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L'Éducation sentimentale
La place du hasard

Le hasard dans les relations entre les personnages – Les rôles du hasard
L’intervention du hasard à un moment décisif – Les coïncidences temporelles
Rencontres dans des lieux publics – Rencontres inopinées dans la rue

     
Le hasard dans les relations entre les personnages Édition Chapitre
   Tout en séparant le beefsteak, Hussonnet apprit à son compagnon qu’il travaillait dans des journaux de modes et fabriquait des réclames pour l’Art industriel.
    — Chez Jacques Arnoux, dit Frédéric.
    — Vous le connaissez ?
    — Oui ! non !… C’est-à-dire je l’ai vu, je l’ai rencontré.
67 I, 4
    Les autres, qui cherchaient leur ami, entrèrent dans la salle de verdure. Hussonnet les présenta. Arnoux fit une distribution de cigares et régala de sorbets la compagnie.
    Mlle Vatnaz avait rougi en apercevant Dussardier. Elle se leva bientôt, et, lui tendant la main :
    — Vous ne me remettez pas, monsieur Auguste ?
    — Comment la connaissez-vous ? demanda Frédéric.
    — Nous avons été dans la même maison ! reprit-il.
106 I, 5
Mme Arnoux, se croyant seule, s’amusait à chanter. Elle faisait des gammes, des trilles, des arpèges. Il y avait de longues notes qui semblaient se tenir suspendues ; d’autres tombaient précipitées, comme les gouttelettes d’une cascade ; et sa voix, passant par la jalousie, coupait le grand silence, et montait vers le ciel bleu.
    Elle cessa tout à coup, quand M. et Mme Oudry, deux voisins, se présentèrent.
113 I, 5
Le banquier, comme la première fois, était assis à son bureau, et d’un geste le pria d’attendre quelques minutes, car un monsieur tournant le dos à la porte, l’entretenait de matières graves. Il s’agissait de charbons de terre et d’une fusion à opérer entre diverses compagnies. 184-185 II, 2
Puis, comme il parlait de son bal et du costume d’Arnoux :
    — On prétend qu’il branle dans le manche ? dit Pellerin.
     Le marchand de tableaux venait d’avoir un procès pour ses terrains de Belleville, et il était actuellement dans une compagnie de kaolin bas-breton avec d’autres farceurs de son espèce.
    Dussardier en savait davantage ; car son patron à lui, M. Moussinot, ayant été aux informations sur Arnoux près du banquier Oscar Lefebvre, celui-ci avait répondu qu’il le jugeait peu solide, connaissant quelques-uns de ses renouvellements.
170-171 II, 2
   Mais, un mois plus tard, comme ils parlaient d’honneur et de loyauté, et qu’il vantait la sienne (d’une manière incidente, par précaution), elle lui dit :
    — C’est vrai, tu es honnête, tu n’y retournes plus.
    Frédéric, qui pensait à la Maréchale, balbutia :
    — Où donc ?
    — Chez Mme Arnoux.
    Il la supplia de lui avouer d’où elle tenait ce renseignement. C’était par sa couturière en second, Mme Regimbart.
408 III, 4
Les rôles du hasard    
    Deux mois plus tard, Frédéric, débarqué un matin rue Coq-Héron, songea immédiatement à faire sa grande visite.
    Le hasard l’avait servi. Le père Roque était venu lui apporter un rouleau de papiers, en le priant de les remettre lui-même chez M. Dambreuse ; et il accompagnait l’envoi d’un billet décacheté, où il présentait son jeune compatriote.
54 I, 3
 À chaque femme qui marchait devant lui, ou qui s’avançait à sa rencontre, il se disait : « La voilà ! » C’était chaque fois une déception nouvelle. L’idée de Mme Arnoux fortifiait ces convoitises. Il la trouverait peut-être sur son chemin ; et il imaginait, pour l’aborder, des complications du hasard, des périls extraordinaires dont il la sauverait. 60 I, 3
Quelque chose de plus fort qu’une chaîne de fer l’attachait à Paris, une voix intérieure lui criait de rester.
    Des obstacles s’y opposaient. Il les franchit en écrivant à sa mère ; il confessait d’abord son échec, occasionné par des changements faits dans le programme, un hasard, une injustice ;
96 I, 5
 Et une grande hésitation le prit.
