HOMÈRE, ILIADE [2]
L'ARISTIE

 

 

  L'aristie (aristeia), l'une des grandes caractéristiques de l'Iliade, est l'affirmation d'une supériorité toute personnelle. C'est une série d'exploits accomplis par un chef qui se lance avec fureur sur la masse des ennemis. Amplifiée par les procédés habituels de la rhétorique épique (grandissement du héros, énormité des masses, ampleur des métaphores), cette geste guerrière se présente à nous sans nuances. Le jugement, déjà cité, d'Hölderlin sur la "naïveté" de l'épopée est confirmé par Nietzsche dans La Naissance de la Tragédie à propos d'Homère. Le philosophe voit dans l'Iliade la réalisation parfaite du rêve apollinien de la Grèce archaïque (ordre, mesure, sérénité de la sagesse), et son ignorance délibérée des forces antagonistes, dionysiaques. Dans cette ignorance, tient la "naïveté" d'Homère :

  Combien rare est le "naïf", ce complet abandon à la beauté de l'apparence ! Et par là combien sublime Homère qui, en tant qu'individu, se situe par rapport à cette civilisation apollinienne comme l'artiste du rêve par rapport à l'aptitude au rêve de son peuple et de la nature en général ! La "naïveté" homérique ne peut se comprendre que comme un victoire complète de l'illusion apollinienne. Cette illusion ressemble à celle dont use la nature pour accomplir ses desseins : la fin véritable se voile d'un mirage, et tandis que nos mains se dirigent vers celui-ci, la nature qui nous leurre réalise celle-là. Dans l'âme des Grecs, la "volonté" tendit à se considérer elle-même dans les formes transfigurées que lui imposaient le génie et le monde de l'art. Pour se magnifier, les Grecs durent ses sentir eux-mêmes dignes de l'être; ils durent se refléter dans une sphère supérieure, mais sans que que ce monde accompli de la représentation prît le sens d'un impératif ou d'un reproche. Telle est la sphère du beau dans laquelle les Grecs apercevaient leur propre reflet, les Olympiens. Par cette beauté de reflet, la "volonté" hellénique combattit l'aptitude à souffrir et à cultiver la souffrance corrélative au don artistique, et le monument de cette victoire, c'est Homère, l'artiste naïf.
Friedrich Nietzsche, La Naissance de la Tragédie, 1872.

  Cependant, plutôt que de parler de naïveté, Marthe Robert préfère constater que l'absence de nuances est une manifestation de cet énoncé de l'ordre qui est le principal objectif de l'épopée : c'est lui qui interdit au héros d'évoluer ou de déchoir gravement; c'est lui qui explique aussi que les faits à venir soient souvent annoncés, comme le signe d'un arrangement universel auquel Zeus lui-même est contraint de se soumettre. Cette perfection du modèle rêvé, érigé en modèle et destiné à légitimer l'ambition hégémonique, est particulièrement sensible dans les caractéristiques du héros homérique et, surtout, dans la figure achilléenne :

