SUJET séries technologiques 2013
ÉLÉMENTS DE CORRIGÉ
I. QUESTIONS : 6 POINTS
- Question 1 : Quel lieu intime est évoqué dans les documents A, B et C ? En quoi cette évocation est-elle poétique ? (3 points)
On attend une présentation du corpus même par une courte phrase, afin d'introduire la question posée ; l'identification de la chambre comme lieu intime, commun aux trois documents retenus, grâce à un relevé minimal d'occurrences à l'appui [Document A : « Qu'il ferait bon garder la chambre, /Devant son feu » (v.4-5) ; document B : « ma chambre d'enfant » (1.1), « dans la chambre » (1.6) ; document C : « la chambre où je grandis » (1.11)].
On valorise les copies qui explicitent la dimension intime du lieu dans chacun des documents, pour montrer en quoi l'évocation est poétique.
On valorise les copies qui identifient avec précision la forme poétique des textes.Eléments de réponse possibles :
Par opposition à la fois au « vilain soir de décembre » et son « temps de chien » qui transit les cochers au nez bleu, ainsi qu'au concours d'élégance du bal à l'ambassade anglaise où se pressent les « beautés altières », la chambre offre dans le document A un refuge de chaleur douillette (« cheminée, « chauffeuse capitonnée ») et de silence (« la pendule qui balance son disque d'or»), dans une atmosphère de sensualité douce et protectrice (personnification de la chambre par le jeu des comparaisons : elle est assimilée à l'instar de la chauffeuse à une « maîtresse », qui réclame que son amant reste auprès d'elle: « avec une caresse », « comme un sein blanc », « globe laiteux »). Dans ce poème constitué, au sein de l'extrait proposé, de sept sizains hétérométriques (deux octosyllabes, un tétrasyllabe, deux octosyllabes, un tétrasyllabe dans chaque strophe), la disposition des rimes confirme et renforce celle des mètres employés (AABCCB : rimes plates et rimes embrassées), comme pour mimer l'hésitation entre les espaces et la tentation de doux repli, de havre caressant et serein qu'offre la chambre. Dans le document B, la chambre est plus clairement associée à l'enfance et convoque la mémoire du poète. Ses composantes («mousseline des rideaux », « plusieurs coffres », « deux boules de pilastres ») offrent un véritable tremplin pour l'imaginaire de l'enfant, qui recrée l'espace dans lequel il vit ou le déchiffre (les lettres de l'alphabet qu'il lit à travers les passementeries des rideaux : « je les transformais en dessins que j'imaginais » ; les deux boules de pilastres : « que je considérais comme des têtes de pantins ») et le colore des séductions de l'interdit (« avec lesquels il était défendu de jouer »). Le court poème en prose offre de plus une rêverie sur la dimension plastique du langage (« H, un homme assis », « B, l'arche d'un pont »), qui témoigne des relations millénaires entre la poésie et la peinture (les « lettres » sont aussi des « dessins »). Le document C. plus complexe, livre une représentation de la chambre comme espace intérieur : « Que la chambre où je grandis, /Dans mon cœur était enclose »). La mue du poète, son évolution, le parcours de son existence jusqu'à la « Connaissance du Soir » sont résumés dans cet espace scellé en lui-même, auquel le premier quatrain confère lui aussi la coloration des rêves et du sommeil de l'enfance (« ronde d'enfants », « Chansons »). Dans ce poème constitué de trois quatrains en heptasyllabes et en rimes croisées, la tension entre le pair et l'impair souligne le mouvement perpétuel du poète entre les strates de son existence et l'effort de réunion, de bilan qu'il esquisse ne se déploie que dans les contours de cet espace lyrique intérieur.
