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L'Éducation sentimentale
Le rôle des objets

Leur parcours – Leur valeur symbolique et sentimentale
Ce qu’ils révèlent des relations entre les personnages
 

     
La valeur symbolique et sentimentale des objets    
Le coffret à fermoirs d’argent Édition Chapitre
Il n’éprouvait plus aucun trouble. Les globes des lampes, recouverts d’une dentelle en papier, envoyaient un jour laiteux et qui attendrissait la couleur des murailles, tendues de satin mauve. À travers les lames du garde-feu, pareil à un gros éventail, on apercevait les charbons dans la cheminée ; il y avait, contre la pendule, un coffret à fermoirs d’argent. Çà et là, des choses intimes traînaient : une poupée au milieu de la causeuse, un fichu contre le dossier d’une chaise, et, sur la table à ouvrage, un tricot de laine d’où pendaient en dehors deux aiguilles d’ivoire, la pointe en bas. C’était un endroit paisible, honnête et familier tout ensemble. 80 I, 4
    Elle alla chercher dans son boudoir le coffret à fermoirs d’argent qu’il avait remarqué sur la cheminée. C’était un cadeau de son mari, un ouvrage de la Renaissance. Les amis d’Arnoux le complimentèrent, sa femme le remerciait ; il fut pris d’attendrissement, et lui donna devant le monde un baiser. 82 I, 4
   — Est-ce ma faute, à moi, s’il y a dans la même rue une dame Arnoux ?
    — Oui ! mais pas Jacques Arnoux, reprit-elle.
    Alors, il se mit à divaguer, protestant de son innocence. C’était une méprise, un hasard, une de ces choses inexplicables comme il en arrive. On ne devait pas condamner les gens sur de simples soupçons, des indices vagues ; et il cita l’exemple de l’infortuné Lesurques.
    — Enfin, j’affirme que tu te trompes ! Veux-tu que je t’en jure ma parole ?
    — Ce n’est point la peine.
    — Pourquoi ?
    Elle le regarda en face, sans rien dire ; puis allongea la main, prit le coffret d’argent sur la cheminée, et lui tendit une facture grande ouverte.
 Arnoux rougit jusqu’aux oreilles et ses traits décomposés s’enflèrent.
    — Eh bien ?
    — Mais… répondit-il, lentement, qu’est-ce que ça prouve ?
    — Ah ! fit-elle, avec une intonation de voix singulière, où il y avait de la douleur et de l’ironie. — Ah !
195 II, 2
Frédéric, n’y tenant plus, prit son chapeau.
    — Allons, ma chère, bien du plaisir là-bas ; au revoir !
    Elle écarquilla les yeux ; puis, d’un ton sec :
    — Au revoir !
 Il repassa par le salon jaune et par la seconde antichambre. Il y avait sur la table, entre un vase plein de cartes de visite et une écritoire, un coffret d’argent ciselé. C’était celui de Mme Arnoux ! Alors, il éprouva un attendrissement, et en même temps comme le scandale d’une profanation. Il avait envie d’y porter les mains, de l’ouvrir. Il eut peur d’être aperçu, et s’en alla.
284 II, 6
    On posa devant les brocanteurs un petit coffret avec des médaillons, des angles et des fermoirs d’argent, le même qu’il avait vu au premier dîner dans la rue de Choiseul, qui ensuite avait été chez Rosanette, était revenu chez Mme Arnoux ; souvent, pendant leurs conversations, ses yeux le rencontraient ; il était lié à ses souvenirs les plus chers, et son âme se fondait d’attendrissement, quand Mme Dambreuse dit tout à coup :
    — Tiens ! je vais l’acheter.
 — Mais ce n’est pas curieux, reprit-il.
433 III, 5
 Et, comme elle se poussait dans la foule :
    — Quelle singulière idée ! dit Frédéric.
    — Cela vous fâche ?
    — Non ! Mais que peut-on faire de ce bibelot ?
    — Qui sait ? y mettre des lettres d’amour, peut-être ?
    Elle eut un regard qui rendait l’allusion fort claire.
    — Raison de plus pour ne pas dépouiller les morts de leurs secrets.
    — Je ne la croyais pas si morte.
    Elle ajouta distinctement :
    — Huit cent quatre-vingts francs !
    — Ce que vous faites n’est pas bien, murmura Frédéric.
    Elle riait.
    — Mais, chère amie, c’est la première grâce que je vous demande.
    — Mais vous ne serez pas un mari aimable, savez-vous ?
    Quelqu’un venait de lancer une surenchère ; elle leva la main :
    — Neuf cents francs !
433 III, 5
    Mme Dambreuse, qui était arrivée sur le seuil, s’arrêta ; et, d’une voix haute :
    — Mille francs !
    Il y eut un frisson dans le public, un silence.
    — Mille francs, messieurs, mille francs ! Personne ne dit rien ? bien vu ? mille francs ! — Adjugé !
    Le marteau d’ivoire s’abattit.
    Elle fit passer sa carte, on lui envoya le coffret.
    Elle le plongea dans son manchon.
    Frédéric sentit un grand froid lui traverser le cœur.
Mme Dambreuse n’avait pas quitté son bras ; et elle n’osa le regarder en face jusque dans la rue, où l’attendait sa voiture.
    Elle s’y jeta comme un voleur qui s’échappe, et, quand elle fut assise, se retourna vers Frédéric. Il avait son chapeau à la main.
    — Vous ne montez pas ?
    — Non, madame !
    Et, la saluant froidement, il ferma la portière, puis fit signe au cocher de partir.
434 III, 5
 
