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L'Éducation sentimentale
Le personnage de Martinon
     
Extraits de l'œuvre Édition Chapitre
     
Las de cette solitude, il rechercha un de ses anciens camarades nommé Baptiste Martinon ; et il le découvrit dans une pension bourgeoise de la rue Saint-Jacques, bûchant sa procédure, devant un feu de charbon de terre.
En face de lui, une femme en robe d’indienne reprisait des chaussettes.
57 I, 3
Martinon était ce qu’on appelle un fort bel homme : grand, joufflu, la physionomie régulière et des yeux bleuâtres à fleur de tête ; son père, un gros cultivateur, le destinait à la magistrature, et, voulant déjà paraître sérieux, il portait sa barbe taillée en collier. 57 I, 3
Comme les ennuis de Frédéric n’avaient point de cause raisonnable et qu’il ne pouvait arguer d’aucun malheur, Martinon ne comprit rien à ses lamentations sur l’existence. Lui, il allait tous les matins à l’École, se promenait ensuite dans le Luxembourg, prenait le soir sa demi-tasse au café, et, avec quinze cents francs par an et l’amour de cette ouvrière, il se trouvait parfaitement heureux. 57 I, 3
Toutes les semaines, il écrivait longuement à Deslauriers, dînait de temps en temps avec Martinon, voyait quelquefois M. de Cisy. 60 I, 3
Frédéric sentit quelqu’un lui toucher à l’épaule ; il se retourna. C’était Martinon, prodigieusement pâle.
    — Eh bien ! fit-il en poussant un gros soupir, encore une émeute !
    Il avait peur d’être compromis, se lamentait. Des hommes en blouse, surtout, l’inquiétaient, comme appartenant à des sociétés secrètes.
    — Est-ce qu’il y a des sociétés secrètes ? dit le jeune homme à moustaches. C’est une vieille blague du Gouvernement, pour épouvanter les bourgeois !
    Martinon l’engagea à parler plus bas, dans la crainte de la police.
    — Vous croyez encore à la police, vous ? Au fait, que savez-vous, monsieur, si je ne suis pas moi-même un mouchard ?
    Et il le regarda d’une telle manière, que Martinon, fort ému, ne comprit point d’abord la plaisanterie. La foule les poussait, et ils avaient été forcés, tous les trois, de se mettre sur le petit escalier conduisant, par un couloir, dans le nouvel amphithéâtre.
63 I, 4
Martinon avait profité de sa place pour disparaître en même temps.
    — Quel lâche ! dit Frédéric.
    — Il est prudent ! reprit l’autre.
64 I, 4
Tous sympathisaient. D’abord, leur haine du Gouvernement avait la hauteur d’un dogme indiscutable. Martinon seul tâchait de défendre Louis-Philippe. On l’accablait sous les lieux communs traînant dans les journaux : l’embastillement de Paris, les lois de septembre, Pritchard, lord Guizot, si bien que Martinon se taisait, craignant d’offenser quelqu’un. 90 I, 5
En sept ans de collège, il n’avait pas mérité de pensum, et, à l’École de droit, il savait plaire aux professeurs. 91 I, 5
Il portait ordinairement une grosse redingote couleur mastic avec des claques en caoutchouc ; mais il apparut un soir dans une toilette de marié : gilet de velours à châle, cravate blanche, chaîne d’or.
  L’étonnement redoubla quand on sut qu’il sortait de chez M. Dambreuse. En effet, le banquier Dambreuse venait d’acheter au père Martinon une partie de bois considérable ; le bonhomme lui ayant présenté son fils, il les avait invités à dîner tous les deux.
 — Y avait-il beaucoup de truffes, demanda Deslauriers, et as-tu pris la taille à son épouse, entre deux portes, sicut decet ?
91 I, 5
Devant la loge du concierge, ils rencontrèrent Martinon, rouge, ému, avec un sourire dans les yeux et l’auréole du triomphe sur le front. Il venait de subir sans encombre son dernier examen. Restait seulement la thèse. Avant quinze jours, il serait licencié. Sa famille connaissait un ministre, « une belle carrière » s’ouvrait devant lui.
