La presse écrite est en crise. Elle
connaît en France et ailleurs une baisse notable
de sa diffusion et souffre gravement d'une perte
d'identité et de personnalité. Pour quelles
raisons et comment en est-on arrivé là ?
Indépendamment de l’influence certaine du contexte
économique et de la récession il faut chercher,
nous semble-t-il, les causes profondes de cette
crise dans la mutation qu'ont connue, au cours de
ces dernières années, quelques-uns des concepts de
base du journalisme.
En premier lieu l'idée même
d'information. Jusqu’à il y a peu, informer,
c’était, en quelque sorte, fournir non seulement
la description précise - et vérifiée - d’un fait,
d'un événement, mais également un ensemble de
paramètres contextuels permettant au lecteur de
comprendre sa signification profonde. Cela a
totalement changé sous l'influence de la
télévision, qui occupe désormais, dans la
hiérarchie des médias, une place dominante et
répand son modèle. Le journal télévisé, grâce
notamment à son idéologie du direct et du temps
réel, a imposé peu à peu une conception
radicalement différente de l'information. Informer
c'est, désormais, « montrer l'histoire en marche »
ou, en d'autres termes, faire assister (si
possible en direct) à l'événement. Il s'agit, en
matière d'information, d'une révolution
copernicienne dont on n'a pas fini de mesurer les
conséquences. Car cela suppose que l'image de
l'événement (ou sa description) suffit à lui
donner toute sa signification, et que tout
événement, aussi abstrait soit-il, doit
impérativement présenter une partie visible,
montrable, télévisable. C'est pourquoi on observe
une emblématisation réductrice de plus en plus
fréquente d'événements à caractère complexe.
Un autre concept a changé : celui
d'actualité. Qu'est-ce que l'actualité désormais ?
Quel événement faut-il privilégier dans le
foisonnement de faits qui surviennent à travers le
monde ? En fonction de quels critères choisir ? Là
encore, l'influence de la télévision apparaît
déterminante. C'est elle, avec l'impact de ses
images, qui impose son choix et contraint la
presse écrite à suivre. La télévision construit
l'actualité, provoque le choc émotionnel et
condamne pratiquement les faits orphelins d'images
au silence, à l'indifférence. Peu à peu s'établit
dans les esprits l'idée que l'importance des
événements est proportionnelle à leur richesse en
images. Dans le nouvel ordre des médias, les
paroles ou les textes ne valent pas des images.
Le temps de l'information a également
changé. La scansion optimale des médias est
maintenant l'instantanéité (le temps réel), le
direct, que seules télévision et radio peuvent
pratiquer. Cela vieillit la presse quotidienne,
forcément en retard sur l'événement et, à la fois,
trop près de lui pour parvenir à tirer, avec
suffisamment de recul, tous les enseignements de
ce qui vient de se produire. La presse écrite
accepte de s'adresser non plus à des citoyens,
mais à des téléspectateurs !
Un quatrième concept s'est modifié.
Celui, fondamental, de la véracité de
l'information. Désormais, un fait est vrai non pas
parce qu'il correspond à des critères objectifs,
rigoureux et vérifiés à la source, mais tout
simplement parce que d'autres médias répètent les
mêmes affirmations et « confirment »... Si la
télévision (à partir d'une dépêche ou d'une image
d'agence) présente une nouvelle et que la presse
écrite, puis la radio reprennent cette nouvelle,
cela suffit pour l'accréditer comme vraie. Les
médias ne savent plus distinguer,
structurellement, le vrai du faux.
Enfin, information et communication
tendent à se confondre. Trop de journalistes
continuent de croire qu'ils sont seuls à produire
de l’information quand toute la société s'est mise
frénétiquement à faire la même chose. Il n’y a
pratiquement plus d'institution (administrative,
militaire, économique, culturelle, sociale, etc.)
qui ne se soit dotée d'un service de communication
et qui n'émette, sur elle-même et sur ses
activités, un discours pléthorique et élogieux. À
cet égard, tout le système, dans les démocraties
cathodiques, est devenu rusé et intelligent, tout
à fait capable de manipuler astucieusement les
médias et de résister savamment à leur curiosité.
Nous savons à présent que la « censure
démocratique » existe.
