MONTAIGNE - Essais - Livre II
Chapitre XII
Apologie de Raimond Sebond.

(extrait)

orthographe non modernisée

 

 

 [A l'origine de cet essai (avant 1568), la traduction qu'a faite Montaigne, à la demande de son père, de La Théologie naturelle de l'humaniste catalan du XV° siècle Raimond Sebond (Ramon Sibiuda). Celui-ci était désireux de prouver la vérité de la religion chrétienne par des arguments irréfutables tirés de l'expérience des créatures et de la nature de l'homme. Lorsqu'il entreprend cette Apologie vers 1573, Montaigne a lu les Moralia de Plutarque, traduites par Amyot, et les Hypotyposes de Sextus Empiricus. Sa pensée est alors marquée par ce scepticisme, qui va l'entraîner dans des directions bien peu parallèles à celles de Sebond : quand ce dernier établit l'homme en souverain de la création, Montaigne accumule en une cascade d'exemples autant de signes évidents de la supériorité morale de l'animal et de l'insuffisance de la raison humaine.]

 

  La presomption est nostre maladie naturelle et originelle. La plus calamiteuse et fragile de toutes les creatures c'est l'homme, et quant et quant, la plus orgueilleuse. Elle se sent et se void logée icy parmy la bourbe et le fient du monde, attachée et cloüée à la pire, plus morte et croupie partie de l'univers, au dernier estage du logis, et le plus esloigné de la voute celeste, avec les animaux de la pire condition des trois : et se va plantant par imagination au dessus du cercle de la Lune, et ramenant le ciel soubs ses pieds. C'est par la vanité de ceste mesme imagination qu'il s'egale à Dieu, qu'il s'attribue les conditions divines, qu'il se trie soy-mesme et separe de la presse des autres creatures, taille les parts aux animaux ses confreres et compagnons, et leur distribue telle portion de facultez et de forces, que bon luy semble. Comment cognoist il par l'effort de son intelligence, les branles internes et secrets des animaux ? par quelle comparaison d'eux à nous conclud il la bestise qu'il leur attribue ?

  Quand je me jouë à ma chatte, qui sçait, si elle passe son temps de moy plus que je ne fay d'elle ? Nous nous entretenons de singeries reciproques. Si j'ay mon heure de commencer ou de refuser, aussi à elle la sienne. Platon en sa peinture de l'aage doré sous Saturne, compte entre les principaux advantages de l'homme de lors, la communication qu'il avoit avec les bestes, desquelles s'enquerant et s'instruisant, il sçavoit les vrayes qualitez, et differences de chacune d'icelles : par où il acqueroit une tres parfaicte intelligence et prudence ; et en conduisoit de bien loing plus heureusement sa vie, que nous ne sçaurions faire. Nous faut il meilleure preuve à juger l'impudence humaine sur le faict des bestes ? Ce grand autheur a opiné qu'en la plus part de la forme corporelle, que nature leur a donné, elle a regardé seulement l'usage des prognostications, qu'on en tiroit en son temps.

  Ce defaut qui empesche la communication d'entre elles et nous, pourquoy n'est il aussi bien à nous qu'à elles ? C'est à deviner à qui est la faute de ne nous entendre point : car nous ne les entendons non plus qu'elles nous. Par ceste mesme raison elles nous peuvent estimer bestes, comme nous les estimons. Ce n'est pas grand merveille, si nous ne les entendons pas, aussi ne faisons nous les Basques et les Troglodytes. Toutesfois aucuns se sont vantez de les entendre, comme Apollonius Thyaneus, Melampus, Tiresias, Thales et autres. Et puis qu'il est ainsi, comme disent les Cosmographes, qu'il y a des nations qui reçoyvent un chien pour leur Roy, il faut bien qu'ils donnent certaine interpretation à sa voix et mouvements. Il nous faut remerquer la parité qui est entre nous : Nous avons quelque moyenne intelligence de leurs sens, aussi ont les bestes des nostres, environ à mesme mesure. Elles nous flattent, nous menassent, et nous requierent; et nous elles.

  Au demeurant nous decouvrons bien evidemment, qu'entre elles il y a une pleine et entiere communication, et qu'elles s'entr'entendent, non seulement celles de mesme espece, mais aussi d'especes diverses :

Et mutæ pecudes, Et denique secla ferarum
Dissimiles suerunt voces variásque cluere
Cum metus aut dolor est, aut cum jam gaudia gliscunt
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  En certain abboyer du chien le cheval cognoist qu'il y a de la colere : de certaine autre sienne voix, il ne s'effraye point. Aux bestes mesmes qui n'ont pas de voix, par la societé d'offices, que nous voyons entre elles, nous argumentons aisément quelque autre moyen de communication : leurs mouvemens discourent et traictent.

Non alia longè ratione atque ipsa videtur
Protrahere ad gestum pueros infantia linguæ.
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pourquoy non, tout aussi bien que nos muets disputent, argumentent, et content des histoires par signes ? J'en ay veu de si souples et formez à cela, qu'à la verité, il ne leur manquoit rien à la perfection de se sçavoir faire entendre. Les amoureux se courroussent, se reconcilient, se prient, se remercient, s'assignent, et disent en fin toutes choses des yeux.

E'l silentio ancor suole
Haver prieghi e parole
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  Quoy des mains ? nous requerons, nous promettons, appellons, congedions, menaçons, prions, supplions, nions, refusons, interrogeons, admirons, nombrons, confessons, repentons, craignons, vergoignons, doubtons, instruisons, commandons, incitons, encourageons, jurons, tesmoignons, accusons, condamnons, absolvons, injurions, mesprisons, deffions, despittons, flattons, applaudissons, benissons, humilions, moquons, reconcilions, recommandons, exaltons, festoyons, resjouïssons, complaignons, attristons, desconfortons, desesperons, estonnons, escrions, taisons : et quoy non ? d'une variation et multiplication à l'envy de la langue. De la teste nous convions, renvoyons, advoüons, desadvoüons, desmentons, bienveignons, honorons, venerons, dedaignons, demandons, esconduisons, egayons, lamentons, caressons, tansons, soubsmettons, bravons, enhortons, menaçons, asseurons, enquerons. Quoy des sourcils ? Quoy des espaules ? Il n'est mouvement, qui ne parle, et un langage intelligible sans discipline, et un langage publique. Qui fait, voyant la varieté et usage distingué des autres, que cestuy-cy doibt plustost estre jugé le propre de l'humaine nature. Je laisse à part ce que particulierement la necessité en apprend soudain à ceux qui en ont besoing; et les alphabets des doigts, et grammaires en gestes; et les sciences qui ne s'exercent et ne s'expriment que par iceux. Et les nations que Pline dit n'avoir point d'autre langue.

  Un Ambassadeur de la ville d'Abdere, apres avoir longuement parlé au Roy Agis de Sparte, luy demanda : « Et bien, Sire, quelle responce veux-tu que je rapporte à nos citoyens ? - Que je t'ay laissé dire tout ce que tu as voulu, et tant que tu as voulu, sans jamais dire mot.» Voila pas un taire parlier et bien intelligible ?

  Au reste, qu'elle sorte de nostre suffisance ne recognoissons nous aux operations des animaux ? est-il police reglée avec plus d'ordre, diversifiée à plus de charges et d'offices, et plus constamment entretenuë, que celle des mouches à miel ? Ceste disposition d'actions et de vacations si ordonnée, la pouvons nous imaginer se conduire sans discours et sans prudence ?

