JUIN 1848 Doc Table générale Mode d'Emploi

 

SOURCES

TABLE DES MATIÈRES

 

I. LETTRES DE MAXIME DU CAMP (EXTRAITS)

20 juin 1868 (Correspondance, III.86)
22 septembre 1868 (Correspondance, III. 862)
1er octobre 1868 (Correspondance, III.864)
1ère quinzaine octobre 1868 (Correspondance, III. 864)

II. MEMORIALISTES (EXTRAITS)

Le Marquis de Normanby, Une Année de Révolution (Le caveau des Tuileries)
Adrien Pascal, Histoire de l'Armée et de tous les régiments (Monsieur de la Ferté)
Alphonse Balleydier, Histoire de la Garde Républicaine (Les frères Jeanson)
Alboize et Charles Elie, Fastes des Gardes Nationales de France (Chatel)
Daniel Stern, Histoire de la Révolution de 1848 (L'Insurgé de Juin)
Daniel Stern, Histoire de la Révolution de 1848, p.653 (La Fête de la Concorde)
Daniel Stern, Histoire de la Révolution de 1848, p.653 (Le lieutenant-colonel Thomas)

III. JOURNAUX (EXTRAITS)

«Notice historique» in La Commune de Paris (La terrasse du bord de l'eau)
Le National, le 24 février 1848 (Lutte sur les barricades)
Le National, le 27 février 1848 (Lutte sur les barricades)
Les Débats, le 28 juin 1848 (La Place du Panthéon)

IV. DANIEL STERN, HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848

pp. 584-684

V. MAXIME DU CAMP, SOUVENIRS DE L'ANNÉE 1848

pp. 201-308.

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I. LETTRES DE MAXIME DU CAMP

Tous les extraits sont tirés de Gustave Flaubert. Correspondance , Édition présentée, établie et annotée par Jean Bruneau, Paris, Pléiade, 1991, vol III.

  ⚈  Lettre du 20 juin 1868

Les gardes commençaient à 10 heures du matin et finissaient le lendemain à la même heure. Dans le courant du soir ou de la nuit on avait une faction de deux heures à faire. Les postes étaient fort tristes.

Murailles peintes en jaune pâle, lits de camp, planche pour mettre les sacs, râteliers (c'est le mot pour les fusils.) Un poêle en fonte, une table, deux bancs, deux ou trois chaises de paille dépenaillées. À côté du poste et s'y ouvrant, la chambre des officiers: grand fauteuil de maroquin, à oreillettes, pour dormir, un lit de camp avec un matelas, table, tout ce qu'il faut pour écrire . Tu peux admettre que ton jeune homme a été monter la garde d'un ami dans une légion qui n'est pas la sienne. À moins d'un hasard, ou d'une circonstance spéciale, cette réunion au même poste est assez difficile. [...]

A cette époque (48) on changeait l'uniforme et l'on substituait le ceinturon aux buffleteries. Cela peut te donner occasion d'une bonne conversation d'imbéciles, à ce sujet. ( Correspondance, III, 861)

  ⚈  Lettre du 22 septembre 1868

Cher vieux,

[...]
Je n'ai aucun souvenir des ambulances de juin 1848 et je crois bien qu'il n'y en avait pas. 1o parce que les gardes nationaux blessés étaient postés chez eux; 2o parce que les soldats blessés, jusque les insurgés blessés étaient transférés aux hôpitaux; 3o parce que, derrière les barricades, les insurgés cachaient leurs blessés dans les maisons voisines. - après la bataille, dans les rues, devant les portes cochères, les femmes faisaient de la charpie, en plein jour. [...]