À tous ces chamboulements s’ajoute un
malentendu fondamental. Beaucoup de citoyens
estiment que, confortablement installés dans le
canapé de leur salon et en regardant sur le petit
écran une sensationnelle cascade d'événements à
base d’images fortes, violentes et spectaculaires,
ils peuvent s’informer sérieusement. C'est une
erreur majeure. Pour trois raisons : d'abord parce
que le journal télévisé, structuré comme une
fiction, n’est pas fait pour informer mais pour
distraire ; ensuite, parce que la rapide
succession de nouvelles brèves et fragmentées (une
vingtaine par journal télévisé) produit un double
effet négatif de surinformation et de
désinformation ; et enfin parce que vouloir
s'informer sans effort est une illusion qui relève
du mythe publicitaire plutôt que de la
mobilisation civique. S’informer fatigue, et c'est
à ce prix que le citoyen acquiert le droit de
participer intelligemment à la vie démocratique.
Ignacio
RAMONET, Télévision et information. ,
Le Monde Diplomatique, octobre 1993.
Pierre
MENDÈS-FRANCE. Espérer.
(Après-demain, 1967). Vous
présenterez une contraction de ce texte en 18O
mots (un écart de 10 % en plus ou en moins est
admis). Vous indiquerez le nombre de mots que
comporte votre résumé.
Complétez cette contraction de 180 mots par les
mots de liaison (cases encadrées) ou les mots-clés
(espaces blancs).
Il faut reconnaître qu'à la confiance et à la foi
un peu naïves de nos pères dans le progrès, a
succédé une inquiétude qui tourne parfois à
l'angoisse. Certes, dans le domaine de
l'avancement des connaissances et de la science,
le bilan est extrêmement positif ; on sait, de nos
jours, infiniment plus de choses, et on les sait
mieux qu'il y a un siècle. Parallèlement, les
frontières du monde à connaître s'éloignent sans
cesse, de sorte que personne n'espère ou ne
redoute plus « la mort de la science ». En même
temps, les applications des connaissances peuvent
donner en principe à l'homme, vis-à-vis de la
nature, une indépendance, une sécurité chaque jour
plus grandes. Mais dès qu'on passe du domaine de
la science à celui de son utilisation et plus
encore à celui du destin collectif de l'humanité,
le tableau s'obscurcit dramatiquement. Même les
applications pratiques des découvertes et des
connaissances créent souvent des difficultés
imprévues : le moteur qui doit libérer asservit en
fait dans bien des cas ; la médecine guérit, mais
l'allongement de l'espérance de vie pose des
problèmes sérieux à la société ; l'urbanisation
arrache les hommes aux rythmes et aux malédictions
millénaires de la nature, mais elle sécrète des
névroses individuelles et sociales qui
assombrissent ses avantages. Enfin et surtout,
notre temps a vu s'accomplir les plus grands
massacres collectifs qu'on ait jamais connus,
l'arbitraire et l'oppression n'ont jamais été
aussi redoutables aux mains d'oligarchies ou de
pouvoirs qui disposent de moyens techniques
colossalement multipliés. Sans parler de
l'explosion démographique mondiale, en face de
ressources insuffisantes et, au surplus, trop
souvent mal réparties et mal utilisées.
Ce monde, caractérisé par l'expansion
vertigineuse des sciences et des techniques, est
si différent de celui où nous avons puisé nos
règles de pensée, que l'angoisse nous saisit
parfois. Un monde sans paysans sera-t-il un monde
meilleur ? La conquête de l'espace, quand tout
reste à faire sur terre, est-elle « raisonnable »
? Le perfectionnement toujours plus poussé et à
n'importe quel prix, des engins de destruction
massive, est-il vraiment un progrès ? Ces
questions sont tellement légitimes qu'il ne faut
pas s'étonner si des formes de pensée non
rationnelles, des eschatologies religieuses ou
autres prospèrent plus que jamais et continuent de
hanter un grand nombre de nos contemporains,
parfois parmi les jeunes.
Faut-il donc dresser un bilan de faillite ?
Je ne le crois pas. Il faut réagir contre les
tentations du découragement. Sans doute
attendions-nous trop, sinon du futur, du moins du
présent, et c'est pourquoi nous sommes déçus.
