SCÉNARIOS : ANALYSES
⚈ 17611, f o 91 (Scénario d'ensemble I)
Flaubert a produit quatre scénarios couvrant l'ensemble du roman, dont aucun n'est complet. Ce folio est le seul qui couvre les deux premiers tiers de la Partie III, Chapitre I, et appartient à un scénario d'ensemble. Les changements de pagination suggèrent qu'il a pu être intégré dans des scénarios successifs. Dans un résumé antérieur, la Partie III du roman devait commencer par l'épisode de Fontainebleau. Dans ce folio, qui a probablement été placé dans différents scénarios à différents moments, il commence pour la première fois par la Révolution de Février. Le chapitre, cependant, devait se terminer par le départ de Frédéric pour Fontainebleau. Les limites entre les différents chapitres restent instables au début du processus de planification. Dans ce premier scénario pour la Partie III, Chapitre I, l'accent est mis sur les diverses relations de Frédéric et les événements historiques sont simplement présentés comme un arrière-plan. Un fil conducteur de ce scénario est le schéma des relations de Frédéric avec deux hommes plus âgés, Dambreuse et Arnoux. Dambreuse cherche la protection de Frédéric, tandis qu'Arnoux provoque en lui un mélange de sentiments contradictoires. L'épisode du Corps de Garde, auquel un espace considérable est consacré, découle de ce nœud d'impulsions conflictuelles. Dans cette première visualisation de l'épisode, c'est apparemment Frédéric qui tient le fusil, suggérant un rôle plus actif dans l'élimination fantasmée d'Arnoux. Si la "haine" qu'il ressent pour Arnoux culmine à ce stade dans une envie momentanée de le tuer, c'est son "amitié" qui est soulignée dans le repas qu'ils partagent plus tard. Étroitement liée à ces réactions opposées, il y a la fixation sur Madame Arnoux, reflétée par le détail inhabituellement précis du foulard. Un objet aux associations fétichistes prononcées, dont la présence même sur Arnoux est surprenante, fonctionne comme un bouclier protecteur. Flaubert suggère qu'Arnoux est indissolublement lié dans l'esprit de Frédéric à sa femme, ce qui sert déjà de facteur inhibiteur, bloquant l'agression. Avec des modifications relativement mineures, cette première ébauche de l'épisode reste intacte dans les scénarios ultérieurs, suggérant qu'elle était considérée par Flaubert comme un élément à la fois vital et sûr dans la structure du roman. À ce stade précoce de la planification, il existe une opposition claire – qui sera plus tard atténuée – entre la scène où Frédéric, jeune homme, ne parvient pas à tirer sur un homme plus âgé, Arnoux, qui sert temporairement comme Garde national, et la scène où Roque, un vieil homme, servant également temporairement comme Garde national, commet des atrocités.
⚈ 17611, f o 92 (Scénario d'ensemble I)
Il est bien connu que Flaubert a passé un temps inouï à planifier L'Éducation sentimentale. Les traces écrites du processus de planification sont aussi longues qu'un roman et Flaubert, d'une manière confinant à la compulsion, a répété à maintes reprises les événements majeurs du roman dans une série de résumés et de scénarios sur une période de deux ans, avant de s'atteler enfin au travail de composition effective. Flaubert a produit quatre scénarios couvrant l'ensemble du roman, dont aucun n'est complet. Ce folio appartenait à l'un des scénarios couvrant l'intégralité du roman. Dans un Résumé antérieur, la Partie III du roman devait commencer par l'épisode de Fontainebleau. Dans ce folio, c'était initialement le cas, mais la suppression de "III" reflète un changement majeur dans la segmentation du roman. La première partie de ce folio couvre l'épisode de Fontainebleau et les Journées de Juin. À ce stade, il est envisagé que Dussardier meure en juin. Cette intention originale peut provenir de la nécessité structurelle de fournir une "contrepartie" aux pulsions agressives de Frédéric envers Arnoux. Flaubert stipule qu'en juin, Roque, à ce stade appelé Desroches, "commet des atrocités dans la garde nationale". Dès le début, Flaubert souhaitait donc impliquer un personnage fictif dans les atrocités commises au lendemain des Journées de Juin, bien que la forme exacte de cette implication n'ait pas été décidée. À ce stade précoce de la planification, il existe une opposition claire – qui sera plus tard atténuée – entre la scène où Frédéric, jeune homme, ne parvient pas à tirer sur un homme plus âgé, Arnoux, qui sert temporairement comme Garde national, et la scène où Roque, un vieil homme, servant également temporairement comme Garde national, commet des atrocités.