    — Celui-là t’enfonce tout de même, dit Deslauriers.
    Rien n’est humiliant comme de voir les sots réussir dans les entreprises où l’on échoue. Frédéric, vexé, répondit qu’il s’en moquait.
95 I, 5
Frédéric et Deslauriers marchaient au milieu de la foule pas à pas, quand un spectacle les arrêta : Martinon se faisait rendre de la monnaie au dépôt des parapluies ; et il accompagnait une femme d’une cinquantaine d’années, laide, magnifiquement vêtue, et d’un rang social problématique.
— Ce gaillard-là, dit Deslauriers, est moins simple qu’on ne suppose.
107 I, 5
Tous étaient heureux ; Cisy ne finirait pas son droit ; Martinon allait continuer son stage en province, où il serait nommé substitut ; 119 I, 5
 En errant de groupe en groupe, il arriva dans le salon des joueurs, où, dans un cercle de gens graves, il reconnut Martinon, « attaché maintenant au parquet de la capitale ».
    Sa grosse face couleur de cire emplissait convenablement son collier, lequel était une merveille, tant les poils noirs se trouvaient bien égalisés ; et, gardant un juste milieu entre l’élégance voulue par son âge et la dignité que réclamait sa profession, il accrochait son pouce dans son aisselle suivant l’usage des beaux, puis mettait son bras dans son gilet à la façon des doctrinaires. Bien qu’il eût des bottes extra-vernies, il portait les tempes rasées, pour se faire un front de penseur.
187 II, 2
 Tous déclarèrent que la République était impossible en France.
    — N’importe, remarqua tout haut un monsieur, on s’occupe trop de la Révolution ; on publie là-dessus un tas d’histoires, de livres !…
    — Sans compter, dit Martinon, qu’il y a, peut-être, des sujets d’étude plus sérieux !
187 II, 2
Il fallait décentraliser plutôt, répartir l’excédent des villes dans les campagnes.
    — Mais elles sont gangrenées ! s’écria un catholique. Faites qu’on raffermisse la Religion !
    Martinon s’empressa de dire :
    — Effectivement, c’est un frein !
188 II, 2
Tout à coup, Martinon apparut, en face, sous l’autre porte. Elle se leva. Il lui offrit son bras. Frédéric, pour le voir continuer ses galanteries, traversa les tables de jeu et les rejoignit dans le grand salon ; Mme Dambreuse quitta aussitôt son cavalier, et l’entretint familièrement. 190 II, 2
 Il était trois heures, on partait. Dans la salle à manger, une table servie attendait les intimes.
M. Dambreuse aperçut Martinon, et, s’approchant de sa femme, d’une voix basse :
    — C’est vous qui l’avez invité ?
    Elle répliqua sèchement :
    — Mais oui !
190-191 II, 2
On but très bien, on rit très haut ; et des plaisanteries hasardeuses ne choquèrent point, tous éprouvant cet allégement qui suit les contraintes un peu longues. Seul, Martinon se montra sérieux ; il refusa de boire du vin de Champagne par bon genre, souple d’ailleurs et fort poli, car M. Dambreuse, qui avait la poitrine étroite, se plaignant d’oppression, il s’informa de sa santé à plusieurs reprises ; puis il dirigeait ses yeux bleuâtres du côté de Mme Dambreuse. 191 II, 2
  Martinon, au bas de l’escalier, alluma un cigare ; et il offrait, en le suçant, un profil tellement lourd, que son compagnon lâcha cette phrase :
    — Tu as une bonne tête, ma parole !
    — Elle en a fait tourner quelques-unes ! reprit le jeune magistrat, d’un air à la fois convaincu et vexé.
191 II, 2
M. Dambreuse s’était montré excellent et Mme Dambreuse presque engageante. Il pesa un à un ses moindres mots, ses regards, mille choses inanalysables et cependant expressives. Ce serait crânement beau d’avoir une pareille maîtresse ! Pourquoi non, après tout ? Il en valait bien un autre ! Peut-être qu’elle n’était pas si difficile ? Martinon ensuite revint à sa mémoire ; et, en s’endormant, il souriait de pitié sur ce brave garçon. 191 II, 2
Il n’osait interrompre M. Dambreuse.