Mais, pour faire nos comparaisons, ne
surestimons pas le passé de l'humanité. Ses
périodes les plus brillantes et le plus policées
ne cachaient-elles pas des arrière-plans de
misère, d'oppressions et d'injustices cruelles
grâce auxquelles seulement certaines réussites
étaient possibles ? Nous situons trop facilement
l'âge d'or derrière nous : mais les bergeries de
Versailles ne doivent pas faire oublier qu'au
XVIIIème siècle encore, les paysans français
mouraient — au sens propre — de faim. Et les
massacres contemporains les plus horribles ne
sauraient faire pardonner ceux d'hier.
En fin de compte, un bilan tout à fait
honnête montre que le progrès dans l'organisation
sociale se manifeste malgré tout, même si c'est
avec lenteur et difficulté, sur des rythmes très
différents ici et là, avec des arrêts, voire des
reculs temporaires. De forces profondes se sont
mises en mouvement et elles se révèlent
irrésistibles. Les masses, autrefois résignées,
exercent une pression contre laquelle rien ne peut
prévaloir ; les jeunes, tournés vers l'avenir, les
chercheurs, les intellectuels apportent leur
concours. La démocratie politique ouvre les voies.
L'histoire se faisait autrefois dans le bruit des
bottes, des fusillades, des massacres, dans les
cris souvent implacablement étouffés des victimes.
Convenons-en, c'est tout autrement que s'opèrent
aujourd'hui mutations et réformes de structure.
Mais la raison fondamentale qui nous pousse
à rejeter le pessimisme, c'est qu'hier encore,
toutes les misères étaient ressenties comme des
fatalités contre lesquelles il était vain de
s'insurger ; à l'inverse, la société de demain, si
elle porte encore en elle des formes d'aliénation
inacceptables, refusera les horreurs qui nous
étaient devenues familières et ses futurs artisans
s'emploient dès maintenant à les prévenir. Même si
l'avenir « meilleur pour tous » n'est pas aussi
prochain que nous le voudrions, un nombre
croissant d'hommes savent que leur sort peut
s'améliorer et, du coup, ils cessent d'être
résignés. Ils veulent se battre pour plus de
justice et d'humanité. Et, tout compte fait, c'est
cela le progrès.
Le
progrès suscite
la méfiance.
notre savoir s'est considérablement élargi et
l'homme y a gagné une certaine
à l'égard de la nature. ,
sur le plan pratique, la science est responsable
de
ou de .
Elle a donné
aux tyrans de toutes sortes une
redoutable qui a ensanglanté l'histoire récente
et créé un grave
des peuples devant les ressources.
Ces données nouvelles nous
et nous font douter du progrès ou chercher,
comme chez les jeunes, des solutions
.
Doit-on
désespérer ? A mon avis, nullement. Notre espoir
est déçu, sans doute, mais ne croyons pas que le
passé était plus enviable, avec ses
et ses .
,
la société s'est peu à peu
et des
nouvelles sont en route grâce à l'effort de
l'intelligence et de la raison.
notre raison d'espérer, nous la trouvons
dans la nouvelle
des peuples à prendre leur destin en main pour
plus de justice. Et ceci est le vrai .
Placez dans ce résumé chacun des termes proposés
ci-dessous : désorientent
- Au total - forces - organisée
- donc
- émancipation - Mais - barbaries - Certes -
irrationnelles - puissance - désormais -
dépendances - d'abord - famines - surtout -
stress - progrès - déséquilibre -
cependant - détermination.
Les générations sont-elles en passe de
devenir une nouvelle clé de lecture des fractures
centrales de la société française ? En tous cas, à
l’heure où l’on peine à dessiner, en France comme
ailleurs, le visage des sociétés nationales, et où
l’analyse en termes de classes sociales est de moins
en moins suffisante, les clivages liés à l’âge
pourraient connaître un regain de vitalité dans les
années à venir.
Cette particularité de notre époque,
c’est bien entendu l’exceptionnel destin social de
la « génération 68 », comme l’a rappelé récemment le
sociologue Louis Chauvel. Celui-ci met en évidence,
dans deux articles, les facteurs qui ont permis aux
individus nés entre 1945 et 1955 de connaître un
progrès sans précédent. La « génération 68 » succède
à des générations qui ont connu des destins
particulièrement dramatiques : la génération 1914
par exemple, celle de leurs parents, aura connu un
début de vie active des plus difficiles dans le
contexte de crise des années 1930, avant, surtout,
de connaître les affres de la Seconde Guerre
mondiale.