La vente des biens de Mme Arnoux
   
 Quand Frédéric entra, les jupons, les fichus, les mouchoirs, et jusqu’aux chemises étaient passés de main en main, retournés ; quelquefois, on les jetait de loin, et des blancheurs traversaient l’air tout à coup. Ensuite, on vendit ses robes, puis un de ses chapeaux dont la plume cassée retombait, puis ses fourrures, puis trois paires de bottines ; et le partage de ces reliques, où il retrouvait confusément les formes de ses membres, lui semblait une atrocité, comme s’il avait vu des corbeaux déchiquetant son cadavre. 432 III, 5
Me Berthelmot annonçait un prix. Le crieur, tout de suite, le répétait plus fort ; et les trois commissaires attendaient tranquillement le coup de marteau, puis emportaient l’objet dans une pièce contiguë. 
     Ainsi disparurent, les uns après les autres, le grand tapis bleu semé de camélias que ses pieds mignons frôlaient en venant vers lui, la petite bergère de tapisserie où il s’asseyait toujours en face d’elle quand ils étaient seuls ; les deux écrans de la cheminée, dont l’ivoire était rendu plus doux par le contact de ses mains ; une pelote de velours, encore hérissée d’épingles. C’était comme des parties de son cœur qui s’en allaient avec ces choses ; et la monotonie des mêmes voix, des mêmes gestes l’engourdissait de fatigue, lui causait une torpeur funèbre, une dissolution.
432 III, 5
 
