PLAIDOYER ET RÉQUISITOIRE 

 

 

 

 

  Proche de la plaidoirie (qu'on réservera au domaine juridique), le plaidoyer est, avec le réquisitoire, un travail d'écriture qui mérite d'être un classique des écrits d'appropriation. Il conjugue en effet la maîtrise des grands procédés rhétoriques et les ressources de l'invention personnelle. Même s'il convient de rester toujours indulgent quant à la stricte observance de leurs formes rhétoriques, ces types d'exercices exigent une certaine maîtrise du vocabulaire et de la syntaxe dans la mesure où il s'agit de rester fidèle au registre oratoire. Celui-ci donne au texte une acuité et une tension particulières qui constituent un bon aboutissement de l'étude des formes argumentatives.

  Plaidoyer et réquisitoire appartiennent au genre judiciaire. On sait que la rhétorique classique reliait les discours à trois situations fondamentales :

Voir sur Amazon :
  • l'orateur défend ou attaque quelqu'un à cause d'un acte commis dans le passé, pour persuader de l'innocence ou de la culpabilité : c'est le genre judiciaire;
  • il s'adresse à une assemblée afin de la persuader de prendre une décision qui concerne l'avenir : c'est le genre délibératif;
  • il vante les mérites ou critique les défauts d'une personne ou d'une institution : c'est le genre épidictique.

  Mais, comme il en est de tout classement, ces catégories sont poreuses : un même texte peut, par exemple, conjuguer les formes classiques du judiciaire et de l'épidictique. C'est autour de ce mélange que s'inscrit notre séquence : éloge et blâme, qui appartiennent plus précisément à l'épidictique, rejoignent naturellement les registres mis en œuvre dans le plaidoyer ou le réquisitoire, qui ressortissent au judiciaire. Dans toutes ces productions, en tout cas, la littérature reconnaît l'une de ses vibrations fondamentales, chargée toujours des accents de l'amour ou de la haine.

 

EXERCICE 1 : l'éloge et le blâme.

   Apologie ou satire, louanges ou railleries, les genres épidictiques sont très anciens et correspondent d'abord à des catégories très formalisées, inscrites dans les canons de la rhétorique ancienne. Il s'agit toujours dans ces discours publics de l'éducation morale des citoyens : par les plus hauts exemples de vertu ou de vice, en ne ménageant pas les effets d'amplification, l'orateur s'inscrit dans un édifice de valeurs auxquels chacun est invité à souscrire. Dépassant ces catégories, l'écrivain moderne a su allier dans les ressorts de son émotion l'objet public à l'hommage privé :

Victor HUGO, Le manteau impérial
(Châtiments, 1853)
COLETTE, La Naissance du jour (1928)
Oh ! vous dont le travail est joie,
Vous qui n'avez pas d'autre proie
Que les parfums, souffles du ciel,
Vous qui fuyez quand vient décembre,
Vous qui dérobez aux fleurs l'ambre
Pour donner aux hommes le miel,

Chastes buveuses de rosée,
Qui, pareilles à l'épousée,
Visitez le lys du coteau,
Ô sœurs des corolles vermeilles,
Filles de la lumière, abeilles,
Envolez-vous de ce manteau !

Ruez-vous sur l'homme, guerrières !
Ô généreuses ouvrières,
Vous le devoir, vous la vertu,
Ailes d'or et flèches de flamme,
Tourbillonnez sur cet infâme !
Dites-lui : « Pour qui nous prends-tu ?

« Maudit ! nous sommes les abeilles !
« Des chalets ombragés de treilles
« Notre ruche orne le fronton;
« Nous volons, dans l'azur écloses,
« Sur la bouche ouverte des roses
« Et sur les lèvres de Platon.

« Ce qui sort de la fange y rentre.
« Va trouver Tibère en son antre,
« Et Charles neuf sur son balcon.
« Va ! sur ta pourpre il faut qu'on mette,
« Non les abeilles de l'Hymette,
« Mais l'essaim noir de Montfaucon! »

Et percez-le toutes ensemble,
Faites honte au peuple qui tremble,
Aveuglez l'immonde trompeur,
Acharnez-vous sur lui, farouches,
Et qu'il soit chassé par les mouches
Puisque les hommes en ont peur !