Grandissant eux, pour la première fois
depuis un siècle, en temps de paix, les «
baby-boomers » vont profiter à plein de la dynamique
des Trente Glorieuses : dans un pays en pleine
reconstruction, le travail ne manque pas, ce qui
leur permet de connaître, au cours des trois ans
après la sortie des études, un taux de chômage moyen
très faible d’environ 5%. Grâce notamment au
développement de l’Etat-providence, de l’éducation
et de la recherche (CNRS, universités), des services
de santé, des entreprises semi-publiques (EDF,
France Télécom…), ils vont être les principaux
bénéficiaires de la forte demande en cadres et
professions intellectuelles. Ils connaîtront ainsi
une mobilité sociale ascendante inouïe, assurant une
rentabilité maximale de leurs diplômes : dans les
années 1970, 70% des titulaires d’une licence ou
plus âgés de 30 à 35 ans sont cadres. Aujourd’hui,
la « génération 68 » s’apprête à prendre sa retraite
après une vide de travail pratiquement sans accroc,
et après avoir fait jouer l’ascenseur social comme
aucune autre génération auparavant.
Malheureusement, cette parenthèse s’est
très vite refermée : Les générations nées à partir
de 1955 ont connu une dégradation progressive de
leurs « chances de vie ». Le phénomène le plus
important de ce point de vue est naturellement
l’apparition d’un chômage de masse, qui frappe
notamment les nouveaux venus sur le marché du
travail. […]
Constat pessimiste ? L. Chauvel admet
qu’il est « sombre, mais il est fondé sur des bases
empiriques fortes, des analyses solides, des
résultats convergents ». D’autres auteurs dressent
un tableau plus nuancé. On peut souligner aussi que
les privilèges d’une génération ne jouent pas
nécessairement comme un désavantage pour les autres
générations. On a ainsi assisté à un renversement
historique du sens des solidarités, provoqué par
l’Etat-providence (avec l’instauration des retraites
et le développement de l’éducation), qui fait que ce
sont désormais principalement les jeunes qui
bénéficient des solidarités familiales. Résultat :
l’écart de revenus entre les âges se resserre, même
s’il faut reconnaître que cette réduction des
inégalités est « modérée ».
Ces correctifs ne suffisent donc pas à
entamer le constat général d’inégalités
socio-économiques fortes entre les générations au
détriment des jeunes. D’où le constat laconique de
L. Chauvel : « Pour la première fois en période de
paix, la génération qui précède ne laisse pas aux
suivantes un monde meilleur à l’entrée de la vie. »
En fait, selon lui, on a assisté, au milieu des
années 1980, à l’inversion d’un phénomène qui
jusque-là visait d’abord la protection et
l’insertion des jeunes : voici que l’on s’est mis à
assurer prioritairement la stabilité des plus âgés,
le principal coût de ce changement étant, encore une
fois, le chômage des jeunes. Ce basculement comporte
de grands risques. Et tout d’abord celui d’une «
dyssocialisation » de la jeunesse, c’est-à-dire non
pas d’une absence de socialisation, mais d’une
socialisation difficile, inadaptée. Concrètement, ce
risque viendrait d’un manque de correspondance entre
les valeurs et les idées que reçoit la nouvelle
génération (liberté individuelle, réussite
personnelle, valorisation des loisirs, etc.) et les
réalités auxquelles elle sera confrontée (centralité
du marché, hétéronomie, pénurie, manque d’emplois
intéressants, ennui, etc.). Plus profondément, les
difficultés psychosociales de la nouvelle génération
(notamment les comportements violents, les
incivilités en tous genres, le suicide, etc.)
pourraient être liés de façon immédiate au fossé
entre ce que les jeunes croient mériter (sur la base
d’une comparaison entre les études et la position de
leurs parents et les leurs) et ce qu’ils peuvent
réellement connaître.
Bien sûr l’avenir n’est pas encore
joué, et la récente prise de conscience du phénomène
par les politiques augure peut-être de mesures
capables de faciliter l’insertion des jeunes dans le
monde du travail. Reste qu’il y a encore loin de la
conscience, bien réelle, des inégalités liées à
l’âge, à leur prise en compte effective dans la
décision collective et notre représentation de la
société. En attendant, on ne peut que faire des
conjectures sur notre futur immédiat.
