LES SUJETS DE L’ EAF 2007

 

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SÉRIE L

 

Objet d'étude : le biographique.
Textes : 
Texte A - Colette, Sido, 1930.
Texte B - Albert Cohen, Le Livre de ma mère, 1954.
Texte C - Simone de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958.

 

Texte A - Colette, Sido, 1930.

[Colette évoque le souvenir de sa mère, Sido.]

  Ô géraniums, ô digitales1... Celles-ci fusant des bois-taillis, ceux-là en rampe allumés au long de la terrasse, c'est de votre reflet que ma joue d'enfant reçut un don vermeil. Car « Sido » aimait au jardin le rouge, le rose, les sanguines filles du rosier, de la croix de Malte1, des hortensias, et des bâtons-de-Saint-Jacques, et même le coqueret-alkékenge1, encore qu'elle accusât sa fleur, veinée de rouge sur pulpe rose, de lui rappeler un mou2 de veau frais... À contrecoeur elle faisait pacte avec l'Est : « Je m'arrange avec lui », disait-elle. Mais elle demeurait pleine de suspicion et surveillait, entre tous les cardinaux et collatéraux3, ce point glacé, traître aux jeux meurtriers. Elle lui confiait des bulbes de muguet, quelques bégonias, et des crocus mauves, veilleuses des froids crépuscules.
   Hors une corne de terre, hors un bosquet de lauriers-cerises dominés par un junko-biloba1 , − je donnais ses feuilles, en forme de raie, à mes camarades d'école, qui les séchaient entre les pages de l'atlas − tout le chaud jardin se nourrissait d'une lumière jaune, à tremblements rouges et violets, mais je ne pourrais dire si ce rouge, ce violet, dépendaient, dépendent encore d'un sentimental bonheur ou d'un éblouissement optique. Étés réverbérés par le gravier jaune et chaud, étés traversant le jonc tressé de mes grands chapeaux, étés presque sans nuits... Car j'aimais tant l'aube, déjà, que ma mère me l'accordait en récompense. J'obtenais qu'elle m'éveillât à trois heures et demie, et je m'en allais, un panier vide à chaque bras, vers des terres maraîchères qui se réfugiaient dans le pli étroit de la rivière, vers les fraises, les cassis et les groseilles barbues.
   À trois heures et demie, tout dormait dans un bleu originel, humide et confus, et quand je descendais le chemin de sable, le brouillard retenu par son poids baignait d'abord mes jambes, puis mon petit torse bien fait, atteignait mes lèvres, mes oreilles et mes narines plus sensibles que tout le reste de mon corps... J'allais seule, ce pays mal pensant était sans dangers. C'est sur ce chemin, c'est à cette heure que je prenais conscience de mon prix, d'un état de grâce indicible et de ma connivence avec le premier souffle accouru, le premier oiseau, le soleil encore ovale, déformé par son éclosion...
   Ma mère me laissait partir, après m'avoir nommée « Beauté, Joyau-tout-en-or » ; elle regardait courir et décroître sur la pente son œuvre, −« chef-d'œuvre », disait-elle. J'étais peut-être jolie; ma mère et mes portraits de ce temps-là ne sont pas toujours d'accord... Je l'étais à cause de mon âge et du lever du jour, à cause des yeux bleus assombris par la verdure, des cheveux blonds qui ne seraient lissés qu'à mon retour, et de ma supériorité d'enfant éveillée sur les autres enfants endormis.
   Je revenais à la cloche de la première messe. Mais pas avant d'avoir mangé mon saoul4, pas avant d'avoir, dans les bois, décrit un grand circuit de chien qui chasse seul, et goûté l'eau de deux sources perdues, que je révérais. L'une se haussait hors de la terre par une convulsion cristalline, une sorte de sanglot, et traçait elle-même son lit sableux. Elle se décourageait aussitôt née et replongeait sous la terre. L'autre source, presque invisible, froissait l'herbe comme un serpent, s'étalait secrète au centre d'un pré où des narcisses, fleuris en ronde, attestaient seuls sa présence. La première avait goût de feuille de chêne, la seconde de fer et de tige de jacinthe... Rien qu'à parler d'elles je souhaite que leur saveur m'emplisse la bouche au moment de tout finir, et que j'emporte, avec moi, cette gorgée imaginaire...

1. nom de plantes
2. mou : viande pour l'alimentation des chats.
3. cardinaux et collatéraux : les points cardinaux sont les quatre points de l'horizon (nord, sud, est, ouest), les points collatéraux sont situés entre deux points cardinaux et à égale distance de ces derniers.
4. manger son saoul : manger jusqu'à en être rassasié.

 

Texte B : Albert Cohen, Le Livre de ma mère, 1954.

   Ô mon passé, ma petite enfance, ô chambrette, coussins brodés de petits chats rassurants, vertueuses chromos1, conforts et confitures, tisanes, pâtes pectorales2, arnica, papillon du gaz3 dans la cuisine, sirop d'orgeat, antiques dentelles, odeurs, naphtalines4, veilleuses de porcelaine, petits baisers du soir, baisers de Maman qui me disait, après avoir bordé mon lit, que maintenant j'allais faire mon petit voyage dans la lune avec mon ami un écureuil. Ô mon enfance, gelées de coings, bougies roses, journaux illustrés du jeudi, ours en peluche, convalescences chéries, anniversaires, lettres du Nouvel An sur du papier à dentelures, dindes de Noël, fables de La Fontaine idiotement récitées debout sur la table, bonbons à fleurettes, attentes des vacances, cerceaux, diabolos, petites mains sales, genoux écorchés et j'arrachais la croûte toujours trop tôt, balançoires des foires, cirque Alexandre où elle me menait une fois par an et auquel je pensais des mois à l'avance, cahiers neufs de la rentrée, sac d'école en faux léopard, plumiers japonais, plumiers à plusieurs étages, plumes Sergent-Major5, plumes baïonnette de Blanzy-Poure5, goûters de pain et de chocolat, noyaux d'abricots thésaurisés6, boîte à herboriser, billes d'agate7, chansons de Maman, leçons qu'elle me faisait repasser le matin, heures passées à la regarder cuisiner avec importance, enfance, petites paix, petits bonheurs, gâteaux de Maman, sourires de Maman, ô tout ce que je n'aurai plus, ô charmes, ô sons morts du passé, fumées enfouies et dissoutes saisons. Les rives s'éloignent. Ma mort approche.