 « Monsieur,
 « Vous me demandez de venir passer une huitaine de jours chez vous, c’est-à-dire auprès de ma fille que j’adore. Vous qui vivez auprès d’elle, vous savez combien je la vois rarement, combien sa présence m’enchante, et je suis touchée que vous m’invitiez à venir la voir. Pourtant, je n’accepterai pas votre aimable invitation, du moins pas maintenant. Voici pourquoi : mon cactus rose va probablement fleurir ! C’est une plante très rare, que l’on m’a donnée, et qui, m’a-t-on dit, ne fleurit sous nos climats que tous les quatre ans. Or, je suis déjà une très vieille femme, et, si je m’absentais pendant que mon cactus rose va fleurir, je suis certaine de ne pas le voir refleurir une autre fois...
 «Veuillez donc accepter, Monsieur, avec mon remerciement sincère, l’expression de mes sentiments distingués et de mon regret.»


  Ce billet, signé « Sidonie Colette, née Landoy », fut écrit par ma mère à l’un de mes maris, le second. L’année d’après, elle mourait, âgée de soixante-dix-sept ans.
  Au cours des heures où je me sens inférieure à tout ce qui m’entoure, menacée par ma propre médiocrité, effrayée de découvrir qu’un muscle perd sa vigueur, un désir sa force, une douleur la trempe affilée de son tranchant, je puis pourtant me redresser et me dire : « Je suis la fille de celle qui écrivit cette lettre », - cette lettre et tant d’autres, que j’ai gardées. Celle-ci, en dix lignes, m’enseigne qu’à soixante-seize ans elle projetait et entreprenait des voyages, mais que l’éclosion possible, l’attente d’une fleur tropicale suspendait tout et faisait silence même dans son cœur destiné à l’amour. Je suis la fille d’une femme qui, dans un petit pays honteux, avare et resserré, ouvrit sa maison villageoise aux chats errants, aux chemineaux et aux servantes enceintes. Je suis la fille d’une femme qui, vingt fois désespérée de manquer d’argent pour autrui, courut sous la neige fouettée de vent crier de porte en porte, chez des riches, qu’un enfant, près d’un âtre indigent venait de naître sans langes, nu sur de défaillantes mains nues... Puissé-je n’oublier jamais que je suis la fille d’une telle femme qui penchait, tremblante, toutes ses rides éblouies entre les sabres d’un cactus sur une promesse de fleur, une telle femme qui ne cessa elle-même d’éclore, infatigablement, pendant trois quarts de siècle...

QUESTIONS :

1. Recherchez dans le texte de Victor Hugo les formes littéraires du blâme et, dans celui de Colette, celles de l'éloge. Montrez que le texte de Hugo contient aussi ces dernières (voir le corrigé ci-dessous).

2. Quelles sont les valeurs défendues par chacun des deux écrivains ?

3. Recherchez, dans le champ des deux genres, le sens des mots suivants et précisez leurs différences à l'aide d'exemples :
  ► l'éloge : apologie - blason - dithyrambe - hymne - louange - oraison funèbre - panégyrique.
  ► le blâme : : diatribe - épigramme - factum - libelle - pamphlet - pasquin - philippique - réprobation - satire - vindicte.

4. Comment peut-on classer ces mots du plus faible au plus fort ?
    ► mélioratif : merveilleux - admirable - splendide - divin - grand - mirifique - magnifique - sublime - prodigieux - fabuleux.
    ► péjoratif : exécrable - ignoble - immonde - détestable - abject - bas - vil - méprisable - infâme - misérable.

  Exemple de réponse rédigée (question 1 : texte de Victor Hugo).

