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Gustave Flaubert — L'Éducation sentimentale [1869]

Portrait de l'enfant mort

Références picturales
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GUSTAVE FLAUBERT À EDMOND ET JULES DE GONCOURT

[Croisset, 13 mars 1869.]
Croisset. Samedi soir.

Mes chers Bons
1° Connaissez-vous qq part une théorie quelconque sur les portraits d'enfant.
2° Quels sont les plus beaux portraits d'enfants ? Ma situation est celle-ci : un esthétiqueur qui fait le portrait d'un enfant mort & se livre, devant la mère, à un débagoulage artistique indélicat, – le tout pr briller. Si vous ne connaissez rien, envoyez-moi le fruit de vos observations personnelles. J'aurais besoin de quatre à cinq lignes substantielles –
& je ne saurais, chers Messieurs, m'adresser mieux qu'à vous. Merci [...]

Gve Flaubert

 

JULES DE GONCOURT À GUSTAVE FLAUBERT

[Paris, 16 mars 1869.]
Mardi 16 mars

Mon cher vieux

Je n'avais pas compris dans votre dernière Et ma peinture ? Vous aviez cru nous en avoir déjà parlé, mais non.
1° Nous ne connaissons nulle théorie spéciale sur les portraits d'enfants ; et ne croyons pas qu'il en existe.
2° Les plus beaux portraits d'enfants, ce sont les portraits d'enfants de Reynolds, desquels on peut dire qu'il a su y rendre la chair lactée de l'enfance, il y a encore les portraits de Greuze où il y a l'humidité du regard enfantin ; il y a de plus les enfants de Van Dick (sic), à la main de ses portraits d'hommes et de femmes, les enfants, infants et infantes de Velasquez, les bambini de Raphaël, les petits Saint-Jean du Corrège, les enfants ensoleillés de Rubens, Salon carré, la famille de Rubens dans sa chapelle à Bruxelles. Et puis voilà. Du reste, votre question est d'une complexité terrible. Il en faudrait causer. Maintenant, la petite tartine artistique de votre débagouleur peut se faire, mais il serait nécessaire que vous nous donniez un la plus détaillé. Je crois que pour tout cela, il vaut mieux l'inter pocula, ou dans la fumée de nos trois cigares, puisque nous vous reposséderons à la fin du mois.
Santé un peu meilleure. On retravaille à des choses douces.

Bien à vous.
Cordialement.

J. de Goncourt

GUSTAVE FLAUBERT, L'Éducation sentimentale (III, 4)

    Il envoya la femme de chambre chercher sa boîte ; puis, ayant une chaise sous les pieds et une autre près de lui, il commença à jeter de grands traits, aussi calme que s’il eût travaillé d’après la bosse. Il vantait les petits Saint-Jean de Corrège, l’infante Rose de Velasquez, les chairs lactées de Reynolds, la distinction de Lawrence, et surtout l’enfant aux longs cheveux qui est sur les genoux de lady Gower.
    — D’ailleurs, peut-on trouver rien de plus charmant que ces crapauds-là ! Le type du sublime (Raphaël l’a prouvé par ses madones), c’est peut-être une mère avec son enfant !

 [Dans ses brouillons, Flaubert cite aussi Gainsborough (609_148v)
et Boucher (609_92v,108v et 148v).]

 

Danielle Girard et Philippe Lavergne