His quidam signis atque hæc exempla sequuti,
Esse apibus partem divinæ mentis, et haustus
Æthereos dixere
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  Les arondelles que nous voyons au retour du printemps fureter tous les coins de nos maisons, cherchent elles sans jugement, et choisissent elles sans discretion de mille places, celle qui leur est la plus commode à se loger ? Et en ceste belle et admirable contexture de leurs bastimens, les oiseaux peuvent ils se servir plustost d'une figure quarrée, que de la ronde, d'un angle obtus, que d'un angle droit, sans en sçavoir les conditions et les effects ? Prennent-ils tantost de l'eau, tantost de l'argile, sans juger que la dureté s'amollit en l'humectant ? Planchent-ils de mousse leur palais, ou de duvet, sans prevoir que les membres tendres de leurs petits y seront plus mollement et plus à l'aise ? Se couvrent-ils du vent pluvieux, et plantent leur loge à l'Orient, sans cognoistre les conditions differentes de ces vents, et considerer que l'un leur est plus salutaire que l'autre ? Pourquoy espessit l'araignée sa toile en un endroit, et relasche en un autre ? se sert à ceste heure de ceste sorte de neud, tantost de celle-là, si elle n'a et deliberation, et pensement, et conclusion ? Nous recognoissons assez en la pluspart de leurs ouvrages, combien les animaux ont d'excellence au dessus de nous, et combien nostre art est foible à les imiter. Nous voyons toutesfois aux nostres plus grossiers, les facultez que nous y employons, et que nostre ame s'y sert de toutes ses forces : pourquoy n'en estimons nous autant d'eux ? Pourquoy attribuons nous à je ne sçay quelle inclination naturelle et servile, les ouvrages qui surpassent tout ce que nous pouvons par nature et par art ? En quoy sans y penser nous leur donnons un tres-grand avantage sur nous, de faire que nature par une douceur maternelle les accompaigne et guide, comme par la main à toutes les actions et commoditez de leur vie, et qu'à nous elle nous abandonne au hazard et à la fortune, et à quester par art, les choses necessaires à nostre conservation ; et nous refuse quant et quant les moyens de pouvoir arriver par aucune institution et contention d'esprit, à la suffisance naturelle des bestes : de maniere que leur stupidité brutale surpasse en toutes commoditez, tout ce que peult nostre divine intelligence.

  Vrayement à ce compte nous aurions bien raison de l'appeller une tres-injuste marastre : Mais il n'en est rien, nostre police n'est pas si difforme et desreglée. Nature a embrassé universellement toutes ses creatures : et n'en est aucune, qu'elle n'ait bien plainement fourny de tous moyens necessaires à la conservation de son estre. Car ces plaintes vulgaires que j'oy faire aux hommes (comme la licence de leurs opinions les esleve tantost au dessus des nuës, et puis les ravale aux Antipodes) que nous sommes le seul animal abandonné, nud sur la terre nuë, lié, garrotté, n'ayant dequoy s'armer et couvrir que de la despouïlle d'autruy : là où toutes les autres creatures, nature les a revestuës de coquilles, de gousses, d'escorse, de poil, de laine, de pointes, de cuir, de bourre, de plume, d'escaille, de toison, et de soye selon le besoin de leur estre; les a armées de griffes, de dents, de cornes, pour assaillir et pour defendre, et les a elles mesmes instruites à ce qui leur est propre, à nager, à courir, à voler, à chanter : là où l'homme ne sçait ny cheminer, ny parler, ny manger, ny rien que pleurer sans apprentissage.

[...]

  Je dy donc, pour revenir à mon propos, qu'il n'y a point d'apparence d'estimer, que les bestes facent par inclination naturelle et forcée, les mesmes choses que nous faisons par nostre choix et industrie. Nous devons conclurre de pareils effects, pareilles facultez, et de plus riches effects des facultez plus riches; et confesser par consequent, que ce mesme discours, cette mesme voye, que nous tenons à oeuvrer, aussi la tiennent les animaux, ou quelque autre meilleure. Pourquoy imaginons nous en eux cette contrainte naturelle, nous qui n'en esprouvons aucun pareil effect ? Joint qu'il est plus honorable d'estre acheminé et obligé à reglément agir par naturelle et inevitable condition, et plus approchant de la divinité, que d'agir reglément par liberté temeraire et fortuite ; et plus seur de laisser à nature, qu'à nous les resnes de nostre conduitte. La vanité de nostre presomption faict, que nous aymons mieux devoir à noz forces, qu'à sa liberalité, nostre suffisance : et enrichissons les autres animaux des biens naturels, et les leur renonçons, pour nous honorer et annoblir des biens acquis; par une humeur bien simple, ce me semble : car je priseroy bien autant des graces toutes miennes et naïfves, que celles que j'aurois esté mendier et quester de l'apprentissage. Il n'est pas en nostre puissance d'acquerir une plus belle recommendation que d'estre favorisé de Dieu et de nature.

  Par ainsi le renard, dequoy se servent les habitans de la Thrace, quand ils veulent entreprendre de passer par dessus la glace de quelque riviere gelée, et le laschent devant eux pour cet effect, quand nous le verrions au bord de l'eau approcher son oreille bien pres de la glace, pour sentir s'il orra d'une longue ou d'une voisine distance, bruire l'eau courant au dessoubs, et selon qu'il trouve par là, qu'il y a plus ou moins d'espesseur en la glace, se reculer, ou s'avancer, n'aurions nous pas raison de juger qu'il luy passe par la teste ce mesme discours, qu'il feroit en la nostre : et que c'est une ratiocination et consequence tirée du sens naturel. Ce qui fait bruit, se remue; ce qui se remue, n'est pas gelé ; ce qui n'est pas gelé est liquide, et ce qui est liquide plie soubs le faix. Car d'attribuer cela seulement à une vivacité du sens de l'ouye, sans discours et sans consequence, c'est une chimere, et ne peut entrer en nostre imagination. De mesme faut-il estimer de tant de sortes de ruses et d'inventions, de quoy les bestes se couvrent des entreprises que nous faisons sur elles.

  Et si nous voulons prendre quelque advantage de cela mesme, qu'il est en nous de les saisir, de nous en servir, et d'en user à nostre volonté, ce n'est que ce mesme advantage, que nous avons les uns sur les autres. Nous avons à cette condition noz esclaves, et les Climacides estoient ce pas des femmes en Syrie qui servoyent couchées à quatre pattes, de marchepied et d'eschelle aux dames à monter en coche ? Et la plus part des personnes libres, abandonnent pour bien legeres commoditez, leur vie, et leur estre à la puissance d'autruy. Les femmes et concubines des Thraces plaident à qui sera choisie pour estre tuée au tumbeau de son mary. Les tyrans ont-ils jamais failly de trouver assez d'hommes vouez à leur devotion : aucuns d'eux adjoustans d'avantage cette necessité de les accompagner à la mort, comme en la vie ?

