La Fontaine : Fables, livres VII-XI
éléments de présentation

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Objets d'étude :

1ère : La littérature d'idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle
  — parcours : Imagination et pensée au XVIIe siècle.

1ère générale : Les représentations du monde
  — L'homme et l'animal

 

 

SOMMAIRE

  La fable : La fable avant La Fontaine - La théorie de la fable.

  Les animaux dans les fables : Composition du recueil - Les animaux - L'âme des bêtes.

  Problèmes de fond : Les morales - Les discours - Les thèmes politiques et lyriques.

  Questions de forme : Le récit - Le dialogue - La versification - Les registres.

 

 

Tout bien considéré, je te soutiens en somme
Que scélérat pour scélérat,
Il vaut mieux être un Loup qu’un Homme.

(Les Compagnons d'Ulysse, livre XII).

 

  Les livres VII à XI constituent le Second recueil des Fables. Un premier recueil avait paru en 1668-1671 (livres I à VI). Un livre XII paraîtra en 1694.
 Ce second recueil, dédié à Mme de Montespan, se divise en deux parties : 3ème partie (livres VII et VIII, 1678) et 4ème partie (livres IX à XI, 1679). Comme le précédent, il obtiendra un vif succès.

La fable avant La Fontaine

  Comme le conte et le mythe, la fable fait partie d'un fonds culturel, dans lequel plusieurs générations d'écrivains ou de moralistes ont puisé. Il existait avant La Fontaine tout un corpus scolaire venant des fabulistes grecs (surtout Ésope - le recueil de Névelet avec traductions latines a été constamment réédité -), des fabulistes latins (surtout Phèdre, lui-même adaptateur d'Ésope), des ysopets médiévaux et des fabulistes de la Renaissance (surtout l'Italien Abstemius).
  La fable fait partie du genre de l'apologue, c'est-à-dire de ces courts récits susceptibles d'illustrer une vérité morale. On notait d'ailleurs, avant La Fontaine,  une grande flexibilité des leçons tirées de ces histoires. A la leçon pédagogique traditionnelle pouvait se substituer, au gré de l'actualité et de l'humeur de chacun, des « morales » bien différentes, dans l'ordre de l'allusion politique notamment. On verra aussi des morales galantes. Toutefois cette flexibilité deviendra plus grande encore lorsque La Fontaine aura lui-même mis le genre à la mode.
 La Fontaine est en effet celui qui élève ce genre essentiellement scolaire et gnomique à la qualité littéraire (refaisant, pour la France, et plus nettement encore, ce que Phèdre avait fait pour Rome). Avec le 2ème recueil, il ajoutera des sources nouvelles, orientales cette fois (seize fables relèvent de cette tradition) : Pilpay (ou Bidpaï), un sage indien légendaire, auquel fut attribuée la composition des fables du Panchatantra que traduisit le poète persan Ibn al-Muqaffa' vers 750 sous le nom de Kalila et Dimna; le Persan Lokman (ou Logman, ou Luqman), fictif lui aussi, publié en 1615 à Leyde en édition bilingue arabo-latine et traduit en vers latins en 1673. Reprenant ces sources, Le Livre des lumières, ou la Conduite des rois, traduit en français par David Sahib d’Ispahan, parut en 1644. Enfin, la fable IV du livre XI, Le Songe d'un habitant du Mogol, vient du poète persan Saadi.

 