Le caractère poétique de l'évocation de la chambre dans les trois documents est ainsi très net, le lieu quotidien devenant l'espace du refuge et du rêve, de l'enfance voire d'une vie, un espace intérieur tremplin de l'écriture poétique.- Question 2 : A quelles impressions, agréables ou désagréables, ce lieu est-il, selon vous, associé dans chacun des quatre documents ? (3 points)
La deuxième question mobilise tous les documents du corpus. On pénalisera les copies qui ne perçoivent pas que le document D doit aussi être étudié cette fois. On attend une réponse qui caractérise avec souci d'exactitude les impressions éprouvées et en propose une justification par un relevé d'occurrences précis. On acceptera quant au caractère agréable ou désagréable de ces impressions, des réponses potentiellement différentes sur les textes à condition que leur justification apparaisse comme convaincante. On valorisera les copies qui offrent un effort d'organisation de leur réponse, en croisant les documents par rapport au type d'impressions suscitées par la chambre qu'ils évoquent.Eléments de réponse possibles :
- Impressions agréables : la chambre est un refuge, empreint de chaleur, de confort et de sensualité (document A), un lieu de « repos inébranlable » et de sommeil (document D), dont la représentation doit « reposer la tête ou plutôt l'imagination »; c'est le lieu du déploiement d'un imaginaire personnel et secret (document B et document C), un tremplin pour la création (document D), qui offre un motif d'inspiration neuf, radicalement différent des productions antérieures (« Cela va contraster avec par exemple la Diligence de Tarascon et le Café de nuit» document D) ; un lieu associé au jeu apaisant et feutré d'ombres et de lumières (lumière tamisée du « globe laiteux de la lampe/ Dont le reflet au plafond rampe, Tout endormi » document A), ou aux couleurs pures (« passementeries blanches » document B) voire franches et gaies sans ombres portées (bois du lit et chaises « jaune beurre frais », oreillers « citron vert très clair», couverture «rouge écarlate », fenêtre «verte», cuvette « bleue », table à toilette « orangée », « coloré à teintes plates et franches comme les crépons » document D) ; un lieu apprécié aussi bien pour son confort et ses objets raffinés ou travaillés (« chauffeuse capitonnée », « papier rosé à découpures » document A ; « passementeries blanches », « mousseline », « des fleurs ouvertes sculptées légèrement sur le bois » document B) que pour son dépouillement au contraire (« Et c'est tout – rien dans cette chambre à volets clos » document D).
- Impressions désagréables : la chambre peut aussi être considérée comme une maîtresse jalouse (« Tu resteras ! ») qui vous retient face à d'autres plaisirs (document A). C'est donc aussi potentiellement un lieu d'enfermement (« Dans mon cœur était enclose » document C ; « repos forcé » et « volets clos » document D), dont il n'est pas sûr qu'il apporte l'apaisement : le lieu permet la connaissance de soi (« Je saurai sur toutes choses »), mais cette connaissance est empreinte d'un sentiment de « peine » et de fragilité (document C) ; il n'est pas certain que le spectateur du tableau de Van Gogh éprouve par l'association, la franchise et la puissance des couleurs proposées dans un cadre sobre voire très dépouillé (« la couleur doit ici faire la chose et en donnant par sa simplification un style plus grand aux choses ») l'impression de « repos » escomptée, mais peut-être une sensation diffuse de malaise voire d'agression (document D).
II. Travail d’écriture : 14 points
1- Commentaire :
Vous commenterez le document A (Théophile Gautier) en vous aidant du parcours de lecture suivant :
a) l'opposition des lieux décrits (éléments et personnages du décor, sensations et scènes évoquées) ;
b) le recours à l'humour et à l'imagination poétique pour suggérer « La Bonne Soirée».On attend une introduction situant le document, annonçant une problématique et un plan de commentaire intégrant le parcours de lecture proposé ; un développement étayé d'analyses précises du texte, et construisant une réelle interprétation ; une conclusion mettant en lumière les perspectives essentielles dégagées par le commentaire, et élargissant éventuellement leur portée, ou leur résonance esthétique et culturelle.
On valorise la perception, des deux registres du texte, la double interprétation potentielle du titre du poème, une analyse fine des métaphores (érotisation de la chambre personnifiée, prosopopée ; personnification du costume de soirée désoeuvré et impatient), une analyse pertinente de la structure poétique, la perception des jeux d'énonciation.
On pénalise la paraphrase, un développement inorganisé ou impressionniste, un développement indigent, une succession de relevés sans interprétation ou à l'inverse une succession de remarques sans micro-analyses à l'appui, un commentaire ignorant totalement le genre littéraire du texte, une syntaxe déficiente, un contresens manifeste et majeur dans la compréhension du texte.Éléments de correction :
Problématique éventuelle : À quelle « Bonne Soirée » l'imagination poétique conduit-elle ?- Piste 1 : l'opposition des lieux décrits.