Xavier
MOLENAT, « Vers une fracture générationnelle », Les
Grands Dossiers des Sciences Humaines, n°4, 2006.
Alfred
BIEDERMANN.
L'esprit romantique de la jeunesse actuelle.
(Le Romantisme européen, 1972).
Complétez
le contraction du texte ci-contre par les mots
de liaison (cases encadrées) ou les mots-clés
(espaces blancs).
Il
est dans les lettres et les arts des écoles qui
ne survivent guère aux générations qui leur ont
donné naissance - faute, sans doute, d'une
universalité, d'une profondeur humaine qui les
auraient mises à l'abri du temps : ainsi le
symbolisme en France, l'expressionnisme en
Allemagne, qui, pourtant, ont eu leur moment de
vogue européenne. Aucun de ces mouvements ne
s'est imposé comme ferment de renouvellement à
travers les mutations périodiques de l'esprit
européen. Le romantisme, par contre, n'a cessé
d'agir au cours des époques qui l'ont suivi
comme provocation ou repoussoir sur ceux qui
cherchaient, dans les arts et les lettres, à
frayer la voie vers des horizons nouveaux.
Naguère, on affublait ironiquement de
l'étiquette romantique toute attitude contraire
au souci primordial de réalisme et de raison
pratique. Aujourd'hui, la jeunesse se réclame
volontiers d'une sorte de néoromantisme. La
critique incisive du progrès technique, de ses
objectifs strictement utilitaires et la peur de
se trouver asservi à une civilisation
industrielle mondiale, avec ses rechutes dans la
barbarie et son insouciance du bonheur et de la
vie de l'âme, tout cela a ramené l'attention
vers les aspirations de l'âge romantique. Non
pas, certes, pour les restaurer dans leurs
formes historiques; rien n'est plus périmé
aujourd'hui que les mièvreries sentimentales de
1830; mais certaines attitudes d'esprit typiques
du romantisme resurgissent actuellement chez nos
contemporains.
Il y a d'abord ce refus de se laisser
encadrer par les traditions philosophiques et
sociales d'hier. L'adolescent d'aujourd'hui,
c'est d'abord quelqu'un qui dit « non »,
j'entends qui se refuse à ouvrir aux
institutions et aux mœurs en cours ce crédit de
confiance, jusqu'à preuve de leur légitimité,
que ses aînés consentaient plus libéralement : «
non » un peu fou, un peu trop romantique
peut-être, qui fait hocher la tête aux gens
raisonnables, mais mise en question salutaire,
susceptible de débloquer bien des structures
fossilisées.
Autre résurgence romantique : le retour à
la nature. Jamais, sans doute, les jeunes qui
pensent n'ont été plus sensibles aux menaces
d'une rupture du contact entre l'homme et la
nature. L'humanité moderne, ils le voient de
plus en plus clairement, « se développe dans la
nature [...] comme une sorte d'artifice
universel » . L'homme, pris dans l'univers
technique, se coupe de son milieu naturel, que,
d'ailleurs, il ravale au rang de matériau. Nos
contemporains, par réaction, éprouvent le besoin
de rester liés, dans leur travail et leurs
loisirs, avec la verdure et la lumière, la
montagne et la mer, dussent-ils y perdre
quelques raffinements ou commodités de la
société d'abondance. Tout donne à penser que, ce
comportement, le proche avenir le développera.
Enfin, la référence délibérée au « moi »
comme principe de valeur revient au premier
plan. Elle entraîne le refus croissant des
critères d'efficacité pratique, de réussite
sociale, de rendement financier. Un certain
affairisme à l'américaine périclite sous nos
yeux. Les jeunes s'inquiètent du bénéfice moral,
des satisfactions de l'esprit et du cœur que
leur vaudront leur travail et leur effort. C'est
dire que la considération de l'homme intérieur
se trouve revalorisée et que l'esprit, qui
tendait à n'être plus que l'instrument d'une
exploitation technique du monde, redevient
intéressant par lui-même, comme le vrai problème
à résoudre, le vrai mystère à scruter. C'est là
un autre symptôme de cette remontée des
priorités romantiques en ce dernier tiers du xx°
siècle.
