Baudelaire par Nadar

 Charles Baudelaire naquit à Paris le 9 avril 1821. Il avait sept ans lorsque sa mère, devenue veuve, se remaria avec le général Aupick : l'enfant n'accepta jamais cette union. Placé en pension à Lyon, il étudia ensuite au lycée Louis-le-Grand, où il se signala par son indiscipline. Il mena ensuite une vie de bohème à Paris, tout au moins jusqu'en 1841, date à laquelle le général Aupick, soucieux d'y mettre un terme, le fit embarquer quasi de force sur le Paquebot-des-Mers-du-Sud, pour un long voyage à destination des Indes. Ce périple, quoique écourté par le poète — il s'arrêta à l'île Bourbon (la Réunion) — ancra profondément chez lui le goût de l'exotisme, thème très présent dans son œuvre. De ce voyage, Baudelaire rapporta également les premiers poèmes de son principal recueil, Les Fleurs du mal, « L'Albatros » et le sonnet « À une dame créole ».
   Peu après son retour en France, en 1842, Baudelaire rencontra la mulâtresse Jeanne Duval, dont il fit la « Vénus noire » de son œuvre, l'incarnation de la femme sensuelle et fatale, et qu'il aima toute sa vie malgré leurs relations orageuses. Cette liaison n'empêcha pas le poète de s'éprendre en 1852 de Mme Sabatier, dont il fit une figure spirituelle (la « Muse et la Madone » du début des Fleurs du mal) ou de l'actrice Marie Daubrun qui lui inspira « L'Invitation au voyage ».
   Le jeune poète menait alors une vie de dandy et d'esthète. A cette époque, il expérimenta aussi les « paradis artificiels » de l'opium et de l'alcool. Son train de vie ne tarda pas à écorner l'héritage paternel, qu'il avait reçu à sa majorité. Pour éviter la dilapidation de ses biens, son beau-père le fit placer sous tutelle judiciaire. Le jeune poète souffrit dès lors de ne pouvoir disposer librement de son bien, et dut travailler pour vivre. C'est poussé par le besoin d'argent qu'il se lança dans la critique d'art (Salon de 1845, Salon de 1846, Salon de 1859) dont il fut un commentateur fraternel et inspiré. C'est aussi pour cela qu'il traduisit les œuvres de l'auteur américain Edgar Allan Poe. Baudelaire n'eut aucun mal à s'identifier à cet écrivain tourmenté, en qui il voyait un double de lui-même. Ses traductions de Poe font encore référence aujourd'hui : Histoires extraordinaires (1856), Nouvelles Histoires extraordinaires (1857), Les Aventures d'Arthur Gordon Pym (1858).
   En juin 1857, Baudelaire fit paraître son recueil les Fleurs du mal, édité par son ami Poulet-Malassis, et, dès le mois d'août, il se vit intenter un procès pour « outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs ». Condamné à une forte amende, le poète dut en outre retrancher six poèmes de son recueil. Après le scandale des Fleurs du mal, Baudelaire publia encore divers poèmes en prose, qui seront regroupés et publiés après sa mort sous le titre Petits Poèmes en prose (ou Le Spleen de Paris, - posthume, 1869). Les Petits Poèmes en prose sont le pendant des Fleurs du mal, dont ils reprennent la thématique, mais cette fois dans une prose poétique, sensuelle, étonnamment musicale (certains poèmes des Fleurs du mal y sont même repris en écho, sous un titre identique). Le poème en prose était alors un genre nouveau, et Baudelaire avait pris pour modèle Aloysius Bertrand, précurseur du genre avec Gaspard de la nuit (1842).
   Pendant un séjour en Belgique, où il était venu faire un cycle de conférences qui se révéla décevant, Baudelaire fit une chute grave à Namur (mars 1866), conséquence d'une syphilis qui opérait ses ravages depuis plusieurs années. Atteint d'hémiplégie et d'aphasie, le poète fut ramené à Paris en juillet. Il y mourut un an plus tard, le 31 août 1867.

   L'œuvre de Baudelaire est le creuset d'où est issue toute la poésie moderne. Synthétisant elle-même les influences du Romantisme et du Parnasse, elle ouvre la voie au symbolisme et sera saluée par les surréalistes. Baudelaire est aussi celui  qui aura le mieux défini la place du poète dans la société matérialiste du XIX° siècle. Loin de la fuir, celui-ci en fait la matière même de son art, qu'il en soit le témoin lucide ou cherche à y marier le rêve et l'action.