• Un espace extérieur hostile : le froid du dehors, perçu comme un « temps de chien » (« il pleut, il neige », v. 1 ; « Les cochers, transis » v. 2 ; « le vent qui pleure et rôde » v.22) ; le monde des conventions bourgeoises (la « corvée » v. 37 du « bal à l'ambassade anglaise » v. 25, qui suppose de jouer son rôle dans le théâtre social (d'où le costume obligatoire de l'habit noir, du gilet, de la chemise, des brodequins et des minces cravates, strophes 5 et 6) et de ne pas quitter son rang (« Portant blasons sur leurs portières » v. 41) ni sa place dans le divertissement orchestré, concours d'élégance et d'ostentation d'un certain statut (« Prendre la file à l'arrivée/Et suivre au pas/Les coupés... » v. 38 à 40). La froideur est en réalité tant celle de « ce vilain soir de décembre » (v. 4) que celle éprouvée par le poète face aux «beautés altières » du bal : leur superbe exalte certes leurs « appas » mais les présente aussi comme inaccessibles.
• La chambre comme havre sensuel: la chaleur («cheminée, « chauffeuse capitonnée»), le silence (« la pendule qui balance son disque d'or »), et la lumière tamisée (« Voile à demi », « le reflet [...] Tout endormi ») renforcent la dimension de refuge offerte par la chambre. On est sensible à l'érotisation de ce lieu : « avec une caresse », « comme un sein blanc », « globe laiteux ». Par le jeu de la synecdoque, la chambre est assimilée au corps d'une maîtresse qui entend retenir son amant auprès d'elle dans une atmosphère de sensualité douce et protectrice. Une sorte de langueur sensuelle berce et amollit le poète qui n'éprouve guère le désir de s'arracher à son refuge fantasmé, tant il veut échapper à la « corvée » du dehors, soit le froid et les conventions sociales.
• Une composition mimétique : L'extrait du poème est composé de sept sizains hétérométriques (deux octosyllabes, un tétrasyllabe, deux octosyllabes, un tétrasyllabe dans chaque strophe) : cette structure par définition repose sur le déséquilibre dans la répétition et le rapport de proportion des mètres employés. La disposition des rimes confirme et renforce celle des mètres (AABCCB : rimes plates et rimes embrassées), comme pour mimer l'hésitation entre les espaces et la tentation de doux repli vers la caresse sereine qu'offre la chambre.- Piste 2 : le recours à l'humour et à l'imagination poétique pour suggérer « La Bonne Soirée ».
• Une énonciation et une interprétation complexes : renonciation joue de l'oscillation entre les tournures impersonnelles (« il pleut, il neige », « Qu'il ferait bon garder la chambre » v. 1 et 5, « II faut sortir » v. 37), la convocation de plusieurs pronoms personnels (« Vous tend les bras », « Vous dire comme une maîtresse » v.9 et 11 ; « On n'entend rien dans le silence » v. 19) et d'adjectifs possessifs (« Mon habit noir », « Mon gilet bâille » v. 26 et 28) pour créer un jeu complice et distant à la fois avec le lecteur, qui est convié tantôt à s'amuser des portraits croqués avec malice par le poète (le « nez bleu » des cochers transis ; les « beautés altières » du bal, dont l'évocation convoque tant les appas que les blasons des portières des coupés), tantôt à éprouver par empathie (induite par l'usage des première ou deuxième personnes), les sensations et fantasmes liés à la chambre. La valeur aspectuelle du présent participe également de l'effet de brouillage : s'agit-il de la « Bonne soirée » de « ce vilain soir de décembre », ou d'une scène récurrente, évoquée par le biais d'un présent itératif ? De quelle « Bonne soirée » par ailleurs s'agit-il ? Faut--il y voir une désignation ironique du bal à l'ambassade auquel on ne veut pas se rendre et qui risque de contraindre à affronter le froid et les conventions sociales ? Ou s'agit-il de la « Bonne soirée » rêvée, celle qu'offrirait la chaleur et la douceur préservées de la chambre, et le contact aimable de la chauffeuse capitonnée au sein de laquelle on aspire à se lover (possible valeur d'irréel contenue dans le souhait formulé v. 5 « Qu'il ferait bon garder la chambre, /Devant son feu ! ») ? Les deux interprétations ne sont pas exclusives ; leur coexistence participe du plaisir et de la subtilité du texte poétique de Gautier, fondé sur un mouvement d'opposition ou de déséquilibre entre deux espaces, deux moments, deux registres, deux mètres.