Quant à mes souvenirs sur Paris la nuit, les voici: aspect sinistre ; rues vides, parcourues par des patrouilles de garde nationale de 100 à 150 hommes au moins; des tambours escortés par deux ou trois compagnies, allaient de rues en rues battant la générale pour appeler tout le monde aux armes; les maisons absolument éteintes et obscures . Dans toute lumière on voyait un signal d'insurrection et l'on tirait sur les fenêtres éclairées; Aimée a été visée et tirée sur notre escalier, par une vedette. Les sentinelles ciraient de dix en dix minutes : « Sentinelles, prenez garde à vous! » Les dragons de Goyon étaient de service, partout en vedettes; personne ne circulait sauf quelques hommes en BLOUSE BLANCHE qui disaient un mot d'ordre et passaient; c'étaient des agents de police déguisés. - L'artillerie étaiet arrivée le dimanche venant de Bourges, elle était entrée à Paris, par les Batignolles; le lundi matin elle avait pris position vers le Faubourg Saint-Antoine; ton héros peut donc l'avoir rencontrée dans la nuit du dimanche à lundi. Insiste sur ce double effet sûr. Silence anormal troublé de temps en temps par un bruit absolument particulier qui n'avait rien de commun avec les bruits ordinaires de Paris; c'était là le caractère spécial du Paris nocturne et qui, en dehors des événements, causait une sorte de stupeur à tout le monde. Le changement brusque et radical des apparences du milieu suffisait à épouvanter les Bourgeois : donc obscurité des façades de maison, silence profond, noir ; tout à coup des cris se répètent: « Sentinelles, prenez garde à vous! »; silence; bruissement de 150 hommes marchant en cadence; - silence; fracas de la générale! - silence, roulement des canons très sourd et très puissant; toute poitrine est oppressée. Cette oppression , cet étouffement est resté très net dans mon souvenir. Parfois des gardes nationales [sic] se faisaient ouvrir les maisons, les visitaient appartement par appartement et faisaient marcher les camarades poltrons. Dans la nuit de lundi au dimanche [sic], comme les troupes arrivaient, que les gardes nationales affluaient, il devait y avoir bien des feux de bivouac aux places, carrefours et boulevards. Voilà.

Quant à Fontainebleau, moi pas savoir; mais le chemin de fer de Corbeil était ouvert depuis 1843 (je crois), on allait en wagon jusqu'à Juvisy ou Corbeil, puis on prenait soit une gondole, soit la diligence [...]. Du reste, en consultant l'almanach Bottin de l'époque (voitures publiques, Fontainebleau) tu auras toutes sortes de renseignements à cet égard. (NAF, 17611, fos 172-3) (Correspondance,III. 862)

  ⚈   Lettre du 1er octobre 1868

Rien n’est plus simple. Toutes les barrières depuis celle de Fontainebleau jusqu’à celle des Batignolles exclusivement étaient entre les mains des insurgés. La grosse artillerie venue de Bourges par le chemin de fer d’Orléans débarque à je ne sais quelle station, traverse la Seine à Charenton, [...] fait le tour de Paris et entre par les Batignolles, ou plus exactement par la barrière [de] Clichy. Elle passe de la Madeleine le dimanche vers 2 heures de l’après-midi. [...] C’est cette artillerie qui, mise en batterie place de la Bastille, décida la réddition du faubourg Saint-Antoine et la fin de l’insurrection. Un mot de haut comique et que dans la nuit du dimanche au lundi ton héros a pu entendre: toutes les fois qu’un blessé passait sur sa civière, les postes des gardes nationales présentaient des armes et jamais l’officier de service ne ratait de dire: « Honneur au courage malheureux! » ou: « Nous vous vengerons ! » [...]

[...]