1. chromo : dessin de qualité médiocre.
2. pâte pectorale : pâte pour soigner la toux.
3. papillon du gaz : robinet d'arrêt du gaz.
4. naphtalines : produits anti-mites.
5. Sergent-Major, Blaray-Poure : marques de plume.
6. thésaurisés : amassés, accumulés.
7. agate : pierre précieuse.

 

Texte C : Simone de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958.

   La principale fonction de Louise et de maman, c'était de me nourrir; leur tâche n'était pas toujours facile. Par ma bouche, le monde entrait en moi plus intimement que par mes yeux et mes mains. Je ne l'acceptais pas tout entier. La fadeur des crèmes de blé vert, des bouillies d'avoine, des panades1, m'arrachait des larmes; l'onctuosité des graisses, le mystère gluant des coquillages me révoltaient; sanglots, cris, vomissements, mes répugnances étaient si obstinées qu'on renonça à les combattre. En revanche, je profitai passionnément du privilège de l'enfance pour qui la beauté, le luxe, le bonheur sont des choses qui se mangent ; devant les confiseries de la rue Vavin, je me pétrifiais, fascinée par l'éclat lumineux des fruits confits, le sourd chatoiement des pâtes de fruits, la floraison bigarrée des bonbons acidulés; vert, rouge, orange, violet : je convoitais les couleurs elles-mêmes autant que le plaisir qu'elles me promettaient. J'avais souvent la chance que mon admiration s'achevât en jouissance. Maman concassait des pralines dans un mortier, elle mélangeait à une crème jaune la poudre grenue ; le rosé des bonbons se dégradait en nuances exquises : je plongeais ma cuiller dans un coucher de soleil. Les soirs où mes parents recevaient, les glaces du salon multipliaient les feux d'un lustre de cristal, Maman s'asseyait devant le piano à queue, une dame vêtue de tulle jouait du violon et un cousin du violoncelle. Je faisais craquer entre mes dents la carapace d'un fruit déguisé, une bulle de lumière éclatait contre mon palais avec un goût de cassis ou d'ananas : je possédais toutes les couleurs et toutes les flammes, les écharpes de gaze, les diamants, les dentelles; je possédais toute la fête. Les paradis où coulent le lait et le miel ne m'ont jamais alléchée, mais j'enviais à Dame Tartine sa chambre à coucher en échaudé2 cet univers que nous habitons, s'il était tout entier comestible, quelle prise nous aurions sur lui ! Adulte, j'aurais voulu brouter les amandiers en fleurs, mordre dans les  pralines du couchant. Contre le ciel de New York, les enseignes au néon semblaient des friandises géantes et je me suis sentie frustrée.

1. panade : bouillie composée de pain, de beurre, d'eau, de lait et de jaune d'œuf.
2. échaudé : pâtisserie légère passée au four.

 

I- Après avoir lu tous les textes du corpus, vous répondrez â la question suivante (4 points) :

Montrez ce qui peut justifier le rapprochement de ces trois auteurs, dans leur vision de l'enfance comme dans la démarche qu'ils choisissent pour l'évoquer.

II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :

  • Commentaire
    Vous commenterez le texte d'Albert Cohen (texte B).
  • Dissertation
    « Les rives s'éloignent. Ma mort approche », écrit Albert Cohen. Selon vous, l'écriture autobiographique est-elle une manière de se préparer à la mort ou de conserver la saveur de la vie ?
    Vous répondrez en vous appuyant sur les textes du corpus et sur d'autres œuvres que vous avez lues ou étudiées.
  • Invention
    Gêné ou irrité par le caractère trop intimiste de certaines formes d'écriture de soi, un jeune lecteur écrit une lettre ouverte aux écrivains pour défendre une autre conception de l'autobiographie.

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SÉRIE ES /S

 

Objet d'étude : Convaincre, persuader, délibérer.
Textes
:
Texte A - Jean de La Bruyère, Caractères, "De l'homme", 1688.
Texte B -
Victor Hugo, Choses vues, 1846
Texte C -
Jacques Prévert, "La Grasse Matinée", Paroles, 1945.

 

Texte A - Jean de La Bruyère, Caractères, "De l'homme", 1688.

   Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes ensemble sont à son égard comme s'ils n'étaient point. Non content de remplir à une table la première place, il occupe lui seul celle de deux autres ; il oublie que le repas est pour lui et pour toute la compagnie ; il se rend maître du plat, et fait son propre1 de chaque service : il ne s'attache à aucun des mets, qu'il n'ait achevé d'essayer de tous ;  il voudrait pouvoir les savourer tous tout à la fois. Il ne se sert à table que de ses mains ; il manie les viandes2, les remanie, démembre, déchire, et en use de manière qu'il faut que les conviés, s'ils veulent manger, mangent ses restes. Il ne leur épargne aucune de ces mal propretés dégoûtantes, capables d'ôter l'appétit aux plus affamés ; le jus et les sauces lui dégouttent du menton et de la barbe ; s'il enlève un ragoût de dessus un plat, il le répand en chemin dans un autre plat et sur la nappe ; on le suit à la trace. Il mange haut3 et avec grand bruit ; il roule les yeux en mangeant ; la table est pour lui un râtelier4 ; il écure5 ses dents, et il continue à manger. Il se fait, quelque part où il se trouve, une manière d'établissement6, et ne souffre pas d'être plus pressé7 au sermon ou au théâtre que dans sa chambre. Il n'y a dans un carrosse que les places du fond qui lui conviennent ; dans toute autre, si on veut l'en croire, il pâlit et tombe en faiblesse. S'il fait un voyage avec plusieurs, il les prévient8 dans les hôtelleries, et il sait toujours se conserver dans la meilleure chambre le meilleur lit. Il tourne tout à son usage ; ses valets, ceux d'autrui, courent dans le même temps pour son service. Tout ce qu'il trouve sous sa main lui est propre, hardes9, équipages10. Il embarrasse tout le monde, ne se contraint pour personne, ne plaint personne, ne connaît de maux que les siens, que sa réplétion11 et sa bile, ne pleure point la mort des autres, n'appréhende que la sienne, qu'il rachèterait volontiers de l'extinction du genre humain.