La pipe de Dussardier et le porte-cigares
   
— As-tu de quoi fumer ? reprit Frédéric.
    Il se palpa, puis retira du fond de sa poche les débris d’une pipe, — une belle pipe en écume de mer, avec un tuyau en bois noir, un couvercle d’argent et un bout d’ambre.
    Depuis trois ans, il travaillait à en faire un chef-d’œuvre. Il avait eu soin d’en tenir le fourneau constamment serré dans une gaine de chamois, de la fumer le plus lentement possible, sans jamais la poser sur du marbre, et, chaque soir, de la suspendre au chevet de son lit. À présent, il en secouait les morceaux dans sa main dont les ongles saignaient ; et, le menton sur la poitrine, les prunelles fixes, béant, il contemplait ces ruines de sa joie avec un regard d’une ineffable tristesse.
    — Si nous lui donnions des cigares, hein ? dit tout bas Hussonnet, en faisant le geste d’en atteindre.
    Frédéric avait déjà posé, au bord du guichet, un porte-cigares rempli.
    — Prends donc ! Adieu, bon courage !
    Dussardier se jeta sur les deux mains qui s’avançaient. Il les serrait frénétiquement, la voix entrecoupée par des sanglots.
    — Comment ?… à moi !… à moi !…
    Les deux amis se dérobèrent à sa reconnaissance, sortirent, et allèrent déjeuner ensemble au café Tabourey, devant le Luxembourg.
66-67 I, 4
Hussonnet, un soir, introduisit un grand jeune homme habillé d’une redingote trop courte des poignets, et la contenance embarrassée. C’était le garçon qu’ils avaient réclamé au poste, l’année dernière.
    N’ayant pu rendre à son maître le carton de dentelle perdu dans la bagarre, celui-ci l’avait accusé de vol, menacé des tribunaux ; maintenant, il était commis dans une maison de roulage. Hussonnet, le matin, l’avait rencontré au coin d’une rue ; et il l’amenait, car Dussardier, par reconnaissance, voulait voir « l’autre ».
    Il tendit à Frédéric le porte-cigares encore plein, et qu’il avait gardé religieusement avec l’espoir de le rendre. Les jeunes gens l’invitèrent à revenir. Il n’y manqua pas.
90 I, 5
Enfin, elle offrit à Dussardier de s’unir par un mariage.
    Bien qu’elle fût sa maîtresse, il n’en était nullement amoureux. D’ailleurs, il n’avait pas oublié son vol. Puis elle était trop riche. Il la refusa. Alors, elle lui dit, en pleurant, les rêves qu’elle avait faits : c’était d’avoir à eux deux un magasin de confection. Elle possédait les premiers fonds indispensables, qui s’augmenteraient de quatre mille francs la semaine prochaine ; et elle narra ses poursuites contre la Maréchale.
    Dussardier en fut chagrin, à cause de son ami. Il se rappelait le porte-cigares offert au corps de garde, les soirs du quai Napoléon, tant de bonnes causeries, de livres prêtés, les mille complaisances de Frédéric. Il pria la Vatnaz de se désister.
    Elle le railla de sa bonhomie, en manifestant contre Rosanette une exécration incompréhensible ; elle ne souhaitait même la fortune que pour l’écraser plus tard avec son carrosse.
416 III, 4
    — Oh ! je ne la verrai plus, je ne serai pas son complice !
    Et, l’autre le regardant tout surpris :
    — Est-ce qu’on ne va pas, dans trois jours, vendre les meubles de votre maîtresse ?
    — Qui vous a dit cela ?
    — Elle-même, la Vatnaz ! Mais j’ai peur de vous offenser…
    — Impossible, cher ami !
    — Ah ! c’est vrai, vous êtes si bon !
    Et il lui tendit, d’une main discrète, un petit portefeuille de basane.
    C’était quatre mille francs, toutes ses économies.
    — Comment ! Ah ! non ! — non !…
    — Je savais bien que je vous blesserais, répliqua Dussardier, avec une larme au bord des yeux.
417 III, 4
Ce qu’ils révèlent des relations entre les personnages    
 Le cachemire    
Puis, avec des larmes dans la voix :
    — Je lui demande bien peu de chose, pourtant, et il ne veut pas, l’animal ! Il ne veut pas ! Quant à ses promesses, oh ! c’est différent.