  Des armées entieres se sont ainsin obligées à leurs Capitaines. Le formule du serment en cette rude escole des escrimeurs à outrance, portoit ces promesses : Nous jurons de nous laisser enchainer, brusler, battre, et tuer de glaive, et souffrir tout ce que les gladiateurs legitimes souffrent de leur maistre ; engageant tresreligieusement et le corps et l'ame à son service :

Ure meum si vis flamma caput, et pete ferro
Corpus, et intorto verbere terga seca
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  C'estoit une obligation veritable, et si il s'en trouvoit dix mille telle année, qui y entroyent et s'y perdoyent.

  Quand les Scythes enterroyent leur Roy, ils estrangloyent sur son corps, la plus favorie de ses concubines, son eschanson, escuyer d'escuirie, chambellan, huissier de chambre et cuisinier. Et en son anniversaire ils tuoyent cinquante chevaux montez de cinquante pages, qu'ils avoyent empalé par l'espine du dos jusques au gozier, et les laissoyent ainsi plantez en parade autour de la tombe.

  Les hommes qui nous servent, le font à meilleur marché, et pour un traictement moins curieux et moins favorable, que celuy que nous faisons aux oyseaux, aux chevaux, et aux chiens.

  A quel soucy ne nous demettons nous pour leur commodité ? Il ne me semble point, que les plus abjects serviteurs façent volontiers pour leurs maistres, ce que les Princes s'honorent de faire pour ces bestes.

  Diogenes voyant ses parents en peine de le rachetter de servitude : Ils sont fols, disoit-il, c'est celuy qui me traitte et nourrit, qui me sert; et ceux qui entretiennent les bestes, se doivent dire plustost les servir, qu'en estre servis.

  Et si elles ont cela de plus genereux, que jamais Lyon ne s'asservit à un autre Lyon, ny un cheval à un autre cheval par faute de coeur. Comme nous allons à la chasse des bestes, ainsi vont les Tigres et les Lyons à la chasse des hommes : et ont un pareil exercice les unes sur les autres : les chiens sur les lievres, les brochets sur les tanches, les arondeles sur les cigales, les esperviers sur les merles et sur les allouettes :

serpente ciconia pullos
Nutrit, et inventa per devia rura lacerta,
Et leporem aut capream famulæ Jovis, et generosæ
In saltu venantur aves
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  Nous partons le fruict de nostre chasse avec noz chiens et oyseaux, comme la peine et l'industrie. Et au dessus d'Amphipolis en Thrace, les chasseurs et les faucons sauvages, partent justement le butin par moitié : comme le long des palus Mæotides, si le pescheur ne laisse aux loups de bonne foy, une part esgale de sa prise, ils vont incontinent deschirer ses rets.

  Et comme nous avons une chasse, qui se conduit plus par subtilité, que par force, comme celle des colliers de noz lignes et de l'hameçon, il s'en void aussi de pareilles entre les bestes. Aristote dit, que la Seche jette de son col un boyau long comme une ligne, qu'elle estand au loing en le laschant, et le retire à soy quand elle veut; à mesure qu'elle apperçoit quelque petit poisson s'approcher, elle luy laisse mordre le bout de ce boyau, estant cachée dans le sable, ou dans la vase, et petit à petit le retire jusques à ce que ce petit poisson soit si prés d'elle, que d'un sault elle puisse l'attraper.

  Quant à la force, il n'est animal au monde en butte de tant d'offences, que l'homme; il ne nous faut point une balaine, un elephant, et un crocodile, ny tels autres animaux, desquels un seul est capable de deffaire un grand nombre d'hommes; les poulx sont suffisans pour faire vacquer la dictature de Sylla; c'est le desjeuner d'un petit ver, que le coeur et la vie d'un grand et triumphant Empereur.

  Pourquoy disons nous, que c'est à l'homme science et cognoissance, bastie par art et par discours, de discerner les choses utiles à son vivre, et au secours de ses maladies, de celles qui ne le sont pas, de cognoistre la force de la rubarbe et du polypode ; et quand nous voyons les chevres de Candie, si elles ont receu un coup de traict, aller entre un million d'herbes choisir le dictame pour leur guerison, et la tortue quand elle a mangé de la vipere, chercher incontinent de l'origanum pour se purger, le dragon fourbir et esclairer ses yeux avecques du fenoil, les cigongnes se donner elles mesmes des clysteres à tout de l'eau de marine, les elephans arracher non seulement de leur corps et de leurs compagnons, mais des corps aussi de leurs maistres (tesmoin celuy du Roy Porus qu'Alexandre deffit) les javelots et les dardz qu'on leur a ettez au combat, et les arracher si dextrement, que nous ne le sçaurions faire iavec si peu de douleur : pourquoy ne disons nous de mesmes, que c'est science et prudence ? Car d'alleguer, pour les deprimer, que c'est par la seule instruction et maistrise de nature, qu'elles le sçavent, ce n'est pas leur oster le tiltre de science et de prudence : c'est la leur attribuer à plus forte raison qu'à nous, pour l'honneur d'une si certaine maistresse d'escole.

  Chrysippus, bien qu'en toutes autres choses autant desdaigneux juge de la condition des animaux, que nul autre Philosophe, considerant les mouvements du chien, qui se rencontrant en un carrefour à trois chemins, ou à la queste de son maistre qu'il a esgaré, ou à la poursuitte de quelque proye qui fuit devant luy, va essayant un chemin apres l'autre, et apres s'estre asseuré des deux, et n'y avoir trouvé la trace de ce qu'il cherche, s'eslance dans le troisiesme sans marchander : il est contraint de confesser, qu'en ce chien là, un tel discours se passe. J'ay suivy jusques à ce carre-four mon maistre à la trace, il faut necessairement qu'il passe par l'un de ces trois chemins; ce n'est ny par cettuy-cy, ny par celuy-là, il faut donc infailliblement qu'il passe par cet autre. Et que s'asseurant par cette conclusion et discours, il ne se sert plus de son sentiment au troisiesme chemin, ny ne le sonde plus, ains s'y laisse emporter par la force de la raison. Ce traict purement dialecticien, et cet usage de propositions divisées et conjoinctes, et de la suffisante enumeration des parties, vaut-il pas autant que le chien le sçache de soy que de Trapezonce ?

  Si ne sont pas les bestes incapables d'estre encore instruites à nostre mode. Les merles, les corbeaux, les pies, les perroquets, nous leur apprenons à parler : et cette facilité, que nous recognoissons à nous fournir leur voix et haleine si souple et si maniable, pour la former et l'astreindre à certain nombre de lettres et de syllabes, tesmoigne qu'ils ont un discours au dedans, qui les rend ainsi disciplinables et volontaires à apprendre. Chacun est saoul, ce croy-je, de voir tant de sortes de cingeries que les batteleurs apprennent à leurs chiens : les dances, où ils ne faillent une seule cadence du son qu'ils oyent ; plusieurs divers mouvemens et saults qu'ils leur font faire par le commandement de leur parolle : mais je remerque avec plus d'admiration cet effect, qui est toutes-fois assez vulgaire, des chiens dequoy se servent les aveugles, et aux champs et aux villes : je me suis pris garde comme ils s'arrestent à certaines portes, d'où ils ont accoustumé de tirer l'aumosne, comme ils evitent le choc des coches et des charrettes, lors mesme que pour leur regard, ils ont assez de place pour leur passage : j'en ay veu le long d'un fossé de ville, laisser un sentier plain et uni, et en prendre un pire, pour esloigner son maistre du fossé. Comment pouvoit-on avoir faict concevoir à ce chien, que c'estoit sa charge de regarder seulement à la seureté de son maistre, et mespriser ses propres commoditez pour le servir ? et comment avoit-il la cognoissance que tel chemin luy estoit bien assez large, qui ne le seroit pas pour un aveugle ? Tout cela se peut-il comprendre sans ratiocination ?

