Accueil Extraits Analyses Texte intégral
L'Éducation sentimentale
L'âge des personnages
     
Extraits de l’œuvre Édition Chapitre
    Un jeune homme de dix-huit ans, à longs cheveux et qui tenait un album sous son bras, restait auprès du gouvernail, immobile. À travers le brouillard, il contemplait des clochers, des édifices dont il ne savait pas les noms ; puis il embrassa, dans un dernier coup d’œil, l’île Saint-Louis, la Cité, Notre-Dame ; et bientôt, Paris disparaissant, il poussa un grand soupir.
    M. Frédéric Moreau, nouvellement reçu bachelier, s’en retournait à Nogent-sur-Seine, où il devait languir pendant deux mois, avant d’aller faire son droit.
37 I, 1
 C’était un gaillard d’une quarantaine d’années, à cheveux crépus. Sa taille robuste emplissait une jaquette de velours noir, deux émeraudes brillaient à sa chemise de batiste, et son large pantalon blanc tombait sur d’étranges bottes rouges, en cuir de Russie, rehaussées de dessins bleus. 38 I, 1
   Une négresse, coiffée d’un foulard, se présenta, en tenant par la main une petite fille, déjà grande. L’enfant, dont les yeux roulaient des larmes, venait de s’éveiller. Elle la prit sur ses genoux : « Mademoiselle n’était pas sage, quoiqu’elle eût sept ans bientôt ; sa mère ne l’aimerait plus ; on lui pardonnait trop ses caprices. »  41 I, 1
    En 1833, d’après l’invitation de M. le président, le Capitaine vendit son étude. Sa femme mourut d’un cancer. Il alla vivre à Dijon ; ensuite il s’établit marchand d’hommes à Troyes ; et, ayant obtenu pour Charles une demi-bourse, le mit au collège de Sens, où Frédéric le reconnut. Mais l’un avait 12 ans, l’autre 15 ; d’ailleurs, mille différences de caractère et d’origine les séparaient. 47 I, 2
    Un soir, au théâtre du Palais-Royal, il aperçut, dans une loge d’avant-scène, Arnoux près d’une femme. Était-ce elle ? L’écran de taffetas vert, tiré au bord de la loge, masquait son visage. Enfin la toile se leva ; l’écran s’abattit. C’était une longue personne, de trente ans environ, fanée, et dont les grosses lèvres découvraient, en riant, des dents splendides.  60 I, 3
    Frédéric se trouvait auprès d’un jeune homme blond, à figure avenante, et portant moustache et barbiche comme un raffiné du temps de Louis XIII. 62 I, 4
Ainsi tourmenté par des convoitises de gloire et perdant ses jours en discussions, croyant à mille niaiseries, aux systèmes, aux critiques, à l’importance d’un règlement ou d’une réforme en matière d’art, il n’avait, à cinquante ans, encore produit que des ébauches. Son orgueil robuste l’empêchait de subir aucun découragement, mais il était toujours irrité et dans cette exaltation à la fois factice et naturelle qui constitue les comédiens. 72 I, 4
 Hussonnet, un soir, introduisit un grand jeune homme habillé d’une redingote trop courte des poignets, et la contenance embarrassée. C’était le garçon qu’ils avaient réclamé au poste, l’année dernière. 90 I, 5
Sombaz, loustic de la vieille école, s’amusait à blaguer son époux ; il l’appelait Odry, comme l’acteur, déclara qu’il devait descendre d’Oudry, le peintre des chiens, car la bosse des animaux était visible sur son front. Il voulut même lui tâter le crâne, l’autre s’en défendait à cause de sa perruque ; et le dessert finit avec des éclats de rire. 115 I, 5
Tous étaient heureux ; Cisy ne finirait pas son droit ; Martinon allait continuer son stage en province, où il serait nommé substitut ; 119 I, 5
    Il regagnait sa place, quand, au balcon, dans la première loge d’avant-scène, entrèrent une dame et un monsieur. Le mari avait un visage pâle, bordé d’un filet de barbe grise, la rosette d’officier, et cet aspect glacial qu’on attribue aux diplomates.
    Sa femme, de vingt ans plus jeune pour le moins, ni grande ni petite, ni laide ni jolie, portait ses cheveux blonds tirebouchonnés à l’anglaise, une robe à corsage plat, et un large éventail de dentelle noire.