  Hugo a choisi de s'adresser à des insectes déjà fortement connotés dans le domaine politique : l'abeille est ainsi devenue l'emblème du Premier Empire, par ses vertus traditionnelles de travail et d'organisation sociale. Cette ode révèle donc assez vite ses intentions : à travers ses apostrophes aux abeilles, Hugo veut stigmatiser le tyran Napoléon III et inviter le peuple à la subversion. Ce souci donne au poème des formes didactiques classiques qui tiennent aux personnifications, à la netteté des oppositions ainsi qu'à l'ensemble des injonctions.
  On devine tout d'abord assez vite qu'à travers les abeilles, Hugo nous invite à voir bien autre chose, puisqu'il leur prête des qualités tout humaines. Ce sont d'abord les sentiments dont il les anime : la joie, puis la colère (acharnez-vous); c'est aussi. leur vertu (chastes buveuses, généreuses ouvrières) et leur pureté (nous volons, dans l'azur écloses). Cette personnification est d'autant plus nette que le poème est organisé autour de deux discours : celui, lyrique, du poète adressé aux abeilles, puis celui, digne et menaçant, de celles-ci au tyran. Mais ce procédé prend une valeur plus précise si l'on examine sa fonction symbolique. Da nombreuses allusions mythologiques émaillent le texte : allusion au Cantique des Cantiques (pareilles à l'épousée), souvenir littéraire (sur les lèvres de Platon) ou historique (les abeilles de l'Hymette). L'abeille prend ainsi les dimensions d'une véritable allégorie : elle est symbole du travail (vous le devoir, ouvrières), de la douceur généreuse de la Nature (donner aux hommes le miel, la bouche ouverte des roses), mais aussi de la vengeance (ailes d'or et flèches de flamme). On comprend qu'ainsi il soit particulièrement sacrilège que le manteau du tyran ait continué à s'orner de pareils symboles.
   La leçon à laquelle le poète veut nous amener tire aussi sa netteté des oppositions violentes dont l'ode est tissée. Tout le vocabulaire mélioratif appliqué aux abeilles et qui donne leur lyrisme aux deux premières strophes, vient buter sur les termes violemment péjoratifs qui désignent l'usurpateur. Par un procédé dont il est familier, Hugo resserre ces oppositions à la structure même du vers ou de la strophe : le mot infâme acquiert d'autant plus de relief qu'il termine une suite d'invocations flatteuses destinées aux abeilles; l'allusion à Platon, aux chalets ombragés de treilles rehausse le dégoût dont sont empreints les termes des deux dernières strophes : fange, honte, immonde, mouches. La lumière pure dont Hugo auréole les abeilles tire en outre son éclat particulier de l'image funèbre de l'essaim noir qui désigne aussi les mouches de la vengeance.
   Enfin, pour être parfaitement perceptible, la leçon donnée par Hugo à travers les abeilles s'exprime par une série d'injonctions caractéristiques du didactisme. Le texte s'ouvre sur des apostrophes fortement admiratives (oh ! vous, ô soeurs, Ô généreuses ouvrières) et finit sur des ordres. Les impératifs envolez-vous, ruez-vous, tourbillonnez, acharnez-vous donnent au texte une grande force polémique d'autant qu'ils sont accompagnés parfois d'injures (cet infâme, maudit, immonde trompeur). Cette invitation au châtiment rappelle la mission assignée par Hugo au recueil d'où cette ode est tirée : il s'agit bien d'accabler l'usurpateur mais aussi d'inciter le peuple à la révolte, et ce poème ne manque pas de s'adresser aux travailleurs par-delà les abeilles (généreuses ouvrières) ou de rappeler leur lâcheté lors du coup d'état (peuple qui tremble, puisque les hommes en ont peur).
  Ainsi ce poème est une sorte d'apologue d'où une leçon politique doit être tirée. Mais celle-ci prend sa vraie vigueur d'une mise en forme particulièrement épique.

 ► Attention à l'ironie, qui, par le recours à l'antiphrase, inverse les termes appréciatifs pour inviter le lecteur à mieux saisir le ridicule des thèses qu'il souhaite réfuter. Repérez ces effets dans le texte ci-dessous, où Condillac (Traité des animaux, I, 1754) entreprend de dénoncer, comme Fontenelle, les erreurs de méthode de la philosophie scolastique :