La théorie de la fable chez La Fontaine

  Dans le premier recueil, La Fontaine a affirmé sa conception très classique du genre, destiné à allier l'instruction et l'agrément : "En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire." (VI, 1). Instruire ? La Fontaine le dit gravement dans la préface, mais moins gravement quand il s'adresse au chevalier de Bouillon (V, 1) : "Je tâche d'y tourner le vice en ridicule / Ne pouvant l'attaquer avec des bras d'Hercule." Plaire ? Il le faut, car "Une morale nue apporte de l'ennui" (VI, 1), et "on ne considère en France que ce qui plaît, c'est la grande règle, et pour ainsi dire la seule" (Préface). Pour plaire, il faut introduire de la gaieté, mais le mot doit être entendu dans un sens raffiné : "Je n'appelle pas gaieté ce qui excite le rire, mais un certain charme; un air agréable qu'on peut donner à toutes sortes de sujets, même les plus sérieux" (ibid.).
  Dans le deuxième recueil, on sera attentif à l'avertissement (en prose), la dédicace (en vers), aux fables VIII, 4 et IX, 1, et aussi à l'épilogue (après le livre XI). La doctrine de base, instruire et plaire, n'a évidemment pas changé, mais on note des nuances nouvelles : La Fontaine, plus sûr de lui - il a conscience d'avoir été un pionnier -, manifeste le sentiment de sa gloire (voir IX, 1 et l'épilogue). Il se laisse aller plus librement aussi au plaisir de conter :
Au moment que je fais cette moralité,
Si
Peau d'âne m'était conté,
J'y prendrais un plaisir extrême.
Le monde est vieux, dit-on : je le crois; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant.
 (VIII, IV)
   Soucieux d'apporter des nouveautés par rapport au 1er recueil, il s'en explique dans l'Avertissement d'une manière qui n'est pas absolument claire, mais dont il ressort du moins qu'il a augmenté ce qu'on appelait les "circonstances" (c'est-à-dire les détails destinés à préciser le cadre et l'ambiance) et qu'il s'est tourné vers de nouvelles sources (Locman et Pilpay au détriment d'Ésope).

 

Et quant au Berger l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.

(Les Animaux malades de la peste).

Composition du recueil

  La recherche littéraire se préoccupe souvent de pénétrer les principes qui ont présidé à la composition de recueils discontinus, comme les Maximes de La Rochefoucauld, les Caractères de La Bruyère ou les Fables de La Fontaine. Ce classement est toujours très difficile, et particulièrement pour les Fables. Il faut tenir compte des retours de thèmes, mais aussi de l'alternance des divers registres et de la réapparition des mêmes personnages. On a pu même évoquer, pour cette possible structure, l'ordonnancement secret des labyrinthes dans les jardins à la française. Aucune de ces thèses n'est probante. La Fontaine peut avoir voulu aussi éloigner les unes des autres certaines fables aussi bien qu'en rapprocher. Sur ce dernier plan, on regardera plus particulièrement les « fables doubles » : au livre VII, le couple Le Héron - La Fille et le couple La Laitière et le pot au lait - Le Curé et le Mort ; au livre VIII, L'Horoscope (deux histoires parallèles), Le Bassa et le Marchand (livre VIII) et Le Berger et le Roi (livre X), apologues qui en contiennent un autre en abyme. D'un autre côté, certaines fables d'intention ou de facture similaires ont pu se trouver éloignées pour éviter la monotonie, et aussi, peut-être, pour atténuer l'effet polémique qu'aurait risqué de produire le groupement de plusieurs fables satiriques (sur le roi, par exemple). On ne saurait, dans l'état actuel de la recherche, aboutir à des résultats très précis, ni surtout très complets. Faut-il se prononcer pour la variété et la fantaisie dans la composition, s'autorisant des mots mêmes de La Fontaine dans sa présentation des Fables : "Une ample Comédie à cent actes divers, / Et dont la scène est l’Univers" ? Est-ce au contraire une erreur de lire les fables comme absolument indépendantes les unes des autres et comme classées au hasard ?
  Nous préférons, dans la perspective du programme, regrouper les fables du Second recueil autour des personnages, animaux et/ou humains, de manière à dresser un premier bilan d'ordre lexicométrique :

 