(BN, NAF, 17611, f os 174-5, Correspondance, III, 1864)

  ⚈   Lettre de la 1ère quinzaine octobre 1868

Il est très difficile de te donner positivement les renseignements que tu demandes; mais tu pourrais tirer parti des observations générales que voici: Normalement il y avait à l’entrepôt des Vins, quai Saint-Bernard, un grand poste occupé par les gardes républicaines; la caserne de la rue de Lourcine était occupé par les gardes mobiles. Si dans le quartier Saint-Victor il y avait des postes pendant la nuit du dimanche au lundi, ils étaient au pouvoir des gardes nationales barroques, bizets, bourgeois armés et vêtus de fantasie: chacun gardait son quartier, c’était le vrai mot d’ordre de la grande masse des Parisiens, à ce moment. Le peu de troupes de Ligne qu’on avait à Paris, tiré de Melun, de Versailles etc était, ou devait être groupé aux environs du Faubourg St Antoine, vers le canal dont on s’était rendu maître très difficilement, qui était un point fort important de la stratégie urbaine et qu’on craignait de voir repris par l’insurrection. Quant à l’aspect particulier du quartier, voici, raisonnant par analogie, comment je me le figure : derrière la grande et massive obscurité du Jardin des Plantes, la Pitié éclairée à toute fenêtre; on y apportait depuis trois jour les blessés et la besogne ne manquait pas; peut-être dans les rues ? un cortège portant une civière vers l’hôpital. Nul poste proprement dit, mais des masses de petits postes composés des gens du quartier, ayant posé des sentinelles à l’entrée des rue et se tenant chez les marchands de vin et les gargotes dont ce coin de Paris est rempli. Les sentinelles gueulent: «Alerte, qui vive? Passez au large. Garde à vous à tout passant qui se présentait. Zèle passif des bourgeois, interrogatoires minutieux de tout individu arrêté; causeries imbéciles, c’est Henri V; on a trouvé de l’or russe et anglais sur les insurgés morts, le duc d’Aumale a débarqué à Calais; Barbès s’est sauvé de Vincennes», etc., etc. En somme, toujours l’effet que je t’avais signalé et qui m’avait vivement frappé : silence de terreur ou plutôt d’appréhension, troublé par des rumeurs anormales qui augmentaient les craintes.
(BN n.a.fr., 17611, fo 176) (Correspondance, III. 864-5)

 