1. son propre : sa propriété.
2. viandes : se dit pour toute espèce de nourriture.
3. manger haut : manger bruyamment, en se faisant remarquer.
4. râtelier : assemblage de barreaux contenant le fourrage du bétail.
5. écurer : se curer.
6. une manière d'établissement : il fait comme s'il état chez lui.
7. pressé : serré dans la foule.
8. prévenir : devancer.
9. hardes : bagages.
10. équipage : tout ce qui est nécessaire pour voyager (chevaux, carrosses, habits, etc.).
11. réplétion : surcharge d'aliments dans l'appareil digestif.

 

Texte B - Victor Hugo, Choses vues, 1846.

    Hier, 22 février1, j'allais à la Chambre des Pairs2. Il faisait beau et très froid, malgré le soleil de midi. Je vis venir rue de Tournon un homme que deux soldats emmenaient. Cet homme était blond, pâle, maigre, hagard; trente ans à peu près, un pantalon de grosse toile, les pieds nus et écorchés dans des sabots avec des linges sanglants roulés autour des chevilles pour tenir lieu de bas ; une blouse courte, souillée de boue derrière le dos, ce qui indiquait qu'il couchait habituellement sur le pavé ; la tète nue et hérissée. Il avait sous le bras un pain.
    Le peuple disait autour de lui qu'il avait volé ce pain et que c'était à cause de cela qu'on l'emmenait. En passant devant la caserne de gendarmerie, un des soldats y entra, et l'homme resta à la porte, gardé par l'autre soldat.
   Une voiture était arrêtée devant la porte de la caserne. C'était une berline armoriée3 portant aux lanternes une couronne ducale4, attelée de deux chevaux gris, deux laquais en guêtres derrière. Les glaces étaient levées, mais on distinguait l'intérieur tapissé de damas bouton d'or5. Le regard de l'homme fixé sur cette voiture attira le mien. Il y avait dans la voiture une femme en chapeau rose, en robe de velours noir, fraîche, blanche, belle, éblouissante, qui riait et jouait avec un charmant petit enfant de seize mois enfoui sous les rubans, les dentelles et les fourrures.
Cette femme ne voyait pas l'homme terrible qui la regardait.
    Je demeurai pensif.
   Cet homme n'était plus pour moi un homme, c'était le spectre de la misère, c'était l'apparition, difforme, lugubre, en plein jour, en plein soleil, d'une révolution encore plongée dans les ténèbres, mais qui vient. Autrefois, le pauvre coudoyait6 le riche, ce spectre rencontrait cette gloire : mais on ne se regardait pas. On passait. Cela pouvait durer ainsi longtemps. Du moment où cet homme s'aperçoit que cette femme existe, tandis que cette femme ne s'aperçoit pas que cet homme est là, la catastrophe est inévitable.

1. 22 février 1846, deux ans avant les émeutes de 1848 qui entraîneront l'abdication du roi Louis-Philippe
2. Chambre des Pairs : désigne la Haute Assemblée législative dont Victor Hugo était membre.
3. Berline armoriée : voiture à chevaux sur laquelle sont peints les emblèmes d'une famille noble.
4. Couronne ducale : cet emblème signale que la passagère est une duchesse.
5. Damas bouton d'or : étoffe précieuse de couleur jaune.
6. Coudoyer : côtoyer.

 

Texte C - Jacques Prévert, "La Grasse Matinée", Paroles, 1945.

Il est terrible
le petit bruit de l'œuf dur cassé sur un comptoir d'étain
il est terrible ce bruit
quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim
elle est terrible aussi la tête de l'homme
la tête de l'homme qui a faim
quand il se regarde à six heures du matin
dans la glace du grand magasin
une tête couleur de poussière
ce n'est pas sa tête pourtant qu'il regarde
dans la vitrine de chez Potin1
il s'en fout de sa tête l'homme
il n'y pense pas
il songe
il imagine une autre tête
une tête de veau par exemple
avec une sauce de vinaigre
ou une tête de n'importe quoi qui se mange
et il remue doucement la mâchoire
doucement
et il grince des dents doucement
car le monde se paye sa tête
et il ne peut rien contre ce monde
et il compte sur ses doigts un deux trois
un deux trois
cela fait trois jours qu'il n'a pas mangé
et il a beau se répéter depuis trois jours
Ca ne peut pas durer
ça dure
trois jours
trois nuits
sans manger
et derrière ces vitres
ces pâtés ces bouteilles ces conserves
poissons morts protégés par les boîtes
boîtes protégées par les vitres
vitres protégées par les flics
flics protégés par la crainte
que de barricades pour six malheureuses sardines...
Un peu plus loin le bistrot
café-crème et croissants chauds
l'homme titube
et dans l'intérieur de sa tête
un brouillard de mots
un brouillard de mots
sardines à manger
œuf dur café-crème
café arrosé rhum
café-crème
café-crème
café-crime arrosé sang !...
Un homme très estimé dans son quartier
a été égorgé en plein jour
l'assassin le vagabond lui a volé
deux francs
soit un café arrosé
zéro franc soixante-dix
deux tartines beurrées
et vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon.
Il est terrible
le petit bruit de l'œuf dur cassé sur un comptoir d'étain
il est terrible ce bruit
quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim.