• De la personnification des lieux et des choses jusqu'à la prosopopée : on a constaté l'érotisation de la chambre assimilée par le biais des comparaisons à une maîtresse, dans une véritable atmosphère de boudoir (« Un papier rosé à découpures, /Comme un sein blanc sous des guipures » par exemple), en insistant sur la sensualité de l'évocation. Ce même travail de personnification s'applique aux éléments extérieurs, qu'on pourrait lire comme autant d'amants éconduits, tels « le vent qui pleure et rôde, / Parcourant, pour entrer en fraude, / Le corridor ». Il faut ainsi souligner l'humour avec lequel le poète s'amuse à personnifier ce décor jusqu'à lui donner la parole, dans une proposopée qui colore le texte d'un comique léger : la chambre ainsi se comporte comme une maîtresse possessive à l'égard du poète, par l'entremise de la chauffeuse dotée d'un verbe autoritaire, qui n'admet pas de réplique : « La chauffeuse capitonnée / Vous tend les bras/ Et semble avec une caresse / Vous dire comme une maîtresse, / « Tu resteras ! ». (v. 8 à 12) [noter la ponctuation expressive et le futur assertif]. La même imagination déliée est à l'œuvre dans l'évocation personnifiée du costume de soirée qui n'en finit plus d'attendre le bon vouloir du poète pour partir au bal : « Mon habit noir est sur la chaise, / Les bras ballants ; / Mon gilet bâille » (v. 26 à 28) [gestuelle symbolique de l'attente ; effet d'hypallage ; noter la syllepse du verbe « bâiller » qui traduit tout autant l'allure débraillée du gilet que la lassitude désœuvrée qui lui est imputée] ; le costume semble même lui aussi jouer de ses atouts, les exhibant pour convaincre le poète de revêtir son habit de gala : « [...]ma chemise / Semble dresser, pour être mise, / Ses poignets blancs », (v. 28 à 30), « Les brodequins à pointe étroite/ Montrent leur vernis qui miroite, /Au feu placés » (v. 31 à 33). Cette stratégie de séduction ne paraît guère probante pourtant puisque l'évocation du costume de bal se clôt par la mention des « gants glacés », comparés à des « mains plates », les adjectifs employés renvoyant ces éléments du costume à l'évocation du monde extérieur, hostile et convenu. Cette stratégie de personnification traduit donc la distance amusée du poète, dans un esprit de dérision.
• Satire et autodérision : finesse et familiarité du portraitiste. Le poète joue d'expressions lexicalisées ou familières pour conférer un style alerte et enlevé à son écriture poétique, qui se moque des conventions : « Quel temps de chien ! » (v. 1), « Qu'il ferait bon garder la chambre » (v. 5), « pour entrer en fraude » (v. 23), « quelle corvée ! » (v. 37), « prendre la file à l'arrivée/ Et suivre au pas » (v. 38 et 39). Cette simplicité et familiarité de la situation et du langage s'associent à un regard férocement malicieux, celui du portraitiste qui croque ses semblables : on note la touche comique créée d'emblée par le « nez bleu » des cochers, l'attitude de morgue des femmes de l'aristocratie et de la haute bourgeoisie saisie en un adjectif (« altières »), et confirmée par le parallèle osé, établi entre les « blasons » et les « appas », qui mêle voire assimile le charme et l'attrait à l'ostentation du luxe et des quartiers de noblesse). Le poète finalement apprécie aussi la chambre parce qu'elle lui permet d'observer en retrait le manège du monde. La satire du bal à l'ambassade est nette : sa mention signale l'importance de l'événement dans le carnet mondain (présentatif et absence d'article v. 25), le poète montre sa mascarade ritualisée, dans une démonstration des places et des hiérarchies de la notabilité (« prendre la file », « suivre au pas », « Portant blasons sur leurs portières », « beautés altières ») [syllepse à nouveau puisque l'allure ralentie et ordonnée des coupés des invités du bal reflète aussi leur place dans le divertissement social ; le bal est une représentation élégante de l'ordre des notables]. Le confort voluptueux de la chambre et la possibilité d'abandon qu'elle recèle assimilent ce lieu à une sorte d'œilleton au travers duquel le poète a tout loisir d'observer et de fantasmer le monde.2. Dissertation :