   Qu'un Philosophe donc qui ambitionne de grands succès, exagère les difficultés du sujet qu'il entreprend de traiter; qu'il agite chaque question comme s'il allait développer les ressorts les plus secrets des phénomènes; qu'il ne balance point à donner pour neufs les principes les plus rebattus, qu'il les généralise autant qu'il lui sera possible; qu'il affirme les choses dont son lecteur pourrait douter, et dont il devrait douter lui-même; et qu'après bien des efforts, plutôt pour faire valoir ses veilles que pour rien établir, il ne manque pas de conclure qu'il a démontré ce qu'il s'était proposé de prouver : il lui importe peu de remplir son objet : c'est à sa confiance à persuader que tout est dit quand il a parlé.
   Il ne se piquera pas de bien écrire, lorsqu'il raisonnera : alors les constructions longues et embarrassées échappent au lecteur, comme les raisonnements. Il réservera tout l'art de son éloquence, pour jeter de temps en temps de ces périodes artistement faites, où l'on se livre à son imagination sans se mettre en peine du ton qu'on vient de quitter, et de celui qu'on va reprendre, où l'on substitue au terme propre celui qui frappe davantage, et où l'on se plaît à dire plus qu'on ne doit dire. Si quelques jolies phrases qu'un écrivain pourrait ne pas se permettre, ne font pas lire un livre, elles le font feuilleter et l'on en parle. Traitassiez-vous les sujets les plus graves, on s'écriera : ce Philosophe est charmant. [...]
   Mais n'oubliez pas de traiter avec mépris ces observateurs, qui ne suivent pas vos principes parce qu'ils sont plus timides que vous quand il s'agit de raisonner : dites qu'ils admirent d'autant plus, qu'ils observent davantage et qu'ils raisonnent moins; qu'ils nous étourdissent de merveilles qui ne sont pas dans la nature, comme si le Créateur n'était pas assez grand par ses ouvrages, et que nous crussions le faire plus grand par notre imbécillité. Reprochez-leur enfin des monstres de raisonnements sans nombre. Plaignez surtout ceux qui s'occupent à observer des insectes : car une mouche ne doit pas tenir dans la tête d'un naturaliste plus de place qu'elle n'en tient dans la nature, et une république d'abeilles ne sera jamais aux yeux de la raison, qu'une foule de petites bêtes qui n'ont d'autre rapport avec nous que celui de nous fournir de la cire et du miel.

 Dans une intention polémique, les formes de l'éloge peuvent aussi se choisir des cibles moins conventionnelles. Il faudra ainsi savoir reconnaître le caractère particulier de l'éloge paradoxal auquel nous consacrons plus loin une page spéciale.

 

EXERCICE 2 : reconnaître les formes du plaidoyer et du réquisitoire.

 

Commencez par examiner ces deux textes :

Émile Zola : Déclaration au jury

  Traîné devant la justice pour avoir pris la défense d'Alfred Dreyfus en mettant en cause l'armée française (J'accuse a paru dans L'Aurore le 13 janvier 1898), Émile Zola prononce cette déclaration au terme de son procès, le 21 février.

  Vous n'en êtes pas à dire comme beaucoup : « Que nous importe qu'un innocent soit à l'île du Diable ! est-ce que l'intérêt d'un seul vaut la peine de troubler ainsi un grand pays ? » Mais vous vous dites tout de même que notre agitation, à nous les affamés de vérité et de justice, est payée trop chèrement par tout le mal qu'on nous accuse de faire. Et, si vous me condamnez, messieurs, il n'y aura que cela au fond de votre verdict : le désir de calmer les vôtres, le besoin que les affaires reprennent, la croyance qu'en me frappant, vous arrêterez une campagne de revendication nuisible aux intérêts de la France.
  Eh bien ! messieurs, vous vous tromperiez absolument. Veuillez me faire l'honneur de croire que je ne défends pas ici ma liberté. En me frappant, vous ne feriez que me grandir. Qui souffre pour la vérité et la justice devient auguste et sacré. Regardez-moi, messieurs : ai-je mine de vendu, de menteur et de traître ? Pourquoi donc agirais-je ? Je n'ai derrière moi ni ambition politique, ni passion de sectaire. Je suis un libre écrivain, qui a donné sa vie au travail, qui rentrera demain dans le rang et reprendra sa besogne interrompue. Et qu'ils sont donc bêtes ceux qui m'appellent l'italien, moi né d'une mère française, élevé par des grands-parents beaucerons, des paysans de cette forte terre, moi qui ai perdu mon père à sept ans, qui ne suis allé en Italie qu'à cinquante-quatre ans, et pour documenter un livre. Ce qui ne m'empêche pas d'être très fier que mon père soit de Venise, la cité resplendissante dont la gloire ancienne chante dans toutes les mémoires. Et, si même je n'étais pas Français, est-ce que les quarante volumes de langue française que j'ai jetés par millions d'exemplaires dans le monde entier, ne suffiraient pas à faire de moi un Français, utile à la gloire de la France !

 

Victor Hugo : Le dernier jour d'un condamné, préface (1832)

(Vous pouvez prendre connaissance du début de ce texte dans la partie consacrée à la réfutation d'une thèse).