1. Potin : nom d'une chaîne de magasins d'alimentation.

 

I- Vous répondrez d'abord â la question suivante (4 points) :

Montrez que les textes du corpus ont une visée commune mais qu'ils atteignent ce but par des voies différentes.

II- Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :

  • Commentaire
    Vous commenterez le texte de La Bruyère (texte A).
  • Dissertation
    Dans quelle mesure la forme littéraire peut-elle rendre une argumentation plus efficace ?
    Vous appuierez votre développement sur les textes du corpus, vos lectures personnelles et les œuvres étudiées en classe ?
  • Invention
     A son arrivée à la Chambre des Pairs, le narrateur du texte B, sous le coup de l'émotion, prend la parole à la tribune pour faire part de son indignation et plaider pour plus de justice sociale.
    Vous rédigerez ce discours.

 

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SÉRIES TECHNOLOGIQUES

 

Objet d'étude : Convaincre, persuader et délibérer.
Texte :
Henry de Monfreid : Les derniers jours de l'Arabie heureuse1, 1935. Chapitre X : "La gazelle du sultan."

  [...]

  Le sultan Yaya2 possédait une gazelle merveilleusement apprivoisée ; ses yeux profonds semblaient exprimer des pensées humaines et on s'attendait à chaque instant au miracle de la parole.
  C'était cependant une gazelle très commune, née dans la solitude des hauts plateaux du Yémen. Un pâtre l'avait trouvée toute petite auprès de sa mère blessée et il l'avait donnée à une chèvre à la place du chevreau qu'on avait fait rôtir. Elle s'ébattait maintenant dans les jardins du sultan, se mirait avec grâce dans l'eau tranquille des bassins. À l'appel de son maître elle accourait en bonds harmonieux portée semblait-il par d'invisibles ailes.
  Yaya l'avait toujours auprès de lui, couchée à ses pieds, quand il rendait la justice, et bien des fois il fut plus clément pour la détresse humaine quand le regard limpide et doux de ces grands yeux se levait sur lui.
  Elle mangeait dans sa main et venait l'éveiller s'il tardait trop, lorsque résonnait l'appel de la prière. Elle le suivait en tous lieux, et prenait part à sa vie comme si réellement elle avait appartenu au monde des hommes.
  En cela elle ne différait pas des autres gazelles, ses sœurs, car toutes se font aimer par la même grâce délicate. L'énigme de leurs yeux profonds trouble un peu l'homme inquiet devant le mystère, aussi imagine-t-il tout ce qui plaît à son cœur et met-il en ses pauvres bêtes si simples une âme pareille à la sienne.
  Un soir, assez tard dans la nuit, Osman3, en quittant le sultan, aperçut la gazelle au milieu du parc, broutant au clair de lune. Le lieu était désert. Une idée inattendue, brusque et précise comme la lueur d'un éclair quand elle fait surgir de la nuit les plaines et les montagnes, lui traversa l'esprit ; cette bête, vraiment, tenait-elle au cœur de son ami autant que lui-même ?

