Variations romanesques sur Don Juan.
Niveau
: 1ère L – Objet d'étude : Les réécritures.
Le sens commun retient surtout l'aspect sensuel de ce
séducteur impénitent, et pourtant c'est d'intellect et de
volonté de savoir qu'il est plutôt constitué : devant les
mystères sacrés, la comédie sociale, Don Juan exerce le
pouvoir décapant de l'insolence et de la raison. Chaque
époque a pu revendiquer son Don Juan : libertin ou "grand
seigneur méchant homme" à l'aube des Lumières, il incarne
davantage avec les Romantiques la solitude et l'inquiétude
métaphysique avant de figurer plutôt pour nous l'artisan
d'une liberté conquise à la barbe des dieux. Le corpus
proposé se concentre plus particulièrement sur les XIX et
XXème siècles pour observer ces métamorphoses modernes du
héros.
C'est à partir du XIXème siècle en effet, dans une
perspective romantique puis symboliste, que l'on s'empare de
Don Juan dans le cadre de récits ou d'essais. A ces formes
nouvelles pour lui, le personnage gagne une certaine
épaisseur psychologique en même temps que s'estompe la
figure du libertin promis par ses frasques au châtiment
céleste. Déjà à vrai dire dans le Dom Juan de
Molière, on pouvait suspecter le genre théâtral de ne
pouvoir épuiser à lui seul une figure aussi complexe : ainsi
Molière donnait l'occasion à son séducteur de s'épancher
dans le cadre d'un discours argumentatif peu compatible avec
la régie théâtrale. On pense à la scène 2 de l'acte I, où
Don Juan célèbre l'inconstance : « Vertu de ma vie, comme
vous débitez, rétorque Sganarelle à cette longue tirade, il
semble que vous ayez appris cela par cœur, et vous parlez
tout comme un livre ».
A ce Don Juan presque pédagogue (on pense aussi à
l'éloge final de l'hypocrisie), le roman pouvait prêter son
intériorisation; il était aussi à même, mieux que le
théâtre, de souligner la vraie solitude du personnage.
Il s'agira donc d'examiner les transformations du personnage
de Don Juan dans ce cadre romanesque, à la faveur de la
lecture de quatre extraits capables de manifester la
spécificité de l'écriture romanesque en même temps que la
très grande liberté du genre.
A partir des questions que soulève l’étude des
personnages, il s’agira d’aborder le roman comme un genre
littéraire privilégié de représentation de l’homme et du
monde. En situant le personnage de Don Juan dans son
contexte littéraire, historique et culturel, on
s’interrogera sur les éventuelles transformations que fait
subir à ce mythe essentiellement théâtral son traitement
romanesque.
On vise donc la connaissance des genres et des
registres, l’approche de l’histoire littéraire et culturelle
et la réflexion sur l’intertextualité et la singularité des
textes.
Corpus proposé :
- Hoffmann : Don
Juan (1812)
- Barbey d’Aurevilly
: Le plus bel amour de Don Juan in Les
Diaboliques (1874)
- Azorin : Don
Juan (1922)
- Joseph Delteil :
Saint Don Juan (1930).
Modalités
d’exploitation :
- Étude du Dom Juan de Molière en OI.
- Croisement de deux OE (« Le personnage de roman » et « Le
théâtre ») pour réfléchir sur la spécificité du genre
romanesque appliqué au personnage théâtral de Don Juan à
travers quatre lectures analytiques :
•
Hoffmann : l’argument de cette nouvelle a pour cadre la
représentation du Don Giovanni de Mozart à
laquelle assiste le narrateur. L’apparition subite dans
sa loge de dona Anna l’entraîne dans une méditation
onirique sur Don Juan où l’on reconnaît les grands
thèmes de l’interprétation romantique du personnage : le
héros solitaire brave les interdits d’une morale close
et aspire à l’absolu.
- Extrait choisi (texte
en ligne) de « Je me trouvais si à l’étroit »
jusqu’à « combler le vide de son cœur ».
• Barbey d‘Aurevilly : Le plus bel amour de Don Juan in
Les Diaboliques (1874). Le passage retenu pourra
mettre en valeur le protocole narratif (récit dans le
récit) qui souligne la fascination exercée par Don Juan
dans l’imaginaire féminin (la fille d’une de ses
maîtresses se prétend enceinte parce que, s’étant assise
sur le fauteuil qu’occupait Don Juan, elle a ressenti un
trouble inconnu).
