Aristote, Éthique à Nicomaque
Résumé des livres VIII et IX

 

  Le lecteur de l'Éthique trouvera peut-être que le discours du philosophe, très négligent de la qualité formelle, s'encombre de redites. En fait, si la pensée d'Aristote est remarquablement claire dans sa progression logique, elle s'exprime aussi d'une manière symphonique : les thèmes majeurs, comme des leitmotive, s'annoncent dans un chapitre puis se déploient dans le suivant, pour être ensuite rappelés avant de s'éloigner tout à fait. Le résumé que nous proposons ici ne donnera bien sûr qu'une faible idée de cette structure : nous avons tenté d'organiser les différents chapitres en unités distinctes qui laissent entrevoir une certaine progression du discours.

LIVRE VIII (1155a-1163b) 

La nature de l'amitié

1. L’amitié. – Sa nécessité.   L'amitié est ce qu'il y a de plus nécessaire pour vivre, quels que soient l'âge et la condition; elle est le lien des cités et paraît à ce titre aux législateurs plus précieuse que la justice.
2. Les diverses théories sur la nature de l’amitié.   L'amitié est commandée par le bien, l'agréable et l'utile. Elle est faite d'une bienveillance mutuelle, chacun souhaitant le bien de l'autre; cette bienveillance ne doit pas rester ignorée des intéressés; l'amitié doit enfin avoir pour cause l'un des trois objets précédents.

Les types d'amitié
(conditions, causes)

3. Les espèces de l’amitié : l’amitié fondée sur l’utilité et l’amitié fondée sur le plaisir.   Ces deux types d'amitié restent fragiles, étant liées au bien ou au plaisir que l'on attend de l'ami. La première est fréquente chez les vieillards, la deuxième chez les jeunes gens.
4. L’amitié fondée sur la vertu.   Cette amitié parfaite, plus rare et plus lente à se former, est stable puisqu'elle appartient aux hommes vertueux : les amis font semblablement résider leur plaisir dans les actions qui expriment leur nature et celles-ci visent toujours le bien de l'autre.
5. Comparaison entre l’amitié parfaite et les autres amitiés. L'amitié parfaite présente quelques points communs avec les deux précédentes, mais, dénuée de tout intérêt personnel, elle est la seule à n'exister que dans la vertu. Les deux autres ne sont fondées que sur le hasard et la ressemblance.
6. L’habitus et l’activité dans l’amitié. L'amitié est incompatible avec l'absence ou la solitude : elle se nourrit de la vie en commun.
7. Étude de rapports particuliers entre les diverses amitiés.   L'amitié est une égalité proportionnelle : chacun des deux amis aime son propre bien et rend exactement à l'autre ce qu'il en reçoit, en souhait et en plaisir. L'amitié suppose le goût des autres et de la vie commune. C'est pourquoi l'amitié fondée sur le plaisir ressemble le plus à l'amitié parfaite.

Juridiction de l'amitié : les amitiés inégales

8. L’égalité et l’inégalité dans l’amitié. Dans les amitiés qui comportent une supériorité d'une partie sur l'autre (le père et le fils, le mari et la femme...), l'affection doit être fonction du mérite des parties : s'instaure alors une égalité nécessaire à l'amitié.
9. L’égalité dans la justice et dans l’amitié. Amitié donnée et amitié rendue.   L'égalité dans l'amitié est quantitative, elle ne peut s'accommoder d'une disparité sociale importante entre amis, comme le montre l'exemple de ceux qui ne recherchent qu'à être honorés. Car l'amitié consiste plutôt à aimer qu'à être aimé.
10. Amitié active et amitié passive, suite. Amitiés entre inégaux.   Les amis dans lesquels l'amour se rencontre proportionné au mérite de celui qu'ils aiment sont constants dans leurs rapports mutuels et dans l'horreur du vice. Les personnes de conditions opposées connaissent surtout des amitiés basées sur l'utilité.

Politique de l'amitié

11. Amitié et justice. Les types d’amitié. Associations particulières et cité.   En toute communauté, amitié et justice sont coextensives. L'étendue de la mise en commun des biens entre amis mesure l'étendue de leur amitié et de leurs droits. Les espèces particulières d'amitié correspondent aux espèces particulières des communautés régies par le juste, c'est-à-dire par ce qui est à l'avantage de tous.
12. Constitutions politiques et amitiés correspondantes.   Le trois constitutions politiques connaissent leur perversion : la royauté dégénère en tyrannie, l'aristocratie en oligarchie, la timocratie en démocratie. Elles ont leur correspondance dans l'organisation domestique.
13. Formes de l’amitié correspondant aux constitutions politiques.   L'affection du roi pour son peuple correspond au sentiment paternel : leurs rapports de justice sont proportionnés au mérite de chacun. Le régime aristocratique trouve son équivalent dans l'affection entre mari et femme : au meilleur (l'époux) revient une plus large part de biens. Le régime timocratique ressemble à l'affection fraternelle, où tous sont sur un pied d'égalité. Il en résulte que l'amitié et la justice sont nulles dans la tyrannie et essentielles dans la démocratie.
14. L’affection entre parents et entre époux.   Les parents aiment leur enfant comme eux-mêmes et cette affection l'emporte en longueur sur celle des enfants qui aiment leurs parents comme étant nés d'eux. L'affection entre frères est renforcée, comme celle entre camarades, par la communauté d'éducation. L'amour entre mari et femme est fondé sur l'utilité et l'agrément, mais aussi sur la vertu.