    Pour savoir s’il irait chez Mme Arnoux, il jeta par trois fois dans l’air, des pièces de monnaie. Toutes les fois, le présage fut heureux. Donc, la fatalité l’ordonnait. Il se fit conduire en fiacre rue de Choiseul.
96 I, 5
Cependant, il songeait au bonheur de vivre avec elle, de la tutoyer, de lui passer la main sur les bandeaux longuement, ou de se tenir par terre, à genoux, les deux bras autour de sa taille, à boire son âme dans ses yeux ! Il aurait fallu, pour cela, subvertir la destinée ; et, incapable d’action, maudissant Dieu et s’accusant d’être lâche, il tournait dans son désir, comme un prisonnier dans son cachot. 102 I, 5
 Deslauriers se tut. Puis, tout à coup :
    — Veux-tu parier cent francs que je fais la première qui passe ?
    — Oui ! accepté !
    La première qui passa était une mendiante hideuse ; et ils désespéraient du hasard, lorsqu’au milieu de la rue de Rivoli, ils aperçurent une grande fille, portant à la main un petit carton.
108 I, 5
Il croyait aux courtisanes conseillant les diplomates, aux riches mariages obtenus par les intrigues, au génie des galériens, aux docilités du hasard sous la main des forts. 111 I, 5
Frédéric eut une inspiration : Sénécal pourrait l’avertir des absences du mari, porter des lettres, l’aider dans mille occasions qui se présenteraient. D’homme à homme, on se rend toujours ces services-là. D’ailleurs, il trouverait moyen de l’employer sans qu’il s’en doutât. Le hasard lui offrait un auxiliaire, c’était de bon augure, il fallait le saisir ; et, affectant de l’indifférence, il répondit que la chose peut-être était faisable et qu’il s’en occuperait. 176 I, 5
Le lendemain, il retourna chez elle, on le reçut ; et, afin de poursuivre ses avantages, immédiatement, sans préambule, Frédéric commença par se justifier de la rencontre au Champ de Mars. Le hasard seul l’avait fait se trouver avec cette femme. En admettant qu’elle fût jolie (ce qui n’était pas vrai), comment pourrait-elle arrêter sa pensée, même une minute, puisqu’il en aimait une autre !
    — Vous le savez bien, je vous l’ai dit.
    Mme Arnoux baissa la tête.
    — Je suis fâchée que vous me l’ayez dit.
293 II, 6
Leurs goûts, leurs jugements étaient les mêmes. Souvent celui des deux qui écoutait l’autre s’écriait :
    — Moi aussi !
    Et l’autre à son tour reprenait :
    — Moi aussi !
    Puis c’étaient d’interminables plaintes sur la Providence :
    — Pourquoi le ciel ne l’a-t-il pas voulu ! Si nous nous étions rencontrés !…
    — Ah ! si j’avais été plus jeune ! soupirait-elle.
    — Non ! moi, un peu plus vieux.
295 II, 6
Du nombre des pièces de monnaie prises au hasard dans sa main, de la physionomie des passants, de la couleur des chevaux, il tirait des présages ; et, quand l’augure était contraire, il s’efforçait de ne pas y croire. Dans ses accès de fureur contre Mme Arnoux, il l’injuriait à demi-voix. 303 II, 6
L’avocat dînait chez eux de temps à autre, et, quand il s’élevait de petites contestations, se déclarait toujours pour Rosanette, si bien qu’une fois Frédéric lui dit :
    — Eh ! couche avec elle si ça t’amuse ! tant il souhaitait un hasard qui l’en débarrassât.
411 III, 4
 Vers le commencement de cet hiver, Frédéric et Deslauriers causaient au coin du feu, réconciliés encore une fois, par la fatalité de leur nature qui les faisait toujours se rejoindre et s’aimer. 442 III, 4
Et ils résumèrent leur vie.
    Ils l’avaient manquée tous les deux, celui qui avait rêvé l’amour, celui qui avait rêvé le pouvoir. Quelle en était la raison ?
    — C’est peut-être le défaut de ligne droite, dit Frédéric.
    — Pour toi, cela se peut. Moi, au contraire, j’ai péché par excès de rectitude, sans tenir compte de mille choses secondaires, plus fortes que tout. J’avais trop de logique, et toi de sentiment.