- Extrait choisi : édition Folio 1996, pp. 107-110 (« Je
la trouvai devant le crucifix », jusqu’à la fin de la
nouvelle).
•
Azorin : le roman d'Azorin est d'une forme très libre.
Il n'hésite pas à mêler portraits, descriptions, notices
encyclopédiques, discours argumentatif. Don Juan est
clairement situé dans son contexte socio-culturel, mais
l'excède en même temps (voyage à Paris). « Azorin, dit
Eugenio d'Ors, a ramené Don Juan dans le sein de
l'Intelligence. Finies les frasques et la course
incessante, épuisé aussi le catalogue. Vieilli, malade,
Don Juan n'explore plus d'autre territoire que lui-même
: c'est à l'intérieur de soi ou dans le reflet d'un
miroir que Don Juan finit vraiment par rencontrer la
statue du Commandeur.» (Eugenio d'Ors, El
Instrumento). Le dernier chapitre du roman
d'Azorin résume cette dimension nouvelle du personnage :
« Nous portons nos richesses dans notre coeur. [...]
L'amour que je connais maintenant est l'amour le plus
élevé; c'est la pitié pour tout. »
- Extrait choisi : chapitre XXIX « Une terrible
tentation ». pp. 113-115 (édition José Corti, 1992).
•
Delteil : le roman oscille constamment entre les scènes
narratives et le discours argumentatif. On retiendra un
passage où le narrateur propose le plus clairement son
interprétation de Don Juan : « Toute sa vie, Don Juan
cherchera passionnément le « pont de Dieu ».
- Extrait choisi : pp. 361-362 (édition Grasset des
Œuvres complètes de J. Delteil) « Ainsi allait-il […] «
le pont de Dieu. »
Prolongements
:
- Essais
: Otto Rank, Don Juan et Le Double. Études
psychanalytiques (1932)
Gregorio Marañon, Don Juan et le donjuanisme (1958)
Pierre Brunel (direction), Dictionnaire de Don Juan
, Robert Laffont, 1999.
- Musique : Mozart : Don Giovanni (1787)
Richard Strauss : Don Juan (1889).
Il serait intéressant de mettre en parallèle ces deux
œuvres. Celle de Strauss est un poème symphonique en trois
parties (durée : 15 mn environ). La première partie,
joyeuse, décrit le caractère du héros : on pourrait écouter
à cette occasion l’ « air du catalogue » dans l’opéra de
Mozart (acte I). La partie médiane comprend un dialogue
entre un hautbois et une clarinette décrivant une scène
amoureuse : occasion d’écouter en parallèle le duettino « Là
ci darem la mano » de Don Giovanni (acte I). Enfin
la dernière partie est un long crescendo interrompu par un
silence, symbolisant la mort de Don Juan : on écoutera à
cette occasion le terrible finale orchestré par Mozart (acte
II).
- Cinéma :
1916 : Don Giovanni, film italien d'Edoardo
Bencivenga
1922 : Don Juan et Faust, film français de Marcel L'Herbier
1926 : Don Juan, film américain d'Alan Crosland
1948 : Les Aventures de Don Juan, film américain
réalisé par Vincent Sherman
1954 : Mozart. Don Giovanni, film allemand de
Paul Czinner
1955 : L'Œil du diable, film suédois d'Ingmar
Bergman
1956 : Don Juan, film français de John Berry
1965 : Dom Juan ou le Festin de pierre, téléfilm
français réalisé par Marcel Bluwal
1973 : Don Juan 73 ou Si Don Juan était une femme,
film français de Roger Vadim
1979 : Don Giovanni, opéra filmé de Joseph Losey
1991 : Don Juan en los infiernos, film espagnol de
Gonzalo Suarez
1995 : Don Juan DeMarco, de Jeremy Leven
1997 : Don Giovanni, film d'art et essai réalisé par
Gilles D'Elia à partir du texte de Molière et du livret de
Lorenzo Da Ponte
1998 : Don Juan, film de Jacques Weber à partir du
texte de Molière.