Règles de conduite

15. Règles pratiques relatives à l’amitié entre égaux. – L’amitié utilitaire.   Les amis qui sont égaux doivent réaliser une égalité d'affection et de biens; chez ceux qui sont inégaux, la partie défavorisée réalisera l'égalité en fournissant un avantage proportionné à la supériorité de l'autre partie. Des trois types d'amitié, seule l'amitié utilitaire est ouverte aux récriminations et peut-être codifiée soit légalement soit moralement. La règle devrait être fondée sur l'avantage de l'obligé, et, pour celui-ci, de rendre autant qu'il a reçu, et même davantage.
16. Règles de conduite pour l’amitié entre personnes inégales.   Entre personnes inégales, chacune peut légitimement espérer recevoir plus que l'autre : mais ce sera plus d'honneur pour la plus riche, et plus de biens pour la plus démunie. L'amitié ne réclame rien en effet qui excède les possibilités de chacun.

 

 

LIVRE IX (1163b-1172a)

Les conflits

1. Les amitiés d’espèces différentes. Fixation de la rémunération.   Les amitiés où chacun poursuit un but différent n'ont rien de stable. Dans l'amitié vertueuse comme dans l'enseignement philosophique, on doit s'acquitter des services rendus comme on le peut. Lorsque les services rendus n'ont pas ce caractère de gratuité, il appartient au bénéficiaire de fixer le montant de la rémunération, d'après la valeur du bien estimée avant la transaction.
2. Conflits entre les diverses formes de l’amitié.   Il convient d'ajuster  le devoir de rémunération aux personnes et aux cas qui se présentent. Il faut attribuer à chaque groupe les avantages qui lui sont appropriés et comparer ce que chaque catégorie d'individus est en droit de prétendre, eu égard à leur degré de parenté, de vertu ou d'utilité.
3. De la rupture de l’amitié. Les amitiés fondées sur l'utilité ou le plaisir disparaissent avec les avantages escomptés. Une amitié vertueuse doit se rompre si l'un des amis est gagné par le vice, sauf s'il est susceptible de s'amender. L'amitié ne peut durer lorsque deux personnes deviennent par trop inégales, mais le souvenir de l'intimité passée doit subsister.

Amour-propre et égoïsme (1)

4. Analyse de l’amitié. Altruisme et égoïsme.   Les sentiments d'amitié dérivent des relations de l'individu avec lui-même : l'homme de bien souhaite le meilleur pour lui-même, il souhaite passer sa vie avec lui-même dans la gratitude à l'égard du passé et la sympathie avec ses joies et ses peines. Ainsi l'amitié consiste à aimer un autre soi-même. Les hommes pervers sont déchirés entre leurs inclinations et leur raison et, incapables de s'aimer soi-même, il sont incapables d'amitié.

L'amitié par rapport à trois notions

5. Analyse de la bienveillance.   La bienveillance n'est pas l'amitié, puisqu'elle peut s'appliquer à des gens inconnus, mais elle en est le début car elle manifeste une sensibilité à l'excellence morale du prochain, dénuée de plaisir et d'intérêt.
6. Analyse de la concorde. La concorde est un sentiment affectif qui se rapporte à des fins pratiques : elle est pour cela une amitié politique accessible aux seuls hommes de bien puisqu'eux seuls savent souhaiter ce qui est juste et avantageux pour l'ensemble des citoyens.
7. Analyse de la bienfaisance. Le bienfaiteur aime son obligé comme l'artiste chérit l'ouvrage qui le fait exister. Le souvenir d'une action noble est en outre source de vrai plaisir, comme l'activité et l'effort  que manifestent les bienfaiteurs.

Amour-propre et égoïsme (2)

8. L’égoïsme, son rôle et ses formes.   L'homme de bien sera suprêmement égoïste, car l'homme vertueux a le devoir de s'aimer lui-même. Ceci n'a rien à voir avec l'égoïsme vulgaire, car l'homme de bien obéit à son intellect et l'homme vicieux à ses passions. La noblesse morale d'une action est la meilleure part de bonheur qu'on peut espérer pour soi-même.

« Foire aux questions »

9. Si l’homme heureux a besoin d’amis.   L'homme est un être politique et a besoin d'amis. Pour l'homme heureux, l'amitié est une activité vertueuse et agréable : aimant la vie par la conscience qu'il a de sa propre bonté, il a besoin aussi de participer à la conscience qu'a son ami de sa propre existence. Il lui faut donc des amis vertueux.
10. Sur le nombre des amis. Il est bon de ne pas chercher à avoir le plus grand nombre d'amis possible, mais une quantité suffisante pour la vie en commun.
11. Le besoin d’amis dans la prospérité et dans l’adversité. Notre devoir est de convier nos amis à partager notre bonheur plutôt que notre malheur, même si la présence d'amis est désirable en toutes circonstances.
12. La vie commune dans l’amitié. L'amitié est une communauté : pour chacun, elle actualise la conscience d'exister et, pour les gens de bien, elle permet de devenir meilleurs en agissant.

 

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Biographies :

L'amitié chez Aristote :

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