Le cliché est une image usée, qu'il s'agisse d'une
formule lexicalisée ("son sang ne fit qu'un tour") ou d'une métaphore
reproduite à plaisir (Roger Caillois rappelle la proposition attribuée
à Nerval : « Le premier qui compara la femme à une rose était un poète;
le second était un imbécile »). Signes "d'inattention et de déchéance" selon Rémy
de Gourmont, les clichés révèlent en effet une incapacité à créer
des formes originales et une véritable aliénation de soi dans le
discours de l'autre. C'est à ce titre que Flaubert les a recensés, avec
les lieux communs, dans son Dictionnaire des idées
reçues.
Nous utiliserons pourtant le cliché dans un souci
pédagogique : après avoir rappelé les images qui sont susceptibles de
mieux le véhiculer, nous vous proposerons d'examiner des énoncés qui en
font une utilisation abusive et cultivent artificiellement l'écart stylistique, puis d'en créer un, à votre tour !
Ferdinand de Saussure exposa dans son Cours
de linguistique générale (publié en 1916) sa conception du signe
comme une notion à deux faces : un signifiant (c'est-à-dire la
forme concrète, acoustique ou graphique, du signe) et un signifié,
qui désigne le contenu sémantique, l'ensemble des réalités à quoi
renvoie le signifiant :
ainsi les signifiants [chat]
(le mot prononcé ou vu), l'icône ont
pour signifié l'animal familier.
Le lien entre ces deux faces du signe est
certes nécessaire au sein d'une même collectivité pour assurer la bonne
réception du message. Mais il est en fait arbitraire (dans
d'autres langues, par exemple, cet animal est désigné par un mot
différent). Les poètes se sont souvent plu à jouer sur le seul
signifiant sans se soucier du signifié (ainsi dans l'allitération ou
l'assonance); la littérature a d'autre part pour ambition de multiplier
les signifiés à partir d'un même signifiant (ce sont les connotations). Dans leur souci d'une langue neuve, certains écrivains ont pu ainsi dissocier le signifiant du signifié en inventant des mots ou en s'efforçant de vider les mots existants de leur contenu, par une répétition systématique notamment, comme peuvent le faire les enfants :
C'est ici que la notion de signe nous intéresse pour
réfléchir sur celle de cliché. Lorsqu'à un signifiant
invariable est invariablement attaché un même signifié, on pourra
constater en effet cette sclérose du langage à quoi aboutirait une
littérature confinée dans un langage utilitaire.
De ce langage, au contraire, la publicité est friande
puisqu'elle doit communiquer de manière massive des mots d'ordre
d'autant plus efficaces qu'ils seront automatiques. Dans un texte
célèbre, Roland Barthes a ainsi recensé les signes à l'œuvre dans une
image publicitaire et parfaitement montré qu'ils n'ont besoin pour être
compris que d'un savoir stéréotypé :
Voici
une publicité Panzani : des paquets de pâtes, une boîte, un
sachet, des tomates, des oignons, des poivrons, un champignon, le tout
sortant d'un filet à demi ouvert, dans des teintes jaunes et vertes sur
fond rouge. Essayons d' « écrémer » les différents messages qu'elle
peut contenir.
L'image livre tout de suite un premier message, dont la
substance est linguistique; les supports en sont la légende, marginale,
et les étiquettes, qui, elles, sont insérées dans le naturel de la
scène, comme « en abyme » ; le code dans lequel est prélevé ce message
n'est autre que celui de la langue française; pour être déchiffré, ce
message n'exige d'autre savoir que la connaissance de l'écriture et du
français. A vrai dire, ce message lui-même peut encore se décomposer,
car le signe Panzani ne livre pas seulement le nom de la
firme, mais aussi, par son assonance, un signifié supplémentaire qui
est, si l'on veut, l'«italianité » ; le message linguistique est donc
double ( du moins dans cette image) : de dénotation et de connotation;
toutefois, comme il n'y a ici qu'un seul signe typique, à savoir celui
du langage articulé (écrit), on ne comptera qu'un seul message.
Le message linguistique mis de côté, il reste l'image pure (même
si les étiquettes en font partie à titre anecdotique). Cette image
livre aussitôt une série de signes discontinus. Voici d'abord ( cet
ordre est indifférent, car ces signes ne sont pas linéaires ), l'idée
qu'il s'agit, dans la scène représentée, d'un retour du marché ; ce
signifié implique lui-même deux valeurs euphoriques : celle de la
fraîcheur des produits et celle de la préparation purement ménagère à
laquelle ils sont destinés; son signifiant est le filet entrouvert qui
laisse s'épandre les provisions sur la table, comme « au déballé ».
