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SURRÉALISME ET HERMÉTISME
En se prononçant pour "le merveilleux contre le mystère" (La Clé des champs), André Breton a dressé une barrière entre l'hermétisme et le surréalisme. Préférant la vibration sensuelle de l'image au rébus rationaliste à quoi menaçait d'aboutir la poésie d'un Mallarmé, il n'a cessé d'être attentif aux résonances affectives de l'image et du mot dégagés de toute implication métaphysique. Pourtant le surréalisme a été profondément irrigué, fasciné et influencé par l'hermétisme (alchimie, kabbale, magie, tarot). André Breton a même fini par considérer l'activité surréaliste comme une forme d'alchimie mentale. 1. La distinction fondamentale Pour éviter la confusion, il faut d'abord définir ce qui sépare ces deux mouvements :
2. Le point de convergence : "l'occultation" du Surréalisme Si le surréalisme n'est pas l'hermétisme, il en a volé le feu. Les surréalistes ont vu dans l'hermétisme une "pensée analogique" capable de briser la logique rationaliste bourgeoise qu'ils détestaient. — L'Alchimie du Verbe Dès le Second Manifeste du Surréalisme (1930), André Breton utilise un langage purement hermétique pour définir l'ambition du mouvement. Il ne s'agit plus seulement d'écrire, mais de transformer le réel comme l'alchimiste transforme le plomb en or.
Breton écrit cette phrase célèbre qui résume l'ambition hermétique du surréalisme (la coincidentia oppositorum ou l'union des contraires) : — Les Figures clés Plusieurs artistes surréalistes étaient de véritables érudits en matière d'ésotérisme.
3. Pourquoi le Surréalisme reste différent Malgré ces emprunts massifs, le surréalisme dévie de l'hermétisme traditionnel sur deux points majeurs : — L'absence de Dieu (au sens religieux) et de toute transcendance : l'hermétisme traditionnel cherche souvent à remonter vers l'Un, le Divin. Le surréalisme est farouchement athée et matérialiste au sens philosophique. Il cherche le "merveilleux" ici-bas, dans la vie quotidienne, et non dans un au-delà transcendant. A la recherche du point suprême, Breton précise qu'il s'agit d'un point de l'esprit. — Le recours à l'inconscient : là où l'hermétiste parle d'âme ou d'esprit universel, le surréaliste (influencé par Freud) parle de pulsions et d'inconscient. Le surréaliste utilise les symboles hermétiques comme des métaphores de la psyché humaine, pas nécessairement comme des vérités métaphysiques littérales. Le surréalisme ne peut donc être confondu avec l'hermétisme, mais il en est le « continuateur laïque ». Il a récupéré les outils de la haute magie et de l'alchimie pour les appliquer à la poésie et à la peinture, dans le but de changer la vie. Mais longtemps ses objectifs ont été politiques, jusqu'à partager fugacement les luttes du Parti communiste. Breton seul se rapproche à la fin de sa vie de l'alchimie et de l'astrologie (il suit les conférences de René Alleau), et réclame l'occultation du surréalisme, entretenant cette ambiguïté qui fait toute la richese du mouvement.
4. Exemple : Analysons « La Toilette de la mariée » (aussi appelé L'Habillement de l'épousée), toile de Max Ernst réalisée en 1940, pour voir comment une scène apparemment onirique est en réalité structurée comme un traité d'alchimie. — Le tableau : une scène de rituel.
Si vous observez l'œuvre, vous voyez une figure centrale féminine majestueuse, vêtue d'un immense manteau rouge, au visage caché par une tête de chouette ou de rapace. À côté d'elle, une figure verte, nue, tient une lance. Voici le décodage hermétique des éléments clés : ◍ La Mariée et le Manteau Rouge (La Rubedo). Dans l'alchimie, le but ultime est la transformation de la matière (ou de l'esprit) en or philosophal. Ce processus comporte trois phases principales par couleurs : Le manteau de la mariée n'est pas simplement un vêtement, c'est une chape de plumes rouge sang. Elle incarne la Rubedo. Elle est la « Reine Rouge » des alchimistes, le stade ultime de la connaissance et de la puissance. Son apparence monstrueuse (tête d'oiseau) indique qu'elle n'est plus tout à fait humaine : elle est devenue une entité spirituelle supérieure. ◍ L'Oiseau (Le Volatil) Pourquoi une tête d'oiseau ? En hermétisme, l'oiseau symbolise le « volatil », c'est-à-dire l'esprit qui se libère de la matière lourde. Ici, Max Ernst inverse la logique : le corps est humain (terrestre), mais la tête est animale (instinctive/spirituelle). Cela suggère que la « connaissance » (la tête) ne vient pas de la raison humaine, mais d'une vision autre, sauvage et occulte. ◍ La confrontation Rouge / Vert (Le Lion Vert) À droite de la mariée se tient une figure verte, ressemblant aussi à un oiseau. ◍ La Lance brisée (La Coniunctio) La lance tenue par la figure verte pointe vers le sexe de la mariée (bien que caché). C’est une allusion claire aux « Noces Chymiques » (Chymische Hochzeit), le concept central de l'hermétisme qui symbolise l'union des contraires (le Roi et la Reine, le Soleil et la Lune, le Soufre et le Mercure). Cependant, la lance semble étrange, peut-être brisée ou inversée. Max Ernst, fidèle au surréalisme, suggère une union angoissante, imparfaite ou violente. L'harmonie parfaite des anciens alchimistes est ici troublée par l'angoisse moderne (le tableau date de 1940, en pleine guerre). ◍ La créature grotesque en bas (La Matière vile) Au pied de la mariée, une petite créature difforme à quatre seins tient le bas du manteau. Elle représente la matière primitive, non raffinée, ou les bas instincts que l'initié doit maîtriser mais ne pas rejeter, car ils sont la base du travail.
☞Ce que le tableau nous dit : Max Ernst n'a pas peint une simple scène de mariage. Il a peint une initiation :
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