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L'Éducation sentimentale
Le caractère d'Arnoux
Sa familiarité avec les gens simples et les inconnus – Sa vulgarité
Sa générosité : il est aimé de tous malgré ses défauts
Son goût des fêtes – Ses dépenses excessives et ses achats inconsidérés
 
     
Extraits de l’œuvre Édition Chapitre
Il s’avança jusqu’au bout, du côté de la cloche ; et, dans un cercle de passagers et de matelots, il vit un monsieur qui contait des galanteries à une paysanne, tout en lui maniant la croix d’or qu’elle portait sur la poitrine. 38 I, 1
La présence de Frédéric ne le dérangea pas. Il se tourna vers lui plusieurs fois, en l’interpellant par des clins d’œil ; ensuite il offrit des cigares à tous ceux qui l’entouraient. Mais, ennuyé de cette compagnie, sans doute, il alla se mettre plus loin. 38 I, 1
Frédéric le suivit.
La conversation roula d’abord sur les différentes espèces de tabacs, puis, tout naturellement, sur les femmes. Le monsieur en bottes rouges donna des conseils au jeune homme ; il exposait des théories, narrait des anecdotes, se citait lui-même en exemple, débitant tout cela d’un ton paterne, avec une ingénuité de corruption divertissante.
38-39 I, 1
 Mlle Marthe courut vers lui, et, cramponnée à son cou, elle tirait ses moustaches. Les sons d’une harpe retentirent, elle voulut voir la musique ; et bientôt le joueur d’instrument, amené par la négresse, entra dans les Premières. Arnoux le reconnut pour un ancien modèle ; il le tutoya, ce qui surprit les assistants. Enfin le harpiste rejeta ses longs cheveux derrière ses épaules, étendit les bras et se mit à jouer. 41 I, 1
À droite, près d’un cartonnier, un homme dans un fauteuil lisait le journal, en gardant son chapeau sur sa tête ; les murailles disparaissaient sous des estampes et des tableaux, gravures précieuses ou esquisses de maîtres contemporains, ornées de dédicaces, qui témoignaient pour Jacques Arnoux de l’affection la plus sincère. 68 I, 4
    — Cela va toujours bien ? fit-il en se tournant vers Frédéric.
    Et, sans attendre sa réponse, il demanda bas à Hussonnet :
    — Comment l’appelez-vous, votre ami ?
    Puis tout haut :
    — Prenez donc un cigare, sur le cartonnier, dans la boîte.
69 I, 4
Mais pourquoi ne parlait-il jamais de Mme Arnoux ? Quant à son mari, tantôt il l’appelait un bon garçon, d’autres fois un charlatan. Frédéric attendait ses confidences. 72 I, 4
À ceux qui se plaignaient d’être exploités, il répondait par une tape sur le ventre. Excellent d’ailleurs, il prodiguait les cigares, tutoyait les inconnus, s’enthousiasmait pour une œuvre ou pour un homme, et, s’obstinant alors, ne regardant à rien, multipliait les courses, les correspondances, les réclames. Il se croyait fort honnête, et, dans son besoin d’expansion, racontait naïvement ses indélicatesses. 74-75 I, 4
Frédéric s’était convaincu lui-même, en défendant Arnoux. Dans l’échauffement de son éloquence, il fut pris de tendresse pour cet homme intelligent et bon, que ses amis calomniaient et qui maintenant travaillait tout seul, abandonné. Il ne résista pas au singulier besoin de le revoir immédiatement. 77 I, 4
Il maniait les spécimens étalés, en discutait la forme, la couleur, la bordure ; et Frédéric se sentait de plus en plus irrité par son air de méditation, et surtout par ses mains qui se promenaient sur les affiches, de grosses mains, un peu molles, à ongles plats. Enfin Arnoux se leva, et, en disant : « C’est fait ! » il lui passa la main sous le menton, familièrement. Cette privauté déplut à Frédéric, il se recula ; puis il franchit le seuil du bureau, pour la dernière fois de son existence, croyait-il. Mme Arnoux, elle-même, se trouvait comme diminuée par la vulgarité de son mari. 77 I, 4
Les autres, qui cherchaient leur ami, entrèrent dans la salle de verdure. Hussonnet les présenta. Arnoux fit une distribution de cigares et régala de sorbets la compagnie. 106 I, 5
    Il arriva dès deux heures au bureau du journal. Au lieu de l’attendre pour le mener dans sa voiture, Arnoux était parti la veille, ne résistant plus à son besoin de grand air.
    Chaque année, aux premières feuilles, durant plusieurs jours de suite, il décampait le matin, faisait de longues courses à travers champs, buvait du lait dans les fermes, batifolait avec les villageoises, s’informait des récoltes, et rapportait des pieds de salade dans son mouchoir. Enfin, réalisant un vieux rêve, il s’était acheté une maison de campagne.