La création poétique doit-elle s'inspirer du quotidien ou bien puiser sa source dans un univers totalement déconnecté du réel ? Vous appuierez votre réflexion sur les poèmes du corpus mais aussi sur ceux que vous avez étudiés en classe ou rencontrés dans vos lectures personnelles.On attend un devoir structuré avec une introduction même succincte, deux parties au moins et une conclusion ; une réflexion qui interroge l'alternative proposée (« ou bien »), en perçoive la tension intrinsèque (« quotidien » vs « univers totalement déconnecté du réel ») ainsi que ses déclinaisons possibles (prosaïsme, banalité, immédiateté, modestie, connu vs merveille, rêve, étrangeté, folie, inconnu) ; un développement organisé ; des exemples précis ; l'utilisation des textes du corpus. On valorise les devoirs utilisant des références nombreuses et analysées ; les copies qui interrogent les limites du problème posé (l'adverbe « totalement » dans l'expression « totalement déconnecté du réel ») et de l'alternative établie ; les copies qui manifestent une qualité de réflexion personnelle, un sens de l'argumentation, et qui utilisent des références et/ou lectures personnelles de manière pertinente. On pénalise l'absence d'exemples ; les devoirs non rédigés ; l'absence d'une argumentation développée et structurée ; les digressions en vue de réutiliser des éléments vus en cours, sans lien avec le sujet ; une syntaxe malmenée au point de gêner la compréhension du propos ; un niveau de langue relâché.
Eléments de correction :
• Piste 1 : la création poétique s'inspire du quotidien :
- Le choix délibéré d'objets prosaïques comme sources de création : « La Ballade des Pendus » de Villon ; « L'araignée et l'ortie » Victor Hugo, « Le pain » ou l' « Ode inachevée à la boue » de Francis Ponge, « Une charogne » Baudelaire, « Le pou » Lautréamont. Mais aussi des réalités sociales qui nous étreignent : « Melancholia » (Hugo), « Le joujou du pauvre » (Baudelaire), la figure du vitrier ou du vieux saltimbanque. Buts : défier une tradition poétique, s'attacher au monde sensible le plus modeste, le plus douloureux ou le plus laid, car « tout bruit, tout est plein d'âmes » (V.Hugo) ; rechercher un « lyrisme de la réalité » (Reverdy), se résoudre au Parti pris des choses (Ponge) mais toujours compte-tenu des mots.
- De nouvelles formes d'écriture poétiques associées à cette démarche ; l'écriture poétique défie les conventions en adoptant le langage libre et délié (familiarité des expressions « temps de chien », « quelle corvée ! ») du portraitiste qui croque les figures des conventions sociales (les « beautés altières » du « bal à l'ambassade anglaise » document A du corpus, Gautier, Emaux et Camées) et joue sa complicité avec le lecteur (poème- conversation ?) ; le souvenir de la chambre d'enfant , de ses rideaux, coffres et pilastres, nourrit un « Petit poème » issu du Cornet à dés de Max Jacob (texte B du corpus) ; les vers libres de la Prose du Transsibérien (Cendrars) qui traduisent le mouvement et le bruit même du train ; les vers libres de « Zone » (Alcools, Apollinaire) qui accueillent la présence des affiches et du bruit des sténodactylographes ; les « proêmes» de Ponge ; les emprunts contemporains au langage de la rue, de la publicité, des nouveaux médias, l'insertion de souvenirs de cinéma, de bande dessinée ou de jeu vidéo. Cf. Nathalie Quintane, Chaussure ; Pierre Alféri, Kub or. On voit apparaître des objets littéraires fondés sur le détournement, le collage, le montage pour dessiner « quelque chose comme le fantôme d'une vie minuscule » Cf. Jean- Michel Espitallier, Pièces détachées : une anthologie de la poésie française d'aujourd'hui. Il s'agit de donner toute sa place à l'infra-ordinaire (Perec), de donner à voir et entendre la « pâte-mot de l'époque » (Christophe Tarkos). Certains considèrent qu'on atteint de la sorte les limites du langage poétique, dans une volonté d'exprimer le prosaïsme de la forme aussi bien que du contenu, au point qu'on parle parfois de « poésie d'après la poésie » (J.-M.GIeize).• Piste 2 : la poésie puise sa source dans un univers totalement déconnecté du réel.