Bien
des artistiques
et littéraires restent
,
faute
d'avoir trouvé une audience assez large ou
d'avoir su leur
temps.
Le lui,
s'est toujours imposé comme référence auprès
de tous les .
Traînant autrefois des connotations
en
raison de son
,
il
est revendiqué aujourd'hui par la qui
y reconnaît, dans des formes
,
son refus du et son souci
des valeurs . On
reconnaît la
volonté salubre sous ses allures de ne
pas se laisser dans
les valeurs des
aînés.
C'est
le souci de
le contact par
la technique entre l'homme et la et
cette ne
fera que se confirmer.
C'est l'affirmation
du qui
rejette les priorités sociales, la ou
le et
réaffirme la souveraineté de l'esprit sur la .
Les propos de Socrate contre
l’écriture sont loin d'être ceux du marginal
grincheux que l'on évoque parfois. Ils sont au
contraire au cœur d'un rapport à l'écriture
courant dans l'Antiquité grecque et romaine
(jusqu'au seuil de l'Empire, qui réservera un
accueil plus favorable à l'écriture comme moyen de
contrôle social). L'oral reste en effet le moyen
de communication privilégié pour tout ce qui est
essentiel à la vie publique, l'écrit n'ayant qu'un
rôle d'appoint et de retranscription. Nous sommes
là en présence d'une norme sociale forte, qui veut
par exemple que tout au long de l'Antiquité, au
moins jusqu'à l'Empire, il ait été impensable
qu'un orateur lise un texte. Le débat qui témoigne
d'une tension entre la parole et la communication
concerne la résistance qui s'inaugure dans le
monde grec à ce qui est vécu comme une
artificialisation de la parole. Les sophistes,
véritables professionnels de la parole, se voient
accusés de manipulation dès qu'ils prétendent
travailler le langage, le mettre en forme pour
convaincre. Ce débat entre parole authentique et
parole manipulée va traverser, jusqu'à
aujourd'hui, toute l'histoire de la rhétorique et
du rapport moderne à la parole et au langage.
Aujourd’hui même la parole ne sort pas indemne de
ce qu'elle est obligée de se donner des outils
pour être communiquée. Plus ceux-ci éloignent la
parole de l'oral et du face-à-face, plus la
suspicion gagne. C'est pourquoi, loin de s'être
succédé, les différents moyens de communication se
sont cumulés, avec un privilège maintenu pour
l'oral.
Pourquoi l'oral est-il supérieur ? Un
phénomène capital, dont aucun système d'écriture
connu ne conserve la trace, le fait bien
apparaître. Ce phénomène est l'intonation, qui
stratifie souvent le discours oral en une
structure hiérarchique où le message principal
n'est pas prononcé sur le même registre selon les
propositions imbriquées les unes dans les autres
au sein de la phrase. Une reproduction graphique
qui, bien qu'exacte pour le reste, ne note pas
l'intonation, peut paraître quasiment
inintelligible. L'écriture, comme l'image, est une
réduction, une parole contrainte pour pouvoir
durer, aller plus loin. Gain d'un côté, perte de
l'autre. L'oral (comme le gestuel) serait plus
proche de la parole, car il engage tout l'être
dans une intonation globale. L'éloge de la parole
est d'abord un éloge du face-à-face. Chacun
d'entre nous est en fait confronté quotidiennement
à une question simple (en théorie) : quel est le
moyen de communication le plus approprié pour la
parole que je souhaite tenir ? On constatera que
plus la parole tenue est forte, plus nous
cherchons le recours, quand il est possible, au
face-à-face.
Ainsi le débat qui s'est instauré sur
les possibilités ouvertes par les nouvelles
technologies de communication reprend à sa façon
ces anciennes questions. On sait qu'Internet a été
entouré de la promesse d'une meilleure
communication. Nous sommes là, toutefois, au cœur
d'une utopie, car ce réseau ne favorise que la
communication indirecte. Sa promotion a même
longtemps reposé sur une apologie à la fois de ce
type de communication (vous pourrez tout faire de
chez vous, sans sortir) et d'une disqualification
de la rencontre directe. Les propositions de cette
utopie vont même plus loin. Du fait du
développement des moyens de communication, la
parole serait « meilleure » et la violence, liée
au face-à-face, reculerait. L'illusion est ici à
son comble, car au cœur de cette utopie est tapie
une croyance de nature quasi religieuse et que
l'on pourrait résumer ainsi : la communication,
l'usage croissant de moyens de communication,
sanctifierait la parole ainsi transportée.