  • il est jeune, fort et rapide dans son domaine d'élection qui est l'action guerrière.
  • il est beau, car le domaine du paraître est aussi celui de la fonction guerrière : les kouroi sont les figurants obligés des célébrations, danses, festins et jeux. Cette apparence est aussi terrifiante : ceci explique la solennité avec laquelle Achille se prépare au combat (chant XIX, 330-374), et cette fascination qu'il exerce par le flamboiement de son armure (XXII, 120-150).
  • il a le sens des valeurs morales (l'arété, qui désigne toute qualité par quoi on excelle). Les kouroi sont appelés aristoi (les meilleurs). Ainsi Hector est plus occupé par son sens du devoir à l'égard des autres que par sa propre gloire : cédant, lui aussi, à la fureur guerrière, il perd son identité héroïque. Car il est avant tout le protecteur de son peuple, celui pour qui n'existe d'autre augure que de "défendre sa patrie" (XII, 240-247), celui qui, lié à la famille, représente un héros inscrit dans la conformité sociale, ce que Bergson appelle la " morale close". C’est pourtant ici qu’Hector rencontre sa tragédie : car ce souci de l’autre s’allie en lui avec la peur de l'outrage et du déshonneur (aidos). Ses parents le supplient donc en vain de renoncer à affronter Achille : la crainte du déshonneur l’emporte (XXII, 74-120). Hector va au combat et meurt sans véritable gloire.
  • il est entraîné à toutes les formes de lutte, y compris les joutes oratoires puisque l'art de la dispute, plus que de la discussion, contraint et soumet l'adversaire aussi bien que des armes (ambassade de Nestor, XI, 660-800).
  • il est en proie à l'hubris, cette démesure qui lui fait fuir les juste milieux et l'entraîne hors des limites communes, quitte à déroger aux règles éthiques : c'est la fureur guerrière (Achille au combat, XX, 459-504), mais aussi la violence des passions (ainsi le chagrin d'Achille, XVIII, 1-110).
  • il jouit de la faveur divine, ce qui explique qu'il soit aussi objet particulier de malédiction pour certains dieux.
  • il est promis à une mort précoce : sa vocation est de tuer et d'être tué, sort accepté librement (ainsi Achille tue Hector en sachant qu'un oracle a associé sa propre mort à celle du Troyen). Mais que serait un héros vieillissant ? Cette mort, il importe surtout qu'elle soit belle en portant à son acmé le désir de gloire. Par là s'explique qu'il faille déparer de cette aura la mort de l'ennemi : Hector avertit Patrocle du traitement qu'il fera subir à son cadavre, devançant celui qu'Achille infligera au sien (XXII, 328-370).

  De ce bref portrait, il peut sans doute apparaître combien le reflet idéal dont parle Nietzsche n'est pas exempt de fêlures : de la noblesse guerrière, les héros, entraînés par leurs passions, mal conseillés par les dieux, sont  le plus souvent oublieux. Certains y perdent même leur âme, comme Hector, qui, incarnant généralement le guerrier juste, cède à la tentation de l'hubris avant son dernier combat. Hésiode considérait qu'entre la race de bronze et la race de fer des temps primitifs se situait la race des héros. C'est dire que certains d'entre eux apparaissent encore mal dégrossis de cet âge de bronze. Ainsi Tydée, père de Diomède, était un guerrier terrible, d'une violence toute physique, tout entier voué à l'hubris. Ajax est encore ainsi. Pourtant, l'Iliade nous prévient de cette violence et ne manque jamais d'en rapprocher la fureur de la sauvagerie animale. Ceci est sans naïveté : le poème saura dénouer la crise dans l'humanité retrouvée et nous signaler que le véritable héroïsme est là. Car la plupart des guerriers manifestent un comportement plus nuancé : ainsi Achille conserve sans nul doute quelques traces du guerrier terrible, mais il sait modérer son hubris et se soumettre à la volonté des dieux. D'ailleurs, les guerriers achéens sont le plus souvent déterminés par Athéna, qui possède la metis, le savoir-faire et la ruse, et, pour les guerriers, cette habileté est plus précieuse que la force. En ce sens, on peut voir dans l'Iliade l'expression de cette quête de la mesure, cette "pensée de midi", que les philosophes grecs ont tous, à leur manière, identifiées à la véritable vertu. Achille est bien le véritable héros du poème, qui s'y défait progressivement de son enveloppe de bronze pour conquérir, contre l'assentiment du groupe et même contre le souvenir de Patrocle, la véritable force d'âme qui le fait s'émouvoir devant le chagrin de Priam et mettre un terme à sa vengeance.

 