  La parole de son père lui revint en mémoire : « Ne sois jamais le familier d'un sultan, car son amitié est vaine...»
  II caressait doucement la gazelle, tandis que ces pensées mélancoliques montaient du fond de son cœur... Brusquement, cédant à une impulsion, d'un geste peut-être involontaire, il la saisit, l'enveloppa dans son manteau et s'enfuit.
  Il sortit des jardins sans être vu. Arrivé chez lui il enferma la bête dans une chambre retirée de sa maison où personne ne pouvait soupçonner sa présence. Cela fait, il alla se coucher et médita jusqu'au matin.
  Ce jour-là était jour de marché ; il fit acheter pour six piastres (3 francs) une jeune gazelle toute semblable à celle qu'il avait emportée la nuit dernière.
  Il la fit dépecer par ses serviteurs et donna l'ordre d'en préparer la viande pour le repas du midi.
   — Je vais te confier un grand secret, dit-il à sa femme, un secret que tu dois garder jusque dans la tombe si tu tiens à mon honneur et à ma vie. Puis-je me fier à toi ?
   — Ô mon ami, si les femmes dit-on, sont bavardes, elles savent dire uniquement ce qu'elles veulent et ton secret sera enseveli en moi comme le plus précieux trésor de l'avare.
   — Eh bien, écoute, ô Haléma. Hier, sans le vouloir, j'ai blessé la gazelle du sultan, mon maître. Pour éviter son courroux, je l'ai achevée et ce matin nous la mangerons...
   Le soleil n'était pas encore au milieu de sa course que déjà les hérauts4 parcouraient la ville promettant une fortune à qui retrouverait la gazelle du sultan.
  Des amis vinrent voir la femme d'Osman et parlèrent de la passionnante affaire. Les suppositions les plus extravagantes couraient de bouche en bouche, tous prétendaient savoir. Haléma les écoutait avec un sourire intérieur car elle seule savait la vérité. Quel orgueil de détenir le mot d'une si prodigieuse énigme ! mais quelle amertume de passer pour une ignorante !...
   — Vous qui vivez si retirée, lui disait-on, vous ne pouvez pas savoir... etc...
   — Non, ma chère, taisez-vous, lui répondait-on, quand elle voulait parler, je suis bien informée, croyez-moi, etc...
  C'était intolérable, au-dessus de ses forces de faible femme... elle n'y résista pas tant la joie, la volupté d'étonner, lui ôtait tout discernement.
  Elle conta la chose en grand mystère et avec force serment à sa meilleure amie... et une heure après le sultan était informé.
  Le gouverneur du palais arriva au moment où les deux époux achevaient de manger la gazelle.
  Osman fut amené, entouré de soldats en armes, et jeté brutalement dans le cachot des condamnés à mort.
  Questionné, il avoua sur-le-champ, disant qu'il avait tué la gazelle par accident. Il offrit au sultan de la remplacer ; une autre sans doute s'apprivoiserait aussi bien.
  Mais le sultan refusa de l'entendre, tant un pareil crime était monstrueux. II fit saisir tous les biens de son ancien ami et beaucoup pensèrent que la disparition de cette gazelle était un prétexte pour remplir les coffres du souverain. Il ordonna ensuite qu'il eût la tête tranchée, ce qui mettait fin à toutes les revendications ultérieures.
   Osman restait insensible à une sentence aussi cruelle et ses amis le virent avec admiration marcher au supplice sans le moindre trouble. Il était souriant et calme comme un juste que rien ne peut émouvoir.
   Le sultan voulut assister à la punition du coupable. Il était assis entouré de ses courtisans, - les anciens amis d'Osman qui maintenant étaient les plus
acharnés contre lui. - Ils lui disaient :
    — Voyez, sire, quel cynisme5, quelle dureté de cœur, pas le moindre remords, il semble joyeux d'avoir offensé Votre Majesté, son bienfaiteur et son ami et sa perversité est si grande que la mort même lui est indifférente. Que Votre Majesté ne lui fait-elle pas crever les yeux et couper les mains pour l'envoyer mourir abandonné dans le désert.
  Cependant, à la vue de cet homme qui allait mourir, le souvenir de l'ami d'autrefois éveilla en son cœur un peu de pitié. Il se revit, assis à ses côtés, lisant les strophes d'Omar Kayan6, devant la mer éternelle, au moment où le messager lui apporta la terrible nouvelle de son avènement7 ; elle lui parut alors passer sur son destin, comme l'ombre d'un corbeau en travers de sa route...
  II allait faire le geste généreux du pardon quand son intendant, cet ancien esclave qu'Osman avait sauvé et qui lui devait tout, jeta aux pieds du souverain la tête à demi carbonisée d'une gazelle qu'il avait découverte derrière la maison de son bienfaiteur.
  À cette vue, la fureur étouffa la pitié naissante et le sultan donna l'ordre fatal.
   — Merci, Ali, dit Osman à l'ancien esclave qui venait de réveiller contre lui la colère du souverain, merci, tu me rends aujourd'hui la mort que j'ai écartée de toi naguère. Mais tu viens de tromper ton maître en voulant le flatter : cette tête n'est pas celle de la bête bien-aimée qu'il pleure aujourd'hui sans que ma mort ignominieuse puisse le consoler.
    « Prends cette clé et qu'il plaise au sultan notre seigneur d'envoyer sur-le-champ deux gardes dans ma maison. Dans la chambre du second étage, derrière l'appartement des femmes, il y a là la vraie gazelle ; pas un poil n'y manque. Je te demande en grâce, et ceci est ma dernière volonté, d'avoir la tête tranchée en m'agenouillant sur elle.»
  Le bourreau déjà était prêt. Du doigt il vérifiait le tranchant de son sabre et Osman, toujours calme, demeurait agenouillé.
  L'Imam voulut attendre le retour de l'envoyé, soit pour confondre l'imposteur, si la tête qu'il avait montrée n'était pas celle de la vraie gazelle ou bien pour accabler Osman de son nouveau mensonge.
  Il n'attendit pas longtemps. Rapide comme la foudre, la gazelle, aussitôt libérée, bondit à travers la foule et sauta sur son maître en le couvrant de caresses.
  Le sultan, d'abord muet de stupeur, crut à un miracle. Transporté de joie il s'élança vers Osman, l'embrassa, et le pressa sur son cœur avant même que le bourreau ait délié ses mains.
  Le jour même Osman voulut quitter la ville. En vain le sultan le supplia de pardonner son injuste fureur, de rester près de lui, et d'accepter des présents magnifiques en compensation de tout le mal qu'il lui avait fait.
    — Non, je te remercie. Aucun présent ne peut payer une amitié fidèle. Permets-moi de me retirer dans ma palmeraie de Kauka8 où nous avons connu le dernier baiser de l'amitié sincère. J'ai imaginé cette histoire pour savoir si dans ton cœur je comptais plus qu'une gazelle de 6 piastres... Si tu veux faire quelque chose pour moi, pardonne à ce malheureux esclave qui a menti pour m'accuser. Il a fait comme tant d'autres pour qui la vie d'un homme compte bien peu quand elle doit servir à flatter le souverain. Tous les courtisans qui t'entourent sont ainsi et je voudrais que cet exemple te mette en garde contre le poison de leur flatterie pour qu'il ne corrompe pas à jamais le cœur généreux que Dieu t'a donné.
   « Je veux aller vivre loin des hommes et des villes, au milieu de mes esclaves et de mes troupeaux, dans la nature généreuse, indifférente et sans haine.
   « Puissè-je, un jour, mourir comme mon père dans le calme d'un beau soir, sans interrompre le chant d'une jeune esclave.»

Le texte respecte la ponctuation et la manière d'écrire les nombres de l'édition. (Gallimard 1935)

1. L'Arabie heureuse : désigne l'actuel Yémen, pays situé â l'extrême sud du désert arabique.
2. Sultan Yaya : souverain qui régna sur le Nord Yémen de 1918 à 1948.
3. Osman : ami d'enfance du sultan Yaya qui en a fait son premier conseiller.
4. Hérauts : messagers.
5. Cynisme : brutalité, absence de scrupules.
6. Omar Kayan (1050-1123) : poète et savant perse.
7. Avènement : moment où Yaya est devenu sultan, à la mort de son père.
8. Kauka : ville des bords de la Mer Rouge, très éloignée des terres du sultan.

