Nouvelle Calédonie - Séries technologiques - session normale 1999
Christiane Collange - Merci, mon siècle, Éd. Fayard, septembre 1998

Merci, mon siècle.

        Quel dynamisme il t'a fallu pour bouleverser tout en même temps : les modes de pensée, les façons d'être, les rythmes de vie, les relations entre les personnes. Je ne pense pas qu'il y ait jamais eu dans l'histoire de l'humanité un tel chambardement du quotidien des individus dans un laps de temps aussi court.

        Je l'ai déjà dit, mais je le redis et j'insiste, car tel est le propos de ce livre : nous te sommes redevables de trois authentiques "révolutions" ; pas de simples améliorations des conditions de vie par rapport au passé, mais bien des changements radicaux dans nos destinées individuelles :

1) l'amélioration de la santé et sa conséquence directe : l'allongement de l'espérance de vie en bonne forme;
2) la transformation des conditions de vie matérielles et sa conséquence directe : la redistribution du temps de vivre ;
3) le contrôle des naissances et sa conséquence directe : la remise en question du destin des femmes, de leurs relations avec les hommes, et par conséquent la transformation des structures familiales.

        Quels cadeaux tu nous as faits, mon siècle, en quelques dizaines d'années ! Seulement voilà : tu nous les as offerts en vrac, sans que nous ayons vraiment eu le temps d'apprendre à nous en servir. Il nous a fallu vivre dans un monde en pleine transformation avec des idées et habitudes d'une autre époque - entre ce que l'on tente d'enseigner à ses enfants et ce qu'ils ont à vivre plus tard, n'y a-t-il pas inévitablement une ou deux générations de décalage ? "Nouveaux pères", "nouvelle vague", "nouvelle cuisine", "nouveau roman", "nouvelle philosophie" : dans ton troisième quart, tout se devait d'être "in" (insolite, inouï, inusité, inconnu, inédit, etc.). Sans y être préparés, nous avons eu la responsabilité d'inventer des modes d'emploi et des règles du jeu pour cette "nouvelle" société. Alors, forcément, nous avons commis beaucoup de bêtises, et laissé au bord du chemin beaucoup de victimes désemparées par l'ampleur de cette révolution.

        Pour ne pas avoir à remettre toute leur vie et leur personne en question, certains se sont réfugiés frileusement à l'abri des principes et des comportements du passé, sans se rendre compte qu'ils prenaient ainsi le risque d'étouffer les jeunes et la société en devenir. Il n'y a pas de changement sans dangers ! D'autres, à l'inverse, enivrés par tant de possibles, ont foncé au mépris de toutes les aspirations et règles de jadis. Ils ont ignoré les données "éternelles", les besoins profonds de la nature humaine, au risque de vouer à l'angoisse et aux exactions une partie des jeunes générations privées de repères moraux et de structures familiales. Entre les uns et les autres, les conflits - plus souvent de mentalités que de générations - se sont exacerbés. Il en est résulté un tohu-bohu généralisé, dans les destins individuels aussi bien que dans le devenir des sociétés, qui rend cette fin de millénaire à la fois passionnante et terrible.

        Avec ces nouvelles cartes en main, les cinquante ans qui viennent pourront engendrer le pire ou le meilleur.

        Le pire interviendra si un matérialisme foncier finit de se substituer à la morale, si l'individualisme généralise le "chacun-pour-soi", si le refus de se soumettre à la moindre discipline collective dégénère en barbarie. Ce pire est toujours menaçant, prêt à surgir au gré des déraillements individuels ou des folies collectives. Quand un individu ou une société "disjoncte" et verse dans le mal, il ne faut jamais laisser faire par paresse ou par faiblesse. Nous le savons, nous qui avons payé si cher la démission de presque tous face à Hitler ! Il ne faut pas que le prochain siècle ni les suivants oublient cette leçon-là.

        En revanche, dès les tout premiers temps du troisième millénaire, des perspectives vraiment nouvelles pourraient bouleverser l'existence. Grâce à une meilleure formation, à une liberté de choix fraîchement acquise, à la maîtrise des petites misères physiologiques, l'occasion sera offerte de mettre pleinement à profit et d'enrichir les capacités affectives et intellectuelles de chacun. Les générations de demain pourraient alors avoir la chance de consacrer l'essentiel de leurs forces et de leur temps à vivre mieux, et pas uniquement à survivre.

        Contrairement à d'aucuns qui gémissent sur les difficultés des jeunes dans le monde d'aujourd'hui, excusant presque par avance leurs démissions et leurs désespoirs, je ne plains pas un instant ceux qui, en l'an 2000, auront toute la vie devant eux. Nous leur avons forgé les instruments de la modernité ; à eux d'inventer le sens qui va avec ! À regarder vivre les vingt ans, je suis persuadée qu'ils en seront capables. Ils savent d'ores et déjà tellement plus de choses que nous n'en connaissions à leur âge !



QUESTIONS (10 points)

1. Par quels procédés de style l'auteur marque-t-il son enthousiasme ? (4 points)

2. Dites quels sont les principaux temps verbaux utilisés au(x) mode(s) personnel(s) et justifiez leur emploi. (3 points)

3. Quelles craintes Christiane Collange éprouve-t-elle pour les cinquante ans à venir ? Relevez-les, explicitez-les. (3 points)

TRAVAUX D'ÉCRITURE (10 points)

1. Christiane Collange constate que nous sommes redevables au XXème siècle de trois "authentiques révolutions". Quelle est celle qui vous semble personnellement la plus importante et pourquoi ? Vous vous appuierez sur des exemples et faits précis dans un développement composé. (5 points)

2. L'auteur évoque avec confiance "ceux qui, en l'an 2000, auront toute leur vie devant eux". Pensez-vous comme elle que ce soit une chance de vivre à cette époque ou redoutez-vous l'avenir ? Vous justifierez votre point de vue sur des exemples précis. (5 points)

N.B. Toutes les réponses doivent être rédigées.