    Il lui avait même promis un quart de ses bénéfices dans les fameuses mines de kaolin ; aucun bénéfice ne se montrait, pas plus que le cachemire dont il la leurrait depuis six mois.
    Frédéric pensa, immédiatement, à lui en faire cadeau. Arnoux pouvait prendre cela pour une leçon et se fâcher.
175 II, 2
Il songea que plus Arnoux serait détaché de sa femme, plus il aurait de chance auprès d’elle. Alors, il se mit à faire l’apologie de Rosanette, continuellement ; il lui représenta tous ses torts à son endroit, conta les vagues menaces de l’autre jour, et même parla du cachemire, sans taire qu’elle l’accusait d’avarice.
    Arnoux, piqué du mot (et, d’ailleurs, concevant des inquiétudes), apporta le cachemire à Rosanette, mais la gronda de s’être plainte à Frédéric ; comme elle disait lui avoir cent fois rappelé sa promesse, il prétendit qu’il ne s’en était pas souvenu, ayant trop d’occupations.
    Le lendemain, Frédéric se présenta chez elle. Bien qu’il fût deux heures, la Maréchale était encore couchée ; et, à son chevet, Delmar, installé devant un guéridon, finissait une tranche de foie gras. Elle cria de loin :
    — Je l’ai, je l’ai !
177 II, 2
 — Enfin, j’affirme que tu te trompes ! Veux-tu que je t’en jure ma parole ?
    — Ce n’est point la peine.
    — Pourquoi ?
    Elle le regarda en face, sans rien dire ; puis allongea la main, prit le coffret d’argent sur la cheminée, et lui tendit une facture grande ouverte.
    Arnoux rougit jusqu’aux oreilles et ses traits décomposés s’enflèrent.
    — Eh bien ?
    — Mais… répondit-il, lentement, qu’est-ce que ça prouve ?
    — Ah ! fit-elle, avec une intonation de voix singulière, où il y avait de la douleur et de l’ironie. — Ah !
— Est-ce que je peux me rappeler le commis !
    — Il a cependant écrit, sous ta dictée, l’adresse : 18, rue de Laval.
    — Comment sais-tu ? dit Arnoux stupéfait.
    Elle leva les épaules.
    — Oh ! c’est bien simple : j’ai été pour faire réparer mon cachemire, et un chef de rayon m’a appris qu’on venait d’en expédier un autre pareil chez Mme Arnoux.
    — Est-ce ma faute, à moi, s’il y a dans la même rue une dame Arnoux ?
194-195 II, 2
Arnoux gardait la note entre ses mains, et la retournait, n’en détachant pas les yeux comme s’il avait dû y découvrir la solution d’un grand problème.
    — Oh ! oui, oui, je me rappelle, dit-il enfin. C’est une commission. — Vous devez savoir cela, vous. Frédéric ?
    Frédéric se taisait.
    — Une commission dont j’étais chargé… par… par le père Oudry.
    — Et pour qui ?
    — Pour sa maîtresse.
    — Pour la vôtre ! s’écria Mme Arnoux, se levant toute droite.
    — Je te jure…
    — Ne recommencez pas ! Je sais tout !
195 II, 2
Puis, s’imaginant qu’elle congédiait l’autre pour lui seul, Arnoux avait augmenté sa pension. Mais ses demandes se renouvelaient avec une fréquence inexplicable, car elle menait un train moins dispendieux ; elle avait même vendu jusqu’au cachemire, tenant à s’acquitter de ses vieilles dettes, disait-elle ; et il donnait toujours, elle l’ensorcelait, elle abusait de lui, sans pitié. Aussi les factures, les papiers timbrés pleuvaient dans la maison. Frédéric sentait une crise prochaine. 203 II, 3
Vers la fin du mois de novembre, Frédéric, en passant dans la rue de Mme Arnoux, leva les yeux vers ses fenêtres, et aperçut contre la porte une affiche, où il y avait en grosses lettres :
    « Vente d’un riche mobilier, consistant en batterie de cuisine, linge de corps et de table, chemises, dentelles, jupons, pantalons, cachemires français et de l’Inde, piano d’Érard, deux bahuts de chêne Renaissance, miroirs de Venise, poteries de Chine et du Japon. »
    « C’est leur mobilier ! » se dit Frédéric ; et le portier confirma ses soupçons.
428 III, 5
 