120 I, 5
    Jusqu’à cinquante ans, il s’était contenté des services de Catherine, une Lorraine du même âge que lui, et fortement marquée de petite vérole. Mais, vers 1834, il ramena de Paris une belle blonde, à figure moutonnière, à « port de reine ». On la vit bientôt se pavaner avec de grandes boucles d’oreilles, et tout fut expliqué par la naissance d’une fille, déclarée sous les noms d’Élisabeth-Olympe-Louise Roque. 126 I, 6
Mme Arnoux était assise près du feu. Arnoux fit un bond et l’embrassa. Elle avait sur ses genoux un petit garçon de trois ans, à peu près ; sa fille, grande comme elle maintenant, se tenait debout, de l’autre côté de la cheminée.
    — Permettez-moi de vous présenter ce monsieur-là, dit Arnoux, en prenant son fils par les aisselles.
    Et il s’amusa quelques minutes à le faire sauter en l’air, très haut, pour le recevoir au bout de ses bras.
    — Tu vas le tuer ! ah ! mon Dieu ! finis donc ! s’écriait Mme Arnoux.
139 II, 1
    Entre deux quadrilles, Rosanette se dirigea vers la cheminée, où était installé, dans un fauteuil, un petit vieillard replet, en habit marron, à boutons d’or. Malgré ses joues flétries qui tombaient sur sa haute cravate blanche, ses cheveux encore blonds, et frisés naturellement comme les poils d’un caniche, lui donnaient quelque chose de folâtre.
   Elle l’écouta, penchée vers son visage. Ensuite, elle lui accommoda un verre de sirop ; et rien n’était mignon comme ses mains sous leurs manches de dentelles qui dépassaient les parements de l’habit vert. Quand le bonhomme eut bu, il les baisa.
    — Mais c’est M. Oudry, le voisin d’Arnoux !
150 II, 1
Derrière son dos marchait un grand garçon, dans le costume classique du Dante, et qui était (elle ne s’en cachait plus, maintenant) l’ancien chanteur de l’Alhambra, lequel, s’appelant Auguste Delamare, s’était fait appeler primitivement Anténor Dellamarre, puis Delmas, puis Belmar, et enfin Delmar, modifiant ainsi et perfectionnant son nom, d’après sa gloire croissante ; car il avait quitté le bastringue pour le théâtre, et venait même de débuter bruyamment à l’Ambigu, dans Gaspardo le Pêcheur. 151 II, 1
   Mme Dambreuse les recevait tous avec grâce. Dès qu’on parlait d’un malade, elle fronçait les sourcils douloureusement, et prenait un air joyeux s’il était question de bals ou de soirées. Elle serait bientôt contrainte de s’en priver, car elle allait faire sortir de pension une nièce de son mari, une orpheline. On exalta son dévouement ; c’était se conduire en véritable mère de famille. 160 II, 2
   Et ils causaient de n’importe quoi, de choses qu’ils savaient parfaitement, de personnes qui ne les intéressaient pas, de mille niaiseries. Elle l’entretenait de sa femme de chambre et de son coiffeur. Un jour, elle s’oublia à dire son âge : vingt-neuf ans ; elle devenait vieille. 349 III, 1
— Il doit vingt mille francs à un orfèvre ! ajouta Cisy ; et même on prétend…
    Mme Dambreuse l’arrêta.
    — Ah ! que c’est vilain de s’échauffer pour la politique ! Un jeune homme, fi donc ! Occupez-vous plutôt de votre voisine !
364 III, 2
Les personnes qui se faisaient inscrire chez le concierge s’informaient d’elle avec admiration ; et les passants étaient saisis de respect devant la quantité de paille qu’il y avait dans la rue, sous les fenêtres.
    Le 12 février, à cinq heures, une hémoptysie effrayante se déclara. Le médecin de garde dit le danger. On courut vite chez un prêtre.
395 III, 4
Un commissionnaire l’attendait chez lui avec un mot au crayon, le prévenant que Rosanette allait accoucher. Il avait eu tant d’occupation depuis quelques jours, qu’il n’y pensait plus. Elle s’était mise dans un établissement spécial, à Chaillot. 405 III, 4
Deslauriers ne l’avait jamais vue, non plus que bien d’autres qui venaient chez Arnoux ; mais il se souvenait parfaitement de Regimbart.
    — Vit-il encore ?
    — À peine ! Tous les soirs, régulièrement, depuis la rue de Grammont jusqu’à la rue Montmartre, il se traîne devant les cafés, affaibli, courbé en deux, vidé, un spectre !
443 III, 7
     

Danielle Girard