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On ne peut rien voir de plus admirable dans le monde
que l'homme.Pic de la Mirandole (De dignitate hominis).
1453 1492 1494 1515 1517 1519 1539 1541 1572 1589 1598
a fréquentation des auteurs anciens à travers les manuscrits apportés en Italie par les Grecs développe dès le XVème siècle l'étude des humaniores litterae (ces lettres qui rendent plus humain) que les Romains opposaient aux diviniores litterae (lettres divines) : ces "lettres humaines", ou "humanités", longtemps mises sous le boisseau par l'Église, rassemblent les connaissances profanes dont l'homme est le centre. « Faire ses humanités » signifiera longtemps étudier les auteurs grecs et latins et s'employer à les traduire et à les commenter.
Mais ce travail de traduction et d'exégèse qui, appliqué à l'Écriture sainte, fortifie l'évangélisme, ne pouvait manquer d'inspirer aussi tous les espoirs de progrès que devaient permettre l'esprit d'examen et l'expérimentation scientifique. C'est ce deuxième sens que privilégiera le mot "humanisme", à partir du XIXème siècle, en faisant siens les mots de Protagoras : "L'homme est la mesure de toute chose". Cette confiance exaltée dans les facultés humaines préfigure l'idéal des Lumières et lui survivra dans le scientisme, même si, déjà, la Renaissance, ensanglantée par les luttes religieuses, la met copieusement à mal.
Le corpus que nous présentons souhaite évoquer ces aspects en quatre textes qui pourront faire l'objet de questions destinées à la lecture analytique ou au commentaire.
1. « Faire ses humanités »
C'est tout naturellement autour de l'éducation que se rejoignent d'abord les humanistes, soucieux de la débarrasser du psittacisme scolastique et de l'ouvrir aux nouvelles branches du savoir. On appréciera dans le texte ci-dessous l'ampleur du programme auquel Gargantua invite son fils, comme à un festin d'où devrait sortir un homme nouveau.
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François
RABELAIS
(1494-1553)
Pantagruel (1532) texte original / texte modernisé. Comment Pantagruel étant à Paris reçut des lettres de son père Gargantua, et la copie de celles-ci. |
Très
cher fils, |
Très cher fils, D'Utopie, le dix-sept mars, |
Questions :
- L'évocation d'une époque : dans sa lettre Gargantua souligne les profondes mutations des temps nouveaux. Recensez-les. Comment se manifeste son enthousiasme ?
- « Un abîme de science » : faites l'inventaire des disciplines énumérées par Gargantua. Comment s'exprime sa volonté de rassembler ici un savoir encyclopédique ?
- « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme » : montrez que ce savoir ne se contente pas d'être livresque. En quoi vise-t-il à former l'âme plus que l'esprit ?
- La finalité de cette éducation livresque alliée à la pratique est de promouvoir les capacités humaines et de triompher des vieux déterminismes qui les jugulaient. Montrez comment se manifeste cette ambition dans l'hymne au progrès que constitue le texte suivant :
[Pour dissiper l'hésitation de Panurge sur le mariage, Pantagruel décide d'aller avec lui consulter l'oracle de la Dive Bouteille. Ils font pour cela grande cargaison de Pantagruélion, herbe magique qui tient à la fois du chanvre et du lin, dont le narrateur entonne ici l'éloge sur le registre parodique du bateleur de foire.]