L’ombrelle et le parapluie
   
Comme elle gardait la même attitude, il fit plusieurs tours de droite et de gauche pour dissimuler sa manœuvre ; puis il se planta tout près de son ombrelle, posée contre le banc, et il affectait d’observer une chaloupe sur la rivière. 40 I, 1
    Afin de dissimuler son trouble, Frédéric marchait de droite et de gauche, dans la salle. En heurtant le pied d’une chaise, il fit tomber une ombrelle posée dessus ; le manche d’ivoire se brisa.
    — Mon Dieu ! s’écria-t-il, comme je suis chagrin d’avoir brisé l’ombrelle de Mme Arnoux.
    À ce mot, le marchand releva la tête, et eut un singulier sourire. 
97 I, 5
Il n’en devait pas moins, puisque c’était la fête de Mme Arnoux, lui offrir un cadeau ; il songea, naturellement, à une ombrelle, afin de réparer sa maladresse. Or il découvrit une marquise en soie gorge-pigeon, à petit manche d’ivoire ciselé, et qui arrivait de la Chine. Mais cela coûtait cent soixante-quinze francs et il n’avait pas un sou, vivant même à crédit sur le trimestre prochain. 112 I, 5
 Frédéric attendit après les autres, pour offrir le sien.
    Elle l’en remercia beaucoup. Alors, il dit :
    — Mais… c’est presque une dette ! J’ai été si fâché.
    — De quoi donc ? reprit-elle. Je ne comprends pas !
    — À table ! fit Arnoux, en le saisissant par le bras.
    Puis, dans l’oreille :
    — Vous n’êtes guère malin, vous !
113-114 I, 5
 Au haut des marches, un parapluie était posé contre le mur, près d’une paire de socques.
    — Les caoutchoucs de la Vatnaz, dit Rosanette. Quel pied, hein ? Elle est forte, ma petite amie !
    Et d’un ton mélodramatique, en faisant rouler la dernière lettre du mot :
    — Ne pas s’y fierrr !
    Frédéric, enhardi par cette espèce de confidence, voulut la baiser sur le col. Elle dit froidement :
    — Oh ! faites ! Ça ne coûte rien !
164 II, 2
 
Le bracelet de Cisy
   
    Ils se remirent en marche ; dans la rue de la Paix, elle s’arrêta, devant la boutique d’un orfèvre, à considérer un bracelet ; Frédéric voulut lui en faire cadeau.
— Non, dit-elle, garde ton argent.
    Il fut blessé de cette parole.
    — Qu’a donc le mimi ? On est triste ?
    Et, la conversation s’étant renouée, il en vint, comme d’habitude, à des protestations d’amour.
181 II, 2
Frédéric, pour lui être désagréable, s’entêta à le contredire. Il soutint que Mme Dambreuse s’appelait de Boutron, certifiait sa noblesse.
    — N’importe ! je voudrais bien avoir son équipage
    Et la manche de sa robe, glissant un peu, découvrit, à son poignet gauche, un bracelet orné de trois opales.
    Frédéric l’aperçut.
    — Tiens ! mais…
    Ils se considérèrent tous les trois, et rougirent.
239 II, 4
 