Pourtant la réalité d'Internet est
plus modeste. Le réseau remplit en fait trois
fonctions bien distinctes et qui sont chacune le
prolongement d'un moyen de communication plus
ancien. Le courrier électronique, d’abord, a
repris les fonctions de la poste, avec une
efficacité accrue mais sans changement structurel
sur la nature de la parole ainsi échangée. On
rencontre là les mêmes problèmes que dans l'usage
général de l'écrit qui ne peut jamais prétendre
qu'au statut de complément ou de substitut de la
rencontre directe et de la parole face-à-face. Les
sites Web, ensuite, ont certes accru notre pouvoir
d'accéder à l'information, mais le problème de la
qualité, de la validité et de la pertinence des
informations en ligne reste posé. La meilleure
information reste finalement celle qui est
garantie par le médiateur le plus fiable, donc le
plus proche, celui en qui l'on a confiance. Enfin
les forums de discussion qui organisent des
échanges indirects ne permettent pas toute
l'ouverture de la communication que l'on avait
supposée initialement. Ils servent surtout aux
communautés déjà constituées et ne sont que de peu
d'aide pour ouvrir le champ de la parole. Il s'y
succéderait plutôt des « doubles dialogues », où
chacun s'exprime sans forcément écouter l'autre.
On peut en conclure qu’il est
difficile d'argumenter à distance avec des
personnes qu'on ne connaît pas, et d'ailleurs pour
quoi leur dire ? Il ne suffit pas d'avoir à sa
disposition un moyen de communication : encore
faut-il avoir une parole à transmettre. Le
fétichisme qui a entouré ces derniers temps la
communication et ses techniques ne doit pas nous
faire perdre de vue cette réalité fondamentale :
la parole est bien la finalité de la
communication.
Exercice
6 :
Claude ROY. L'apothéose du mot communication.
(Télérama, 12 juin 1985). Vous
présenterez une contraction de ce texte en 18O
mots (un écart de 10 % en plus ou en moins est
admis). Vous indiquerez le nombre de mots que
comporte votre travail.
Complétez
cette contraction de 180 mots en remplissant les
espaces blancs par les mots-clés proposés.
Les mots, les pauvres mots ont de grandes
douleurs. On ne peut pas dire qu'ils souffrent en
silence, puisqu'ils sont paroles. Mais ils
souffrent. On les met à tous les usages, on leur
fait tout dire, et le contraire de tout, on les
met au service du noir et du blanc, de la vérité
et du mensonge, de la paix et de la guerre. Il
arrive même qu'ils en perdent la tête,
c'est-à-dire le sens. Qu'ils en perdent même la
vie : il y a des mots qui ont tant servi, et à de
si drôles d'usages, qu'on n'ose plus les utiliser.
Sans aller jusqu'à cette extrémité, périr
en services commandés, les mots ont une histoire.
Prenons le mot communication. Il y a une
vingtaine d'années, c'était un terme auré de
mélancolie et de déréliction. Il résonnait en
mineur, comme un andante à fleur de larmes. Le
drame d'exister, c'était que la communication
entre les êtres est impossible. Tous les vivants
sont des captifs solitaires, murés dans des
cellules bétonnées ou des in pace
profonds. Vanité des vanités, tout échange entre «
existants » n'est que vanité. Malentendu des
malentendus, tout n'est que malentendus. Alas,
poor Yorick, la communication est coupée !
La mode intellectuelle était de prononcer le mot communication
sur un ton à mi-chemin du chant funèbre et de la
dérision.
On pourrait objecter que nous souffrons ou
nous réjouissons peut-être davantage d'un excès de
communication que de son insuffisance.
Communication verbale et communication sans mots
nous entourent et nous assaillent sans relâche. Le
visage muet et douloureux de cet inconnu, dans le
métro ou le train, nous communique sa détresse. Le
sourire de soleil de cette jeune fille dans la rue
nous communique son allégresse. L'univers est une
perpétuelle station émettrice de messages, une
gigantesque entreprise de communication : les
humains communiquent entre eux (parfois trop), les
animaux, les plantes et les étoiles n'arrêtent pas
de nous faire des signes.