⚈ 17607, fo 117 (Scénario d’ensemble III)
La préparation de L'Éducation sentimentale par Flaubert fut pour le moins minutieuse : il existe quatre plans couvrant l'ensemble du roman, deux ensembles complets de plans par partie et des plans par chapitre pour tous les chapitres, à l'exception des quatre premiers chapitres de la Partie I. Il y a cependant des lacunes importantes, notamment dans les scénarios d'ensemble, dont aucun n'est complet. Dans certains cas, des folios ont été transférés d'un scénario à un autre, dans d'autres, ils ont pu être perdus ou mal classés. Ce folio couvre l'épisode de Fontainebleau, qui était d'abord placé au début du deuxième chapitre de la Partie III, et le Dîner chez les Dambreuse, qui devait d'abord remplir le troisième chapitre. Il a été clairement écrit après l'unique autre folio couvrant le même sujet, le f o 92. Une analyse de la pagination de Flaubert et des divisions changeantes des Parties et des Chapitres, qui varient considérablement dans cette partie du processus de planification, suggère que ce folio a pu initialement faire partie du troisième scénario d'ensemble, avant d'être déplacé vers le quatrième. Ce folio est significatif pour plusieurs raisons. Il marque le moment où Flaubert décide de modifier le contenu du chapitre d'ouverture de la Partie III : au lieu que l'épisode de Fontainebleau et les Journées de Juin et leurs conséquences soient placés dans le Chapitre II, il est maintenant envisagé qu'ils soient inclus dans le Chapitre I, garantissant ainsi que ce chapitre contienne des références à deux des événements historiques majeurs du roman, qui sont par conséquent mis en contraste plus net. Cette fusion de ce qui était à l'origine deux chapitres distincts fait partie d'un processus de compression plus large qui a affecté à la fois la Partie II et la Partie III du roman. Il marque également le moment où Flaubert décide que Dussardier sera blessé plutôt que tué lors des Journées de Juin, comme cela avait été initialement envisagé. Il n'est pas possible de dire avec certitude pourquoi cette décision a été prise. Il se peut que Flaubert ait pris conscience de l'impact fictionnel et politique plus grand que produirait le fait de reporter sa mort au coup d'état : Dussardier, après tout, combat du "mauvais" côté des barricades en juin 1848 et est moins un martyr qu'il ne le devient en décembre 1851. Il a peut-être aussi commencé à attacher plus d'importance aux atrocités commises par Desroches/Roque : il y avait un danger évident d'atténuer l'impact de ce qui allait devenir le tir sur un prisonnier innocent incarcéré sur la "terrasse au bord de l'eau", si cela était précédé par la mort de Dussardier. Flaubert a peut-être aussi estimé que l'opposition entre ce qui était à ce stade envisagé comme le tir avorté de Frédéric sur Arnoux et la mort de la personne étroitement associée à lui, le tout dans le même chapitre et en l'espace de quelques jours, était inadmissibement dure. Ce que ce "moment" génétique important nous fait cependant prendre conscience, c'est le gain – politique, narratif, symbolique – qui résulte du processus flaubertien caractéristique de report. (Ce commentaire est basé sur "A Missing Section of a scenario for L'Education sentimentale", French Studies Bulletin, No 56, Automne 1995, pp.12-15)
⚈ 17611, f o 46 (Scénario détaillé IX)