Le mouton d’or de la Vatnaz
   
Elles se fâchaient. Frédéric s’interposa. La Vatnaz s’échauffait, et arriva même à soutenir le Communisme.
    — Quelle bêtise ! dit Rosanette. Est-ce que jamais ça pourra se faire ?
    L’autre cita en preuve les Esséniens, les frères Moraves, les Jésuites du Paraguay, la famille des Pingons, près de Thiers en Auvergne ; et, comme elle gesticulait beaucoup, sa chaîne de montre se prit dans son paquet de breloques, à un petit mouton d’or suspendu.
    Tout à coup, Rosanette pâlit extraordinairement.
    Mlle Vatnaz continuait à dégager son bibelot.
    — Ne te donne pas tant de mal, dit Rosanette, maintenant, je connais tes opinions politiques.
    — Quoi ? reprit la Vatnaz, devenue rouge comme une vierge.
    — Oh ! oh ! tu me comprends !
    Frédéric ne comprenait pas. Entre elles, évidemment, il était survenu quelque chose de plus capital et de plus intime que le socialisme.
    — Et quand cela serait, répliqua la Vatnaz, se redressant intrépidement. C’est un emprunt, ma chère, dette pour dette !
333-334 III, 1
Mlle Vatnaz ne répondit rien. Des gouttes de sueur parurent à ses tempes. Ses yeux se fixaient sur le tapis.
    Elle haletait. Enfin, elle gagna la porte, et, la faisant claquer vigoureusement :
    — Bonsoir ! Vous aurez de mes nouvelles !
    — À l’avantage ! dit Rosanette.
    Sa contrainte l’avait brisée. Elle tomba sur le divan, toute tremblante, balbutiant des injures, versant des larmes. Était-ce cette menace de la Vatnaz qui la tourmentait ? Eh non ! elle s’en moquait bien ! À tout compter, l’autre lui devait de l’argent, peut-être ? C’était le mouton d’or, un cadeau ; et, au milieu de ses pleurs, le nom de Delmar lui échappa. Donc, elle aimait le cabotin !
334 III, 1
 
Les deux maisons d'Arnoux
   
Mais Arnoux, poursuivant ses cordialités, lui reprocha de n’être pas venu dîner avec eux, à l’improviste ; et il expliqua pourquoi il avait changé d’industrie.
    — Que voulez-vous faire dans une époque de décadence comme la nôtre ? La grande peinture est passée de mode ! D’ailleurs, on peut mettre de l’art partout. Vous savez, moi, j’aime le Beau ! il faudra, un de ces jours, que je vous mène à ma fabrique.
    Et il voulut lui montrer, immédiatement, quelques-uns de ses produits dans son magasin, à l’entresol.
    Les plats, les soupières, les assiettes et les cuvettes encombraient le plancher. Contre les murs étaient dressés de larges carreaux de pavage pour salles de bain et cabinets de toilette, avec sujets mythologiques dans le style de la Renaissance, tandis qu’au milieu une double étagère, montant jusqu’au plafond, supportait des vases à contenir la glace, des pots à fleurs, des candélabres, de petites jardinières et de grandes statuettes polychromes figurant un nègre ou une bergère pompadour. Les démonstrations d’Arnoux ennuyaient Frédéric, qui avait froid et faim.
141 II, 1
— Gare au lustre !
Frédéric leva les yeux : c’était le lustre en vieux saxe qui ornait la boutique de l’Art industriel ; le souvenir des anciens jours passa dans sa mémoire ;
146 II, 1
Cette confusion était provoquée par des similitudes entre les deux logements. Un des bahuts que l’on voyait autrefois boulevard Montmartre ornait à présent la salle à manger de Rosanette, l’autre, le salon de Mme Arnoux. Dans les deux maisons, les services de table étaient pareils, et l’on retrouvait jusqu’à la même calotte de velours traînant sur les bergères ; puis une foule de petits cadeaux, des écrans, des boîtes, des éventails allaient et venaient de chez la maîtresse chez l’épouse, car, sans la moindre gêne, Arnoux, souvent, reprenait à l’une ce qu’il lui avait donné, pour l’offrir à l’autre. 174-175 II, 2
Il achetait des choses complètement inutiles, telles que des chaînes d’or, des pendules, des articles de ménage. Mme Arnoux montra même à Frédéric, dans le couloir, une énorme provision de bouillottes, chaufferettes et samovars. 175 II, 2
     

Danielle Girard