    Madame remarqua son embarras.
    — Voyez-vous quelquefois notre ami Martinon ?
    — Il viendra ce soir, dit vivement la jeune fille.
    — Ah ! tu le sais ? répliqua sa tante, en arrêtant sur elle un regard froid.
216 II, 3
Alors passa devant eux, avec des miroitements de cuivre et d’acier, un splendide landau attelé de quatre chevaux, conduits à la Daumont par deux jockeys en veste de velours, à crépines d’or. Mme Dambreuse était près de son mari, Martinon sur l’autre banquette en face ; tous les trois avaient des figures étonnées.
    — Ils m’ont reconnu ! se dit Frédéric.
234-235 II, 4
Frédéric demanda la note. Elle était longue ; et le garçon, la serviette sous le bras, attendait son argent, quand un autre, un individu blafard qui ressemblait à Martinon, vint lui dire :
    — Faites excuse, on a oublié au comptoir de porter le fiacre.
240 II, 4
et, pour montrer que rien ne le gênait, il se rendit chez Mme Dambreuse, à une de ses soirées ordinaires.
    Au milieu de l’antichambre, Martinon, qui arrivait en même temps que lui, se retourna.
    — Comment, tu viens ici, toi ? avec l’air surpris et même contrarié de le voir.
    — Pourquoi pas ?
    Et, tout en cherchant la cause d’un tel abord, Frédéric s’avança dans le salon.
261 II, 4
Comme ces choses ennuyaient Frédéric, il se rapprocha des femmes. Martinon était près d’elles, debout, le chapeau sous le bras, la figure de trois quarts, et si convenable, qu’il ressemblait à de la porcelaine de Sèvres. Il prit une Revue des Deux Mondes traînant sur la table, entre une Imitation et un Annuaire de Gotha, et jugea de haut un poète illustre, dit qu’il allait aux conférences de Saint-François, se plaignit de son larynx, avalait de temps à autre une boule de gomme ; et cependant, parlait musique, faisait le léger. Mlle Cécile, la nièce de M. Dambreuse, qui se brodait une paire de manchettes, le regardait, en dessous, avec ses prunelles d’un bleu pâle ; et miss John, l’institutrice à nez camus, en avait lâché sa tapisserie ; toutes deux paraissaient s’écrier intérieurement : « Qu’il est beau ! » 261 II, 4
Mme Dambreuse se tourna vers lui.
    — Donnez-moi donc mon éventail, qui est sur cette console, là-bas. Vous vous trompez ! l’autre !
    Elle se leva ; et, comme il revenait, ils se rencontrèrent au milieu du salon, face à face ; elle lui adressa quelques mots, vivement, des reproches sans doute, à en juger par l’expression altière de sa figure ; Martinon tâchait de sourire ; puis il alla se mêler au conciliabule des hommes sérieux.
262 II, 4
Ceux qui causaient debout s’écartèrent, puis reprirent leur discussion.
    Maintenant, elle roulait sur le paupérisme, dont toutes les peintures, d’après ces messieurs, étaient fort exagérées.
    — Cependant, objecta Martinon, la misère existe, avouons-le ! Mais le remède ne dépend ni de la Science ni du Pouvoir. C’est une question purement individuelle. Quand les basses classes voudront se débarrasser de leurs vices, elles s’affranchiront de leurs besoins. Que le peuple soit plus moral et il sera moins pauvre !
262 II, 4
 De l’autre côté de la table, Martinon, auprès de Mlle Cécile, feuilletait un album. C’étaient des lithographies représentant des costumes espagnols. Il lisait tout haut les légendes : « Femme de Séville, — Jardinier de Valence, — Picador andalou » ; et, descendant une fois jusqu’au bas de la page, il continua d’une haleine :
    — Jacques Arnoux, éditeur… Un de tes amis, hein ?
    — C’est vrai, dit Frédéric, blessé par son air.
263 II, 4
 Mais la voix de Martinon s’éleva :
    — À propos d’Arnoux, j’ai lu parmi les prévenus des bombes incendiaires, le nom d’un de ses employés. Sénécal. Est-ce le nôtre ?