    Puis, ils accusèrent le hasard, les circonstances, l’époque où ils étaient nés.
443-444 III, 7
L’intervention du hasard à un moment décisif    
Il prévoyait de grands désastres. Le peuple, encore une fois, pouvait envahir la Chambre, et, à ce propos, il raconta comment il serait mort le 15 mai, sans le dévouement d’un garde national.
    — Mais c’est votre ami, j’oubliais ! votre ami, le fabricant de faïences, Jacques Arnoux !
    Les gens de l’émeute l’étouffaient ; ce brave citoyen l’avait pris dans ses bras et déposé à l’écart. Aussi, depuis lors, une sorte de liaison s’était faite.
341 III, 1
D’autres prisonniers apparurent dans le soupirail, avec leurs barbes hérissées, leurs prunelles flamboyantes, tous se poussant et hurlant :
    — Du pain !
    Le père Roque fut indigné de voir son autorité méconnue. Pour leur faire peur, il les mit en joue ; et, porté jusqu’à la voûte par le flot qui l’étouffait, le jeune homme, la tête en arrière, cria encore une fois :
    — Du pain !
    — Tiens ! en voilà ! dit le père Roque, en lâchant son coup de fusil.
    Il y eut un énorme hurlement, puis, rien. Au bord du baquet, quelque chose de blanc était resté.
359 III, 1
— Ma vie est si triste.
    — Et la mienne !… S’il n’y avait que les chagrins, les inquiétudes, les humiliations, tout ce que j’endure comme épouse et comme mère, puisqu’on doit mourir, je ne me plaindrais pas ; ce qu’il y a d’affreux, c’est ma solitude, sans personne…
    — Mais je suis là, moi !
    — Oh ! oui !
    Un sanglot de tendresse l’avait soulevée. Ses bras s’écartèrent ; et ils s’étreignirent debout, dans un long baiser.
    Un craquement se fit sur le parquet. Une femme était près d’eux, Rosanette. Mme Arnoux l’avait reconnue ; ses yeux, ouverts démesurément, l’examinaient, tout pleins de surprise et d’indignation. Enfin, Rosanette lui dit :
    — Je viens parler à M. Arnoux, pour affaires.
378-379 III, 3
C’était comme des parties de son cœur qui s’en allaient avec ces choses ; et la monotonie des mêmes voix, des mêmes gestes l’engourdissait de fatigue, lui causait une torpeur funèbre, une dissolution.
    Un craquement de soie se fit à son oreille ; Rosanette le touchait.
    Elle avait eu connaissance de cette vente par Frédéric lui-même. Son chagrin passé, l’idée d’en tirer profit lui était venue. Elle arrivait pour la voir, en gilet de satin blanc à boutons de perles, avec une robe à falbalas, étroitement gantée, l’air vainqueur.
432 III, 5
« Elle est peut-être sortie ; si j’allais la rencontrer ! »
    La cloche de Saint-Laurent tintait ; et il y avait sur la place, devant l’église, un rassemblement de pauvres, avec une calèche, la seule du pays (celle qui servait pour les noces), quand, sous le portail, tout à coup, dans un flot de bourgeois en cravate blanche, deux nouveaux mariés parurent.
    Il se crut halluciné. Mais non ! C’était bien elle, Louise ! couverte d’un voile blanc qui tombait de ses cheveux rouges à ses talons ; et c’était bien lui, Deslauriers ! portant un habit bleu brodé d’argent, un costume de préfet. Pourquoi donc ?
    Frédéric se cacha dans l’angle d’une maison, pour laisser passer le cortège.
436 III, 5
Entre les charges de cavalerie, des escouades de sergents de ville survenaient, pour faire refluer le monde dans les rues.
    Mais, sur les marches de Tortoni, un homme, Dussardier, remarquable de loin à sa haute taille, restait sans plus bouger qu’une cariatide.
    Un des agents qui marchait en tête, le tricorne sur les yeux, le menaça de son épée.
    L’autre alors, s’avançant d’un pas, se mit à crier :
    — Vive la République !
    Il tomba sur le dos, les bras en croix.