Pour lire ce premier signe, il suffit d'un savoir en quelque sorte
implanté dans les usages d'une civilisation très large, où « faire
soi-même son marché » s'oppose à l'approvisionnement expéditif
(conserves, frigidaires) d'une civilisation plus « mécanique ». Un
second signe est à peu près aussi évident; son signifiant est la
réunion de la tomate, du poivron et de la teinte tricolore (jaune,
vert, rouge) de l'affiche; son signifié est l'Italie, ou plutôt l'italianité,
ce signe est dans un rapport de redondance avec le signe connoté
du message linguistique (l'assonance italienne du nom Panzani) ;
le savoir mobilisé par ce signe est déjà plus particulier : c'est un
savoir proprement « français » (les Italiens ne pourraient guère
percevoir la connotation du nom propre, non plus probablement que
l'italianité de la tomate et du poivron), fondé sur une connaissance de
certains stéréotypes touristiques. Continuant d'explorer l'image (ce
qui ne veut pas dire qu'elle ne soit entièrement claire du premier coup
), on y découvre sans peine au moins deux autres signes; dans l'un, le
rassemblement serré d'objets différents transmet l'idée d'un service
culinaire total, comme si d'une part Panzani fournissait tout
ce qui est nécessaire à un plat composé, et comme si d'autre part le
concentré de la boîte égalait les produits naturels qui l'entourent, la
scène faisant le pont en quelque sorte entre l'origine des produits et
leur dernier état; dans l'autre signe, la composition, évoquant le
souvenir de tant de peintures alimentaires, renvoie à un signifié
esthétique : c'est la « nature morte », ou comme il est mieux dit dans
d'autres langues, le « still living » ; le savoir nécessaire
est ici fortement culturel. On pourrait suggérer qu'à ces quatre
signes, s'ajoute une dernière information: celle-là même qui nous dit
qu'il s'agit ici d'une publicité, et qui provient à la fois de la place
de l'image dans la revue et de l'insistance des étiquettes Panzani
(sans parler de la légende).
Reprenez un à un les signifiés repérés dans l'image et précisez quels
sont leurs signifiants. Exercez-vous à la même analyse dans une image
publicitaire de votre choix (voir un autre exemple sur nos pages BTS).
Dans
les classifications rhétoriques, l'image appartient aux figures de
l'analogie. Celle-ci est une opération fondamentale de l'esprit humain
: définir un mot, évoquer une représentation rendent souvent nécessaire
le recours à une autre réalité. Si je parle par exemple de couleur
chaude, j'établis une analogie entre le domaine de la vue et celui du
toucher pour justifier son intensité et sa lumière; le rouge, le jaune
ont eux-mêmes suggéré le sang, le soleil... Parce qu'elle est une manière habituelle du langage, et qu'elle fait partie des structures répétitives propres à ce que nous avons appelé la tyrannie de la langue, l'image est susceptible de se fossiliser rapidement en cliché. Observons de plus près ce phénomène.
On a l'habitude de recenser
les images suivantes :
LA COMPARAISON manifeste
explicitement le rapport analogique : le comparé
est lié au comparant par un terme de comparaison (comme, pareil à,
ressemble à...).
Ex : "La musique souvent me prend comme une mer."
(Baudelaire)
La comparaison semble ancrée
dans le réel, s'efforçant de valider l'analogie par une approximation
cohérente, un point commun manifeste.
C'est pourquoi les comparaisons sont le plus souvent
encombrées de clichés. Pourtant le proverbe dit bien "Comparaison n'est
pas raison", et on se souviendra que les surréalistes se sont plu à
déranger ce rationalisme apparent : "Plus les rapports des deux réalités
rapprochées seront lointains et justes, plus l'image sera forte - plus
elle aura de puissance émotive et de réalité poétique." (Pierre Reverdy)
Ex : "Beau
comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à
coudre et d'un parapluie." (Lautréamont)
LA MÉTAPHORE annule
le terme de comparaison et établit pour cela un rapport fulgurant,
évident, entre deux représentations qui, pourtant, pourraient s'exclure.
Ex : comparaison : "Dans
la nuit, ta chevelure a l'air d'une flamme"
métaphore : "Ta
chevelure incendie la nuit."