    — Lui-même, dit Frédéric.
    Martinon répéta, en criant très haut :
    — Comment, notre Sénécal ! notre Sénécal !
    Alors, on le questionna sur le complot ; sa place d’attaché au parquet devait lui fournir des renseignements.
    Il confessa n’en pas avoir. Du reste, il connaissait fort peu le personnage, l’ayant vu deux ou trois fois seulement, et le tenait en définitive pour un assez mauvais drôle. Frédéric, indigné, s’écria :
    — Pas du tout ! c’est un très honnête garçon !
    — Cependant, monsieur, dit un propriétaire, on n’est pas honnête quand on conspire !
264 II, 4
Quant à Mme Dambreuse, il lui trouvait quelque chose à la fois de langoureux et de sec, qui empêchait de la définir par une formule. Avait-elle un amant ? Quel amant ? Était-ce le diplomate ou un autre ? Martinon, peut-être ? Impossible ! Cependant, il éprouvait une espèce de jalousie contre lui, et envers elle une malveillance inexplicable. 265-266 II, 4
 Et Deslauriers s’informa de Martinon.
    — Que devient-il, cet intéressant monsieur ?
    Aussitôt Frédéric, épanchant le mauvais vouloir qu’il lui portait, attaqua son esprit, son caractère, sa fausse élégance, l’homme tout entier. C’était bien un spécimen de paysan parvenu !
290 II, 6
M. Dambreuse se présenta chez lui, accompagné de Martinon.
    Cette visite n’avait pour but, dit-il, que de le voir un peu et de causer. Somme toute, il se réjouissait des événements, et il adoptait de grand cœur « notre sublime devise : Liberté, Égalité, Fraternité, ayant toujours été républicain, au fond ». S’il votait, sous l’autre régime, avec le ministère, c’était simplement pour accélérer une chute inévitable.
320 III, 1
Martinon appuyait tous ses mots par des remarques approbatives ; lui aussi pensait qu’il fallait « se rallier franchement à la République », et il parla de son père laboureur, faisait le paysan, l’homme du peuple. 320 III, 1
 Martinon arriva au même moment. Ils passèrent dans le cabinet ; et Frédéric tirait un papier de sa poche, quand Mlle Cécile, entrant tout à coup, articula d’un air ingénu :
    — Ma tante est-elle ici ?
    — Tu sais bien que non, répliqua le banquier. N’importe ! faites comme chez vous, mademoiselle.
    — Oh ! merci ! je m’en vais.
    À peine sortie, Martinon eut l’air de chercher son mouchoir.
    — Je l’ai oublié dans mon paletot, excusez-moi !
    — Bien ! dit M. Dambreuse.
    Évidemment, il n’était pas dupe de cette manœuvre, et même semblait la favoriser. Pourquoi ?
323 III, 1
Mais bientôt Martinon reparut, et Frédéric entama son discours. Dès la seconde page, qui signalait comme une honte la prépondérance des intérêts pécuniaires, le banquier fit la grimace. Puis, abordant les réformes, Frédéric demandait la liberté du commerce. 323 III, 1
Martinon écarquillait les yeux, M. Dambreuse était tout pâle. Enfin dissimulant son émotion sous un aigre sourire :
    — C’est parfait, votre discours !
    Et il en vanta beaucoup la forme, pour n’avoir pas à s’exprimer sur le fond.
323 III, 1
    Cette virulence de la part d’un jeune homme inoffensif l’effrayait, surtout comme symptôme. Martinon tâcha de le rassurer. Le parti conservateur, d’ici peu, prendrait sa revanche, certainement ; dans plusieurs villes on avait chassé les commissaires du gouvernement provisoire : les élections n’étaient fixées qu’au 23 avril, on avait du temps ; bref, il fallait que M. Dambreuse, lui-même, se présentât dans l’Aube ; et, dès lors, Martinon ne le quitta plus, devint son secrétaire et l’entoura de soins filiaux. 323 III, 1
Tout à coup, Frédéric aperçut, à trois pas de distance, M. Dambreuse avec Martinon ; il tourna la tête, car M. Dambreuse s’étant fait nommer représentant, il lui gardait rancune. Mais le capitaliste l’arrêta.
