Polynésie française - Séries générales
- Juin 1996
Voltaire, Femmes, soyez soumises à vos maris! 1765.
On lui1 fit lire Montaigne: elle fut charmée d'un homme qui faisait conversation avec elle, et qui doutait de tout. On lui donna ensuite les grands hommes de Plutarque: elle demanda pourquoi il n'avait pas écrit l'histoire des grandes femmes.
L'abbé de Châteauneuf la rencontra un jour
toute rouge de colère.
«Qu'avez-vous donc, madame?» lui dit-il.
J'ai ouvert par hasard, répondit-elle,
un livre qui traînait dans mon cabinet; c'est, je crois, quelque recueil
de lettres; j'y ai vu ces paroles: Femmes, soyez soumises à vos
maris; j'ai jeté le livre.
Comment, madame! Savez-vous bien que ce sont
les Épîtres de saint Paul?
Il ne m'importe de qui elles sont; l'auteur est
très impoli. Jamais Monsieur le maréchal ne m'a écrit
dans ce style; je suis persuadée que votre saint Paul était
un homme très difficile à vivre. Était-il marié?
Oui, madame.
Il fallait que sa femme fût une bien bonne créature: si j'avais été la femme d'un pareil homme, je lui aurais fait voir du pays. Soyez soumises à vos maris! Encore s'il s'était contenté de dire: Soyez douces, complaisantes, attentives, économes, je dirais: voilà un homme qui sait vivre; et pourquoi soumises, s'il vous plaît? Quand j'épousai M. de Grancey, nous nous promîmes d'être fidèles: je n'ai pas trop gardé ma parole, ni lui la sienne; mais ni lui ni moi ne promîmes d'obéir. Sommes-nous donc des esclaves? Nest-ce pas assez quun homme, après m'avoir épousée, ait le droit de me donner une maladie de neuf mois, qui quelquefois est mortelle? N'est-ce pas assez que je mette au jour avec de très grandes douleurs un enfant qui pourra me plaider2 quand il sera majeur? Ne suffit-il pas que je sois sujette tous les mois à des incommodités très désagréables pour une femme de qualité, et que, pour comble, la suppression d'une de ces douze maladies par an soit capable de me donner la mort sans qu'on vienne me dire encore: Obéissez?
«Certainement la nature ne l'a pas dit; elle nous
a fait des organes différents de ceux des hommes; mais en nous rendant
nécessaires les uns aux autres, elle n'a pas prétendu que l'union
formât un esclavage. Je me souviens bien que Molière a dit:
Du côté de la barbe est la toute-puissance.
Mais voilà une plaisante raison pour que jaie un maître!
Quoi! Parce qu'un homme a le menton couvert d'un vilain poil rude, qu'il
est obligé de tondre de fort près, et que mon menton est né
rasé, il faudra que je lui obéisse très humblement?
Je sais bien qu'en général les hommes ont les muscles plus
forts que les nôtres, et qu'ils peuvent donner un coup de poing mieux
appliqué: j'ai peur que ce ne soit là l'origine de leur
supériorité.
«Ils prétendent avoir aussi la tête mieux organisée, et, en conséquence, ils se vantent d'être plus capables de gouverner; mais je leur montrerai des reines qui valent bien des rois. On me parlait ces jours passés d'une princesses allemande3 qui se lève à cinq heures du matin pour travailler à rendre ses sujets heureux, qui dirige toutes les affaires, répond à toutes les lettres, encourage tous les arts, et qui répand autant de bienfaits qu'elle a de lumières. Son courage égale ses connaissances; aussi n'a-t-elle pas été élevée dans un couvent par des imbéciles qui nous apprennent ce qu'il faut ignorer, et qui nous laissent ignorer ce qu'il faut apprendre. Pour moi, si javais un État à gouverner, je me sens capable d'oser suivre ce modèle.»
L'abbé de Châteauneuf, qui était
fort poli, n'eut garde de contredire Mme la maréchale.
«À propos, dit-elle, est-il vrai que Mahomet
avait pour nous tant de mépris qu'il prétendait que nous
n'étions pas dignes d'entrer en paradis, et que nous ne serions admises
qu'à l'entrée?
En ce cas, dit l'abbé, les hommes se tiendront
toujours à la porte; mais consolez-vous, il n'y a pas un mot de vrai
dans tout ce qu'on dit ici de la religion mahométane. Nos moines ignorants
et méchants nous ont bien trompés comme le dit mon frère,
qui a été douze ans ambassadeur à la
Porte4.
Femmes, soyez soumises à vos maris! disait toujours la maréchale entre ses dents ce Paul était bien brutal.
Il était un peu dur, repartit l'abbé,
et il aimait fort à être le maître: il traita du haut
en bas saint Pierre, qui était un assez bon homme. D'ailleurs, il
ne faut pas prendre au pied de la lettre tout ce qu'il dit. On lui reproche
d'avoir eu beaucoup de penchant pour le
jansénisme5.
Je me doutais bien que c'était un
hérétique», dit la maréchale; et elle se remit
à sa toilette.
QUESTIONS (10 points)
1. Résumez en une phrase la thèse soutenue par la maréchale de Grancey. Relevez et classez les principaux arguments en faveur de cette thèse. (3 pts)
2. De « Nest-ce pas assez quun homme... » jusquà « de me donner la mort » Quel est le lien des réflexions sur la féminité et l'accouchement avec cette thèse? (2 pts)
3. Comment l'adversaire (saint Paul, un des fondateurs du christianisme) est-il présenté et combattu dans sa personne? (2 points)
4. Relevez et classez les procédés d'expression qui ridiculisent les arguments en faveur de la supériorité masculine. (3 points)
TRAVAIL D'ÉCRITURE (10 points)
En vous appuyant sur des arguments de notre temps, et en conservant si possible le ton de la maréchale, comment développeriez-vous à votre tour une argumentation contre la supériorité masculine?