|
3.
C'était un gaillard d'une quarantaine d'années, à cheveux crépus. Sa taille
robuste emplissait une jaquette de velours noir. deux émeraudes brillaient
à sa chemise de batiste. & son large pantalon blanc tombait sur
d'étranges bottes rouges, en cuir de Russie, imprimées de dessins bleus.
La présence de Frédéric ne le dérangea pas. Il se tourna vers lui
plusieurs fois, en l'interpellant par des clins d'œil ; ensuite il offrit des
cigares à tous ceux qui l'entouraient. Mais ennuyé de cette
compagnie, sans doute. il alla se mettre plus loin. Frédéric le
suivit.
La conversation roula d'abord sur les différentes espèces de tabacs, puis,
tout naturellement sur les femmes. Le monsieur en bottes rouges
donna des conseils au jeune homme. il exposait des théories, narrait
des anecdotes, se citait lui-même en exemple, débitant tout cela
d'un ton paterne avec une ingénuité de corruption divertissante.
Il était républicain. Il avait voyagé, il connaissait l'intérieur
des théâtres, des restaurants, des journaux, & tous les artistes célèbres,
qu'il appelait familièrement par leurs prénoms. Frédéric lui
confia bientôt ses projets. Il les encouragea.
Mais il s'interrompit pr observer le tuyau de la cheminée,
puis il marmotta vite un long calcul, afin de savoir « combien
chaque coup de piston à tant de fois par minute devait etc. ».
& la somme trouvée, il admira beaucoup le paysage. Il se
disait heureux d'être échappé aux affaires.
Frédéric éprouvait un certain respect pour lui. En regardant
cet homme, une foule de pensées, d'images rapides l'assiégeait.
Il ne résista pas à l'envie de savoir son nom, & l'inconnu
répondit tout d'une haleine :
— « Jacques Arnoux, propriétaire de l'Art industriel, boulevard
Montmartre. »
un domestique ayant un galon d'or à la casquette vint lui dire
— « Si Monsieur voulait descendre ? Mademoiselle pleure ! Alors il
disparut. |