Cultivant l'implicite, la métaphore
sollicite l'imagination du lecteur, libre désormais d'apercevoir la
réalité suggérée derrière les mots sans qu'une opération de
"traduction" rationnelle soit nécessaire.
Ex :
"Lendemain de chenille en tenue de bal." (Saint-Pol Roux)
« Il s'est trouvé quelqu'un d'assez malhonnête pour dresser
un jour, dans une notice d'anthologie, la table de quelques-unes des
images que nous présente l'œuvre d'un des plus grands poètes vivants ;
on y lisait : Lendemain de chenille en tenue de bal veut dire papillon.
Mamelles de cristal veut dire : une carafe, etc. Non, monsieur, ne veut
pas dire. Rentrez votre papillon dans votre carafe. Ce que
Saint-Pol-Roux a voulu dire, soyez certain qu'il l'a dit. » André
Breton (Introduction au discours sur le peu de réalité).
Mais, ici encore,
la métaphore n'est pas réservée à la langue poétique : elle fait partie
des opérations fondamentales du langage (on parle coutumièrement, par
exemple, des "lumières de l'esprit" ou du "cocon familial") et, à ce
titre, les métaphores sont tôt gagnées par le cliché.
Installée sur toute une partie du texte, la métaphore est dite
"filée". Oubliant sa cohérence, elle est dite "brisée" :
Ex : "Le
char de l'État navigue sur un volcan".
LA MÉTONYMIE consiste à désigner un objet par un autre
terme que celui qui est habituellement employé, et qui lui est associé par
contiguïté.
C'est, par exemple, prendre une partie pour le
tout et dire « une voile » pour évoquer un bateau; c'est
aussi prendre la matière pour l'objet et dire « croiser le fer » pour
décrire un combat à l'épée. C'est enfin prendre le contenant pour le
contenu et dire «boire un verre» pour exprimer le fait de prendre une
consommation dans un café (certains parleront alors de synecdoque,
mais celle-ci est souvent difficile à distinguer). Le mouvement de la
métonymie est donc toujours le même : il consiste à réduire un ensemble
à un détail, l'important à l'anodin, le primordial à l'accessoire.
LA PERSONNIFICATION attribue des comportements ou des sentiments
humains à un objet, un être inanimé ou un animal. Elle peut exprimer
ainsi une conviction panthéiste,
élaborer un univers merveilleux
ou fantastique.
Ex :
"L'alambic, avec ses récipients de forme étrange, ses enroulements sans
fin de tuyaux, gardait une mine sombre." (Zola).
L'ALLÉGORIE désigne
tout récit porteur d'une signification symbolique. L'allégorie peut
aussi incarner une idée abstraite par une représentation concrète :
Ex:
"Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci" (Baudelaire).
Certaines allégories sont devenues des clichés (la Paix sous la
forme d'une colombe, le Temps sous celle d'un squelette armé d'une faux
etc.).
Examinez le texte suivant et le tableau de synthèse que nous vous proposons ensuite :
DansMadame Bovary
(1857), Flaubert manifeste une entreprise de dérision à l'égard de tous
les discours stéréotypés. Au chapitre VIII de la deuxième partie du
roman, il fait parler ainsi un conseiller de préfecture chargé de
remettre les prix d'un concours de Comices agricoles :
Messieurs,
Qu'il me soit permis d'abord (avant de vous entretenir de
l'objet de cette réunion d'aujourd'hui, et ce sentiment, j'en suis
sûr, sera partagé par vous tous), qu'il me soit permis, dis-je,
de rendre justice à l'administration supérieure, au gouvernement, au
monarque, messieurs, à notre souverain, à ce roi bien-aimé à qui aucune
branche de la prospérité publique ou particulière n'est indifférente,
et qui dirige à la fois d'une main si ferme et si sage le char de
l'État parmi les périls incessants d'une mer orageuse, sachant
d'ailleurs faire respecter la paix comme la guerre, l'industrie, le
commerce, l'agriculture et les beaux-arts. Le temps n'est plus,
messieurs, où la discorde civile ensanglantait nos places publiques, où
le propriétaire, le négociant, l'ouvrier lui-même, en s'endormant le
soir d'un sommeil paisible, tremblaient de se voir réveillés tout à
coup au bruit des tocsins incendiaires. [...] Mais, messieurs, que si,
écartant de mon souvenir ces sombres tableaux, je reporte mes yeux sur
la situation actuelle de notre belle patrie, qu'y vois-je ? Partout
fleurissent le commerce et les arts; partout des voies nouvelles de
communication, comme autant d'artères nouvelles dans le corps de
l'État, y établissent des rapports nouveaux; nos grands centres
manufacturiers ont repris leur activité; la religion, plus affermie,
sourit à tous les cœurs; nos ports sont pleins, la confiance renaît, et
enfin la France respire !