II. MEMORIALISTES

  ⚈   ‘Notice historique’ in La Commune de Paris

Les premiers prisonniers amenés au Caveau des Tuileries y entrèrent le vendredi 23 juin, vers midi, peu nombreux d'abord; le soir on les y conduisait par bandes. Le samedi 24 et le dimanche 25, ce fut bien autre chose encore. C'était par centaines qu'on les entassait dans l'antre. Avant d`être soumis à l'impression terrifiante sous laquelle on les plaça, plusieurs firent le dénombrement de leurs compagnons d'infortune; ils était plus de neuf cents. L'un d'eux en compta régulièrement neuf cent dix.
Cependant on ne cessait d'en amener d'autres à chaque instant. Afin de désencombrer, on commença un appel: tous ceux qui répondirent furent emmenés par la garde nationale. [...] Après chaque appel, les prisonniers avaient entendu des décharges répétées de mousqueterie. Tout-à-coup le bruit court que leurs camarades n'ont été amenés que pour marcher à la mort. [...] Ils se blottissent les uns contre les autres, s'assoient, enlacent leur jambes et demeurent là, immobiles et muets.
C'était dans le même temps, à la même heure, peut-être, qu'un officier, indigne de porter l'épée, tirait par un soupirail de cave, à l'École-Militaire, sur des malheureux qui réclamaient du pain, et demandait, en ricanant, après en avoir tué un : "Qui a encore faim? je vais le servir."
La terreur était profonde dans le caveau. Nous l'avons dit, nul des prisonniers n'osait remuer. Tout à coup des cris éclatants se font entendre. Les gardes nationaux de Compiègne, de Noisy, de Noyon, de Joinville, ceux de Paris aussi, saluaient l'arrivée des Rouennais. Un immense cri s'élève au milieu du jardin des Tuileries: vivent les Rouennais! Il arrive jusqu'aux prisonniers du caveau. La distance qui les sépare du lieu de l'ovation, la stupeur dans laquelle ils sont plongés, ne leur permettent pas de distinguer les mots proférés tout à l'heure par mille voix. Les captifs croient avoir entendu crier: vive le Roi ! Une lueur d'espoir se glisse sous la sombre voûte; on croit qu'une restauration monarchique arrive, que la République est détruite. Alors une cinquantaine de malheureux, dans la vue de se soustraire au sort funeste dont ils sont menacés, répondent aux acclamations qu'ils ont cru entendre. Le cri: vive le roi! sort du caveau. A peine est-il entendu au dehors que les balles sillonnent de nouveau les murs intérieurs de l'antre. Les infortunés se sont trompés; ils le reconnaissent, et retombent dans la terreur première, augmentée, cette fois, de l'inexprimable angoisse qui succède à l'espoir irrévocablement détruit.
Ils étaient sans pain, sans eau, couchés dans l'ordure qui couvrait le sol à deux centimètres d'épaisseur, plongés dans une atmosphère chargée de tous les miasmes délétères et putrides nés de la situation. L'aspect lugubre du caveau ajoutait encore, s'il est possible, à l'horreur: une lanterne était suspendue auprès de l'escalier: dans ce bain d'air épais et fétide, sa lumière paraissait rouge comme du sang. De temps à autre, on voyait de petites flammettes bleuâtres, ou vertes, ou colorées en jaune, produit des émanations gazeuses qui, en nageant dans l'espace, allaient s'enflammer au foyer de cette lanterne, véritable fanal d'enfer.
Un propriétaire de province était venu à Paris pour voir ses enfants; il est pris par des gardes nationaux de l'armée roulante et amené au caveau des Tuileries . Aussitôt après son entrée, on apprend de lui qu'il possède au moins dix mille francs de rentes. Sa tenue annonçait certainement un homme dans l'aisance; il était bien vêtu et porteur d'une belle montre en or. Il était de stature colossale et d'une force herculéenne. Devenu fou, ses voisins avaient la plus grande peine du monde à le maintenir près d'eux afin qu'il ne fût pas tué. Il se trouvait placé à l'une des extrémités du caveau, non loin du lion de Baryre. L'un de ceux qui le maintenaient ayant été forcé de le laisser un instant, le fou secoue rudement ceux qui le tenaient encore, il se dégage, se lève et se précipite vers l'autre extrémité, en s'écriant: Mieux vaut mourir! Plusieurs coups de fusil partent aussitôt. Blessé au bras et à la cuisse, il parvient néanmoins à gagner l'escalier. Son pied était posé sur la première marche quand un nouveau coup de feu, tiré à bout portant, lui fait sauter le crâne et colle sa cervelle sur le baquet. Le corps resta étendu là pendant plus de douze heures. br> L'homme qui tua ce pauvre insensé était porteur d'un beau fusil de chasse à deux coups. Il fit entendre aussitôt ce propos atroce: Ah bon! je m'en vais écrire à ma femme que j'ai tué un joli pierrot !
Le Marquis de Normanby, Une Année de Révolution, (Paris, Plon, 1858, 2 vols, vol. 2, p.145)

 

  ⚈  Sur les barricades


▢ [...] Ainsi se sont trouvés rapprochés le marquis de la Ferté et un garde mobile en face d’une de ces barricades les plus formidables des boulevards. [...]. Les gardes mobiles, pour la plupart enfants de quinze à dix-sept ans, appartiennent tous à la famille du «gamin de Paris,» [...]. La résistance derrière cette barricade monstre avait un peu faibli, quoiqu’une fusillade irrégulière, partie du sommet et du flanc, se fit toujours entendre; [...]. M. de la Ferté se trouvait un peu en avant, à côté d’un petit garde mobile qui s’était déjà bravement battu. Un drapeau rouge flottait, par défi, au sommet de la barricade, lorsque son compagnon, garçon de quinze ans, s’adressant à lui: «Grand garde national,» dit-il, «veux-tu prendre ce drapeau à nous deux?
Soit, petit garde mobile, avançons.» Ils avaient fait les deux tiers du chemin, lorsque le petit bonhomme tomba, atteint à la jambe, et regardant d’un air piteux son gigantesque compagnon, lui dit: «Hélas! grand garde national, je n’aurai donc pas, moi, ce drapeau? — Si fait, petit garde mobile, tu l’auras.» Il prend alors l’enfant doucement dans les bras, le place sur ses épaules, s’élance vers le sommet de la barricade, et, sous le feu général de ceux qui la défendaient, encourage le blessé à étendre sa main avide de saisir le drapeau rouge, et à l’agiter au-dessus de sa tête avec un sentiment d’orgueil qui, dans le moment, lui faisait oublier sa douleur et sa faiblesse. Ils redescendirent ensuite sans autre accident; M. de la Ferté, chargé toujours de son intéressant fardeau, le transporta à l’arrière du détachement pour lui faire donner les secours nécessaires, et le héros enfant conserva le trophée qu’ils avaient conquis ensemble et qu’il tenait serré dans ses main.
Adrien Pascal, Histoire de l'Armée et de tous les régiments, (Paris, Barbier, 1853-58, 5 vols, vol. 4, p. 370)