Et je m'ébahis de ce que l'invention d'une telle pratique ait été pendant tant de siècles cachée aux antiques philosophes, étant donné l'utilité inappréciable qui en provient, étant donné la fatigue intolérable que les hommes supporteraient sans elle dans leurs moulins. Au moyen de cette herbe, puisqu'elle permet de capter les flots de l'air, les gros navires de charge, les grands paquebots, les forts galions, les nefs à mille et dix mille places, sont arrachés à leur mouillage et poussés au gré de ceux qui les gouvernent. Par le moyen de cette herbe, les nations que Nature semblait tenir cachées, impénétrables et inconnues, sont venues à nous et nous à elles : prouesse dont sont incapables les oiseaux, quelque légèreté de pennage qu'ils possèdent et quelque liberté de nager dans l'air qui leur soit baillée par Nature. [...] Si bien que les Intelligences célestes, les Dieux, aussi bien marins que terrestres, en ont été tout effrayés, quand ils virent, par l'usage de ce béni Pantagruélion, les peuples arctiques parvenus en vue des Antarctiques, franchir la mer Atlantique, passer les deux Tropiques, tourner sous la zone torride, mesurer tout le zodiaque, s'ébattre sous l'équinoxial, avoir l'un et l'autre pôle en vue à fleur de leur horizon. En un semblable bouleversement, les dieux olympiques ont dit : « Pantagruel nous a plongés dans des réflexions inouïes, et plus pénibles que jamais ne firent les géants Aloïdes, par l'usage et la vertu de son herbe. Il sera marié sous peu, de sa femme il aura des enfants. À cette destinée nous ne pouvons contrevenir, car elle est passée par les mains et fuseaux des sœurs fatales, filles de Nécessité. Par ses enfants (c'est bien possible) sera inventée une herbe de semblable énergie, au moyen de laquelle les humains pourront visiter les sources des grêles, les bondes des pluies et les forges des foudres ; ils pourront envahir les régions de la Lune, entrer dans le territoire des signes célestes zodiacaux et y prendre logis, les uns à l'Aigle d'or, les autres au Mouton, les autres à la Couronne, les autres à la Harpe, les autres au Lion d'argent ; s'asseoir à table avec nous, et prendre pour femmes nos déesses, ce qui est le seul moyen de devenir des dieux.» Finalement, ils ont mis en délibération et à l'ordre du jour la façon d’y remédier et d’y obvier.
Rabelais, Le Tiers Livre, LI (orthographe modernisée).
2. « Un homme réellement expert et rompu à la pratique »
Avant les rationalistes et les encyclopédistes, les humanistes ont été soucieux de fonder le savoir sur l'expérimentation (on pourra utilement comparer le texte ci-dessous à La dent d'or de Fontenelle). C'est en autodidacte que le céramiste Bernard Palissy prévient ici son lecteur, dans un avertissement où l'on pourra apprécier une profession de foi faite d'humilité et d'arrogance.
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Bernard
PALISSY (1510 env.-1590)
Discours admirables des
eaux et fontaines (1580) texte modernisé |
Ami lecteur, le désir que j'ai de te faire profiter de la lecture de ce
livre m'a incité à t'avertir de ceci : garde-toi d'enivrer ton esprit de sciences
écrites en chambre, selon une théorie imaginaire ou arrachée à quelque livre écrit
par l'imagination de ceux qui n'ont rien pratiqué, et garde-toi aussi de croire les
opinions de ceux qui disent et soutiennent que la théorie a engendré la pratique. Ceux
qui enseignent une telle doctrine utilisent un mauvais argument en disant qu'il faut
imaginer et se représenter la chose que l'on veut faire, avant de mettre la main à sa
besogne. Si l'homme pouvait exécuter tout ce qu'il imagine, je prendrais leur parti et
soutiendrais leur opinion . Mais tant s'en faut ! Si les choses conçues en esprit
pouvaient s'exécuter, les souffleurs d'alchimie feraient de bien belles choses et ne
s'amuseraient pas à chercher durant cinquante ans, comme beaucoup l'ont fait... Si la
théorie figurée dans les esprits des chefs de guerre pouvait s'exécuter, ils ne
perdraient jamais une bataille...! |
Questions :
- L'éloge de la pratique : par quels arguments Palissy démontre-t-il sa supériorité sur la théorie ? En quoi sa stratégie est-elle bien fidèle à la thèse qu'il soutient ?