  Il ne faut pas oublier ce que Plutarque dit avoir veu à Rome d'un chien, avec l'Empereur Vespasian le pere au Theatre de Marcellus. Ce chien servoit à un batteleur qui joüoit une fiction à plusieurs mines et à plusieurs personnages, et y avoit son rolle. Il falloit entre autres choses qu'il contrefist pour un temps le mort, pour avoir mangé de certaine drogue; apres avoir avallé le pain qu'on feignoit estre cette drogue, il commença tantost à trembler et branler, comme s'il eust esté estourdy : finalement s'estendant et se roidissant, comme mort, il se laissa tirer et trainer d'un lieu à autre, ainsi que portoit le subject du jeu, et puis quand il cogneut qu'il estoit temps, il commença premierement à se remuer tout bellement, ainsi que s'il se fust revenu d'un profond sommeil, et levant la teste regarda çà et là d'une façon qui estonnoit tous les assistans.

  Les boeufs qui servoyent aux jardins Royaux de Suse, pour les arrouser et tourner certaines grandes rouës à puiser de l'eau, ausquelles il y a des baquets attachez (comme il s'en voit plusieurs en Languedoc) on leur avoit ordonné d'en tirer par jour jusques à cent tours chacun, ils estoient si accoustumez à ce nombre, qu'il estoit impossible par aucune force de leur en faire tirer un tour davantage, et ayans faict leur tasche ils s'arrestoient tout court. Nous sommes en l'adolescence avant que nous sçachions compter jusques à cent, et venons de descouvrir des nations qui n'ont aucune cognoissance des nombres.

  Il y a encore plus de discours à instruire autruy qu'à estre instruit. Or laissant à part ce que Democritus jugeoit et prouvoit, que la plus part des arts, les bestes nous les ont apprises. Comme l'araignée à tistre et à coudre, l'arondelle à bastir, le cigne et le rossignol la musique, et plusieurs animaux par leur imitation à faire la medecine. Aristote tient que les rossignols instruisent leurs petits à chanter, et y employent du temps et du soing : d'où il advient que ceux que nous nourrissons en cage, qui n'ont point eu loisir d'aller à l'escole soubs leurs parens, perdent beaucoup de la grace de leur chant. Nous pouvons juger par là, qu'il reçoit de l'amendement par discipline et par estude. Et entre les libres mesme, il n'est pas ung et pareil ; chacun en a pris selon sa capacité. Et sur la jalousie de leur apprentissage, ils se debattent à l'envy, d'une contention si courageuse, que par fois le vaincu y demeure mort, l'aleine luy faillant plustost que la voix. Les plus jeunes ruminent pensifs, et prennent à imiter certains couplets de chanson; le disciple escoute la leçon de son precepteur, et en rend compte avec grand soing : ils se taisent l'un tantost, tantost l'autre; on oyt corriger les fautes, et sent-on aucunes reprehensions du precepteur. J'ay veu (dit Arrius) autresfois un elephant ayant à chacune cuisse un cymbale pendu, et un autre attaché à sa trompe, au son desquels tous les autres dançoyent en rond, s'eslevans et s'inclinans à certaines cadences, selon que l'instrument les guidoit, et y avoit plaisir à ouyr cette harmonie. Aux spectacles de Rome, il se voyoit ordinairement des Elephans dressez à se mouvoir et dancer au son de la voix, des dances à plusieurs entrelasseures, coupeures et diverses cadances tres-difficiles à apprendre. Il s'en est veu, qui en leur privé rememoroient leur leçon, et s'exerçoyent par soing et par estude pour n'estre tancez et battuz de leurs maistres.

  Mais cett'autre histoire de la pie, de laquelle nous avons Plutarque mesme pour respondant, est estrange. Elle estoit en la boutique d'un barbier à Rome, et faisoit merveilles de contrefaire avec la voix tout ce qu'elle oyoit. Un jour il advint que certaines trompettes s'arresterent à sonner long temps devant cette boutique : depuis cela et tout le lendemain, voyla ceste pie pensive, muette et melancholique; dequoy tout le monde estoit esmerveillé, et pensoit-on que le son des trompettes l'eust ainsin estourdie et estonnée; et qu'avec l'ouye, la voix se fust quant et quant esteinte. Mais on trouva en fin, que c'estoit une estude profonde, et une retraicte en soy-mesmes, son esprit s'exercitant et preparant sa voix, à representer le son de ces trompettes : de maniere que sa premiere voix ce fut celle là, d'exprimer parfaictement leurs reprises, leurs poses, et leurs muances; ayant quicté par ce nouvel apprentissage, et pris à desdain tout ce qu'elle sçavoit dire auparavant.

  Je ne veux pas obmettre d'alleguer aussi cet autre exemple d'un chien, que ce mesme Plutarque dit avoir veu (car quant à l'ordre, je sens bien que je le trouble, mais je n'en observe non plus à renger ces exemples, qu'au reste de toute ma besongne) luy estant dans un navire, ce chien estant en peine d'avoir l'huyle qui estoit dans le fond d'une cruche, où il ne pouvoit arriver de la langue, pour l'estroite emboucheure du vaisseau, alla querir des cailloux, et en mit dans cette cruche jusques à ce qu'il eust faict hausser l'huyle plus pres du bord, où il la peust atteindre. Cela qu'est-ce, si ce n'est l'effect d'un esprit bien subtil ? On dit que les corbeaux de Barbarie en font de mesme, quand l'eau qu'ils veulent boire est trop basse.

  Cette action est aucunement voisine de ce que recitoit des Elephans, un Roy de leur nation, Juba; que quand par la finesse de ceux qui les chassent, l'un d'entre eux se trouve pris dans certaines fosses profondes qu'on leur prepare, et les recouvre lon de menues brossailles pour les tromper, ses compagnons y apportent en diligence force pierres, et pieces de bois, afin que cela l'ayde à s'en mettre hors. Mais cet animal rapporte en tant d'autres effects à l'humaine suffisance, que si je vouloy suivre par le menu ce que l'experience en a appris, je gaignerois aisément ce que je maintiens ordinairement, qu'il se trouve plus de difference de tel homme à tel homme, que de tel animal à tel homme. Le gouverneur d'un elephant en une maison privée de Syrie, desroboit à tous les repas, la moitié de la pension qu'on luy avoit ordonnée : un jour le maistre voulut luy-mesme le penser, versa dans sa mangeoire la juste mesure d'orge, qu'il luy avoit prescrite, pour sa nourriture : l'elephant regardant de mauvais oeil ce gouverneur, separa avec la trompe, et en mit à part la moitié, declarant par là le tort qu'on luy faisoit. Et un autre, ayant un gouverneur qui mesloit dans sa mangeaille des pierres pour en croistre la mesure, s'approcha du pot où il faisoit cuyre sa chair pour son disner, et le luy remplit de cendre. Cela ce sont des effects particuliers : mais ce que tout le monde a veu, et que tout le monde sçait, qu'en toutes les armées qui se conduisoyent du pays de Levant, l'une des plus grandes forces consistoit aux elephans, desquels on tiroit des effects sans comparaison plus grands que nous ne faisons à present de nostre artillerie, qui tient à peu pres leur place en une battaille ordonnée (cela est aisé à juger à ceux qui cognoissent les histoires anciennes)

siquidem Tyrio servire solebant
Annibali, et nostris ducibus, regique Molosso
Horum majores, Et dorso ferre cohortes,
Partem aliquam belli, et euntem in prælia turmam
.7