Livres Animaux seuls Hommes seuls Animaux et hommes Discours
 VII I. Les Animaux malades de la peste
III. Le Rat qui s'est retiré du monde
IV. Le Héron
VI. La cour du Lion
VII. Les Vautours et les Pigeons
XII. Les deux Coqs
XV. Le Chat, la Belette et le petit Lapin
XVI. La tête et la queue du Serpent
II. Le Mal Marié
IV. La Fille
V. Les souhaits
IX. La Laitière et le Pot au lait
X. Le Curé et le Mort
XI. L'Homme qui court après la Fortune et l'Homme qui l'attend dans son lit
XIII. L'ingratitude et l'injustice des Hommes envers la Fortune
XIV. Les Devineresses
VIII. Le Coche et la Mouche A Madame de Montespan
XVII. Un Animal dans la Lune
VIII III. Le Lion, le Loup et le Renard
VII. Le Chien qui porte à son cou le dîné de son Maître
IX. Le Rat et l'Huître
XII. Le Cochon, la Chèvre et le Mouton
XIV. Les obsèques de la Lionne
XV. Le Rat et l'Éléphant
XVII. L'Âne et le Chien
XXI. Le Faucon et le Chapon
XXII. Le Chat et le Rat
XXIV. L'Éducation 
XXV. Les deux Chiens et l'Âne mort
I. La Mort et le Mourant
II. Le Savetier et le Financier
IV. Le pouvoir des Fables
VI. Les Femmes et le Secret
XI. Les deux Amis
XIII. Tircis et Amarante
XVIII. Le Bassa et le Marchand
XIX. L'avantage de la Science
XX. Jupiter et les Tonnerres
XXIII. Le Torrent et la Rivière
XXVI. Démocrite et les Abdéritains
V. L'Homme et la Puce
VIII. Le Rieur et les Poissons
X. L'Ours et l'Amateur des jardins
XVI. L'Horoscope
XXVII. Le Loup et le Chasseur
 
IX II. Les deux Pigeons
III. Le Singe et le Léopard
X. Le Loup et le Chien maigre
XIV. Le Chat et le Renard
XVII. Le Singe et le Chat
XVIII. Le Milan et le Rossignol
Les deux Rats, le Renard et l'Œuf
I. Le Dépositaire Infidèle
IV. Le Gland et la Citrouille
V. L'Écolier, le Pédant et le Maître d'un jardin
VI. Le Statuaire et la statue de Jupiter
VIII. Le Fou qui vend la Sagesse
IX. L'Huître et les Plaideurs
XII. Le Cierge
XIII. Jupiter et le Passager
XV. Le Mari, la Femme et le Voleur
XVI. Le Trésor et les deux Hommes
VII. La Souris métamorphosée en Fille
XIX. Le Berger et son troupeau
XI. Rien de trop
Discours à Madame de la Sablière
X II. La Tortue et les deux Canards
III. Les Poissons et le Cormoran
VI. L'Araignée et l'Hirondelle
VII. La Perdrix et les Coqs
XII. La Lionne et l'Ourse
IV. L'Enfouisseur et son Compère
IX. Le Berger et le Roi
XIII. Les deux Aventuriers et le Talisman
XV. Le Marchand, le Gentilhomme, le Pâtre et le fils de Roi
I. L'Homme et la Couleuvre
V. Le Loup et les Bergers
VIII. Le Chien à qui on a coupé les oreilles
X. Les Poissons et le Berger qui joue de la flûte
XI. Les deux Perroquets, le Roi et son Fils
XIV. Discours à M. le Duc de la Rochefoucauld
XI I. Le Lion
V. Le Lion, le Singe et les deux ânes
VI. Le Loup et le Renard
IX. Les Souris et le Chat-Huant
II. Les Dieux voulant instruire un Fils de Jupiter
IV. Le songe d'un habitant du Mogol
VII. Le Paysan du Danube
VIII. Le Vieillard et les trois jeunes Hommes
III. Le Fermier, le Chien et le Renard Épilogue.

 

  On constatera d'abord que, sur 92 pièces, 14 fables mettent en scène l'animal et l'homme, 35 l'animal seul. Parmi les 6 discours recensés ici, 5 méritent notre attention dans le cadre du programme. 37 fables peuvent, sans être écartées, apparaître moins nécessaires à notre étude. Si animaux et hommes sont à égalité dans ce second recueil, le moins traditionnel et le moins "ésopique" de La Fontaine, les animaux restent toujours présents dans plus de la moitié des fables.
  Cette égalité est moins respectée si l'on fait attention au nombre des termes désignant chaque espèce :

animal(e)  25
animaux   22
bête(s)     19
faune         1
gibier         1
homme      68
hommes    16
humain(e)    4
humains     15