▢ [...] Le cri: En avant! retentit, et les barricades qui barraient ces rues sont emportées à la baïonnette; ce qui restait d’hommes à les défendre fuit par toutes les rues de retraite.
C’est sur ce point qu’eut lieu le trait qui a valu, en avril 1850, de grandes chances électorales à M. Leclerc, commerçant, et garde dans la 3e légion. M. Leclerc combattait bravement, ayant à ses côtés un de ses fils; celui-ci est frappé mortellement; le père emporte le cadavre de son enfant, et amène au combat son second fils. Admirons ce stoïcisme qui est d’un grand citoyen, mais, disons-le aussi, d’un père sans entrailles. [...]
Ralliés à une fraction du 3e bataillon, sans y rencontrer la compagnie qu’ils cherchaient, les deux frères se trouvèrent bientôt engagés avec quelques camarades et des gardes mobiles dans la rue du Faubourg-Saint-Denis. Les insurgés, dont quelques-uns étaient logés dans des maisons et derrière des palissades, faisaient un feu continuel. Un moment, Alfred et Eugène furent séparés dans la partie la plus large de la rue. Dans ce moment même, une balle fracassa le bras d’Alfred, que l’on emporta loin du champ de la bataille sans que son frère pût le voir ou l’apprendre.
Eugène, ignorant l’accident qui venait d’arriver à son frère, continuait d’avancer avec les gardes mobiles. Un des insurgés, qui se rendait redoutable à ses adversaires par la justesse de son tir, se portait toujours en avant de sa bande pour décharger son arme. C’est lui qu’Eugène prend pour point de mire; mais au moment où il allait tirer, un garde mobile lui arrête le bras: «Camarade, dit-il, votre chien n’a pas de pierre.» Le jeune homme abaisse aussitôt son fusil: en effet, la pierre y manque. «Eh bien! s’écrie-t-il avec résolution, à la baïonnette! » Et il s’élance sur le tireur; mais celui-ci l’ajuste et fait feu. Eugène chancelle; la balle l’a frappé dans le haut de la cuisse. «Alfred! s’écrie-t-il d’une voix douloureuse. A moi, frère! » Hélas! Alfred ne pouvait plus l’entendre; mais des gardes mobiles accourent à sa voix, l’enlèvent et le transportent au no 200 de la rue du Faubourg.
Alphonse Balleydier, Histoire de la Garde Républicaine (Paris, Martinon-Ledoyen et Giret, 1848, pp. 65-61 et 119-120)