  Mais vous, est-ce bien sérieusement que vous croyez faire un exemple quand vous égorgillez misérablement un pauvre homme dans le recoin le plus désert des boulevards extérieurs ? En Grève, en plein jour, passe encore ; mais à la barrière Saint-Jacques ! mais à huit heures du matin ! Qui est-ce qui passe là ? Qui est-ce qui va là ? Qui est-ce qui sait que vous tuez un homme là ? Qui est-ce qui se doute que vous faites un exemple là ? Un exemple pour qui ? Pour les arbres du boulevard, apparemment. Ne voyez-vous donc pas que vos exécutions publiques se font en tapinois ? Ne voyez-vous donc pas que vous vous cachez ? Que vous avez peur et honte de votre œuvre ? Que vous balbutiez ridiculement votre discite justitiam moniti? Qu'au fond vous êtes ébranlés, interdits, inquiets, peu certains d'avoir raison, gagnés par le doute général, coupant des têtes par routine et sans trop savoir ce que vous faites ? Ne sentez-vous pas au fond du cœur que vous avez tout au moins perdu le sentiment moral et social de la mission de sang que vos prédécesseurs, les vieux parlementaires, accomplissaient avec une conscience si tranquille ? La nuit, ne retournez-vous pas plus souvent qu'eux la tête sur votre oreiller ? D'autres avant vous ont ordonné des exécutions capitales, mais ils s'estimaient dans le droit, dans le juste, dans le bien. Jouvenel des Ursins se croyait un juge; Élie de Thorette se croyait un juge ; Laubardemont, La Reynie et Laffemaseux-mêmes se croyaient des juges; vous, dans votre for intérieur, vous n'êtes pas bien sûrs de ne pas être des assassins.

- posez les questions dont vous avez l'habitude (qui parle ? à qui ? de quoi ?). Vous repérez dans les deux textes une première différence : alors que la première personne du singulier domine le premier texte, elle est absente du second. Pourquoi ? Vous répondrez bien sûr en montrant que le premier est bâti sur la défense, l'autre sur l'attaque. Voici une différence essentielle : le plaidoyer (texte 1) est un discours que l'on prononce en faveur d'une personne ou d'une idée (on parle de plaidoyer pro domo lorsque l'on plaide pour soi-même, ce qui est le cas de Zola); le réquisitoire (texte 2) est un discours dans lequel, au contraire, on accumule des chefs d'accusation.
Montrez les différences des deux textes dans leur manière de s'adresser à l'auditoire.

- quelle est, dans les deux textes, la thèse adverse ? quelle est la thèse soutenue ? Montrez que les auteurs ont tous deux soin de la rappeler et de la présenter de manière à la dévaloriser. Comment ? Dans lequel de ces deux textes néanmoins, le vocabulaire est-il le plus péjoratif ? Pourquoi ?
- Si les émotions que trahit le texte 2 sont plutôt celles de la colère et de l'indignation, il n'en est pas de même du texte 1. Quels sentiments veut faire naître Zola dans son autoportrait ?
- Repérez maintenant dans la forme des deux textes les mêmes effets oratoires : longues phrases, souvent commandées par des oppositions; anaphores ; interrogations oratoires...

  Pour vous aider à récapituler les points communs et les différences présentés par le plaidoyer et le réquisitoire, voici un tableau qui les recense schématiquement :

 

PLAIDOYER

RÉQUISITOIRE

Qui parle ? Nous, je (forte implication de l'émetteur) Nous, je (implication de l'émetteur)
A qui ? Implication de l'auditoire à convaincre Forte implication de l'auditoire à convaincre
De qui,
de quoi ?
D'un sujet considéré comme victime D'un sujet considéré comme coupable
Vocabulaire Mélioratif Péjoratif
Registre Pathétique Polémique
Procédés oratoires Effets pathétiques et déploratifs, longues phrases rythmées Interrogations oratoires, injonctions, exclamations exprimant la colère,
l'indignation ; longues phrases rythmées
Stratégie Appel à la pitié Ironie, appel à la raison

 

 

EXERCICE 3 : écrire.