- L'abandon aux puissances du rêve et de la folie : les rêveries fantastiques d'Aloysius Bertrand ; l'enchantement littéraire des « Mages romantiques » ; Nerval, Aurélia ; « Ce que dit la Bouche d'Ombre », Hugo ; rechercher l'esthétique des Illuminations (Rimbaud), pratiquer le long « dérèglement de tous les sens »; partir très loin du dernier radeau comme Nadja (Breton), suivre l'exemple du « cavalier du rêve » (Desnos), rechercher la « phrase qui cogne à la vitre » (Manifestes du surréalisme) ; « plonger au fond du gouffre » pour toujours « trouver du nouveau » (Baudelaire).
- L'importance du jeu métaphorique dans la création poétique : l'image poétique provoque un sentiment d'étrangeté, de rupture ou de chavirement du langage, elle correspond à l'effort de recréation du monde au sein de l'écriture poétique, d'où une recherche de l'écart, de la « déconnexion avec le réel ». L'abandon au « stupéfiant image » (Aragon) des surréalistes correspond à la quête d'une beauté convulsive, née du fortuit, du hasard, de l'arbitraire, de la différence de potentiel entre deux réalités les plus éloignées pour créer « l'étincelle poétique ».
Mais tout comme l'image elle-même articule comparant et comparé, sans doute le poème n'est-il pas totale déconnection du réel, mais plutôt pont entre deux rives. « dans l'entre-deux du ciel et de la terre », comme en témoigne la prédilection de nombreux poètes pour les lieux ou instants lisières (fenêtres de Baudelaire, ponts dé Rimbaud, seuils de Bonnefoy...).• Piste 3 : être « en étrange pays en son pays lui-même » (Aragon).
- La poésie n'est pas dans les choses : la question de la source de l'inspiration ne détermine la teneur poétique de l'écriture. Cf. Reverdy : « la poésie n'est certainement pas dans les choses, autrement tout le monde l'y découvrirait aisément, comme tout le monde trouve si naturellement le bois dans l'arbre et l'eau dans la rivière ou l'océan. Il n'existe pas non plus par conséquent, de choses ni des mots plus poétiques les uns que les autres, mais toutes choses peuvent devenir à l'aide des mots, poésie, quand le poète parvient à mettre son empreinte dessus ». Tout objet du monde est donc digne de poésie. Est avant tout poétique le geste du poète sur la langue, geste créateur, imagination du langage qui vise à réconcilier la forme et le sens des mots dans l'espace du poème, à les régénérer pour créer une parole sensible.
- Le poète constate le défaut de la langue, qui désigne au lieu de signifier; il use d’un instrument galvaudé et pourtant vise à atteindre par sa création poétique une « constellation verbale » (Mallarmé) ou une « sorcellerie évocatoire » (Baudelaire) Cf. Claudel : « Nous employons dans la vie ordinaire les mots non pas proprement en tant qu'ils signifient les objets, mais en tant que pratiquement ils nous permettent de les prendre et de nous en servir. Ils nous donnent une espèce de réduction portative et grossière, une valeur, banale comme de la monnaie. Mais le poète ne se sert pas des mots de la même manière. Il s'en sert non pas pour l'utilité, mais pour constituer de tous ces fantômes sonores que le mot met à disposition un tableau à la fois intelligible et délectable ». Si la poésie n'est pas prose, c'est parce qu'elle fait danser et non marcher les mots.