- Le registre polémique : relevez les procédés par lesquels Palissy remet en question le principe d'autorité qui, depuis le Moyen Âge, fortifiait une croyance aveugle dans le savoir livresque.
- Un souci pédagogique : montrez l'intérêt des « collections » évoquées par l'auteur pour « satisfaire la vue, l'ouïe et le toucher ».
3. « Ne viser qu'au bien général »
Avant les philosophes, les humanistes ont eu une vocation pour conseiller les Princes (Machiavel, Thomas More, Erasme). Pacifistes, c'est au nom de la raison qu'ils imaginent une cité idéale où le monarque, loin des artifices de la Cour, manifesterait la vertu politique qui le rendrait garant du bien public. « On ne naît pas homme, on le devient », écrit Erasme (De pueris instituendis, 1519), signifiant par là l'importance d'une éducation qui arracherait les hommes aux déterminismes naturels et les rendrait dignes du gouvernement le plus vertueux.
Didier ERASME (1469 env.-1536)
Éloge de la Folie, LV (1511)[Dans ce traité, le philosophe hollandais utilise une prosopopée
qui donne la parole à la Folie. On n'oubliera pas que c'est elle qui s'exprime dans ce faux éloge qui condamne la superbe et la corruption des princes.]
Depuis longtemps, je désirais vous parler des Rois et des Princes de cour; eux, du moins, avec la franchise qui sied à des hommes libres, me rendent un culte sincère.
À vrai dire, s'ils avaient le moindre bon sens, quelle vie serait plus triste que la leur et plus à fuir ? Personne ne voudrait payer la couronne du prix d'un parjure ou d'un parricide, si l'on réfléchissait au poids du fardeau que s'impose celui qui veut vraiment gouverner. Dès qu'il a pris le pouvoir, il ne doit plus penser qu'aux affaires politiques et non aux siennes, ne viser qu'au bien général, ne pas s'écarter d'un pouce de l'observation des lois qu'il a promulguées et qu'il fait exécuter, exiger l'intégrité de chacun dans l'administration et les magistratures. Tous les regards se tournent vers lui, car il peut être, par ses vertus, l'astre bienfaisant qui assure le salut des hommes ou la comète mortelle qui leur apporte le désastre. Les vices des autres n'ont pas autant d'importance et leur influence ne s'étend pas si loin; mais le Prince occupe un tel rang que ses moindres défaillances répandent le mauvais exemple universel. Favorisé par la fortune, il est entouré de toutes les séductions; parmi les plaisirs, l'indépendance, l'adulation, le luxe, il a bien des efforts à faire, bien des soins à prendre, pour ne point se tromper sur son devoir et n'y jamais manquer. Enfin, vivant au milieu des embûches, des haines, des dangers, et toujours en crainte, il sent au-dessus de sa tête le Roi véritable, qui ne tardera pas à lui demander compte de la moindre faute, et sera d'autant plus sévère pour lui qu'il aura exercé un pouvoir plus grand.
En vérité, si les princes se voyaient dans cette situation, ce qu'ils feraient s'ils étaient sages, ils ne pourraient, je pense, goûter en paix ni le sommeil, ni la table. C'est alors que j'apporte mon bienfait : ils laissent aux Dieux l'arrangement des affaires, mènent une vie de mollesse et ne veulent écouter que ceux qui savent leur parler agréablement et chasser tout souci des âmes. Ils croient remplir pleinement la fonction royale, s'ils vont assidûment à la chasse, entretiennent de beaux chevaux, trafiquent à leur gré des magistratures et des commandements, inventent chaque jour de nouvelles manières de faire absorber par leur fisc la fortune des citoyens, découvrent les prétextes habiles qui couvriront d'un semblant de justice la pire iniquité. Ils y joignent, pour se les attacher, quelques flatteries aux masses populaires.