Les animaux

  La présence des animaux dans les fables est constante depuis l'Antiquité : leurs mœurs les plus apparentes fournissaient un équivalent acceptable des mœurs humaines. Il ne faut donc pas y chercher un document d'ordre zoologique, ni imputer à La Fontaine un certain nombre d'« erreurs ». Le fabuliste reprend des histoires toutes faites, consacrées par la tradition; le critiquer au nom de leur invraisemblance n'a pas plus de sens que critiquer Racine pour avoir fait surgir un monstre de la mer à la fin de Phèdre. La Fontaine doit être jugé en fonction de la science et de la terminologie de son temps, et non en fonction des classifications zoologiques actuelles, qui datent seulement du XIXème siècle. Il suffit d'ouvrir le Dictionnaire de Furetière pour constater que la distinction entre chameau et dromadaire n'était pas fixée, et qu'un serpent entrait très bien dans la catégorie "Insectes". Certains animaux qui nous sont aujourd'hui bien connus ne l'étaient pas de La Fontaine, faute d'avoir voyagé (ainsi l'huître, qu'il s'imagine vivant sur une plage et heureuse de s'ouvrir au soleil !). Les animaux des Fables sont avant tout le produit d'un anthropomorphisme traditionnel qui participe d'une visée morale où l'homme est le premier concerné. La Fontaine sait nous en aviser à plusieurs reprises :
[...] ce n'est pas aux Hérons
Que je parle; écoutez, humains, un autre conte,
Vous verrez que chez vous j'ai puisé ces leçons.
(VII, IV)
  Mais il faut aussi se garder de l'erreur inverse, qui considèrerait les animaux des Fables sur un plan purement allégorique : en fait les animaux intéressaient beaucoup La Fontaine et ses lecteurs, et ils ne figurent pas seulement dans le récit en tant que symboles des hommes, mais aussi pour eux-mêmes.
  Il reste que ces animaux, dont nous recensons ci-dessous les plus importants dans le Second recueil, appartiennent à un bestiaire simple et familier, déjà identifié depuis longtemps sur le plan "psychologique" : matoiserie du Chat et du Renard, sottise du Loup, cruauté orgueilleuse du Lion...

 

Animaux Nombre
de fables
alliés ou confrontés à ...  Occurrences des termes Total
Chien 5 âne, renard chien(s) : 49 - bassets : 1 - mâtins : 3 53
Loup 5 renard, lion loup(s) : 51 51
Rat 5 éléphant, chat, renard rat(s) : 36 - raton : 5 41
Chat 4 rat, singe chat : 31 31
Lion 5 la cour des animaux - loup, renard, ourse, singe lion(s) : 22 - lionceau : 2 - lionne : 4 28
Renard 3 rat, loup, chien renard(s) : 26 26
Âne 2 chien, lion, singe âne(s) : 13 - baudet(s) : 5 18
Singe 2 chat, lion singe : 13 - guenon : 1 14
Souris 2 chat-huant souris : 11 - souriceau : 1 12

 

  Parmi les autres animaux (présents dans une seule fable), on notera la prédominance des animaux familiers ou domestiqués (ferme, basse-cour). Il convient d'ailleurs de distinguer les animaux dont un Français - et un forestier comme était professionnellement La Fontaine - avait une expérience personnelle (les animaux domestiques, notamment les chevaux, mais aussi le gibier, les animaux prédateurs, les loups en particulier, beaucoup plus présents qu'aujourd'hui) et les animaux exotiques, qui faisaient l'objet d'une vive curiosité, et dont on avait une idée soit par les ménageries, soit par les récits des voyageurs (dans le Discours à Mme de La Sablière, les mœurs des castors sont évoquées avec précision d'après des témoignages d'explorateurs).
 Au premier abord, il s'agit bien sûr de saisir le caractère allégorique de chacun de ces animaux. N'y voyons pas qu'une convention folklorique. L'allégorie est caractéristique de la pensée classique, habituée à raisonner par analogie : l'homme (le microcosme) est à l'image du monde (le macrocosme); les animaux sont un élément essentiel de celui-ci, et les diverses qualités des hommes correspondent aux leurs. C'est ce que La Fontaine exprime dans la préface du premier recueil : "Les propriétés des animaux et leurs divers caractères y sont exprimés; par conséquent les nôtres aussi, puisque nous sommes l'abrégé de ce qu'il y a de bon et de mauvais dans les créatures irraisonnables. Quand Prométhée voulut former l'homme, il prit la qualité dominante de chaque bête : de ces pièces si différentes il composa notre espèce; il fit cet ouvrage qu'on appelle le petit monde. Ainsi ces fables sont un tableau où chacun de nous se trouve dépeint." Il faut aussi tenir compte de la caution scientifique apportée à cette analogie par la physiognomonie (le traité du Napolitain J.B. Porta, De humana physiognomonia a été traduit en 1655), qui établissait systématiquement des correspondances entre le tempérament et la morphologie des divers animaux, et ceux des divers types humains. Cette science, à laquelle le siècle classique a cru, a influencé le peintre Le Brun, La Fontaine, La Rochefoucauld et, plus tard, Lavater. C'est en fonction de ces idées-là qu'il faut apprécier des expressions comme "Messire Loup", "Dom Pourceau", "la femme du lion", "Sultan Léopard" ou "Sa Majesté Lionne"...