Le héros, les dieux et le destin : Achille

  De la présence continuelle des dieux dans l'action et de la puissance du destin, il ressort que les hommes ne peuvent jamais se reconnaître directement dans leurs actes. Qu'est-ce qui distingue alors le héros ? C'est l'attention, la faveur divine, cet aspect de la gloire que les Grecs appellent kudos et qui est une sorte de grâce divine, instantanée, que les dieux accordent à l'un et refusent à l'autre. L'exploit héroïque est l'acte qui révèle de la façon la plus éclatante la faveur des dieux. Faveur d'Athéna à l'égard d'Achille et de Diomède, d'Apollon à l'égard d'Hector... Comment l'homme serait-il jugé responsable d'un succès qu'il n'a jamais à conquérir, jamais à mériter ? L'origine de l'action et du triomphe ne se trouve pas dans le héros, mais hors de lui. Tous les héros de l'Iliade savent bien que l'exploit dont ils se sont rendus capables n'est pas le signe d'une vertu personnelle mais celui d'une assistance divine. Le héros apparaît ainsi comme le lieu du passage entre le divin et l'humain.
  Dans une telle perspective, Achille est bien le héros par excellence de l'épopée. Que l'on songe à la scène du chant XVIII où, du fossé, il apparaît aux Troyens dans tout l'éclat de sa gloire divine : or de son front qui envoie sa clarté jusqu'à l'éther, flamme resplendissante qui jaillit de son corps, voix d'airain qui ressemble aux trompettes de la mort. A travers Achille, ce sont la voix et la flamme d'Athéna elle-même, qui provoquent la panique des ennemis. Il ne fait aucun doute, devant une telle apparition, que c'est bien lui qui a été choisi pour remporter la victoire. Cette faveur particulière se double de la protection de Zeus lui-même qui place Achille dans un contexte de divinité unique dans l'œuvre : il est l'élu, celui qui a une mission à remplir. S'il réussit à tuer Hector, ce n'est pas seulement parce qu'il a des qualités exceptionnelles de guerrier, c'est que le destin en a décidé ainsi et que les dieux mettent tout en œuvre pour que le destin s'accomplisse. Tel est le sens du choix d'Achille - la gloire mais une vie brève -, choix fait en réalité moins par lui-même que par le destin.
  Car la mort d'Achille nous est annoncée dès le chant I. D'où sa tentation au chant IX de repousser sa gloire. Mais il ne peut faire autrement que d'être ce qu'il est, le vainqueur d'Hector. Aussi, tout en envoyant Patrocle à sa place, lui interdit-il de franchir une certaine limite. A chacun son rôle dans l'ordre du monde. Lui seul a été choisi pour le sacrifice, pour la mort qui le sauve. Là est l'ambiguïté de la condition héroïque : être l'élu des dieux, c'est être voué à la gloire, mais c'est aussi être voué à la mort. C'est pourquoi, dans les derniers chants de l'Iliade, la mort d'Achille est plus que jamais au centre. Si l'épopée ne nous montre pas cette mort, elle nous montre celle du double Patrocle, dont le sacrifice préfigure celui du héros. Patrocle est l'immolé à la place d'Achille, et le moment où Apollon s'approche de lui nous donne déjà une vision de l'identité de la gloire et de la mort. Admirable substitution de l'épopée, qui nous permet de voir le héros se lamenter sur sa propre mort en se lamentant sur celle de son ami. Et n'est-ce pas sur sa propre mort qu'Achille aussi se lamente quand, avec Priam, ils pleurent tous deux sur le cadavre d'Hector ? De là s'explique qu'à la satisfaction légitime de la victoire ou de la vengeance assouvie se substitue chez Achille une infinie tristesse qui signale chez le héros une acceptation de l'ordre des choses.
  La soumission d'Achille à l'ordre du monde est d'ailleurs l'une des constantes du héros. Outre la conscience de son élection, il manifeste piété et obéissance à l'égard des dieux : ainsi il réfrène son envie de tuer Agamemnon parce qu'Athéna le lui conseille et il finit par restituer le cadavre d'Hector à Priam parce qu'il sait que les dieux le demandent. La fin de l'Iliade nous présente ainsi un Achille apaisé après sa longue colère. Sa courtoisie et son détachement pour préparer les jeux et distribuer les prix préludent à sa rencontre avec Priam. Depuis qu'il a définitivement renoncé à sa propre vie, Achille a une vision nouvelle des êtres et des choses. Sa pacification est quelque chose comme une purification. En permettant l'accomplissement de tous ces rites, en se faisant lui-même doux et apaisé, Achille contribue à instaurer l'ordre sur la terre. Il est vraiment le héros intermédiaire entre les dieux et les hommes.
  Dans la mesure où il n'existe pas de héros épique sans dieux ni destin, on peut se demander quelle part l'héroïsme réserve à l'homme dans son action.  En fait, le sentiment de la présence divine dans tous les actes de la vie humaine n'exclut pas la conviction que c'est toujours à l'homme d'agir et qu'il dépend d'abord de lui de réussir ou d'échouer. Homère nous révèle en même temps le caractère inévitable de l'action et la liberté des hommes. Si les événements sont prédéterminés, les réactions humaines ne le sont pas, et cette combinaison de la détermination divine et de la réponse des hommes est une des originalités de l'épopée ionienne, à la fois héroïque et humaine.