  Il falloit bien qu'on se respondist à bon escient de la creance de ces bestes et de leur discours, leur abandonnant la teste d'une battaille; là où le moindre arrest qu'elles eussent sçeu faire, pour la grandeur et pesanteur de leur corps, le moiudre effroy qui leur eust faict tourner la teste sur leurs gens, estoit suffisant pour tout perdre. Et s'est veu peu d'exemples, où cela soit advenu, qu'ils se rejectassent sur leurs trouppes, au lieu que nous mesmes nous rejectons les uns sur les autres, et nous rompons. On leur donnoit charge non d'un mouvement simple, mais de plusieurs diverses parties au combat : comme faisoient aux chiens les Espagnols à la nouvelle conqueste des Indes ; ausquels ils payoient solde, et faisoient partage au butin. Et montroient ces animaux, autant d'addresse et de jugement à poursuivre et arrester leur victoire, à charger ou à reculer, selon les occasions, à distinguer les amis des ennemis, comme ils faisoient d'ardeur et d'aspreté.

  Nous admirons et poisons mieux les choses estrangeres que les ordinaires : et sans cela je ne me fusse pas amusé à ce long registre. Car selon mon opinion, qui contrerollera de pres ce que nous voyons ordinairement es animaux, qui vivent parmy nous, il y a dequoy y trouver des effects autant admirables, que ceux qu'on va recueillant és pays et siecles estrangers. C'est une mesme nature qui roule son cours. Qui en auroit suffisamment jugé le present estat, en pourroit seurement conclurre et tout l'advenir et tout le passé. J'ay veu autresfois parmy nous, des hommes amenez par mer de loingtain pays, desquels par ce que nous n'entendions aucunement le langage, et que leur façon au demeurant et leur contenance, et leurs vestemens, estoient du tout esloignez des nostres, qui de nous ne les estimoit et sauvages et brutes ? qui n'attribuoit à stupidité et à bestise, de les voir muets, ignorans la langue Françoise, ignorans nos baise-mains, et nos inclinations serpentées ; nostre port et nostre maintien, sur lequel sans faillir, doit prendre son patron la nature humaine ?

 Tout ce qui nous semble estrange, nous le condamnons, et ce que nous n'entendons pas. Il nous advient ainsin au jugement que nous faisons des bestes. Elles ont plusieurs conditions, qui se rapportent aux nostres : de celles-là par comparaison nous pouvons tirer quelque conjecture : mais de ce qu'elles ont particulier, que sçavons nous que c'est ? Les chevaux, les chiens, les boeufs, les brebis, les oyseaux, et la pluspart des animaux, qui vivent avec nous, recognoissent nostre voix, et se laissent conduire par elle; si faisoit bien encore la murene de Crassus, et venoit à luy quand il l'appelloit; et le font aussi les anguilles, qui se trouvent en la fontaine d'Arethuse; et j'ay veu des gardoirs assez, où les poissons accourent, pour manger, à certain cry de ceux qui les traictent ;

nomen habent, Et ad magistri
Vocem quisque sui venit citatus
.8

  Nous pouvons juger de cela. Nous pouvons aussi dire, que les elephans ont quelque participation de religion, d'autant qu'apres plusieurs ablutions et purifications, on les voit haussans leur trompe, comme des bras; et tenans les yeux fichez vers le Soleil levant, se planter long temps en meditation et contemplation, à certaines heures du jour ; de leur propre inclination, sans instruction et sans precepte. Mais pour ne voir aucune telle apparence és autres animaux, nous ne pouvons pourtant establir qu'ils soient sans religion, et ne pouvons prendre en aucune part ce qui nous est caché. Comme nous voyons quelque chose en cette action que le philosophe Cleanthes remerqua, par ce qu'elle retire aux nostres : « Il vid, dit-il, des fourmis partir de leur fourmiliere, portans le corps d'un fourmis mort, vers une autre fourmiliere, de laquelle plusieurs autres fourmis leur vindrent au devant, comme pour parler à eux, et apres avoir esté ensemble quelque piece, ceux-cy s'en retournerent, pour consulter, pensez, avec leurs concitoyens, et firent ainsi deux ou trois voyages pour la difficulté de la capitulation. En fin ces derniers venus, apporterent aux premiers un ver de leur taniere, comme pour la rançon du mort, lequel ver les premiers chargerent sur leur dos, et emporterent chez eux, laissans aux autres le corps du trespassé.» Voila l'interpretation que Cleanthes y donna, tesmoignant par là que celles qui n'ont point de voix, ne laissent pas d'avoir pratique et communication mutuelle ; de laquelle c'est nostre deffaut que nous ne soyons participans ; et nous meslons à cette cause sottement d'en opiner.

  Or elles produisent encores d'autres effects, qui surpassent de bien loing nostre capacité, ausquels il s'en faut tant que nous puissions arriver par imitation, que par imagination mesme nous ne les pouvons concevoir. Plusieurs tiennent qu'en cette grande et derniere battaille navale qu'Antonius perdit contre Auguste, sa galere capitainesse fut arrestée au milieu de sa course, par ce petit poisson, que les Latins nomment remora, à cause de cette sienne proprieté d'arrester toute sorte de vaisseaux, ausquels il s'attache. Et l'Empereur Caligula vogant avec une grande flotte en la coste de la Romanie, sa seule galere fut arrestée tout court, par ce mesme poisson ; lequel il fit prendre attaché comme il estoit au bas de son vaisseau, tout despit dequoy un si petit animal pouvoit forcer et la mer et les vents, et la violence de tous ses avirons, pour estre seulement attaché par le bec à sa galere (car c'est un poisson à coquille) et s'estonna encore non sans grande raison, de ce que luy estant apporté dans le batteau, il n'avoit plus cette force, qu'il avoit au dehors.

  Un citoyen de Cyzique acquit jadis reputation de bon Mathematicien, pour avoir appris la condition de l'herisson. Il a sa taniere ouverte à divers endroits et à divers vents ; et prevoyant le vent advenir, il va boucher le trou du costé de ce vent-là ; ce que remerquant ce citoyen, apportoit en sa ville certaines predictions du vent, qui avoit à tirer. Le cameleon prend la couleur du lieu, où il est assis; mais le poulpe se donne luy-mesme la couleur qu'il luy plaist, selon les occasions, pour se cacher de ce qu'il craint, et attrapper ce qu'il cherche. Au cameleon c'est changement de passion, mais au poulpe c'est changement d'action. Nous avons quelques mutations de couleur, à la frayeur, la cholere, la honte, et autres passions, qui alterent le teint de nostre visage : mais c'est par l'effect de la souffrance, comme au cameleon. Il est bien en la jaunisse de nous faire jaunir, mais il n'est pas en la disposition de nostre volonté. Or ces effects que nous recognoissons aux autres animaux, plus grands que les nostres, tesmoignent en eux quelque faculté plus excellente, qui nous est occulte ; comme il est vray-semblable que sont plusieurs autres de leurs conditions et puissances, desquelles nulles apparances ne viennent jusques à nous.