    Un hurlement d’horreur s’éleva de la foule. L’agent fit un cercle autour de lui avec son regard ; et Frédéric, béant, reconnut Sénécal.
436 III, 5
Les coïncidences temporelles    
Afin de mieux loger son ami, il acheta une couchette de fer, un second fauteuil, dédoubla sa literie ; et, le jeudi matin, il s’habillait pour aller au-devant de Deslauriers quand un coup de sonnette retentit à sa porte. Arnoux entra.
    « Un mot, seulement ! Hier, on m’a envoyé de Genève une belle truite ; nous comptons sur vous, tantôt, à sept heures juste… C’est rue de Choiseul, 24 bis. N’oubliez pas !
    Frédéric fut obligé de s’asseoir. Ses genoux chancelaient. Il se répétait : « Enfin ! enfin ! » Puis il écrivit à son tailleur, à son chapelier, à son bottier ; et il fit porter ces trois billets par trois commissionnaires différents. La clef tourna dans la serrure et le concierge parut, avec une malle sur l’épaule.
77-78 I, 4
— Voici la chose : C’est samedi prochain, 24, la fête de Mme Arnoux.
    — Comment, puisqu’elle s’appelle Marie ?
    — Angèle aussi, n’importe ! On festoiera dans leur maison de campagne, à Saint-Cloud ; je suis chargé de vous en prévenir. Vous trouverez un véhicule à trois heures, au journal ! Ainsi convenu ! Pardon de vous avoir dérangé. Mais j’ai tant de courses !
    Frédéric n’avait pas tourné les talons que son portier lui remit une lettre :
    « Monsieur et Madame Dambreuse prient Monsieur F. Moreau de leur faire l’honneur de venir dîner chez eux samedi 24 courant. — R. S. V. P. »
    — Trop tard, pensa-t-il.
111 I, 5
Le hasard le servit, car il reçut, dans la soirée, un billet bordé de noir, et où Mme Dambreuse, lui annonçant la perte d’un oncle, s’excusait de remettre à plus tard le plaisir de faire sa connaissance. 112 I, 5
Le lendemain à son réveil, il reçut par la poste un bon de quinze mille francs sur la Banque.
Ce chiffon de papier lui représenta quinze gros sacs d’argent ; et il se dit qu’avec une somme pareille, il pourrait : d’abord garder sa voiture pendant trois ans, au lieu de la vendre comme il y serait forcé prochainement, ou s’acheter deux belles armures damasquinées qu’il avait vues sur le quai Voltaire, puis quantité de choses encore, des peintures, des livres et combien de bouquets de fleurs, de cadeaux pour Mme Arnoux ! Tout, enfin, aurait mieux valu que de risquer, que de perdre tant d’argent dans ce journal ! Deslauriers lui semblait présomptueux, son insensibilité de la veille le refroidissant à son endroit, et Frédéric s’abandonnait à ces regrets quand il fut tout surpris de voir entrer Arnoux, lequel s’assit sur le bord de sa couche, pesamment, comme un homme accablé.
    — Qu’y a-t-il donc ?
    — Je suis perdu !
208 II, 3
 Il côtoya la longue étagère, chargée de faïences, qui occupait d’un bout à l’autre le milieu de l’appartement ; puis, arrivé au fond, devant le comptoir, il marcha plus fort pour se faire entendre.
    La portière se relevant, Mme Arnoux parut.
    — Comment, vous ici ! vous !
    — Oui, balbutia-t-elle, un peu troublée. Je cherchais…
    Il aperçut son mouchoir près du pupitre, et devina qu’elle était descendue chez son mari pour se rendre compte, éclaircir sans doute une inquiétude.
291 II, 6
Et, le lendemain, dès onze heures, Frédéric était sorti. Il voulait donner un dernier coup d’œil aux préparatifs ; puis, qui sait, elle pouvait, par un hasard quelconque, être en avance ? En débouchant de la rue Tronchet, il entendit derrière la Madeleine une grande clameur ; il s’avança ; et il aperçut au fond de la place, à gauche, des gens en blouse et des bourgeois.
    En effet, un manifeste publié dans les journaux avait convoqué à cet endroit tous les souscripteurs du banquet réformiste. Le Ministère, presque immédiatement, avait affiché une proclamation l’interdisant.