Quand les sémiologues ont pris la relève
des existentialistes, la communication a tout de
même repris du poil de la bête. Comme nous sommes
toujours tentés de corriger un excès par un autre
excès, on serait plutôt passé du manque de
communication au trop-plein de signification, et
de la déploration de notre solitude aux joyeux
délires d'interprétation. Tout parle, tout veut
dire, tout communique, et le fétu de paille dans
le vent attend son interprète qui traduira son
message (souvent un charabia).
Dans l'usage quotidien, le mot
communication est passé de l'ancienne tonalité de
glas, du personnage de Beckett prisonnier jusqu'au
cou d'une jarre ou d'un tas de sable, à une
sonorité de joyeux clairon, au sourire épanoui du
héros de la Communication. La Communication
englobe tout, la parole et l'image, le locuteur et
le câble porteur, le signifiant, l'insignifiant et
le signifié, les médias et l'immédiat, le ministre
de la Communication et la communication du
ministre, l'émetteur et l'émis. Il y a dans les
journaux des rubriques « Communication ». On forme
des spécialistes de la communication. Devant un
patient qui souffre de mutisme persistant, le
Docteur Tans Pis et le Docteur Tant Mieux opinent
en chœur : « il a un problème de communication ».
Il n'est pas très certain que cette
apothéose du mot communication corresponde
à un progrès dans la réalité. Un des aspects dé
cette Société du Spectacle qu'a décrite et
analysée Guy Debord, c'est la
Communication-Spectacle, pratiquée sur les mille
formes de l'interviouve, de l'entretien, de la
table ronde et du « colloque », dans la presse, à
la radio, à la télévision, à l'université. J'ai
longtemps cru que le rêve qui poursuit toute leur
vie les anciens étudiants, le rêve de l'examen,
(on vous pose une question que vous ne comprenez
pas sur un sujet dont vous ignorez tout), était le
prototype de la situation angoissante. La réalité
propose pourtant un type de situation peut-être
pire : l'interviouveur qui, sur un sujet qui ne
l'intéresse pas, qu'il ne connaît absolument pas
et qu'il est bien décidé à ne jamais connaître,
nous pose une question qui n'a aucun sens et à
laquelle il souhaite qu'il soit répondu en
trente-deux secondes, dans un flash aveuglant de
communication-bidon.
Quand on a eu la sottise de se mettre dans
cette situation-supplice, en revanche quel plaisir
(rare) : trouver un interlocuteur qui n'est pas un
interviouveur, avoir en face de soi quelqu'un qui,
au sens littéral et au sens général, a « étudié la
question », sentir un intérêt, une curiosité
vraie, et s'entendre poser ces questions qui sont
le contraire de la fausse question définie par
Robert Musil : « Une question mal posée, à
laquelle on ne peut répondre ni par oui, ni par
non, ni par rien. »
A l'enseigne de la Communication, toute ne
communique pas, hélas, ou bien ce qui est «
communiqué » n'est que fausse monnaie, poudre aux
yeux et paille des mots. Mais quand l'envie de
connaître et la possibilité de savoir se
retrouvent, est-ce que cela ne porte pas d'autres
noms que communication ? Des noms assez
beaux : conversation, échange, dialogue, rencontre
?
A force d'utiliser les mots sans ,
on finit par les priver de sens, et même par les
condamner à mort. Il en est ainsi du mot communication.
Il était entouré naguère encore de
désespérées par lesquelles on signifiait la
fatale des
êtres. C'est d'ailleurs plus la
des messages qui pose problème que leur ,
car tout est signe autour de nous et tout a son
langage.
Avec la ,
la communication est devenue une et
tout le monde, de l'homme politique au savant,
s'est mis à le
moindre langage.
Gardons-nous de nous en .
Notre société a fait de la communication un qui
met souvent sur la scène des chez
qui l'indifférence le dispute à l'
.
Quelle joie, au contraire, de rencontrer
quelqu'un qui allie l'
à la
! Le mot communication cache beaucoup de
.
Mais quand la et
l'
se réalisent, n'y a-t-il pas des mots plus beaux
que communication pour les
?