Une simple
lecture de ce texte révèle quelques emplois fossilisés des images, qui
autorisent qu'on le considère comme un tissu de clichés. Entreprenons
d'en recenser quelques-unes :
IMAGES
RELEVÉ
COMMENTAIRE
Comparaison
des voies
nouvelles de communication, comme autant d'artères nouvelles dans le
corps de l'État.
Comparaison
éculée, au point que le champ sémantique du mot "artères" comprend
aujourd'hui ce sens de voie de communication.
Métaphore
fleurissent le
commerce et les arts - qui dirige le char de l'État parmi les périls
incessants d'une mer orageuse - s'endormant le soir d'un
sommeil paisible, tremblaient de se voir réveillés.
Deux
métaphores brisées : on voit mal un char naviguer ! Peut-on, d'autre
part, s'endormir paisiblement en tremblant ?
Métonymie
au bruit des
tocsins incendiaires.
Si le
tocsin est habituel pour signifier une alerte à l'incendie, que dire de
l'adjectif qui lui est bizarrement accolé ?
Personnification
la religion
plus affermie, sourit à tous les cœurs.
Ici encore,
la personnification oublie sa cohérence : n'y a-t-il pas contradiction
entre "affermie" et "sourit" ?
Allégorie
où la discorde
civile ensanglantait nos places publiques.
Image
habituelle, là encore, de la discorde, assimilée à un personnage
générique.
Ces quelques
remarques suffisent sans doute à caractériser le ridicule de ce
discours, qu'il tient aussi pourtant d'un usage excessif des figures,
c'est-à-dire d'un souci artificiel de créer un écart par
rapport à la langue simple et directe qu'il devrait employer.
On appelle écart
stylistique le travail de création - notamment celui des figures de
rhétorique - qui sépare un énoncé de la langue usuelle. Cet écart est,
au vrai, tout virtuel : quel est le "degré zéro" qui permettrait de
mesurer, à la manière d'un sismographe, les plus ou moins grandes
variations du style ? La langue usuelle, elle-même, ne méconnaît pas
les figures. Mais il peut sembler légitime de constater les écarts les
plus manifestes entre une langue simplement "informative" et une autre,
"littéraire". Si au simple énoncé "Le ciel est bleu", je préfère
celui-ci : "Tudieu ! De quel azur les cieux ne nous gratifient-ils pas
aujourd'hui !", je manifeste une intention et opère une transformation
du réel, que mon destinataire appréciera diversement selon le contexte.
Cet écart peut garantir la création littéraire la plus
originale, mais, cultivé pour lui-même, dans le seul souci de
l'esbroufe stylistique, il aboutit au galimatias :
Dans ses Exercices de style,
Raymond Queneau raconte une centaine de fois la même anodine histoire,
et donne ainsi un exemple particulièrement éloquent d'écart
stylistique. Observez la production suivante baptisée "Ampoulé" : elle
vous est présentée après un simple récit, qui vous servira de "niveau
0". Recensez dans le tableau de synthèse les figures-clichés que nous
venons de présenter et efforcez-vous, dans les lignes réservées au
commentaire, de dire en quoi le texte manifeste aussi une emphase
ridicule - artificiellement écartée - qui justifie son titre.
Un jour
vers midi du côté du parc Monceau, sur la plate-forme arrière d'un
autobus à peu près complet de la ligne S (aujourd'hui 84), j'aperçus un
personnage au cou fort long qui portait un feutre mou entouré d'un
galon tressé au lieu de ruban. Cet individu interpella tout à coup son
voisin en prétendant que celui-ci faisait exprès de lui marcher sur les
pieds chaque fois qu'il montait ou descendait des voyageurs. Il
abandonna d'ailleurs rapidement la discussion pour se jeter sur une
place devenue libre.
Deux heures plus tard, je le revis devant la gare Saint-Lazare
en grande conversation avec un ami qui lui conseillait de diminuer
l'échancrure de son pardessus en en faisant remonter le bouton
supérieur par quelque tailleur compétent.