300 II, 6
À huit heures, le tambour de la garde nationale vint prévenir M. Arnoux que ses camarades l’attendaient. Il s’habilla vivement et s’en alla, en promettant de passer tout de suite chez leur médecin, M. Colot. À dix heures, M. Colot n’étant pas venu, Mme Arnoux expédia sa femme de chambre. Le docteur était en voyage, à la campagne, et le jeune homme qui le remplaçait faisait des courses.
    Eugène tenait sa tête de côté, sur le traversin, en fronçant toujours ses sourcils, en dilatant ses narines ; sa pauvre petite figure devenait plus blême que ses draps ; et il s’échappait de son larynx un sifflement produit par chaque inspiration, de plus en plus courte, sèche, et comme métallique. 
303 II, 6
Rencontres dans des lieux publics    
Au bal de l’Alhambra : Frédéric, Deslauriers, Hussonnet, Dussardier et Cisy / Arnoux et la Vatnaz / Martinon.    
 Frédéric n’invita pas le Citoyen. Deslauriers se priva de Sénécal. Ils emmenèrent seulement Hussonnet et Cisy avec Dussardier ; et le même fiacre les descendit tous les cinq à la porte de l’Alhambra. 103 I, 5
Mais Frédéric n’était plus là.
    Il avait cru reconnaître la voix d’Arnoux, avait aperçu un chapeau de femme, et il s’était enfoncé bien vite dans le bosquet à côté.
    Mlle Vatnaz se trouvait seule avec Arnoux.
    — Excusez-moi ! je vous dérange ?
    — Pas le moins du monde ! reprit le marchand.
    Frédéric, aux derniers mots de leur conversation, comprit qu’il était accouru à l’Alhambra pour entretenir Mlle Vatnaz d’une affaire urgente ;
105 I, 5
   Les autres, qui cherchaient leur ami, entrèrent dans la salle de verdure. Hussonnet les présenta. Arnoux fit une distribution de cigares et régala de sorbets la compagnie. 106 I, 5
    Mlle Vatnaz avait rougi en apercevant Dussardier. Elle se leva bientôt, et, lui tendant la main :
    — Vous ne me remettez pas, monsieur Auguste ?
    — Comment la connaissez-vous ? demanda Frédéric.
    — Nous avons été dans la même maison ! reprit-il.
  I, 5
 Frédéric et Deslauriers marchaient au milieu de la foule pas à pas, quand un spectacle les arrêta : Martinon se faisait rendre de la monnaie au dépôt des parapluies ; et il accompagnait une femme d’une cinquantaine d’années, laide, magnifiquement vêtue, et d’un rang social problématique.
   — Ce gaillard-là, dit Deslauriers, est moins simple qu’on ne suppose. Mais où est donc Cisy ?
107 I, 5
Au théâtre de la Porte-Saint-Martin : Frédéric / M. et Mme Dambreuse    
  Il s’arrêta devant le théâtre de la Porte-Saint-Martin à regarder l’affiche ; et, par désœuvrement, prit un billet.
    On jouait une vieille féerie. Les spectateurs étaient rares ;
[…]
Frédéric ne pouvait se rappeler où il avait vu cette figure.
    À l’entracte suivant, comme il traversait un couloir, il les rencontra tous les deux ; sur le vague salut qu’il fit, M. Dambreuse, le reconnaissant, l’aborda et s’excusa, tout de suite, de négligences impardonnables.
120-121 I, 5
Aux courses à l’hippodrome du Champ de Mars : Frédéric et Rosanette / Mme Arnoux / Cisy / Hussonnet / les Dambreuse et Martinon / Deslauriers.    
 Frédéric ne douta plus de son bonheur ; ce dernier mot de Rosanette le confirmait.
   À cent pas de lui, dans un cabriolet milord, une dame parut. Elle se penchait en dehors de la portière, puis se renfonçait vivement ; cela recommença plusieurs fois, Frédéric ne pouvait distinguer sa figure. Un soupçon le saisit, il lui sembla que c’était Mme Arnoux. Impossible, cependant ! Pourquoi serait-elle venue ?
232 II, 6
Frédéric, au même moment, fut happé par Cisy.
    — Bonjour, cher ! comment allez-vous ? Hussonnet est là-bas ! Écoutez donc !