 

I. Vous répondrez d'abord aux questions suivantes (6 points) :

1. Pourquoi ce récit est-il un apologue ? (3 points)
2. Quels défauts humains cet apologue illustre-t-il ? (3 points)

II. Vous traiterez un de ces sujets au choix (14 points) :

  • Commentaire
    Vous commenterez le texte depuis le début jusqu'à « l'enveloppa dans son manteau et s'enfuit » (
    ), en vous aidant du parcours de lecture suivant :
     - Vous analyserez comment le narrateur capte l'attention du lecteur.
     - Vous étudierez les caractéristiques et les fonctions de la gazelle dans ce passage.
  • Dissertation
    «... Je voudrais que cet exemple te mette en garde », déclare Osman au sultan Yaya.
      En prenant appui sur l'exemple de La gazelle du sultan et sur d'autres apologues (fables ou contes) que vous connaissez, vous vous demanderez si les récits à valeur morale peuvent instruire et intéresser les lecteurs d'aujourd'hui.
  • Invention
    Plusieurs années après s'être retiré dans sa palmeraie de Kauka, Osman reçoit une lettre du sultan Yaya. Celui-ci tire sa leçon de l'épisode. Rédigez la lettre du sultan Yaya.

 

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CENTRES ÉTRANGERS
SÉRIES GÉNÉRALES

 

Objet d'étude : Le biographique.
Textes : 
Texte A : Nathalie Sarraute, Enfance (1983)
Texte B : Marguerite Duras, L'Amant de la Chine du Nord (1991 )
Texte C : Charles Juliet, Lambeaux (1995)
Texte D : Sophie Calle, "Le portrait", Des Histoires vraies + dix (2002)

 

Texte A - Nathalie Sarraute (1900-1999), Enfance (1983).

  Je suis assise près de maman dans une voiture fermée tirée par un cheval, nous cahotons sur une route poussiéreuse. Je tiens le plus près possible de la fenêtre un livre de la Bibliothèque rose, j'essaie de lire malgré les secousses, malgré les objurgations1 de maman : « Arrête-toi maintenant, ça suffit, tu t'abîmes les yeux... »
  La ville où nous nous rendons porte le nom de Kamenetz Podolsk. Nous y passerons l'été chez mon oncle Gricha Chatounovski, celui des frères de maman qui est avocat.
  Ce vers quoi nous allons, ce qui m'attend là-bas, possède toutes les qualités qui font de « beaux souvenirs d'enfance »... de ceux que leurs possesseurs exhibent d'ordinaire avec une certaine nuance de fierté. Et comment ne pas s'enorgueillir d'avoir eu des parents qui ont pris soin de fabriquer pour vous, de vous préparer de ces souvenirs en tout point conformes aux modèles les plus appréciés, les mieux cotés ? J'avoue que j'hésite un peu...
  − Ça se comprend... une beauté si conforme aux modèles...
  Mais après tout, pour une fois que tu as cette chance de posséder, toi aussi, de ces souvenirs, laisse-toi aller un peu, tant pis, c'est si tentant...
 − Mais ils n'étaient pas faits pour moi, ils m'étaient juste prêtés, je n'ai pu en goûter que des parcelles...
 − C'est peut-être ce qui les a rendus plus intenses... Pas d'affadissement possible. Aucune accoutumance...
 − Oh pour ça non. Tout a conservé son exquise perfection : la vaste maison familiale pleine de recoins, de petits escaliers... la « salle », comme on les appelait dans les maisons de la vieille Russie, avec un grand piano à queue, des glaces partout, des parquets luisants, et tout le long des murs des chaises couvertes de housses blanches... La longue table de la salle à manger où à chacun des bouts sont assis, se faisant face, se parlant de loin, se souriant, le père et la mère, entre leurs quatre enfants, deux garçons et deux filles...

1. objurgations : paroles pressantes par lesquelles on essaie de dissuader une personne.

 

Texte B -  Marguerite Duras (1914-1996), L'Amant de la Chine du Nord (1991).

  [Marguerite Duras relate son enfance et son adolescence en Indochine, une colonie française où sa mère est venue comme institutrice. Dans cet extrait, elles sont sur le bateau qui les ramène en France.]

  L'enfant va voir vers le bar, elle n'entre pas bien sûr, elle va sur l'autre pont. Là il n'y a personne. Les voyageurs sont à bâbord pour guetter l'arrivée du vent de la haute mer. De ce côté-là du navire il y a seulement un très jeune homme. Il est seul. Il est accoudé au bastingage. Elle passe derrière lui. Il ne se retourne pas sur elle. Il ne l'a sans doute pas vue. C'est curieux qu'à ce point il ne l'ait pas vue.
  Elle non plus n'a pas pu voir son visage, mais elle se souvient de ce manque à voir de son visage comme d'un manque à voir du voyage.
  Oui, c'est bien ça, il portait une sorte de blazer. Bleu. A rayures blanches. Un pantalon du même bleu il portait aussi, mais uni.
  L'enfant était allée au bastingage. Parce qu'ils étaient si seuls tous les deux de ce côté-là du bateau sur ce pont désert, elle aurait tellement voulu qu'ils se parlent. Mais non. Elle avait attendu quelques minutes. Il ne s'était pas retourné. H désirait rester seul, plus que tout au monde il désirait ça, être seul. L'enfant était repartie.
  L'enfant n'avait jamais oublié cet inconnu, sans doute parce qu'elle lui aurait raconté l'histoire de son amour avec un Chinois de Choten.
  Au bout du pont, lorsqu'elle s'était retournée, il n'était plus là.

  Elle descend dans les coursives1. Elle cherche encore la double cabine où elles ont leurs couchettes, la mère et elle.
  Et puis elle s'arrête de chercher tout à coup. Elle sait que ça ne sert à rien, la mère restera introuvable.
  Elle remonte sur le pont-promenade.
  Sur l'autre pont l'enfant ne trouve plus sa mère non plus.
  Et puis elle la voit, elle est plus loin cette fois-ci, elle dort encore, dans une autre chaise longue, légèrement tournée vers l'avant. L'enfant ne la réveille pas. Elle retourne encore dans les coursives. Elle attend encore. Puis elle repart encore. Elle cherche son petit frère Paulo. Et puis elle cesse de le chercher. Et puis elle repart vers les coursives. Et elle se couche là, devant la double cabine dont la mère a oublié de lui donner la deuxième clé et elle se souvient. Et elle pleure.
  S'endort.