A partir de cet extrait de La Chute d'Albert Camus, essayez à votre tour de produire un texte du même
registre "ampoulé" en cultivant, avec les mêmes images, l'écart le plus
manifeste possible :
Efforcez-vous en
même temps de réécrire ce texte en puisant le plus possible dans les
clichés suivants : colère bleue - impérieuse nécessité - savoir pertinemment -
refuser catégoriquement - attendre de pied ferme - fort comme un Turc -
fier comme Artaban - blanc comme un linge - en moins de temps qu'il
n'en faut pour le dire - prendre son courage à deux mains - comme par
enchantement - monter sur ses grands chevaux - de vives remontrances -
4. Raviver
les clichés :
Si la langue s'use, et avec elle le regard que nous portons sur les choses, le vrai travail de l'écrivain doit porter sur la manière dont il débarrassera l'expression de ses conventions routinières. Ainsi, pour Jean Cocteau, le pouvoir de la poésie est de dévoiler :
« Elle montre nues, sous une lumière qui secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient machinalement. [...] Car, s'il est vrai que la multitude des regards patine les statues, les lieux communs, chefs-d'œuvre éternels, sont recouverts d'une épaisse patine qui les rend invisibles et cache leur beauté.
Mettez un lieu commun en place, nettoyez-le, frottez-le, éclairez-le de telle sorte qu'il frappe avec sa jeunesse et avec la même fraîcheur, le même jet qu'il avait à sa source, vous ferez œuvre de poète. » (Le Secret professionnel, 1922).
André Breton de son côté montre que la poésie « répugne à laisser passer tout ce qui peut être déjà vu, entendu, convenu, à se servir de ce qui a servi, si ce n'est en le détournant de son usage préalable. » (Préface au Cahier d'un retour au pays natal d'Aimé Césaire, 1947). Éviter les clichés donc, mais aussi les raviver, et ce de deux manières :
en les prenant au pied de la lettre :
"Je vois le portier de l'hôtel; je lui dis:
- Je voudrais voir la mer.
- Elle est démontée.
- Vous la remontez quand ?
- Question de temps."
Le sketch bien connu de Raymond Devos illustre ce souci qu'ont eu bien
des artistes de partir des poncifs du langage pour créer un univers
tout neuf. Ainsi Boris Vian mit en scène dans L'Écume des
jours ce pharmacien qui, pour exécuter une ordonnance, utilisait
une guillotine de bureau, ou évoqua cet escalier usé toutes les trois
marches parce qu'on le gravissait quatre à quatre.
A
votre tour, écrivez un petit texte où vous prendrez au mot (c'est bien
le cas !) les clichés suivants :
"avoir un chat dans la gorge" - "prendre une vessie pour une lanterne".
en les détournant :
Qu'un mot inattendu s'immisce dans l'expression toute faite, et c'est
du même coup un nouvel univers qui s'ouvre à nous. Cela aussi, les
artistes l'ont bien compris, notamment dans les titres qu'ils ont
donnés à leurs œuvres : par exemple Clair de Terre, Mont
de Piété (sans traits d'union) pour André Breton, titres auxquels
on pourrait ajouter d'innombrables : Délit de justice - Chérie
noire - Deuil pour deuil - L'étroit mousquetaire - Attention,
chien léchant ! - Sévices compris...
« Sur le
modèle d'élire domicile, Laforgue décrit des oiseaux qui ont
élu volière dans les frondaisons; sur prise de voile, Hugo
fait de la mort des héros, de leur entrée dans l'éternité, une prise de suaires; Gide, épiant Claudel, l'entend du coin de
l'oreille proclamer son admiration pour Baudelaire. »
Michel Rifaterre (Le cliché dans la prose littéraire).
Essayez
de pervertir selon ce système des expressions toutes faites et imaginez
quelle histoire elles pourraient coiffer de leur titre. Au besoin,
écrivez-la !
PUBLICITÉ
ET DÉTOURNEMENT :
La publicité est coutumière du détournement des œuvres
d'art. Elle en use afin d'ennoblir les produits en les chargeant de
connotations mélioratives (tradition, qualité...) et aussi pour établir
avec le lecteur une complicité d'ordre culturel. Si elle peut être
agitatrice en réactivant les clichés, elle fait preuve ici le plus
souvent d'un aplatissement considérable des valeurs esthétiques qui,
dès lors, ne se prêtent plus avec elle qu'à des intentions mercantiles.
Examinez les deux images
ci-dessous et dites en quoi les techniques employées par Petrus
Christus (XVème siècle) sont détournées au service d'une intention
vulgaire : (voir notre étude sur
les pages BTS.)
Petrus Christus, Portrait de
jeune femme, vers 1470.