 

L'âme des bêtes

   Il faudra sur ce point apporter une grande attention au Discours à M. de La Rochefoucauld (livre X) et surtout au Discours à Mme de la Sablière, placé à la fin du livre IX, mais probablement plus tardif, où La Fontaine se prononce sur des théories alors largement débattues. En résumé, l'époque pose ce problème de trois manières différentes :
- une position que l'on pourrait appeler maximaliste, celle de Montaigne (Apologie de Raimond Sebond), qui tend à reconnaître aux animaux une intelligence comparable à celle de l'homme;
- une position qui serait au contraire minimaliste, celle de Descartes dans sa théorie des animaux-machines. Malgré le succès croissant de la philosophie cartésienne, cette thèse rencontrait de grandes résistances;
- une position intermédiaire, selon laquelle l'animal aurait une certaine âme, d'origine matérielle et d'ailleurs mortelle, tandis que l'homme en aurait deux : cette première âme, capable de plaisir et de souffrance, qui lui serait commune avec les animaux et lui servirait dans les fonctions courantes de la vie, et une seconde, celle dont parle la religion, spirituelle et immortelle. Des théories de ce genre venaient soit de la tradition aristotélicienne et scolastique (en 1672, est publié le Discours de la connaissance des bêtes du Père Pardies et, en 1673, le De Corpore animato de Du Hamel), soit de Gassendi et de son disciple Bernier.
  La Fontaine adopte la troisième position. Dans Les Souris et le Chat-Huant (dernière fable du livre XI), il semble favorable à la première, mais il ajoute une note en prose pour minimiser la portée de l'admiration qu'il vient de manifester pour l'intelligence des bêtes. Sa pensée est beaucoup plus élaborée dans le Discours à Mme de La Sablière, où il commence par exposer la thèse de Descartes, puis élève des objections contre elle pour se rallier à la théorie des deux âmes :
Car il faut [...]
Que l'homme, la souris, le ver, enfin chacun
Aille puiser son âme en un trésor commun :
Toutes sont donc de même trempe ;
Mais agissant diversement
Selon l'organe seulement
L'une s'élève, et l'autre rampe.
(IX, VII)
   Reconnaître une « âme » à l'animal suppose qu'on éprouve aussi pour lui quelque compassion. L'aptitude à la pitié reste, après tout, l'un des critères essentiels de ce que l'on nomme l'humanité, et Claude Lévi-Strauss a souligné le rôle anthropologique que lui a donné Rousseau : "L’appréhension globale des hommes et des animaux comme êtres sensibles, en quoi consiste l’identification, précède la conscience des oppositions entre humain et non humain, dont Rousseau montre qu’elle n’a pu s’établir qu’en renonçant par l’amour-propre à reconnaître la vie dans toute vie souffrante." (Anthropologie structurale, II, 2). C'est aussi de ce renoncement que parle La Fontaine, en un siècle où le père Malebranche peut, par exemple, battre son chien en arguant que la bête ne sent rien. La sensibilité du XVIIème siècle n'est pas la nôtre et, en ce temps où l'on tenait les exécutions capitales pour un plaisant spectacle et où la torture n'était pas réprouvée, on n'avait pas devant les souffrances des bêtes les mêmes réactions qu'aujourd'hui. On pourra noter au contraire chez La Fontaine quelques élans de pitié, notamment pour le cerf au moment de la curée ("On le déchire après sa mort; / Ce sont tous ses honneurs suprêmes", in Discours à Mme de La Sablière). Il est frappant aussi que plusieurs fables mettent l'homme en procès en raison de sa conduite envers les animaux (L'Homme et la Couleuvre, Le Loup et les Bergers, La Perdrix et les Coqs ou Le Fermier, le Chien et le Renard).