  De toutes les predictions du temps passé, les plus anciennes et plus certaines estoyent celles qui se tiroient du vol des oyseaux. Nous n'avons rien de pareil ny de si admirable. Cette regle, cet ordre du bransler de leur aisle, par lequel on tire des consequences des choses à venir, il faut bien qu'il soit conduit par quelque excellent moyen à une si noble operation ; car c'est prester à la lettre, d'aller attribuant ce grand effect, à quelque ordonnance naturelle, sans l'intelligence, consentement, et discours, de qui le produit; et est une opinion evidemment faulse. Qu'il soit ainsi. La torpille a cette condition, non seulement d'endormir les membres qui la touchent, mais au travers des filets, et de la sceme, elle transmet une pesanteur endormie aux mains de ceux qui la remuent et manient; voire dit-on d'avantage, que si on verse de l'eau dessus, on sent cette passion qui gaigne contremont jusques à la main, et endort l'attouchement au travers de l'eau. Cette force est merveilleuse : mais elle n'est pas inutile à la torpille : elle la sent et s'en sert ; de maniere que pour attraper la proye qu'elle queste, on la void se tapir soubs le limon, afin que les autres poissons se coulans par dessus, frappez et endormis de cette sienne froideur, tombent en sa puissance. Les gruës, les arondeles, et autres oyseaux passagers, changeans de demeure selon les saisons de l'an, montrent assez la cognoissance qu'elles ont de leur faculté divinatrice, et la mettent en usage. Les chasseurs nous asseurent, que pour choisir d'un nombre de petits chiens, celuy qu'on doit conserver pour le meilleur, il ne faut que mettre la mere au propre de le choisir elle mesme; comme si on les emporte hors de leur giste, le premier qu'elle y rapportera, sera tousjours le meilleur : ou bien si on fait semblant d'entourner de feu le giste, de toutes parts, celuy des petits, au secours duquel elle courra premierement. Par où il appert qu'elles ont un usage de prognostique que nous n'avons pas : ou qu'elles ont quelque vertu à juger de leurs petits, autre et plus vive que la nostre.

  La maniere de naistre, d'engendrer, nourrir, agir, mouvoir, vivre et mourir des bestes, estant si voisine de la nostre, tout ce que nous retranchons de leurs causes motrices, et que nous adjoustons à nostre condition au dessus de la leur, cela ne peut aucunement partir du discours de nostre raison. Pour reglement de nostre santé, les medecins nous proposent l'exemple du vivre des bestes, et leur façon; car ce mot est de tout temps en la bouche du peuple :

Tenez chaults les pieds et la teste,
Au demeurant vivez en beste
.

  La generation est la principale des actions naturelles; nous avons quelque disposition de membres, qui nous est plus propre à cela; toutesfois ils nous ordonnent de nous ranger à l'assiette et disposition brutale, comme plus effectuelle :

more ferarum,
Quadrupedúmque magis ritu, plerumque putantur
Concipere uxores : quia sic loca sumere possunt,
Pectoribus positis, sublatis semina lumbis
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  Et rejettent comme nuisibles ces mouvements indiscrets, et insolents, que les femmes y ont meslé de leur creu; les ramenant à l'exemple et usage des bestes de leur sexe, plus modeste et rassis.

Nam mulier prohibet se concipere atque repugnat,
Clunibus ipsa viri venerem si læta retractet,
Atque exossato ciet omni pectore fluctus.
Ejicit enim sulci recta regione viaque
Vomerem, atque locis avertit seminis ictum
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  Si c'est justice de rendre à chacun ce qui luy est deu, les bestes qui servent, ayment et deffendent leurs bien-faicteurs, et qui poursuyvent et outragent les estrangers et ceux qui les offencent, elles representent en cela quelque air de nostre justice : comme aussi en conservant une equalité tres-equitable en la dispensation de leurs biens à leurs petits. Quant à l'amitié, elles l'ont sans comparaison plus vive et plus constante, que n'ont pas les hommes. Hyrcanus le chien du Roy Lysimachus, son maistre mort, demeura obstiné sus son lict, sans vouloir boire ne manger; et le jour qu'on en brusla le corps, il print sa course, et se jetta dans le feu, où il fut bruslé. Comme fit aussi le chien d'un nommé Pyrrhus; car il ne bougea de dessus le lict de son maistre, depuis qu'il fut mort : et quand on l'emporta, il se laissa enlever quant et luy, et finalement se lança dans le buscher où on brusloit le corps de son maistre. Il y a certaines inclinations d'affection, qui naissent quelquefois en nous, sans le conseil de la raison, qui viennent d'une temerité fortuite, que d'autres nomment sympathie; les bestes en sont capables comme nous. Nous voyons les chevaux prendre certaine accointance des uns aux autres, jusques à nous mettre en peine pour les faire vivre ou voyager separément. On les void appliquer leur affection à certain poil de leurs compagnons, comme à certain visage : et où ils le rencontrent, s'y joindre incontinent avec feste et demonstration de bien-vueillance ; et prendre quelque autre forme à contre-coeur et en haine. Les animaux ont choix comme nous, en leurs amours, et font quelque triage de leurs femelles. Ils ne sont pas exempts de nos jalousies et d'envies extremes et irreconciliables.

  Les cupiditez sont ou naturelles et necessaires, comme le boire et le manger ; ou naturelles et non necessaires, comme l'accointance des femelles ; ou elles ne sont ny naturelles ny necessaires; de cette derniere sorte sont quasi toutes celles des hommes; elles sont toutes superfluës et artificielles. Car c'est merveille combien peu il faut à nature pour se contenter, combien peu elle nous a laissé à desirer. Les apprests à nos cuisines ne touchent pas son ordonnance. Les Stoiciens disent qu'un homme auroit dequoy se substanter d'une olive par jour. La delicatesse de nos vins, n'est pas de sa leçon, ny la recharge que nous adjoustons aux appetits amoureux :

neque illa
Magno prognatum deposcit consule cunnum
.12

  Ces cupiditez estrangeres, que l'ignorance du bien, et une fauce opinion ont coulées en nous, sont en si grand nombre, qu'elles chassent presque toutes les naturelles. Ny plus ny moins que si en une cité, il y avoit si grand nombre d'estrangers, qu'ils en missent hors les naturels habitans, ou esteignissent leur authorité et puissance ancienne, l'usurpant entierement, et s'en saisissant. Les animaux sont beaucoup plus reglez que nous ne sommes, et se contiennent avec plus de moderation soubs les limites que nature nous a prescripts. Mais non pas si exactement, qu'ils n'ayent encore quelque convenance à nostre desbauche. Et tout ainsi comme il s'est trouvé des desirs furieux, qui ont poussé les hommes à l'amour des bestes, elles se trouvent aussi par fois esprises de nostre amour, et reçoivent des affections monstrueuses d'une espece à autre. Tesmoin l'elephant corrival d'Aristophanes le grammairien, en l'amour d'une jeune bouquetiere en la ville d'Alexandrie, qui ne luy cedoit en rien aux offices d'un poursuyvant bien passionné : car se promenant par le marché, où lon vendoit des fruicts, il en prenoit avec sa trompe, et les luy portoit; il ne la perdoit de veuë, que le moins qu'il luy estoit possible; et luy mettoit quelquefois la trompe dans le sein par dessoubs son collet, et luy tastoit les tettins. Ils recitent aussi d'un dragon amoureux d'une fille ; et d'une oye esprise de l'amour d'un enfant, en la ville d'Asope; et d'un belier serviteur de la menestriere Glaucia; et il se void tous les jours des magots furieusement espris de l'amour des femmes. On void aussi certains animaux s'addonner à l'amour des masles de leur sexe. Oppianus et autres recitent quelques exemples, pour montrer la reverence que les bestes en leurs mariages portent à la parenté; mais l'experience nous fait bien souvent voir le contraire :

nec habetur turpe juvencæ
Ferre patrem tergo : fit equo sua filia conjux :
Quasque creavit, init pecudes caper : ipsáque cujus
Semine concepta est, ex illo concipit ales
.13