    Frédéric tâchait de se dégager pour rejoindre le milord. La Maréchale lui faisait signe de retourner près d’elle. Cisy l’aperçut, et voulait obstinément lui dire bonjour.
232 II, 6
 — On préfère être seul ? reprit la Maréchale, en posant la main sur la sienne.
    Alors passa devant eux, avec des miroitements de cuivre et d’acier, un splendide landau attelé de quatre chevaux, conduits à la Daumont par deux jockeys en veste de velours, à crépines d’or. Mme Dambreuse était près de son mari, Martinon sur l’autre banquette en face ; tous les trois avaient des figures étonnées.
    — Ils m’ont reconnu ! se dit Frédéric.
234-235 II, 6
  À la hauteur des Bains-Chinois, comme il y avait des trous dans le pavé, la berline se ralentit. Un homme en paletot noisette marchait au bord du trottoir. Une éclaboussure, jaillissant de dessous les ressorts, s’étala dans son dos. L’homme se retourna, furieux. Frédéric devint pâle ; il avait reconnu Deslauriers. 236 II, 6
La journée révolutionnaire du 24 février 1848 : Frédéric / Hussonnet / Arnoux / Dussardier 312 III, 1
Au bas du grand escalier, un homme écrivait son nom sur un registre. Frédéric le reconnut par derrière.
    — Tiens, Hussonnet !
    — Mais oui, répondit le bohème. Je m’introduis à la Cour. Voilà une bonne farce, hein ?
    — Si nous montions ?
    Et ils arrivèrent dans la salle des Maréchaux.
312 III, 1
Le grand vestibule était rempli par un tourbillon de gens furieux, des hommes voulaient monter aux étages supérieurs pour achever de détruire tout ; des gardes nationaux sur les marches s’efforçaient de les retenir. Le plus intrépide était un chasseur, nu-tête, la chevelure hérissée, les buffleteries en pièces. Sa chemise faisait un bourrelet entre son pantalon et son habit, et il se débattait au milieu des autres avec acharnement. Hussonnet, qui avait la vue perçante, reconnut de loin Arnoux. 315 III, 1
L’attention de Frédéric et d’Hussonnet fut distraite par un grand gaillard qui marchait vivement entre les arbres, avec un fusil sur l’épaule. Une cartouchière lui serrait à la taille sa vareuse rouge, un mouchoir s’enroulait à son front sous sa casquette. Il tourna la tête. C’était Dussardier ; et, se jetant dans leurs bras :
    — Ah ! quel bonheur, mes pauvres vieux ! sans pouvoir dire autre chose, tant il haletait de joie et de fatigue.
315 III, 1
Mars 1848. La députation des artistes peintres : Frédéric / Pellerin / Regimbart    
Vers le milieu du mois de mars, un jour qu’il traversait le pont d’Arcole, ayant à faire une commission pour Rosanette dans le quartier Latin, Frédéric vit s’avancer une colonne d’individus à chapeaux bizarres, à longues barbes. En tête et battant du tambour marchait un nègre, un ancien modèle d’atelier, et l’homme qui portait la bannière sur laquelle flottait au vent cette inscription : « Artistes peintres », n’était autre que Pellerin.
    Il fit signe à Frédéric de l’attendre, puis reparut cinq minutes après, ayant du temps devant lui, car le Gouvernement recevait à ce moment-là les tailleurs de pierre. Il allait avec ses collègues réclamer la création d’un Forum de l’Art, une espèce de Bourse où l’on débattrait les intérêts de l’Esthétique ; des œuvres sublimes se produiraient puisque les travailleurs mettraient en commun leur génie. Paris, bientôt, serait couvert de monuments gigantesques ; il les décorerait ; il avait même commencé une figure de la République. Un de ses camarades vint le prendre, car ils étaient talonnés par la députation du commerce de la volaille.
    — Quelle bêtise ! grommela une voix dans la foule. Toujours des blagues ! Rien de fort !
    C’était Regimbart. Il ne salua pas Frédéric, mais profita de l’occasion pour épandre son amertume.