    — Un mot, cher monsieur ! J’ai des explications à vous fournir.
    — Je n’en demande pas.
    — De grâce ! écoutez-moi.
    Ce n’était nullement sa faute. On l’avait prié, contraint en quelque sorte. Martinon, tout de suite, appuya ses paroles : des Nogentais en députation s’étaient présentés chez lui.
    — D’ailleurs, j’ai cru être libre, du moment…
    Une poussée de monde sur le trottoir força M. Dambreuse à s’écarter. Une minute après, il reparut, en disant à Martinon :
    — C’est un vrai service, cela ! Vous n’aurez pas à vous repentir…
339-340 III, 1
 De petits drapeaux rouges, çà et là, semblaient des flammes ; les cochers, du haut de leur siège, faisaient de grands gestes, puis s’en retournaient. C’était un mouvement, un spectacle des plus drôles.
    — Comme tout cela, dit Martinon, aurait amusé Mlle Cécile !
    — Ma femme, vous savez bien, n’aime pas que ma nièce vienne avec nous, reprit en souriant M. Dambreuse.
340 III, 1
On ne l’aurait pas reconnu. Depuis trois mois il criait : « Vive la République ! », et même il avait voté le bannissement des d’Orléans. Mais les concessions devaient finir. Il se montrait furieux jusqu’à porter un casse-tête dans sa poche.
    Martinon, aussi, en avait un. La magistrature n’étant plus inamovible, il s’était retiré du Parquet, si bien qu’il dépassait en violences M. Dambreuse.
340 III, 1
le vicomte rêvait le mariage. Il l’avait dit à Martinon, ajoutant qu’il était sûr de plaire à Mlle Cécile et que ses parents l’accepteraient.
    Pour risquer une telle confidence, il devait avoir sur la dot des renseignements avantageux. Or Martinon soupçonnait Cécile d’être la fille naturelle de M. Dambreuse ; et il eût été, probablement, très fort de demander sa main à tout hasard. Cette audace offrait des dangers ; aussi Martinon, jusqu’à présent, s’était conduit de manière à ne pas se compromettre ; d’ailleurs, il ne savait comment se débarrasser de la tante. Le mot de Cisy le détermina ; et il avait fait sa requête au banquier, lequel, n’y voyant pas d’obstacle, venait d’en prévenir Mme Dambreuse.
361 III, 2
M. Dambreuse sortit de son cabinet avec Martinon. Elle détourna la tête, et répondit aux saluts de Pellerin qui s’avançait.  362 III, 2
Le maître d’hôtel vint annoncer que Madame était servie. D’un regard, elle ordonna au vicomte de prendre le bras de Cécile, dit tout bas à Martinon : « Misérable ! », et on passa dans la salle à manger. 363 III, 2
Grâce à Martinon, qui lui avait enlevé sa place pour se mettre auprès de Cécile, Frédéric se trouvait à côté de Mme Arnoux. 363 III, 2
Martinon s’y prenait mieux. D’un train monotone, et en la regardant continuellement, il vantait son profil d’oiseau, sa fade chevelure blonde, ses mains trop courtes. La laide jeune fille se délectait sous cette averse de douceurs. 365 III, 2
On arriva, tout naturellement, à relater différents traits de courage. Suivant le diplomate, il n’était pas difficile d’affronter la mort, témoin ceux qui se battent en duel.
    — On peut s’en rapporter au vicomte, dit Martinon.
    Le vicomte devint très rouge.
    Les convives le regardaient ; et Louise, plus étonnée que les autres, murmura :
    — Qu’est-ce donc ?
    — Il a calé devant Frédéric, reprit tout bas Arnoux.
    — Vous savez quelque chose, mademoiselle ? demanda aussitôt Nonancourt.
    Et il dit sa réponse à Mme Dambreuse, qui, se penchant un peu, se mit à regarder Frédéric.
    Martinon n’attendit pas les questions de Cécile. Il lui apprit que cette affaire concernait une personne inqualifiable. La jeune fille se recula légèrement sur sa chaise, comme pour fuir le contact de ce libertin.