  De subtilité malitieuse, en est-il une plus expresse que celle du mulet du philosophe Thales ? lequel passant au travers d'une riviere chargé de sel, et de fortune y estant bronché, si que les sacs qu'il portoit en furent tous mouillez, s'estant apperçeu que le sel fondu par ce moyen, luy avoit rendu sa charge plus legere, ne failloit jamais aussi tost qu'il rencontroit quelque ruisseau, de se plonger dedans avec sa charge, jusques à ce que son maistre descouvrant sa malice, ordonna qu'on le chargeast de laine, à quoy se trouvant mesconté, il cessa de plus user de cette finesse. Il y en a plusieurs qui representent naïfvement le visage de nostre avarice ; car on leur void un soin extreme de surprendre tout ce qu'elles peuvent, et de le curieusement cacher, quoy qu'elles n'en tirent point usage.

  Quant à la mesnagerie, elles nous surpassent non seulement en cette prevoyance d'amasser et espargner pour le temps à venir, mais elles ont encore beaucoup de parties de la science, qui y est necessaire. Les fourmis estandent au dehors de l'aire leurs grains et semences pour les esventer, refreschir et secher, quand ils voyent qu'ils commencent à se moisir et à se sentir le rance, de peur qu'ils ne se corrompent et pourrissent. Mais la caution et prevention dont ils usent à ronger le grain de froment, surpasse toute imagination de prudence humaine. Par ce que le froment ne demeure pas tousjours sec ny sain, ains s'amolit, se resoult et destrempe comme en laict, s'acheminant à germer et produire : de peur qu'il ne devienne semence, et perde sa nature et proprieté de magasin pour leur nourriture, ils rongent le bout, par où le germe a coustume de sortir.

  Quant à la guerre, qui est la plus grande et pompeuse des actions humaines, je sçaurois volontiers, si nous nous en voulons servir pour argument de quelque prerogative, ou au rebours pour tesmoignage de nostre imbecillité et imperfection : comme de vray, la science de nous entre-deffaire et entretuer, de ruiner et perdre nostre propre espece, il semble qu'elle n'a pas beaucoup dequoy se faire desirer aux bestes qui ne l'ont pas.

quando leoni
Fortior eripuit vitam Leo, quo nemore unquam
Expiravit aper majoris dentibus apri
.14

  Mais elles n'en sont pas universellement exemptes pourtant : tesmoin les furieuses rencontres des mouches à miel, et les entreprinses des Princes des deux armées contraires :

sæpe duobus
Regibus incessit magno discordia motu,
Continuoque animos vulgi Et trepidantia bello
Corda licet longè præsciscere
.15

  Je ne voy jamais cette divine description, qu'il ne m'y semble lire peinte l'ineptie et vanité humaine. Car ces mouvemens guerriers, qui nous ravissent de leur horreur et espouvantement, cette tempeste de sons et de cris :

Fulgur ubi ad cælum se tollit, totáque circum
Ære renidescit tellus, subtérque virum vi
Excitur pedibus sonitus, clamoréque montes
Icti rejectant voces ad sidera mundi
.16

cette effroyable ordonnance de tant de milliers d'hommes armez, tant de fureur, d'ardeur, et de courage, il est plaisant à considerer par combien vaines occasions elle est agitée, et par combien legeres occasions esteinte.

[...]

 Quant à la fidelité, il n'est animal au monde traistre au prix de l'homme. Nos histoires racontent la vifve poursuitte que certains chiens ont faict de la mort de leurs maistres. Le Roy Pyrrhus ayant rencontré un chien qui gardoit un homme mort, et ayant entendu qu'il y avoit trois jours qu'il faisoit cet office, commanda qu'on enterrast ce corps, et mena ce chien quant et luy. Un jour qu'il assistoit aux montres generales de son armee, ce chien appercevant les meurtriers de son maistre, leur courut sus, avec grans aboys et aspreté de courroux, et par ce premier indice achemina la vengeance de ce meurtre, qui en fut faicte bien tost apres par la voye de la justice. Autant en fit le chien du sage Hesiode, ayant convaincu les enfans de Ganistor Naupactien, du meurtre commis en la personne de son maistre. Un autre chien estant à la garde d'un temple à Athenes, ayant aperçeu un larron sacrilege qui emportoit les plus beaux joyaux, se mit à abbayer contre luy tant qu'il peut : mais les marguilliers ne s'estans point esveillez pour cela, il se meit à le suyvre, et le jour estant venu, se tint un peu plus esloigné de luy, sans le perdre jamais de veuë; s'il luy offroit à manger, il n'en vouloit pas, et aux autres passans qu'il rencontroit en son chemin, il leur faisoit feste de la queuë, et prenoit de leurs mains ce qu'ils luy donnoient à manger; si son larron s'arrestoit pour dormir, il s'arrestoit quant et quant au lieu mesmes. La nouvelle de ce chien estant venuë aux marguilliers de ceste Eglise, ils se mirent à le suivre à la trace, s'enquerans des nouvelles du poil de ce chien, et en fin le rencontrerent en la ville de Cromyon, et le larron aussi, qu'ils ramenerent en la ville d'Athenes, où il fut puny. Et les juges en recognoissance de ce bon office, ordonnerent du public certaine mesure de bled pour nourrir le chien, et aux prestres d'en avoir soin. Plutarque tesmoigne ceste histoire, comme chose tres-averee et advenue en son siecle.