Cet extrait est tiré du premier des deux scénarios couvrant l'ensemble de la Partie III du roman, probablement rédigé en 1864, avant le début de la composition du roman. Il est proche du dernier scénario d'ensemble. Ce plan présente encore une division de chapitre entre la Révolution de Février et les Journées de Juin, même si dans le quatrième scénario d'ensemble cela avait été aboli. À ce stade, avant de se lancer dans la composition du roman, la Révolution de Février est essentiellement un arrière-plan, son effet principal étant de provoquer une réponse enthousiaste chez le protagoniste généralement apolitique et de raviver ainsi dans une certaine mesure l'élan narratif du roman, qui aurait pu autrement sembler être parvenu à une sorte de résolution avec la substitution de Rosanette à Madame Arnoux dans l'appartement de la rue Tronchet. En se référant à la Révolution presque en passant, les difficultés d'une représentation à grande échelle ne sont pas envisagées. La scène du Corps de Garde continue d'occuper un espace considérable. Frédéric semble toujours tenir le fusil et le foulard de Madame Arnoux bloque toujours ses pulsions agressives. La suppression de la mort de Dussardier, qui a eu lieu dans le quatrième scénario d'ensemble, est consolidée, mais la manière dont il reçoit sa blessure n'est pas encore indiquée. Le nom, Desroches, est d'abord changé en Laroque, puis en Roque (l'association suggestive avec les rochers est conservée tout au long) et Flaubert donne la première indication de la nature de l'atrocité commise : "tue un homme dans le dos et est décoré". Le verbe "tuer" est utilisé deux fois dans ce scénario, suggérant qu'il existe un lien entre les deux épisodes (Voir 17611, f o 92).
⚈ 17611, f o 45 (Scénario détaillé X)
Cet extrait est tiré du second des deux scénarios couvrant la Partie III du roman, probablement rédigé en 1864, avant le début de la composition du roman. Il a été clairement rédigé sur la base du scénario précédent (f o 46) et il y a relativement peu de changements. La substitution du mot "prise" à "sac" suggère que l'épisode des Tuileries est amplifié. L'omission de "en maniant un fusil" fait qu'il n'est plus aussi clair que ce soit Frédéric qui tienne le fusil. L'idée que Dussardier soit blessé plutôt que tué lors des Journées de Juin est conservée et la référence à La Vatnaz s'occupant de lui est ajoutée : "Pendant ce temps-là, on s'égorge dans les rues de Paris. L'émeute de Juin a éclaté. blessure de Dussardier. la Mle retient Frédéric. il part le 3ème jour, et soigne Dussardier. < La Vatnas est auprès de lui >". À ce stade, ni la nature précise de son héroïsme ni le camp dans lequel il combat ne sont indiqués.
⚈ 17611, f o 44 (Scénario XXX)
C'est le premier des trois scénarios couvrant le chapitre et il a probablement été rédigé en 1868 avant le début de la composition du chapitre. C'est à ce moment-là que le matériel historique est greffé sur le développement principal qui est "fictionnel". Ce n'est qu'en rédigeant un scénario détaillé pour le chapitre, probablement en 1868, que l'élément historique est développé. Dans ce scénario, Flaubert dresse une liste dans la marge gauche des principaux événements historiques de 1848 qui sont vaguement coordonnés avec les développements fictionnels. Cependant, la section relative à la Révolution de Février est encore relativement brève. À côté des références à des événements majeurs tels que l'assaut du Château d'Eau et le saccage des Tuileries et du Palais Royal, nous trouvons la première indication des réactions contrastées de Frédéric et Hussonnet, mais aussi des détails tels que "l'homme qui fume sa pipe" qui suggèrent que Flaubert a, à ce stade, commencé à acquérir une base documentaire. Il y a encore, cependant, un manque frappant d'informations historiques précises : Flaubert n'a pas encore commencé à envisager les développements historiques en détail ; étonnamment, il y a peu d'indications à ce stade de l'importance et de la proéminence que la Révolution de Février est destinée à assumer dans la version finale. L'histoire, pour ainsi dire, se glisse à l'insu de Flaubert.