 

 

L'AMITIÉ HÉROïQUE

par  Colette LALLEMENT
Notes de lecture à propos de l'essai de David Halperin Cent ans d'homosexualité et autres essais sur l'amour grec
(chapitre IV, Les héros et leurs copains, pp.105 à 120).

  En comparant trois textes dits fondateurs, Gilgamesh, les Livres de Samuel et l'Iliade, David Halperin  veut prouver que l'amitié entre Achille et Patrocle n'est pas une caractéristique fixée de l'épopée, mais un "artefact historique", le produit d'un tournant particulier de la pensée à une jonction particulière de l'élaboration artistique du matériel traditionnel. Il s'interroge sur les composantes des termes spécifiques selon lesquels l'amitié est construite.
  Tout d'abord, l'amitié concerne deux hommes, comme une paire plus ou moins isolée, dans le sens où il n'y a pas de rivaux ni d'autres couples susceptibles de détourner l'amitié; cette relation a " un but au-delà d'elle-même" dans l'action : chacun de ces six amis est un guerrier valeureux; il s'agirait moins de catégories sociales que de formation culturelle, un type d'amitié héroïque (cf. les expressions telles que camarades d'armes, joyeux compères). Quelle est l'idéologie implicite ? Le couple masculin est comme un monde en dehors de la société, et l'amitié contribue à structurer l'espace social, son expression demande une "scène fondatrice militaire ou politique " et sa signification n'est pas intrinsèque mais dépend de celle que lui confère l'action dans la société.
  Les trois amitiés ont une micro politique commune, fondée sur une asymétrie structurale : l'un des amis a plus d'importance que l'autre qui lui est subordonné (ainsi Patrocle est plus faible physiquement qu'Achille, il lui est subordonné socialement; plus âgé et plus sage, il doit veiller sur son camarade...). L'amitié héroïque n'est pas seulement dyadique mais hiérarchique. Le plus faible est aussi celui qui est sacrifié, celui "dont la mort fraye la voie aux aventures ultérieures de l’autre. La mort est l’apogée de l’amitié, le moment où les deux amis expriment leur extrême tendresse".
  À ces affinités structurales entre les trois amitiés s'ajoutent des similitudes en ce qui concerne la signification de l'amitié et les termes selon lesquels cette amitié est construite .
  Gilgamesh au début (comme Achille, prêt à risquer sa vie pour une renommée impérissable), est prêt à se consoler de sa mortalité en accomplissant des exploits qui lui assureront une renommée éternelle. Avec son ami Enkidu, il triomphe du monstre Huwawa, abat la forêt de Cèdres, tue le Taureau céleste..., mais à la mort d'Enkidu, il est inconsolable (sept jours et sept nuits de deuil); il rencontrera des personnages qui le dissuaderont de chercher l'immortalité (et il y a des ressemblances entre le discours de la Tavernière rencontrée et celui de Thétis à son fils ou encore celui d'Achille à Priam (XXIV), comme s'il s'agissait d'un topos de la littérature de sagesse du Proche-Orient ancien). L'amitié d'Enkidu a plusieurs rôles : d'abord serviteur, Enkidu devient ami, ce qui explique l'immense chagrin de Gilgamesh quand il meurt; d'autre part l'alliance Enkidu/Gilgamesh est comme la fusion de la nature et de la culture (passage de la campagne à la ville et mise en valeur de la vie civilisée); enfin, Enkidu, en tant qu'égal, peut détourner son ami de l'oppression des habitants d'Uruk en dirigeant son excès d'énergie vers l'extérieur, le monde. En quels termes est décrite cette amitié ? Ils sont comparables à ceux qui décrivent les relations parentales mais aussi les objets de désir sexuel. Ce serait comme l'avant-goût des " plaisirs de la socialité humaine, dont le mariage et la paternité."
  En ce qui concerne David et Jonathan, le sens de leur amitié dépend de la fonction qui lui a été donnée dans la source récente des livres de Samuel : c'est-à-dire au moment du passage de l'autorité royale de Saül à David. De plus, la source récente substitue l'amitié à l'amour conjugal et l'amitié entre David et Jonathan est à la fois fraternelle et conjugale.
