L'ARGENT
CORPUS DE CITATIONS

 

 

IMMORALITÉ DE L'ARGENT

1. On peut dire qu'un gouvernement est parvenu à son dernier degré de corruption quand il n'a plus d'autre nerf que l'argent. Rousseau, Discours sur l'économie politique, III (1755).

2. C’est le tracas du commerce et des arts, c’est l’avide intérêt du gain, c’est la mollesse et l’amour des commodités, qui changent les services personnels en argent. On cède une partie de son profit pour l’augmenter à son aise. Donnez de l’argent, et bientôt vous aurez des fers. Ce mot de finance est un mot d’esclave, il est inconnu dans la cité. Dans un pays vraiment libre, les citoyens font tout avec leurs bras, et rien avec de l’argent ; loin de payer pour s’exempter de leurs devoirs, ils payeraient pour les remplir eux-mêmes. Rousseau, Du Contrat social, III (1762).

3. Si nous pouvions nous passer d'argent et avoir tous les avantages que l'argent donne, nous jouirions bien mieux de ces avantages qu'avec les richesses, puisque nous les aurions séparés des vices qui les empoisonnent et que l'argent amène avec lui. J.J. Rousseau, Projet de constitution pour la Corse (1763).

4. L’argent devenu fin en soi ne laisse même pas les biens qui par nature sont étrangers à l’économie exister à titre de valeurs coordonnées, en soi définitives ; non seulement il vient se placer, comme autre finalité de l’existence, au même rang que la sagesse et que l’art, que l’importance et la force personnelles, et même que la beauté et l’amour mais, de plus, ce faisant, il acquiert la force de ravaler ces derniers au rang de moyens à son service. Georg Simmel, Philosophie de l’argent (1900).

5. Si l'argent est le lien qui m'unit à la vie humaine, qui unit à moi la société et m'unit à la nature et à l'homme, l'argent n'est-il pas le lien de tous les liens ? Ne peut-il pas nouer et dénouer tous les liens ? N'est-il pas, de la sorte, l'instrument de division universel ? Vrai moyen d'union, vraie force chimique de la société, il est aussi la vraie monnaie « divisionnaire ». [...]
Marx, Ébauche d'une critique de l'économie politique (1844).

6. Le commerce est, par son essence, satanique. Le commerce, c'est le prêté-rendu, c'est le prêt avec le sous-entendu : Rends-moi plus que je ne te donne. L'esprit de tout commerçant est complètement vicié. Le commerce est naturel, donc il est infâme. Le moins infâme de tous les commerçants, c'est celui qui dit : "Soyons vertueux pour gagner beaucoup plus d'argent que les sots qui sont vicieux". Pour le commerçant, l'honnêteté elle-même est une spéculation de lucre. Le commerce est satanique, parce qu'il est une des formes de l'égoïsme, et la plus basse, et la plus vile. Baudelaire, Mon cœur mis à nu (post. 1887).

7. L'argent ne représente qu'une nouvelle forme d'esclavage impersonnel à la place de l'ancien esclavage personnel.
Léon Tolstoï,  L'argent et le travail (1890).

 

 

MORALITÉ DE L'ARGENT

1. Le commerce guérit les préjugés destructeurs ; et c'est presque une règle générale que partout où il y a des mœurs douces il y a du commerce ; et partout où il y a du commerce il y a des mœurs douces.
Montesquieu, L'Esprit des Lois, XX (1748).

2. L'argent qu'on possède est l'instrument de la liberté, celui qu'on pourchasse est celui de la servitude.
Jean-Jacques Rousseau, Confessions (1782).

3. L'argent est l'argent, quelles que soient les mains où il se trouve. C'est la seule puissance qu'on ne discute jamais.
Alexandre Dumas fils,  La Question d'argent (1857).

4. L'argent n'est point déshonorant, quand il est le salaire, et la rémunération et la paye, par conséquent quand il est le traitement. Quand il est pauvrement gagné. Il n'est déshonorant que quand il est l'argent des gens du monde. Il n'y a donc, dans les autres cas, je veux dire quand il n'est pas l'argent des gens du monde, aucune honte à en parler. Et à en parler comme tel. Il n'y a même que cela qui soit honorable. Et qui soit droit. Et qui soit décent. Il faut toujours parler d'argent comme d'argent. Charles Péguy, L'Argent (1913).

5. L'argent est le fumier dans lequel pousse l'humanité de demain. Le terreau nécessaire aux grands travaux qui facilitent l'existence.
Emile Zola, L'Argent (1891).

6. L'argent n'est-il pas un moyen de traiter les relations humaines aussi sûr que la violence, et ne nous permet-il pas de renoncer au trop naïf usage de celle-ci ? Il est de la violence spiritualisée; une forme particulière, souple, raffinée, créatrice de la violence.
Robert Musil, L'Homme sans qualités (1930).

7. Je mesure aujourd’hui la folie et la méchanceté de ceux qui calomnient cette institution divine : l’argent ! L’argent spiritualise tout ce qu’il touche en lui apportant une dimension à la fois rationnelle – mesurable - et universelle - puisqu’un bien monnayé devient virtuellement accessible à tous les hommes.
Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique (1967).