▢ Un autre tambour, un enfant nommé Chatel, engagé dans la garde républicaine, battait également la charge au pied d'une barricade qui vomissait une pluie de feu. Une balle lui brise la main droite, il l'entoure de son mouchoir et continue tranquillement de la main gauche. La barricade est enlevée, les gardes républicains la franchissent, Chatel les suit tambour battant; un combat à l'arme blanche s'engage. Chatel, qui se trouve engagé dans la mêlée, a la main coupée d'un coup de sabre; il chancelle, mais se redressant aussitôt sans proférer un cri, il frappe la caisse de son moignon ensanglanté jusqu'au moment où ses forces trahissant son courage il est porté sans connaissance à l'hôpital. L'histoire authentique n'a rien de plus beau. Cet enfant, ce héros veux-je dire, méritait la croix d'honneur... Une croix de bois seule abrite sa tombe.
Alboise et Charles Elie, Fastes des Gardes Nationales de France, (Paris, A. Goubaud, 2 vols, vol 2, p.186-7)

▢ Enfin, après trois-quarts d’une lutte acharnée, sans exemple dans l’histoire des guerres civiles, les défenseurs de la barricade commencent à plier, le pied leur glisse dans le sang; ils reculent devant les soldats de toutes armes qui s’avancent pêle-mêle, garde nationale, garde républicaine et mobile, troupes de ligne. Un long cri de vive la République! se fait entendre. La barricade est enlevée, une seconde barricade est franchie, puis une troisième; mais tout à coup une horrible décharge vient prendre par le travers les soldats qui s’avancent toujours la baïonnette en avant, elle est partie d’une maison occupée dans le bas par la boutique d’un marchand de vin. Le colonel de Vernon en fait enfoncer la porte, et, le premier, il pénètre dans la boutique, au fond de laquelle il aperçoit un grand nombre d’insurgés armés, le front couvert de sang, les habits en désordre et les mains noires de poudre... Les baïonnettes dirigées contre sa poitrine ne l’arrêtent point, il se dirige vers eux ... une admirable pensée d’humanité s’est glissée dans son âme, à travers les cris de mort et de vengeance qui s’élèvent autour de lui.... il jure de les sauver.
«Rendez-vous, leur dit-il en leur tendant la main, rendez-vous, déposez vos armes, il ne vous sera fait aucun mal ...»
Les insurgés hésitent, car l’attitude des soldats de toutes armes groupés sur les débris de la porte est des plus menaçantes.
«Laissez-les nous, colonel, disent-ils; le sang de nos frères lâchement assassinés crie vengeance ... point de quartier pour ces misérables.»
Ainsi placé entre la vengeance exaspérée qui demande à se faire justice et le sentiment de l’humanité qui conseille le pardon, le colonel se trouve un instant exposé aux coups des deux partis, il lutte avec une incroyable persistance contre l’un et l’autre. Tour à tour il commande, il ordonne, il supplie; le temps presse, car le feu continue sans relâche.
Le colonel de Vernon, illuminé par un de ces élans subits qui éclairent et sauvent les situations les plus critiques, le colonel jette alors son chapeau sur le comptoir du marchand de vin, et faisant un rempart de son corps aux malheureux insurgés qui se trouvaient à leur dernière heure, il s’écrie:
«Je le jure sur l’honneur! je vous sauverai.»
Le colonel a tenu parole, il les a sauvés.
Un instant après, rallié par le général Bedeau, qui de son côté fait des prodiges de valeur et s’expose comme le dernier de ses soldats, il lui dit:
«Mon général, j’ai sauvé la vie à un grand nombre d’insurgés vaincus».
Daniel Stern, Histoire de la Révolution de 1848, II, 73-4

▢ Le mécontentement de la population en était encore à ce premier période où il se fait jour par les propos moqueurs: dans la fête de la Concorde, chaque chose devint matière à raillerie. On rit du char de l’Agriculture, traîné par des boeufs à la corne dorée mais en réalité par vingt chevaux de labour; on persifla les cinq cents filles couronnées de chêne qui suivaient le char.
Ce qui fit la puissance de l’insurrection de juin et son incroyable durée, bien qu’elle n’eût jamais ni plan, ni chef, c’est qu’elle avait à son origine, et qu’elle conserva jusqu’à la fin, dans l’esprit d’un grand nombre, le caractère d’une juste protestation contre la violation d’un droit; c’est qu’il y avait ainsi en elle, malgré les éléments impurs qui la corrompirent, malgré les violences qu’elle commit, un principe moral, un principe égaré, mais vrai, d’enthousiasme, de dévouement, d’héroïsme: un mont sacré intérieur où le peuple sentait le droit.
L’insurgé de juin, ne l’oublions pas, c’est le combattant de février, le prolétaire triomphant, à qui un gouvernement, proclamé par lui-même, assure solennellement, à la face du pays qui ne proteste pas, le fruit modeste de sa conquête: le travail pour la récompense de sa misère, le travail comme prix de combat.
Daniel Stern, Histoire de la Révolution de 1848, pp. 607-608 et p.653