365 III, 2
Le bonhomme l’avait même pris pour « un tableau gothique ».
    — Non ! dit Pellerin brutalement ; c’est un portrait de femme.
    Martinon ajouta :
    — D’une femme très vivante ! N’est-ce pas, Cisy ?
    — Eh ! je n’en sais rien.
    — Je croyais que vous la connaissiez. Mais du moment que ça vous fait de la peine, mille excuses !
    Cisy baissa les yeux, prouvant par son embarras qu’il avait dû jouer un rôle pitoyable à l’occasion de ce portrait.
366 III, 2
 Frédéric s’imaginait que ces deux histoires pouvaient le compromettre ; et quand on fut dans le jardin, il en fit des reproches à Martinon.
    L’amoureux de Mlle Cécile lui éclata de rire au nez.
    — Eh ! pas du tout ! ça te servira ! Va de l’avant !
    Que voulait-il dire ? D’ailleurs, pourquoi cette bienveillance si contraire à ses habitudes ? Sans rien expliquer, il s’en alla vers le fond, où les dames étaient assises.
366 III, 2
À peine dans le jardin, Mme Dambreuse, prenant Cisy, l’avait gourmandé de sa maladresse ; à la vue de Martinon, elle le congédia, puis voulut savoir de son futur neveu la cause de ses plaisanteries sur le vicomte.
    — Il n’y en a pas.
    — Et tout cela comme pour la gloire de M. Moreau ! Dans quel but ?
    — Dans aucun. Frédéric est un charmant garçon. Je l’aime beaucoup.
    — Et moi aussi ! Qu’il vienne ! Allez le chercher !
368 III, 2
Mme Dambreuse, par intervalles, lançait une parole plus haute, quelquefois même un rire.
    Ces coquetteries n’atteignaient pas Martinon, occupé de Cécile ;
368 III, 2
comme tout le monde s’en allait, le vicomte s’inclina très bas devant Cécile :
    — Mademoiselle, j’ai bien l’honneur de vous souhaiter le bonsoir.
    Elle répondit d’un ton sec :
    — Bonsoir !
    Mais elle envoya un sourire à Martinon.
370 III, 2
 Dès qu’il fut question de mariage, elle avait objecté à M. Dambreuse la santé de la « chère enfant », et l’avait emmenée tout de suite aux bains de Balaruc. À son retour, des prétextes nouveaux avaient surgi : le jeune homme manquait de position, ce grand amour ne paraissait pas sérieux, on ne risquait rien d’attendre. Martinon avait répondu qu’il attendrait. 382 III, 3
Sa conduite fut sublime. Il prôna Frédéric. Il fit plus : il le renseigna sur les moyens de plaire à Mme Dambreuse, laissant même entrevoir qu’il connaissait, par la nièce, les sentiments de la tante. 382 III, 3
Nonancourt s’occupait de la propagande dans les campagnes, M. de Grémonville travaillait le clergé, Martinon ralliait de jeunes bourgeois. 383 III, 3
 il n’arrivait pas plus à la séduire que Martinon à se marier. Pour en finir avec l’amoureux de sa nièce, elle l’accusa de viser à l’argent, et pria même son mari d’en faire l’épreuve. M. Dambreuse déclara donc au jeune homme que Cécile, étant l’orpheline de parents pauvres, n’avait aucune « espérance » ni dot. Martinon, ne croyant pas que cela fût vrai, ou trop avancé pour se dédire, ou par un de ces entêtements d’idiot qui sont des actes de génie, répondit que son patrimoine, quinze mille livres de rente, leur suffirait. Ce désintéressement imprévu toucha le banquier. Il lui promit un cautionnement de receveur, en s’engageant à obtenir la place ; 385 III, 3
et, au mois de mai 1850, Martinon épousa Mlle Cécile. Il n’y eut pas de bal. Les jeunes gens partirent le soir même pour l’Italie. 385 III, 3
Elle le prévint que la succession appartenait à sa nièce, motif de plus pour liquider ces créances qu’elle rembourserait, tenant à accabler les époux Martinon des meilleurs procédés. 428 III, 5
Martinon était maintenant sénateur. 442 III, 7
     

Nicole Sibireff