Représentez-vous maintenant le Prince tel qu'il est fréquemment. Il ignore les lois, est assez hostile au bien général, car il n'envisage que le sien; il s'adonne aux plaisirs, hait le savoir, l'indépendance et la vérité, se moque du salut public et n'a d'autres règles que ses convoitises et son égoïsme. Donnez-lui le collier d'or, symbole de la réunion de toutes les vertus, la couronne ornée de pierres fines, pour l'avertir de l'emporter sur tous par un ensemble de vertus héroïques; ajoutez-y le sceptre, emblème de la justice et d'une âme incorruptible, enfin la pourpre, qui signifie le parfait dévouement à l'État. Un prince qui saurait comparer sa conduite à ces insignes de sa fonction, rougirait, ce me semble, d'en être revêtu et redouterait qu'un malicieux interprète ne vînt tourner en dérision tout cet attirail de théâtre.
Questions :
- « C'est alors que j'apporte mon bienfait » : quelles sont ces consolations apportées par la Folie ? Quels autres noms donner à celle-ci si l'on pense à la condition des rois (pensez à la formule de Pascal : « Un roi sans divertissement est un homme plein de misères ») ?
- La satire : quelles accusations essentielles condamnent l'exercice futile et corrompu de la monarchie ? Quels en sont les principaux procédés littéraires ?
- Le monarque idéal : après en avoir rapidement brossé le portrait, tel qu'il se dégage implicitement ou explicitement de ce texte, vous pourrez le rapprocher de l'idéal philosophique du despote éclairé (cf. par exemple le chapitre XVIII du Candide de Voltaire, ou l'article « Autorité politique » de l'Encyclopédie de Diderot).
4. L'humanisme en question
La foi humaniste s'épanouit en dépit de l'héliocentrisme de Copernic, qui retire à l'homme son rang de créature élue dans l'univers. Mais le déchaînement de la barbarie au Nouveau Monde et plus encore celle des guerres de religion ne manquent pas de la nuancer. Montaigne, avant les autres, confie son scepticisme à l'égard de la raison humaine : « Est-il possible de rien imaginer d'aussi ridicule que cette misérable et chétive créature, qui n'est pas seulement maîtresse de soi, exposée aux offenses de toutes choses, se dise maîtresse et impératrice de l'univers, duquel il n'est pas en sa puissance de connaître la moindre partie, tant s'en faut de la commander ? ».
Michel de MONTAIGNE (1533-1592)
Essais, II, 12, Apologie de Raimond Sebond (1580)[A la demande de son père, Montaigne avait traduit la Théologie naturelle du philosophe catalan Raimond Sebond. Il compose ici (peut-être sur l'invitation de Marguerite de Valois) une bien curieuse Apologie qui, par le scepticisme qu'elle manifeste, bat en brèche les idées de l'auteur qu'elle doit défendre : quand ce dernier établit l'homme en souverain de la création, Montaigne accumule en une cascade d'exemples autant de signes évidents de l'insuffisance de la raison humaine.]
texte original / texte modernisé (transcription : Guy de Pernon).
Questions :
Reformulez en une phrase la thèse de Montaigne. Le recours à l'apologue et à l'exemple personnel : montrez que Montaigne le privilégie sur le raisonnement abstrait. Pourquoi ? Commentez la dernière phrase. Faut-il conclure au pessimisme de Montaigne (cf. la phrase suivante, qui peut éclairer son vrai projet : « [L'homme] s'élèvera si Dieu lui prête extraordinairement la main; il s'élèvera abandonnant et renonçant à ses propres moyens, et se laissant hausser et soulever par les moyens purement célestes »).
- Aspects du XVIème siècle (Champfleury)
- De l'humanisme au siècle des Lumières (BnF)
- Humanisme (Encyclopédie de l'Agora)
- L'Humanisme (Publius Historicus)
- Epistemon (Textes électroniques et études sur la Renaissance)
- Centre d'études supérieures de la Renaissance.
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