  De même que l'amitié entre Gilgamesh et Enkidu reflète des versions sumériennes où Enkidu était le serviteur de Gilgamesh, de même l'amitié d'Achille et Patrocle est faite à partir " d'éléments de la tradition qui reflètent les premières étapes de l'évolution de la légende". Ce qui frappe dans la version de l'Iliade qui nous est parvenue, c'est que l'amitié illustre des liens plus larges de la socialité humaine, comme dans l'épopée de Gilgamesh. Et pour se donner "identité et définition", l'amitié emprunte sa terminologie à d'autres sphères des relations humaines : conjugalité et parentalité. Ainsi Patrocle accomplit des tâches (placer la nourriture devant Achille quand ils dînent seuls (XIX), distribuer le pain quand ils ont des hôtes (IX, XIX), qu'une femme remplit normalement dans le monde homérique, et, réciproquement, au moment des funérailles de Patrocle, Achille tient la tête de son ami, comme le fera Andromaque avec son époux Hector. L'analogie avec la parenté est, elle aussi, très patente : Patrocle dépend de son ami comme un enfant de son père et la comparaison au début du chant XVI, même dans son exagération, est assez éloquente ("on croirait voir une petite fille qui court à côté de sa mère, elle se suspend à sa robe et l'empêche d'avancer."..). Réciproquement, Achille est comparé à un lion qui pleure la mort de ses petits (XVIII) ou à un père qui se lamente sur la mort de son fils au moment des funérailles de son ami (XXIII); à la fin, ils seront enterrés ensemble comme s'ils étaient membres d'une même famille ("qu'un seul cercueil enferme nos cendres à tous deux ", XXIII).
  Ainsi, dans les trois cas, les créateurs de légendes recourent aux relations de parenté et de conjugalité pour définir et situer l'amitié qu'ils désirent explorer. "Ils recourent donc à ces autres sortes de relations humaines, mieux établies et codifiées, pour faire de l'amitié entre les principaux personnages une image de la socialité, de la solidarité humaine".
  "Dans chacune des traditions narratives, l'amitié entre les héros apparaît comme un élément qui s'est cristallisé relativement tard dans le processus de formation des textes transmis. Peut-être que l'élan dans l'exploration et la fixation plus précises de la signification sociale de l'amitié reflète le désir commun, dans les cultures de la Méditerranée orientale qui sont en relation au tournant du premier millénaire, d'occuper plus de place dans le discours public, dans l'espace culturel, et les coloniser pour y faire jouer la subjectivité masculine".
  Pour analyser l'amitié entre Achille et Patrocle, l'auteur nous invite donc à faire abstraction des interprétations des Grecs classiques, à nous méfier de la trilogie Achilleis d'Eschyle, et à insérer cette relation dans le contexte d'un modèle narratif plus ancien.

 

 

  Le récit poétique de l'Iliade nous présente un monde structuré en fonction de l'aspiration héroïque. Tous les éléments sont adaptés les uns aux autres dans cette perspective. Si l'on retrouve dans toutes les actions une fondamentale unité de la tradition héroïque, cette unité n'empêche pas une différenciation des figures célèbres par quelques traits particuliers, mais, de cette aspiration héroïque, Achille seul nous donne une idée complète, dans sa complexité et son paradoxe fondamental : recherche de l'absolu et acceptation des limites humaines. Lui seul évolue tout au long de l'épopée, et son cheminement de la passion à l'ordre, de l'intransigeance à l'amour pour l'humanité, représente le double idéal des Grecs, fait tout à la fois de grandeur et de sagesse. Ainsi prend toute sa place l'ekphrasis du bouclier au chant XVIII. Forgé avec art par Héphaïstos, organisé pour Achille autour de la double image d'un monde de paix et de guerre, ce bouclier est la métaphore parfaite du monde héroïque qu'il incarne.

 

 

 

 

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