 Plaidoyers et réquisitoires demandent une utilisation particulièrement talentueuse de la syntaxe, et ce qu'on appelle l'éloquence tient sans doute davantage à ce talent qu'au pouvoir réel de conviction des arguments qu'on emploie.

a - la phrase oratoire

  Vous pourrez dans ces exercices vous inspirer des techniques de la phrase oratoire (qu'on appelle aussi la période) dont le souffle particulier peut être représenté ainsi :

 

 Observez la phrase suivante :
 

  Nous venons, écrivains, peintres, sculpteurs, architectes amateurs passionnés de la beauté, jusqu'ici intacte, de Paris, protester de toutes nos forces, de toute notre indignation, au nom du goût français méconnu, au nom de l'art et de l'histoire français menacés, contre l'érection, en plein cœur de notre capitale, de l'inutile et monstrueuse Tour Eiffel, que la malignité publique, souvent empreinte de bon sens et d'esprit de justice, a déjà baptisée du nom de "Tour de Babel".
(Les artistes contre la Tour Eiffel, Le Temps, 14 février 1887)

  Vous pourriez aisément contracter cette phrase en une formulation équivalente et non oratoire qui dirait : « Nous protestons contre l'érection de la Tour Eiffel » ! Mais il s'agit ici de dramatiser l'énoncé :
- Identifiez les éléments constitutifs de la protase (énumérations, rythmes binaires, expansions du nom) qui constituent des effets dilatoires (retardants) jusqu'à l'acmé. Où situez-vous celle-ci ? Faites la même recherche à propos de l'apodose et montrez comment elle nous amène à la chute finale (la clausule) des mots "Tour de Babel", aux connotations péjoratives (lesquelles ?).

- Même consigne pour la phrase suivante :

  Les combattants frénétiques de la guerre sans merci avaient soudainement vu, en face de tous les forfaits, de tous les attentats, de tous les fanatismes, de l'assassinat, de la vengeance attisant les bûchers, de la mort arrivant une torche à la main, au-dessus de l'énorme légion des crimes, se dresser cette toute-puissance, l'innocence.
Victor Hugo, Quatrevingt-treize, 1873.

- Même consigne pour la phrase suivante, dont vous ferez au préalable une analyse grammaticale :

 Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu'ils se bornèrent à coudre leurs habits avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs, ou quelques grossiers instruments de musique, en un mot, tant qu'ils ne s'appliquèrent qu'à des ouvrages qu'un seul pouvait faire et qu'à des arts qui n'avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu'ils pouvaient l'être par leur nature et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d'un commerce indépendant, mais dès l'instant qu'un homme eut besoin du secours d'un autre, dès qu'on s'aperçut qu'il était utile à un seul d'avoir des provisions pour deux, l'égalité disparut, la propriété s'introduisit, le travail devint nécessaire et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu'il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l'esclavage et la misère germer et croître avec les moissons.
J.J. Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755).

 

b - les modalisations

     Le genre judiciaire, auquel appartiennent plaidoyer et réquisitoire, met en œuvre une modalisation de la certitude. Observez dans le texte suivant les différents procédés par lesquels se manifeste ce pouvoir de conviction : anaphores, exclamations, question rhétorique, évaluatifs péjoratifs.

Émile Zola : J'accuse  (L'Aurore, 13 janvier 1898)

  Je l'ai démontré d'autre part : l'affaire Dreyfus était l'affaire des bureaux de la guerre, un officier de l'état-major, dénoncé par ses camarades de l'état-major, condamné sous la pression des chefs de l'état-major. Encore une fois, il ne peut revenir innocent sans que tout l'état-major soit coupable. Aussi les bureaux, par tous les moyens imaginables, par des campagnes de presse, par des communications, par des influences, n'ont-ils couvert Esterhazy que pour perdre une seconde fois Dreyfus. Quel coup de balai le gouvernement républicain devrait donner dans cette jésuitière, ainsi que les appelle le général Billot lui-même ! Où est-il, le ministère vraiment fort et d'un patriotisme sage, qui osera tout y refondre et tout y renouveler ? Que de gens je connais qui, devant une guerre possible, tremblent d'angoisse, en sachant dans quelles mains est la défense nationale ! Et quel nid de basses intrigues, de commérages et de dilapidations, est devenu cet asile sacré, où se décide le sort de la patrie ! On s'épouvante devant le jour terrible que vient d'y jeter l'affaire Dreyfus, ce sacrifice humain d'un malheureux, d'un « sale juif » ! Ah ! tout ce qui s'est agité là de démence et de sottise, des imaginations folles, des pratiques de basse police, des mœurs d'inquisition et de tyrannie, le bon plaisir de quelques galonnés mettant leurs bottes sur la nation, lui rentrant dans la gorge son cri de vérité et de justice, sous le prétexte menteur et sacrilège de la raison d'État !
  Et c'est un crime encore que de s'être appuyé sur la presse immonde, que de s'être laissé défendre par toute la fripouille de Paris, de sorte que voilà la fripouille qui triomphe insolemment, dans la défaite du droit et de la simple probité. C'est un crime d'avoir accusé de troubler la France ceux qui la veulent généreuse, à la tête des nations libres et justes, lorsqu'on ourdit soi-même l'impudent complot d'imposer l'erreur, devant le monde entier. C'est un crime d'égarer l'opinion, d'utiliser pour une besogne de mort cette opinion qu'on a pervertie jusqu'à la faire délirer. C'est un crime d'empoisonner les petits et les humbles, d'exaspérer les passions de réaction et d'intolérance, en s'abritant derrière l'odieux antisémitisme, dont la grande France libérale des droits de l'homme mourra, si elle n'en est pas guérie. C'est un crime que d'exploiter le patriotisme pour des œuvres de haine, et c'est un crime, enfin, que de faire du sabre le dieu moderne, lorsque toute la science humaine est au travail pour l'œuvre prochaine de vérité et de justice.