  Un haut-parleur avait annoncé que la terre avait disparu. Qu'on a atteint la pleine mer. L'enfant hésite et puis elle remonte sur le pont. Une houle très légère est arrivée avec le vent de la mer.

  Sur le bateau la nuit est arrivée. Tout est éclairé, les ponts, les salons, les coursives. Mais pas la mer, la mer est dans la nuit. Le ciel est bleu dans la nuit noire, mais le bleu du ciel ne se reflète pas dans la mer si calme soit-elle et si noire.
  Les passagers sont de nouveau accoudés au bastingage. Ils regardent vers ce qu'ils ne voient plus. Ils ne veulent pas rater l'arrivée des premières vagues de la haute mer et avec elles celle de la fraîcheur du vent qui d'un seul coup s'abat sur la mer.

  L'enfant cherche encore sa mère. Elle la retrouve cette fois encore endormie dans ce sommeil d'immigrée à la recherche d'une terre d'asile. Elle la laisse dormir.

1. coursives : dans un navire, couloirs intérieurs ou extérieurs entre les cabines.

 

Texte C - Charles Juliet (1934), Lambeaux (1995)

  Tu es le dernier des quatre enfants.
  Quand le drame est survenu et que ta mère a été hospitalisée, des voisins t'ont recueilli et gardé quelques semaines. Puis au début de l'année, ton père t'a confié à M. et Mme R., des paysans qui vivaient dans un village de la plaine. En plus de la nombreuse famille qu'elle élevait, Mme R. avait déjà en nourrice deux petites filles dont la mère avait perdu une jambe lors d'un accident. Ecrasée de travail, Mme R. avait d'abord refusé de te prendre. Mais lorsque par la suite elle avait appris que tu allais être placé chez une vieille femme qui se saoulait et vivait dans un taudis, elle avait accepté de dépanner ton père, afin de lui laisser le temps de chercher une nourrice acceptable. Lorsque enfin il en eut trouvé une et qu'il vint te chercher, Mme R. et ses cinq filles ne voulurent pas te laisser partir. Elles s'étaient attachées à ce nourrisson et dirent à ton père qu'elles s'occuperaient de toi comme si tu étais un fils de la famille.
  Pourtant, le bébé que tu étais aurait dû les excéder et les pousser à refuser de te garder. Car jour et nuit, les épuisant l'une après l'autre, tu ne cessais de pleurer. (Tu pleuras tant qu'un muscle de l'aine se déchira et qu'il fallut l'opérer d'une hernie.) Elles étaient aux petits soins pour toi, elles te nourrissaient comme il convient, te parlaient, te berçaient, te dorlotaient, mais rien ne pouvait apaiser tes pleurs.
  Ton père ayant oublié de leur indiquer ton prénom, elles choisirent de l'appeler Jean, à l'instar du fils du boucher, un garçon plaisant, sympathique, que tout le village appréciait. T'attribuer son prénom, c'était marquer l'espoir que tu aurais chance de lui ressembler, de recevoir en partage certaines de ses qualités.

 

Texte D - Sophie Calle (1953), "Le Portrait", Des histoires vraies + dix (2002)

[Sophie Calle est une artiste contemporaine née en 1953 qui mêle photographie et écriture.]

LE PORTRAIT

   J'ai neuf ans. En fouillant dans le courrier de ma mère, j'ai trouvé une lettre qui lui était adressée et qui commençait ainsi : « Chérie, j'espère que tu songes sérieusement à mettre notre Sophie en pension...» La lettre était signée du nom d'un ami de ma mère. J'en ai conclu que c'était lui mon vrai père. Lorsqu'il nous rendait visite, je m'asseyais sur ses genoux et, mes yeux dans les siens, j'attendais des aveux. Devant son indifférence et son mutisme il m'arrivait de douter. Alors je relisais la lettre volée. Je l'avais cachée derrière le tableau de la salle à manger, une peinture de l'école flamande, datant de la fin du XVème siècle, intitulée Luce de Montfort, représentant une jeune femme en buste, légèrement de profil à gauche, le regard de face, le visage pris dans une coiffe blanche et empesée, vêtue d'un pourpoint rose.

 

I- Après avoir pris connaissance de l'ensemble des textes, vous répondrez d'abord â la question suivante (4 points) :

Dans les quatre textes du corpus chaque auteur parle de lui-même. Analysez renonciation de chacun des extraits en commentant l'intérêt des choix opérés.

II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :

  • Commentaire
    Vous commenterez le texte de Marguerite Duras à partir de : « Elle descend dans les coursives » () jusqu'à la fin.
  • Dissertation
    Le souci de vérité dans l'écriture autobiographique interdit-il mise en scène, détour, masques littéraires ?
  • Invention
    L'éditeur de Sophie Calle a été intrigué par la présence du tableau flamand dans son autobiographie. Dans une lettre, elle lui répond pour en justifier la nécessité. Vous rédigerez cette lettre.

 

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CENTRES ÉTRANGERS
SÉRIES TECHNOLOGIQUES

 

Objet d'étude : La poésie.
Corpus :
Texte 1 : Victor HUGO, Les Contemplations, IV, 1856.
Texte 2 : Paul ELUARD, Sept poèmes d'amour en guerre, 1943,
Texte 3 : René-Guy CADOU, Hélène ou le règne végétal, 1945,
Texte 4 : Jean TARDIEU, Formeries, 1976.

 

Texte 1 : Victor HUGO, Les Contemplations, IV, 1856.