▢ Pendant que le lieutenant-colonel Thomas, à la tête de deux bataillons du 14e et du 24e léger et d’un détachement de la garde républicaine, fait des efforts extraordinaires pour dégager les rues, la garde mobile essaye de s’emparer des bâtiments en construction qui entourent la place. Après une longue lutte, où plus de cents des leurs périssent, les gardes mobiles sont forcés de renoncer à leur entreprise. Mais, dans le même temps, la troupe de ligne, plus heureuse, a pénétré, par une porte de derrière, dans l’École de droit, et commence à tirer, par les fenêtres, sur le Panthéon. Les insurgés, installés dans la mairie, ripostent. Ce qui se passe là, pendant deux heures environ, est moins un combat qu’une horrible tuerie.
Daniel Stern, Histoire de la Révolution de 1848, pp. 607-8.

 

III. LES JOURNAUX

  ⚈  Le National

24 février 1848

Arrivé à l’extrémité du faubourg (Saint-Martin), la troupe de ligne s’arrête tout-à-coup: une barricade lui barrait le passage.... Le commandant des forces voulait faire marcher les troupes. A ce moment, un jeune homme du peuple descend de la barricade, enveloppé d’un drapeau rouge; le commandant s’approche de lui, le somme de se retirer; les soldats étaient au moment de faire feu. Le jeune homme s’agenouille et crie: «Nous n’avons pas d’armes; oserez-vous tirer contre nous?» Quelques témoins de la scène entourent l’officier et le décident à faire retirer sa troupe de plusieurs pas (Voir A.Guisan, «Flaubert et la Révolution de 1848», Revue d'histoire littéraire de la France, 58 (1958), 183-204 (p. 200) ).

27 février 1848

Au moment où un bataillon de la ligne s’apprêtait à charger les défenseurs d’une barricade de la rue Saint-Honoré, un jeune homme s’élance, tenant un drapeau tricolore à la main, debout sur la barricade; il roule le drapeau autour de son corps, et s’adressant à la troupe: «Oserez-vous maintenant faire feu?» Les soldats saisis d’admiration, s’arrêtent, tirent leur fusil en l’air et les livrent aux citoyens. (Voir A.Guisan, «Flaubert et la Révolution de 1848», Revue d'histoire littéraire de la France, 58 (1958), 183-204 (p. 200) ).

  ⚈  Les Débats

28 juin 1848

Le quartier latin, depuis la rue de la Harpe jusqu’à la place Maubert, depuis l’Hôtel-Dieu jusqu’à l’extrémité du faubourg Saint-Marceau, est celui qui a peut-être le plus souffert. Sur cette partie de la capitale, le combat a été le plus acharné. Les traces de l’émeute y sont partout horriblement visibles.
… La rue Saint-Jacques présente dans les parties voisines de la rue des Mathurins et du pont de l’Hôtel-Dieu, l’aspect le plus désolant. La façade de chaque maison est criblée de balles. Toute saillie de maçonnerie, de porte, d’enseigne, est sillonnée par les balles; mais la partie la plus maltraitée est celle qui temine la rue.

 

IV. DANIEL STERN,  HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848 (pp. 584-684)

 

V. MAXIME DU CAMP,  SOUVENIRS DE L’ANNÉE 1848 (pp. 201-308).

 

 

   Table générale