidasses à me séparer de moi--même jusqu'à ce que le Ciel put bénir notre union. Maintenant je reste, je pars, je vis, je meurs; fais de moi ce que tu veux. Fille sans vertu ! j'ai pu résister à tes caresses, et je ne peux soutenir ta douleur !"
À ces mots Paul la saisit dans ses bras, et la tenant étroitement serrée, il s'écria d'une voix terrible: "Je pars avec elle, rien ne pourra m'en détacher." Nous courûmes tous à lui. Mme de la Tour lui dit: " Mon fils, si vous nous quittez qu'allons-nous devenir ?"
II répéta en tremblant ces mots: "Mon fils... mon fils Vous ma mère, lui dit--il, vous qui séparez le frère d'avec la sur ! Tous deux nous avons sucé votre lait; tous deux, élevés sur vos genoux, nous avons appris de vous à nous aimer; tous deux, nous nous le sommes dit mille fois. Et maintenant vous l'éloignez de moi ! Vous l'envoyez en Europe, dans ce pays barbare qui vous a refusé un asile, et chez des parents cruels qui vous ont vous-même abandonnée. Vous me direz: Vous n'avez plus de droits sur elle, elle n'est pas votre sur. Elle est tout pour moi, ma richesse, ma famille, ma naissance, tout mon bien. Je n'en connais plus d'autre."
QUESTIONS (10 points)
1. En vous appuyant sur l'observation des pronoms sujets de"Mais, pour être..." à "...amitié mutuelle?", dégagez les arguments de Paul en les reformulant (4 points)
2. Quel rôle jouent dans le débat les propos tenus par Paul dans la phrase : " À ces mots [...] m'en détacher." (3 points)
3. Précisez le raisonnement que tient Paul pour
répondre à Madame de la Tour depuis "Mon fils
[...] jusqu'à la fin. (3 points)
TRAVAUX D'ÉCRITURE (10 points)
1. Étudiez comment l'attitude de Virginie évolue face aux arguments présentés par Paul. (4 points)
2. "Pour être plus heureuse, où voulez-vous aller ?" dit Paul à Virginie. Partir ou rester: aujourd'hui aussi, la question peut se poser pour vous. Qu'est-ce qui motiverait en définitive votre choix ? (6 points)