- La création poétique est un « dépaysement » (Du Bouchet) non un arrachement (elle ne puise pas sa source dans un univers totalement déconnecté du réel). Le poète refuse la réduction du monde à son aspect mercantile et trivial (Benjamin Péret), il conserve intact le don de s'étonner (Pérès) et sait le besoin d'absolu qui habite l'homme, même englué dans le spleen (Baudelaire) ; la poésie est une part irréductible de l'homme, « le mode de vie et de vie intégrale » (Saint-John Perse). La poésie s'attache à la complexité du réel sous son apparente simplicité et cherche l'inconnu, l'illimité dans les choses les plus banales, les réalités humaines les plus universelles (le doute, les élans, le désir, la joie, l'énigme de la mort, l'étreinte amoureuse, l'émerveillement devant le monde sensible, tout ce qu'on a coutume d'appeler les « grands lieux » de la poésie). La poésie transforme, déporte les représentations du réel, par le biais d'images insolites et curieuses : l'alphabet et la lettre poétique se dessinent à travers les rideaux par la grâce de l'imaginaire d'un enfant déjà poète (texte B du corpus) ; la chambre royaume de l'enfance est « enclose » dans le cœur du poète (texte D), elle quitte donc les limites d'un réel prosaïque circonscrit et dessine les contours d'un lyrisme pudique, celui qui atteint La Connaissance du Soir, lorsque l'âme meurt du nombre des beaux'jours et égrène les « Chansons qui fûtes rna vie ». La création poétique touche l'insaisissable, ce qui est irréductible à l'analyse rationnelle et savante. Sans doute sont-ce les raisons pour lesquelles le poème souvent résiste à la (première) lecture et le poète s'exprime par métaphores : « Appréhender poétiquement le monde, c'est d'abord penser par images » (Pierre Emmanuel). Cf. Cocteau, Le Secret professionnel : « Voilà le rôle de la poésie. Elle dévoile, dans toute la force du terme. Elle montre nues, sous une lumière qui secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient machinalement ». Cf. Eluard, Les Sentiers et les Routes de la poésie : « II nous faut peu de mots pour exprimer l'essentiel, il nous faut tous les mots pour le rendre réel ».3. Ecriture d’invention : A votre tour, écrivez un poème en prose ou en vers, qui évoquera la chambre de Vincent Van Gogh (document D). Votre poème prendra notamment appui sur la lettre à Théo mais devra refléter les sensations et sentiments personnels que vous inspire ce lieu. Vous vous appliquerez à proposer des images poétiques qui permettront de dépasser la simple description réaliste. Votre texte comprendra au minimum une trentaine de lignes ou de vers.
On attend une évocation poétique de la chambre de Vincent Van Gogh qui prenne appui sur la lettre à Théo (document D), et les éléments qu'elle indique, tels que :
• l'importance de la couleur comme instrument majeur de la composition (effet de simplification synonyme d'un « style plus grand » : franchise de l'exécution « Les ombres et ombres portées sont supprimées, c'est coloré à teintes plates et franches comme les crépons »), suggestion du « repos ou du sommeil en général » (« la vue du tableau doit reposer la tête ou plutôt l'imagination ») ;
• l'énumération des composantes du décor de la chambre, même si l'exhaustivité dans la reprise de ces termes au sein du poème élaboré n'est évidemment pas de mise («murs », « sol », « bois du lit », « chaises », « drap », « oreillers », « couverture », «fenêtre », « table », « cuvette », « portes », « portraits sur le mur » , « miroir », « essuie-mains », « quelques vêtements » ; l'association de ces composantes du décor à des couleurs spécifiques, dont la dénomination s'avère elle-même poétique dans le texte de Van Gogh (bois du lit et chaises « jaune beurre frais », drap et oreillers « citron vert très clair », couverture « rouge écarlate », fenêtre « verte », table à toilette « orangée », etc...) ;
• la chambre comme motif d'une inspiration artistique renouvelée pour Van Gogh ; il envisage en effet son exécution picturale comme un travail différent de ses œuvres antérieures (« Cela va contraster avec par exemple la Diligence de Tarascon et le Café de nuit ») ;
• la conception de la toile sur la chambre comme revanche au « repos forcé » que le peintre a dû prendre dans ce lieu.
• Un texte poétique qui reflète les sensations et sentiments personnels qu'inspire la chambre de Van Gogh : on attend donc la mobilisation d'un lexique varié en matière de sentiments et de sensations, quels qu'ils soient ; le dénuement du décor, sa sobriété voire son caractère Spartiate, la franchise des couleurs et leur nombre, la mention de la « chambre à volets clos », peuvent tout aussi bien être exaltés au sein du poème comme vecteurs de fraîcheur, d'apaisement, de joie, de simplicité, dans le « repos inébranlable » évoqué par Van Gogh, que considérés comme synonymes d'un univers appauvri et fermé sur lui-même, où la disparité des couleurs n'apaise pas l'esprit. On acceptera la perception personnelle de l'élève, même si elle contraste avec celle de Van Gogh, à partir du moment où l'élève a su utiliser les composantes de la lettre pour nourrir son évocation personnelle.
