Antilles - Guyane - Séries technologiques - Septembre 1997
Léon Schwartzenberg, Face à la détresse,
1994
ÉTHIQUE
L'éthique fait maintenant partie de notre discours quotidien. Les comités d'éthique se multiplient, des lois de bioéthique sont votées. On parle de l'éthique de la science, de l'éthique de la médecine, de l'éthique du journalisme, de l'éthique en politique. Le mot désignant ce qui règle les conduites admises et pratiquées dans une société, la morale, est remplacé par celui qui qualifie la discipline chargée de les étudier, l'éthique. Parce qu'on ne souhaite plus parler de morale. Cela fait vieux jeu. Et on s'en tire à bon compte en utilisant la simple traduction du terme anglo-saxon ethics : morale.
II est vrai qu'il est plus désagréable d'entendre dire de sa conduite quelle a été immorale plutôt que contraire à léthique. Le langage aussi peut être sécurisant, voire sécuritaire : on croit alléger la dureté des mots en les compliquant. Sourds, aveugles, vieillards, malades mentaux, on a honte de parler de vous : des malentendants aux hospitalisés spéciaux, en passant par les non-voyants et les seniors, on va en arriver à parler des personnes mortes comme de non-vivants
L'éthique d'un métier, chacun de ceux qui l'exercent connaît très bien son code : il suffit de demeurer dans les limites de ce qui définit spécifiquement l'objet de cette profession.
La morale professionnelle ne peut être imposée de l'extérieur : elle n'est pas extrinsèque, mais intrinsèque à l'exercice d'une profession.
La science, cela n'a rien d'éthique, prétendent d'aucuns. Si : la vraie science est toujours éthique. Dans son domaine, tout comportement qui s'écarte si peu que ce soit d'une véritable approche scientifique, de l'approfondissement des connaissances, de la découverte de nouvelles données, est un comportement antiscientifique et, par là même, non éthique. L'éthique définit la spécificité d'un comportement en rapport avec son objet.
L'attitude des médecins nazis dans les camps de concentration était doublement monstrueuse, humainement et scientifiquement : aucune de leurs prétendues "expériences" n'a fait faire le moindre progrès aux connaissances. Ce n'étaient pas des hommes de science, c'étaient des acteurs du génocide.
Lorsque, pendant l'Inquisition, des évêques soumettaient à la question des hérétiques, ils se mettaient hors la religion : ce n'étaient pas des prêtres, c'étaient des tortionnaires.
Lorsqu'un praticien assiste dans une prison aux sévices infligés à un détenu ou à une exécution capitale, ce n'est pas un médecin, c'est un valet de bourreau.
Lorsque vous traitez des malades avec des produits qui n'ont fait aucune preuve de leur action thérapeutique, vous n'êtes pas un soignant, vous êtes un charlatan.
Lorsque, pour gagner un tournoi sportif, vous achetez les meilleurs joueurs, que vous ne faites pas jouer mais dont vous empêchez d'autres clubs de profiter, vous ne faites pas du sport, vous faites des affaires.
Lorsque vous détenez une information que vous ne publiez pas ou que vous "arrangez", vous n'êtes pas un journaliste, vous êtes un censeur, un faussaire ou un courtisan.
Lorsque, dans la vie publique, vous vous attachez plus à votre carrière qu'à l'intérêt des citoyens par lesquels et pour lesquels vous avez été élu, vous n'êtes pas un homme politique, vous êtes un imposteur.
Quand on s'écarte du chemin de sa vie, on triche. Chaque métier, chaque type d'activité s'accompagne d'une attitude de rigueur qui lui est propre : c'est sur elle que repose la morale d'une conduite, ou (pour reprendre un mot un peu vieux jeu, lui aussi) son honneur.
Nous sommes entrés dans l'ère de la " voyoucratie ". Le petit lascar des rues, déluré et mal élevé, pour lequel on pouvait éprouver de la sympathie, est à présent remplacé par la délinquance en costume trois pièces. La première devise, aujourd'hui : " Pas vu, pas pris ". La deuxième : " Tout est permis ", puisque d'autres le font aussi. L'attitude des autres guide la mienne. Quels autres ? Ceux qui s'enrichissent. Ceux qui ont le pouvoir. La morale contemporaine ressemble à une partie de ping-pong : j'ai fait cela ? et toi ? et lui ? pourquoi pas moi ? Alors, quand dans ce monde où tant d'individus trichent, se lève et marche un être étranger à ces pratiques, il meurt à petit feu ou bien se suicide.
Questions (10 points)
1. Dans les deux premiers paragraphes, quelles raisons l'auteur donne-t-il du changement de vocabulaire qu'il évoque au début du texte ? (2 points)
2. Du troisième paragraphe (" l'éthique d'un métier ") à lavant-dernier (" son honneur "), quel est celui qui définit le mieux " l'éthique d'un métier " ? Justifiez votre choix en vous appuyant sur une observation précise du texte. (3 points)
3. Depuis " la science, cela na rien déthique " jusquà " vous êtes un imposteur ", par quels procédés l'auteur tente-t-il de persuader le lecteur ? Vous en relèverez au moins quatre. (3 points)
4. Quel sens donnez-vous au mot " voyoucratie " d'après la suite du dernier paragraphe ? (2 points)
Travaux d'écriture (10 points)
1. Reformulez en quatre à six lignes l'essentiel des idées contenues dans le passage (" L'éthique d'un métier... vous êtes un imposteur "). (4 points)
2. " Tout est permis, puisque d'autres le font aussi ". Vous expliquerez et vous discuterez cette réflexion dans un développement d'une vingtaine de lignes. (6 points)