112 I, 5
   La maison, cent pas plus loin que le pont, se trouvait à mi-hauteur de la colline. Les murs du jardin étaient cachés par deux rangs de tilleuls, et une large pelouse descendait jusqu’au bord de la rivière. La porte de la grille étant ouverte, Frédéric entra.
    Arnoux, étendu sur l’herbe, jouait avec une portée de petits chats. Cette distraction paraissait l’absorber infiniment.
113 I, 5
    Le marchand ajouta, d’un air simple :
    — Comment l’appelez-vous donc, ce grand jeune homme, votre ami ?
    — Deslauriers, dit vivement Frédéric.
    Et, pour réparer les torts qu’ils se sentait à son endroit, il le vanta comme une intelligence supérieure.
    — Ah ! vraiment ? Mais il n’a pas l’air si brave garçon que l’autre, le commis de roulage.
    Frédéric maudit Dussardier. Elle allait croire qu’il frayait avec les gens du commun.
114-115 I, 5
   Arnoux revint, suivi par une vieille chaloupe, où, malgré les représentations les plus sages, il empila ses convives. Elle sombrait ; il fallut débarquer. 115 I, 5
Hussonnet en oublia de prendre un verre de punch.
    C’était Arnoux qui l’avait fabriqué ; et, suivi par le groom du comte portant un plateau vide, il l’offrait aux personnes avec satisfaction.
152 II, 1
   Et elle pria Frédéric d’aller voir dans la cuisine si M. Arnoux n’y était pas.
    Un bataillon de verres à moitié pleins couvrait le plancher ; et les casseroles, les marmites, la turbotière, la poêle à frire sautaient. Arnoux commandait aux domestiques en les tutoyant, battait la rémolade, goûtait les sauces, rigolait avec la bonne.
    — Bien, dit-il, avertissez-la ! je fais servir.
153 II, 1
— Vive la Maréchale ! vive la Maréchale !
    Alors, elle prit sur le poêle une bouteille de vin de Champagne, et elle le versa de haut, dans les coupes qu’on lui tendait. Comme la table était trop large, les convives, les femmes surtout, se portèrent de son côté, en se dressant sur la pointe des pieds, sur les barreaux des chaises, ce qui forma pendant une minute un groupe pyramidal de coiffures, d’épaules nues, de bras tendus, de corps penchés ; et de longs jets de vin rayonnaient dans tout cela, car le Pierrot et Arnoux, aux deux angles de la salle, lâchant chacun une bouteille, éclaboussaient les visages. 
156 II, 1
Cette confusion était provoquée par des similitudes entre les deux logements. Un des bahuts que l’on voyait autrefois boulevard Montmartre ornait à présent la salle à manger de Rosanette, l’autre, le salon de Mme Arnoux. Dans les deux maisons, les services de table étaient pareils, et l’on retrouvait jusqu’à la même calotte de velours traînant sur les bergères ; puis une foule de petits cadeaux, des écrans, des boîtes, des éventails allaient et venaient de chez la maîtresse chez l’épouse, car, sans la moindre gêne, Arnoux, souvent, reprenait à l’une ce qu’il lui avait donné, pour l’offrir à l’autre.
    La Maréchale riait avec Frédéric de ses mauvaises façons. Un dimanche, après dîner, elle l’emmena derrière la porte, et lui fit voir dans son paletot un sac de gâteaux, qu’il venait d’escamoter sur la table, afin d’en régaler, sans doute, sa petite famille.
174-175 II, 2
Il n’allait jamais au spectacle en payant, avec un billet de secondes prétendait toujours se pousser aux premières, et racontait comme une farce excellente qu’il avait coutume, aux bains froids, de mettre dans le tronc du garçon un bouton de culotte pour une pièce de dix sous ; ce qui n’empêchait point la Maréchale de l’aimer. 175 II, 2
  Il était bon cependant, sa femme elle-même le disait. Mais si fou ! 175 II, 2
Au lieu d’amener tous les jours du monde à dîner chez lui, à présent il traitait ses connaissances chez le restaurateur. Il achetait des choses complètement inutiles, telles que des chaînes d’or, des pendules, des articles de ménage. Mme Arnoux montra même à Frédéric, dans le couloir, une énorme provision de bouillottes, chaufferettes et samovars.  175 II, 2
   — Oui, voilà le cas que j’en fais maintenant ! Et Arnoux, hein ? N’est-ce pas abominable ? Il lui a tant de fois pardonné ! On n’imagine pas ses sacrifices ! Elle devrait baiser ses pieds ! Il est si généreux, si bon ! 193 II, 2
  Frédéric s’inclina, avec un sourire d’obéissance. Arnoux néanmoins possédait certaines qualités ; il aimait ses enfants.
    — Ah ! et il fait tout pour les ruiner !