318 III, 1
Les attroupements des clubs du désespoir : Frédéric / Dambreuse et Martinon    
La misère abandonnait à eux-mêmes un nombre considérable d’ouvriers ; et ils venaient là, tous les soirs, se passer en revue sans doute, et attendre un signal. Malgré la loi contre les attroupements, ces clubs du désespoir augmentaient d’une manière effrayante, et beaucoup de bourgeois s’y rendaient quotidiennement, par bravade, par mode.
    Tout à coup, Frédéric aperçut, à trois pas de distance, M. Dambreuse avec Martinon ; 
339 III, 1
Rencontres inopinées dans la rue    
 Frédéric l’attendit toute la semaine. Il n’osait aller chez lui, pour n’avoir point l’air impatient de se faire rendre à déjeuner ; mais il le chercha par tout le quartier latin. Il le rencontra un soir, et l’emmena dans sa chambre sur le quai Napoléon.
    La causerie fut longue ; ils s’épanchèrent. Hussonnet ambitionnait la gloire et les profits du théâtre. 
68 I, 4
 N’ayant pu rendre à son maître le carton de dentelle perdu dans la bagarre, celui-ci l’avait accusé de vol, menacé des tribunaux ; maintenant, il était commis dans une maison de roulage. Hussonnet, le matin, l’avait rencontré au coin d’une rue ; et il l’amenait, car Dussardier, par reconnaissance, voulait voir « l’autre ». 90 I, 5
  Arnoux le remit au lendemain, puis au surlendemain. Frédéric se risquait dehors à la nuit close, craignant d’être surpris par Deslauriers.
    Un soir, quelqu’un le heurta au coin de la Madeleine. C’était lui.
211 II, 3
 À la hauteur des Bains-Chinois, comme il y avait des trous dans le pavé, la berline se ralentit. Un homme en paletot noisette marchait au bord du trottoir. Une éclaboussure, jaillissant de dessous les ressorts, s’étala dans son dos. L’homme se retourna, furieux. Frédéric devint pâle ; il avait reconnu Deslauriers. 236 II, 4
 Le hasard voulut qu’il rencontrât Cisy, trois jours après. Le gentilhomme fit bonne contenance, et l’invita même à dîner pour le mercredi suivant. 244 II, 4
Le matin, sur le boulevard, un homme qui courait à perdre haleine s’était heurté contre lui ; et, l’ayant reconnu pour un ami de Sénécal, lui avait dit :
    — On vient de le prendre, je me sauve !
    Rien de plus vrai. Dussardier avait passé la journée aux informations. Sénécal était sous les verrous, comme prévenu d’attentat politique.
258 II, 4
    Frédéric fut vertueux. Il ne retourna point chez Arnoux.
    Il envoya son domestique acheter les deux nègres, lui ayant fait toutes les recommandations indispensables ; et la caisse partit, le soir même, pour Nogent. Le lendemain, comme il se rendait chez Deslauriers, au détour de la rue Vivienne et du boulevard, Mme Arnoux se montra devant lui, face à face.
    Leur premier mouvement fut de reculer ; puis, le même sourire leur vint aux lèvres, et ils s’abordèrent. Pendant une minute, aucun des deux ne parla.
284 II, 6
Il se sentait capable de faire deux cents lieues à cheval, de travailler pendant plusieurs nuits de suite, sans fatigue ; son cœur débordait d’orgueil.
    Sur le trottoir, devant lui, un homme couvert d’un vieux paletot marchait la tête basse, et avec un tel air d’accablement, que Frédéric se retourna, pour le voir. L’autre releva sa figure. C’était Deslauriers. Il hésitait. Frédéric lui sauta au cou.
    — Ah ! mon pauvre vieux ! Comment ! c’est toi !
387 III, 3
    — Je vous répète que je l’ai rencontré hier, dit l’artiste, à sept heures du soir, rue Jacob. Il avait même son passeport, par précaution ; et il parlait de s’embarquer au Havre, lui et toute sa smala.
    — Comment ! Avec sa femme ?
    — Sans doute ! Il est trop bon père de famille pour vivre tout seul.
422 III, 4
  — À propos, l’autre jour, dans une boutique, j’ai rencontré cette bonne Maréchale, tenant par la main un petit garçon qu’elle a adopté. Elle est veuve d’un certain M. Oudry, et très grosse maintenant, énorme. Quelle décadence ! Elle qui avait autrefois la taille si mince. 443 III, 7
     

Danielle Girard