[Dans la seconde partie du recueil Les Contemplations, Victor Hugo évoque sa douleur de père après la mort de sa fille]

Oh ! je fus comme fou dans le premier moment,
Hélas ! et je pleurai trois jours amèrement.
Vous tous à qui Dieu prit votre chère espérance,
Pères, mères, dont l'âme a souffert ma souffrance,
Tout ce que j'éprouvais, l'avez-vous éprouvé ?
Je voulais me briser le front sur le pavé;
Puis je me révoltais, et, par moments, terrible,
Je fixais mes regards sur cette chose horrible,
Et je n'y croyais pas, et je m'écriais : Non !
− Est-ce que Dieu permet de ces malheurs sans nom
Qui font que dans le cœur le désespoir se lève ? −
Il me semblait que tout n'était qu'un affreux rêve,
Qu'elle ne pouvait pas m'avoir ainsi quitté,
Que je l'entendais rire en la chambre à côté,
Que c'était impossible enfin qu'elle fût morte,
Et que j'allais la voir entrer par cette porte !

Oh ! que de fois j'ai dit : Silence ! elle a parlé !
Tenez ! voici le bruit de sa main sur la clé !
Attendez ! elle vient ! laissez-moi, que j'écoute !
Car elle est quelque part dans la maison sans doute !

Jersey, 4 septembre 1852.

 

Texte 2 : Paul ELUARD, Sept poèmes d'amour en guerre, Au rendez-vous allemand, 1943.

Au nom du front parfait profond
Au nom des yeux que je regarde
Et de la bouche que j'embrasse
Pour aujourd'hui et pour toujours

Au nom de l'amour enterré
Au nom des larmes dans le noir
Au nom des plaintes qui font rire
Au nom des rires qui font peur

Au nom des rires dans la rue
De la douceur qui lie nos mains
Au nom des fruits couvrant les fleurs
Sur une terre belle et bonne

Au nom des hommes en prison
Au nom des femmes déportées
Au nom de tous nos camarades
Martyrisés et massacrés
Pour n'avoir pas accepté l'ombre

II nous faut drainer la colère
Et faire se lever le fer
Pour préserver l'image haute
Des innocents partout traqués
Et qui partout vont triompher.

 

Texte 3 : René-Guy CADOU (1920-1951), Hélène ou le règne végétal, 1945.

Je t'attendais ainsi qu'on attend les navires
Dans les années de sécheresse quand le blé
Ne monte pas plus haut qu'une oreille dans l'herbe
Qui écoute apeurée la grande voix du temps

Je t'attendais et tous les quais toutes les routes
Ont retenti du pas brûlant qui s'en allait
Vers toi que je portais déjà sur mes épaules
Comme une douce pluie qui ne sèche jamais

Tu ne remuais encore que par quelques paupières
Quelques pattes d'oiseaux dans les vitres gelées
Je ne voyais en toi que cette solitude
Qui posait ses deux mains de feuille sur mon cou

Et pourtant c'était toi dans le clair de ma vie
Ce grand tapage matinal qui m'éveillait
Tous mes oiseaux tous mes vaisseaux tous mes pays
Ces astres ces millions d'astres qui se levaient

Ah que tu parlais bien quand toutes les fenêtres
Pétillaient dans le soir ainsi qu'un vin nouveau
Quand les portes s'ouvraient sur des villes légères
Où nous allions tous deux enlacés par les rues.

 

Texte 4 : Jean TARDIEU, Formeries, L'accent grave et l'accent aigu, 1976.

Conjugaisons et interrogations

J'irai je n'irai pas je n'irai pas
Je reviendrai Est-ce que je reviendrai ?
Je reviendrai Je ne reviendrai pas

Pourtant je partirai (serais-je déjà parti ?)
Parti reviendrai-je ?
Et si je partais ? Et si je ne partais pas ? Et si je ne revenais pas ?

Elle est partie, elle ! Elle est bien partie. Elle ne revient pas
Est-ce qu'elle reviendra ? Je ne crois pas Je ne crois pas qu'elle revienne
Toi, tu es là Est-ce que tu es là ? Quelquefois tu n'es pas là.

Ils s'en vont, eux. Ils vont ils viennent
Ils partent ils ne partent pas ils reviennent ils ne reviennent plus

Si je partais, est-ce qu'ils reviendraient ?
Si je restais, est-ce qu'ils partiraient ?
Si je pars, est-ce que tu pars ?
Est-ce que nous allons partir ?
Est-ce que nous allons rester ?
Est-ce que nous allons partir ?

 

I. Vous répondrez d'abord aux questions suivantes (6 points)

  1. Quelles remarques pouvez-vous faire sur la forme poétique de chacun de ces poèmes ? (2 points)
  2. Quelles fonctions les poètes attribuent-ils à la poésie dans chacun des textes du corpus ? Vous justifierez votre réponse en vous fondant sur les procédés d'écriture qui vous semblent les plus remarquables. (4 points) 

II. Vous traiterez un de ces sujets au choix (14 points):

  • Commentaire
    Vous commenterez le texte de René-Guy CADOU
    - en vous intéressant d'abord à la façon dont le poète évoque la rencontre avec la femme aimée et la naissance du couple
    - puis en étudiant comment le poète associe la femme aimée au monde.
  • Dissertation
    On associe souvent poésie et lyrisme. La poésie consiste-t-elle seulement pour les poètes à exprimer leurs sentiments personnels ? Vous répondrez à cette question en utilisant les textes du corpus, mais aussi des exemples empruntés aux œuvres étudiées en classe ou lues personnellement.
  • Invention
    Vous êtes directeur d'une revue poétique. À un lecteur ou une lectrice qui a affirmé que la poésie était inutile dans notre monde actuel, vous répondez sous la forme d'une lettre en prenant la défense de la poésie.
    Vous utiliserez les textes du corpus mais aussi les textes et les œuvres étudiés ou lus personnellement.
    Vous présenterez votre travail sous la forme d'une lettre mais sans la signer.
 

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