I- Nuit perdue

L'apparition : L'affirmation initiale d'une distance essentielle à l'égard de la médiocrité du réel ("Peu m'importait", "je n'avais pas encore songé à m'informer") évite de parler de naïveté ou d'aveuglement dans la quête nervalienne : celle-ci est est avant tout volonté de ne pas s'attarder aux misérables figures de la réalité et sublimation têtue de la matière ("la vraie vie est ailleurs"). D'emblée, "l'épanchement du songe dans la vie réelle" trouve sa forme : un vocabulaire ("apparition, belle comme le jour/pâle comme la nuit"); des comparaisons et des métaphores délibérément situées dans l'ordre mythologique ("Heures divines, princesse d'Élide ou de Trébizonde"); une évocation d'un passé suranné ("médaillons charmants, billets jaunis, faveurs fanées"). Tout cela enlève au réel sa matérialité et baigne le récit d'une atmosphère onirique.

L'époque : Le "je" cède la place au "nous". Le narrateur évoque une génération idéaliste qui entretient à l'égard de la société une distance méprisante ("l'avide curée"). Le ton se nuance d'ironie rétrospective à l'égard du désarroi existentiel de ces jeunes gens ("mélange, aspirations, enthousiasmes vagues"). Mais le problème est nettement situé dans un conflit métaphysique qui se résout dans la fuite : "points élevés", "air pur des solitudes", "oubli", "ivres", "n'en pas approcher". C'est sur la femme que se place naturellement ce culte idéal ("reine ou déesse", première apparition d'Isis). Cet idéalisme platonique se double d'ailleurs d'un certain cynisme (allusion au cercle de Valois : "Buvons, aimons, c'est la sagesse"; "pour laquelle viens-tu ?"). Comme précédemment, le recours incessant à l'image dématérialise l'univers quotidien : "coupe d'or des légendes", "nos rêves renouvelés d'Alexandrie", "si les Huns, les Turcomans ou les Cosaques n'arrivaient pas".

 FERMER