    Cela venait de son humeur trop facile ; car, enfin, c’était un bon garçon.
    Elle s’écria :
    — Mais qu’est-ce que cela veut dire, un bon garçon !
196 II, 2
Il s’en allait enfin ; et elle abordait immédiatement l’éternel sujet de plainte : Arnoux.
    Ce n’était pas son inconduite qui l’indignait. Mais elle paraissait souffrir dans son orgueil, et laissait voir sa répugnance pour cet homme sans délicatesse, sans dignité, sans honneur.
    — Ou plutôt il est fou ! disait-elle.
198 II, 3
D’autres spéculations, à présent, le tentaient ; et, se vulgarisant de plus en plus, il prenait des habitudes grossières et dispendieuses.  199 II, 3
Jusqu’à présent, on lui avait passé beaucoup de choses, grâce à son caractère bonhomme. Son procès le classa parmi les gens tarés. Une solitude se fit autour de sa maison. 202 II, 3
Il descendit la rue de Bréda comme une pierre qui déroule, furieux contre Arnoux, se faisant le serment de ne jamais plus le revoir, ni elle non plus, navré, désolé. Au lieu de la rupture qu’il attendait, voilà que l’autre, au contraire, se mettait à la chérir et complètement, depuis le bout des cheveux jusqu’au fond de l’âme. La vulgarité de cet homme exaspérait Frédéric. Tout lui appartenait donc, à celui-là ! 212 II, 3
   L’humeur de sa fille l’avait forcée de la mettre au couvent. Son gamin passait l’après-midi dans une école, Arnoux faisait de longs déjeuners au Palais-Royal, avec Regimbart et l’ami Compain. Aucun fâcheux ne pouvait les surprendre. 295 II, 6
Sûre de ne pas faillir, elle s’abandonnait à un sentiment qui lui semblait un droit conquis par ses chagrins. Cela était si bon, du reste, et si nouveau ! Quel abîme entre la grossièreté d’Arnoux et les adorations de Frédéric ! 296 II, 6
 Frédéric profita de cette ouverture.
    — Oui, certainement ! Sa bonne me l’a dit, du moins, voulant faire entendre qu’on ne l’avait pas reçu.
    Puis ils restèrent face à face, irrésolus l’un et l’autre, et s’observant. C’était à qui des deux ne s’en irait pas.
    Arnoux, encore une fois, trancha la question.
    — Ah ! bah ! je reviendrai plus tard ! Où vouliez-vous aller ? Je vous accompagne !
    Et, quand ils furent dans la rue, il causa aussi naturellement que d’habitude. Sans doute, il n’avait point le caractère jaloux, ou bien il était trop bonhomme pour se fâcher.
335 III, 1
    Hussonnet, toujours de service avec lui, profitait, plus que personne, de sa gourde et de ses cigares ; 335 III, 1
   — Mille grâces ! je n’ai pas faim ! je ne demande que mon lit !
    — Raison de plus pour déjeuner ensemble, tantôt ! Quel mollasse vous êtes ! On ne rentre pas chez soi maintenant ! Il est trop tard ! Ce serait dangereux !
    Frédéric, encore une fois, céda. Arnoux, qu’on ne s’attendait pas à voir, fut choyé de ses frères d’armes, principalement de l’épurateur. Tous l’aimaient ; et il était si bon garçon, qu’il regretta la présence d’Hussonnet. 
337 III, 1
  Il lui demanda, seulement, comment elle avait fait la connaissance d’Arnoux.
    — Par la Vatnaz.
    — N’était-ce pas toi que j’ai vue, une fois, au Palais-Royal, avec eux deux ?
    Il cita la date précise. Rosanette fit un effort.
    — Oui, c’est vrai !… Je n’étais pas gaie dans ce temps-là !
    Mais Arnoux s’était montré excellent. Frédéric n’en doutait pas ; cependant, leur ami était un drôle d’homme, plein de défauts ; il eut soin de les rappeler. Elle en convenait.
    — N’importe !… On l’aime tout de même, ce chameau-là !
351 III, 1
M. et Mme Arnoux quittèrent le père Roque et sa fille, à l’entrée de la rue Saint-Denis. Ils s’en retournèrent sans rien dire ; lui, n’en pouvant plus d’avoir bavardé, et elle, éprouvant une grande lassitude ; elle s’appuyait même sur son épaule. C’était le seul homme qui eût montré pendant la soirée des sentiments honnêtes. Elle se sentit pour lui pleine d’indulgence.  371 III, 3
— Comment va ce bon Arnoux ?
    — Parfaitement ! Il est sorti.
    — Ah ! je comprends ! toujours ses vieilles habitudes du soir ; un peu de distraction !
    — Pourquoi pas ? Après une journée de calculs, la tête a besoin de se reposer !
    Elle vanta même son mari, comme travailleur. 
377 III,3
     

Danielle Girard