  Vous pourrez vous exercer utilement à réinvestir librement ces formes : celles du plaidoyer seront plus facilement guidées par votre émotion et votre sens du pathétique, tandis que la colère et l'indignation vous donneront l'élan nécessaire au réquisitoire.

 

 

   Nous vous proposons de composer un réquisitoire à partir du texte suivant, qui est une transposition "aplatie" d'un passage célèbre de L'Étranger d'Albert Camus : le narrateur, Meursault, rapporte les minutes du procès qui le juge pour meurtre, au cours duquel on a mis aussi en évidence une insensibilité "criminelle". Vous pourrez vous auto-corriger en consultant le texte original (II, ch.4), qui donne une version souvent parodique du réquisitoire de l'avocat général. Vous devrez bien sûr retrouver les formes du discours direct (l'avocat général parle, non Meursault !; il s'adresse aux jurés) et tous les procédés oratoires que nous avons recensés.

  Il avait retracé le fil des événements qui m'avaient, selon lui, conduit à tuer en pleine connaissance de cause. Il y insistait : il ne s'agissait pas d'un assassinat ordinaire, d'un acte irréfléchi qu'on pourrait estimer atténué par les circonstances. J'étais intelligent, on m'avait entendu. Je savais répondre. Je connaissais la valeur des mots. Et l'on ne pouvait pas dire que j'avais agi sans me rendre compte de ce que je faisais.
 
[A ce moment, il s'est tourné vers moi et m'a désigné du doigt en continuant de m'accabler sans qu'en réalité je comprenne bien pourquoi.] Avais-je seulement exprimé des regrets ? Jamais, pas une seule fois au cours de l'instruction je n'avais paru ému de mon abominable attentat.
  Puis il s'est mis à parler de mon âme. Il disait qu'il s'était penché sur elle et qu'il n'avait rien trouvé. Il disait qu'à la vérité, je n'en avais point, d'âme, et que rien d'humain, pas un des principes moraux qui gardent le cœur des hommes ne m'était accessible. Il reconnaissait qu'on ne pouvait me reprocher de manquer de ce que je n'avais jamais su acquérir, mais, devant cette cour, la vertu toute négative de la tolérance devait, selon lui, se muer en celle, plus élevée, de la justice, surtout lorsque le vide du cœur tel qu'on le découvrait chez moi devenait un gouffre où la société tout entière pouvait succomber. [...]
 
[Ici, le procureur a essuyé son visage brillant de sueur.] Il a dit enfin que son devoir était douloureux, mais qu'il l'accomplirait fermement. Il a déclaré que je n'avais rien à faire avec une société dont je méconnaissais les règles les plus essentielles et que je ne pouvais pas en appeler à ce cœur humain dont j'ignorais les réactions élémentaires. Il demandait donc ma tête avec le cœur léger. Car s'il lui était arrivé au cours de sa déjà longue carrière de réclamer des peines capitales, jamais autant qu'aujourd'hui, il n'avait senti ce pénible devoir compensé, balancé, éclairé par la conscience d'un commandement impérieux et sacré et par l'horreur qu'il ressentait devant un visage d'homme où il ne lisait rien que de monstrueux.

  Vous pourrez aussi entreprendre de composer le plaidoyer du même personnage en prenant mieux connaissance des pièces du dossier (lisez donc le roman !). Vous pourrez sans doute y manifester plus de talent que l'avocat de Meursault, qui en manque singulièrement !