⚈ 17611, f o 47 (Scénario détaillé XXXI)
C'est le deuxième des trois scénarios couvrant le chapitre et il a probablement été rédigé en 1868 avant le début de la composition du chapitre. Il est largement basé sur le 17611, fo 44. Il y a cependant quelques ajouts significatifs. Flaubert a commencé à réfléchir aux circonstances dans lesquelles Dussardier recevra sa blessure et a décidé que Sénécal serait déporté : "Émeute de juin a éclaté. on s'égorge à Paris. < Héroïsme et > Blessure de Dussardier. la Male retient Frédéric qui part le 3ème jour. La Vatnas est établie près de Dussardier. - Sénécal prisonnier - déporté."
⚈ 17611, f o 48 (Scénario XXXII p. 280)
Ceci est la deuxième moitié du troisième des trois scénarios couvrant le chapitre et a probablement été rédigé en 1868 avant le début de la composition du chapitre. Il contient des informations supplémentaires relatives à diverses scènes (la querelle entre Rosanette et La Vatnaz, l'idylle de Fontainebleau). Plus d'informations sont données sur ce qui arrive à Sénécal, Dussardier et Roque. C'est à ce moment que la signification politique générale de Juin est élaborée. Flaubert développe l'opposition entre Dussardier et Sénécal et postule un élément de doute dans l'esprit de Dussardier quant à savoir si les forces pour lesquelles il a combattu ont le droit de leur côté : « il a la conscience torturée. car il ne sait pas s’il a défendu la justice de quel côté est le droit. ... ». Déjà, donc, Flaubert s'éloigne de l'idée que la situation politique était claire et le choix de l'action simple. Il est maintenant spécifié que Sénécal sera emprisonné dans la "terrasse du bord de l'eau aux Tuileries", suggérant que Flaubert a l'intention d'exploiter du matériel documentaire supplémentaire. La nature précise de l'"atrocité" de Roque est également envisagée : « Il y a aux grilles un garde-national, féroce qui [{?}]» Les scénarios couvrant le premier chapitre de la Partie III mettent en lumière les relations entre les générations, qui sont ensuite obscurcies. Pendant une période de bouleversements politiques violents, Frédéric a des démêlés avec divers représentants de l'ancienne génération – Dambreuse, Arnoux et Roque. Le moment clé, qui est mis en évidence dans le premier scénario d'ensemble, est lorsque Frédéric éprouve l'envie de tuer Arnoux : "une fois en maniant un fusil devant lui, au corps de garde, l'idée fantasque et subite le prend de le tuer comme par mégarde." Avant et après ce sentiment d'agression soudaine mais inachevée, les événements politiques provoquent de fortes réactions chez Dambreuse, qui en février cherche la protection de Frédéric, et chez Roque, qui, après les Journées de Juin, participe aux atrocités de représailles commises par la bourgeoisie. L'implication plutôt improbable de Roque en politique est dictée par des besoins structurels que le premier scénario d'ensemble, en particulier, met à nu. La forme précise que prendra le conflit générationnel n'est cependant pas déterminée dès le départ. La modification de l'idée originale pour cet épisode est le résultat de la découverte par Flaubert de matériel documentaire qui a ouvert de nouvelles possibilités. Bien que les grandes lignes du roman soient élaborées bien à l'avance dans les scénarios d'ensemble, le fait que la documentation détaillée ait eu lieu à un stade relativement tardif entraîne, dans le cas de cet épisode, un changement significatif qui modifie la manière dont il s'intègre à l'œuvre dans son ensemble, un tir frontal offrant plus de possibilités pour une confrontation plus dramatique. La documentation, qui alimente généralement l'élaboration du roman au niveau micro-structurel, semble à cette occasion avoir eu des répercussions au niveau macro-structurel.
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