• Un poème composé en prose ou en vers, qui respecte la consigne de longueur indiquée (au minimum une trentaine de lignes ou vers) et qui repose sur l'élaboration de véritables images. On acceptera toute forme poétique s'inscrivant dans cette prescription.On valorise :
• Les copies qui exploitent le croquis joint dans sa résonance avec la lettre (document D) et qui mobilisent de manière pertinente des éléments de l'image dans leur texte poétique, afin de nourrir et de déployer leur évocation : les élèves peuvent ainsi exploiter la place et l'ordonnancement des éléments dans l'espace du croquis (premier plan vide ; effet de contre-plongée ; chaise et table à toilette reculés au fond de la pièce, objets tassés sur la table à toilette, cuvette placée sous celle-ci ; lit orienté de biais [orientation aux deux tiers vers la droite qui permet de percevoir la tête de lit, les oreillers, le drap, la couverture énumérés dans la lettre ; perspective générée par les diagonales des murs et du lit ainsi que la place de la fenêtre). Les élèves peuvent aussi noter des éléments qui ne sont pas énumérés dans la lettre, tels le chapeau et la blouse du peintre ( ?) présents sur le montant gauche de la tête de lit. Ils peuvent aussi s'interroger sur des éléments qui contrastent avec le propos de la lettre (le sol qui s'apparente davantage aux lames de bois d'un parquet qu'à des « carreaux rouges»; les portraits inclinés sur le mur de droite, signes qui viennent contredire l'ordre apparent et apaisant, comme la chaise tournée auprès du lit ; les volets de la chambre sont-ils réellement clos sur le croquis ? Ils semblent plutôt placés « en espagnolette », comme le requiert la sieste dans les pays méditerranéens). Les élèves peuvent à l'inverse relever ce qui renforce l'expression du texte (« la carrure des meubles » perceptible dans la massivité du bois du lit au premier plan à droite ou de la porte).
• Les copies qui font preuve d'une véritable imagination poétique dans l'élaboration des images, en nombre et forme variés (métaphore, comparaison, personnification, allégorie...). Le corpus à cet égard fournit nombre d'exemples d'images à mobiliser.
• Les copies qui mobilisent un lexique varié dans l'évocation des couleurs (palette et nuances), afin de suggérer des degrés et des variations relatifs à leur perception personnelle du lieu.
• Les copies qui exploitent avec pertinence la mention de la « lumière fraîche du matin » comme moment privilégié pour peindre le lieu évoqué.
• Les copies qui exploitent des connaissances personnelles sur Van Gogh, à la fois le peintre et son œuvre, pour composer leur texte poétique : la référence au « repos forcé » si elle s'explique par un contexte spécifique à l'époque (production intense sur quelques jours et mistral dominant), peut aussi être lue par les élèves comme annonçant la folie de l'artiste (épisode de l'oreille coupée en décembre 1888) ; les élèves peuvent éventuellement mobiliser dans leur poème d'autres toiles connues de Van Gogh par jeu de comparaisons (comme le fait la lettre, citant deux autres tableaux), ou évoquer une technique picturale spécifique à Van Gogh.
• Les copies qui exploitent éventuellement et de manière incidente au sein de leur poème la relation au frère présente dans la lettre, en tant que témoin, interlocuteur et soutien privilégié et complexe de la création de Van Gogh, qui s'attache ici à de nouveaux objets, dont la chambre.On pénalise : les textes qui s'apparentent à une simple description réaliste de la chambre, sans effort d'évocation poétique, notamment par le jeu métaphorique ; les textes qui ne sont pas des poèmes ; les productions trop courtes (moins de trente lignes) ; les textes qui reprennent la lettre de Théo sans proposer de sentiments ni de sensations personnels inspirés par la chambre de Van Gogh ; les textes qui font fi de la lettre à Théo et des éléments qui la composent pour proposer une variation poétique totalement décontextualisée ; les copies qui manifestent une syntaxe qui empêche une réelle compréhension du texte poétique composé, ou un niveau de langue trop relâché.