  Quant à la gratitude (car il me semble que nous avons besoin de mettre ce mot en credit), ce seul exemple y suffira, qu'Appion recite comme en ayant esté luy mesme spectateur. Un jour, dit-il, qu'on donnoit à Rome au peuple le plaisir du combat de plusieurs bestes estranges, et principalement de Lyons de grandeur inusitee, il y en avoit un entre autres, qui par son port furieux, par la force et grosseur de ses membres, et un rugissement hautain et espouvantable, attiroit à soy la veuë de toute l'assistance. Entre les autres esclaves, qui furent presentez au peuple en ce combat des bestes, fut un Androdus de Dace, qui estoit à un Seigneur Romain, de qualité consulaire. Ce Lyon l'ayant apperceu de loing, s'arresta premierement tout court, comme estant entré en admiration, et puis s'approcha tout doucement d'une façon molle et paisible, comme pour entrer en recognoissance avec luy. Cela faict, et s'estant asseuré de ce qu'il cherchoit, il commença à battre de la queuë à la mode des chiens qui flattent leur maistre, et à baiser, et lescher les mains et les cuisses de ce pauvre miserable, tout transi d'effroy et hors de soy. Androdus ayant repris ses esprits par la benignité de ce lyon, et r'asseuré sa veuë pour le considerer et recognoistre; c'estoit un singulier plaisir de voir les caresses, et les festes qu'ils s'entrefaisoient l'un à l'autre. Dequoy le peuple ayant eslevé des cris de joye, l'Empereur fit appeller cest esclave, pour entendre de luy le moyen d'un si estrange evenement. Il luy recita une histoire nouvelle et admirable :

  « Mon maistre, dict-il, estant proconsul en Aphrique, je fus contrainct par la cruauté et rigueur qu'il me tenoit, me faisant journellement battre, me desrober de luy, et m'en fuir. Et pour me cacher seurement d'un personnage ayant si grande authorité en la province, je trouvay mon plus court, de gaigner les solitudes et les contrees sablonneuses et inhabitables de ce pays là, resolu, si le moyen de me nourrir venoit à me faillir, de trouver quelque façon de me tuer moy-mesme. Le Soleil estant extremement aspre sur le midy, et les chaleurs insupportables, je m'embatis sur une caverne cachee et inaccessible, et me jettay dedans. Bien tost apres y survint ce lyon, ayant une patte sanglante et blessee, tout plaintif et gemissant des douleurs qu'il y souffroit; à son arrivee j'eu beaucoup de frayeur, mais luy me voyant mussé dans un coing de sa loge, s'approcha tout doucement de moy, me presentant sa patte offencee, et me la montrant comme pour demander secours : je luy ostay lors un grand escot qu'il y avoit, et m'estant un peu apprivoisé à luy, pressant sa playe en fis sortir l'ordure qui s'y amassoit, l'essuyay, et nettoyay le plus proprement que je peux : Luy se sentant allegé de son mal, et soulagé de ceste douleur, se prit à reposer, et à dormir, ayant tousjours sa patte entre mes mains. De là en hors luy et moy vesquismes ensemble en ceste caverne trois ans entiers de mesmes viandes : car des bestes qu'il tuoit à sa chasse, il m'en apportoit les meilleurs endroits, que je faisois cuire au Soleil à faute de feu, et m'en nourrissois. A la longue, m'estant ennuyé de ceste vie brutale et sauvage, comme ce Lyon estoit allé un jour à sa queste accoustumee, je partis de là, et à ma troisiesme journee fus surpris par les soldats, qui me menerent d'Affrique en ceste ville à mon maistre, lequel soudain me condamna à mort, et à estre abandonné aux bestes. Or à ce que je voy ce Lyon fut aussi pris bien tost apres, qui m'a à ceste heure voulu recompenser du bienfait et guerison qu'il avoit reçeu de moy.»

  Voyla l'histoire qu'Androdus recita à l'Empereur, laquelle il fit aussi entendre de main à main au peuple. Parquoy à la requeste de tous il fut mis en liberté, et absous de ceste condamnation, et par ordonnance du peuple luy fut faict present de ce Lyon. Nous voyions depuis, dit Appion, Androdus conduisant ce Lyon à tout une petite laisse, se promenant par les tavernes à Rome, recevoir l'argent qu'on luy donnoit; le Lyon se laisser couvrir des fleurs qu'on luy jettoit, et chacun dire en les rencontrant. Voyla le Lyon hoste de l'homme, voyla l'homme medecin du Lyon.

  Nous pleurons souvent la perte des bestes que nous aymons, aussi font elles la nostre.

Post bellator equus positis insignibus Æthon
It lacrymans, guttisque humectat grandibus ora.
17

  Comme aucunes de nos nations ont les femmes en commun, aucunes à chacun la sienne : cela ne se voit-il pas aussi entre les bestes, et des mariages mieux gardez que les nostres ?

 Quant à la societé et confederation qu'elles dressent entre elles pour se liguer ensemble, et s'entresecourir, il se voit des boeufs, des porceaux, et autres animaux, qu'au cry de celuy que vous offencez, toute la trouppe accourt à son aide, et se ralie pour sa deffence. L'escare, quand il a avalé l'ameçon du pescheur, ses compagnons s'assemblent en foule autour de luy, et rongent la ligne; et si d'aventure il y en a un, qui ait donné dedans la nasse, les autres luy baillent la queuë par dehors, et luy la serre tant qu'il peut à belles dents; ils le tirent ainsi au dehors et l'entrainent. Les barbiers, quand l'un de leurs compagnons est engagé, mettent la ligne contre leur dos, dressans une espine qu'ils ont dentelee comme une scie, à tout laquelle ils la scient et coupent.

  Quant aux particuliers offices, que nous tirons l'un de l'autre, pour le service de la vie, il s'en void plusieurs pareils exemples parmy elles. Ils tiennent que la balaine ne marche jamais qu'elle n'ait au devant d'elle un petit poisson semblable au goujon de mer, qui s'appelle pour cela la guide; la baleine le suit, se laissant mener et tourner aussi facilement, que le timon fait retourner la navire; et en recompense aussi, au lieu que toute autre chose, soit beste ou vaisseau, qui entre dans l'horrible chaos de la bouche de ce monstre, est incontinent perdu et englouty, ce petit poisson s'y retire en toute seureté, et y dort, et pendant son sommeil la baleine ne bouge; mais aussi tost qu'il sort, elle se met à le suyvre sans cesse; et si de fortune elle l'escarte, elle va errant çà et là, et souvent se froissant contre les rochers, comme un vaisseau qui n'a point de gouvernail. Ce que Plutarque tesmoigne avoir veu en l'Isle d'Anticyre.

  Il y a une pareille societé entre le petit oyseau qu'on nomme le roytelet, et le crocodile; le roytelet sert de sentinelle à ce grand animal; et si l'Ichneumon son ennemy s'approche pour le combattre, ce petit oyseau, de peur qu'il ne le surprenne endormy, va de son chant et à coup de bec l'esveillant, et l'advertissant de son danger. Il vit des demeurans de ce monstre, qui le reçoit familierement en sa bouche, et luy permet de becqueter dans ses machoueres, et entre ses dents, et y recueillir les morceaux de chair qui y sont demeurez; et s'il veut fermer la bouche, il l'advertit premierement d'en sortir en la serrant peu à peu sans l'estreindre et l'offencer.

  Ceste coquille qu'on nomme la Nacre, vit aussi ainsin avec le Pinnothere, qui est un petit animal de la sorte d'un cancre, luy servant d'huissier et de portier assis à l'ouverture de ceste coquille, qu'il tient continuellement entrebaaillee et ouverte, jusques à ce qu'il y voye entrer quelque petit poisson propre à leur prise; car lors il entre dans la nacre, et luy va pinsant la chair vive, et la contraint de fermer sa coquille; lors eux deux ensemble mangent la proye enfermee dans leur fort.

  En la maniere de vivre des tuns, on y remarque une singuliere science de trois parties de la Mathematique. Quant à l'Astrologie, ils l'enseignent à l'homme; car ils s'arrestent au lieu où le solstice d'hyver les surprend, et n'en bougent jusques à l'equinoxe ensuyvant : voyla pourquoy Aristote mesme leur concede volontiers ceste science. Quant à la Geometrie et Arithmetique, ils font tousjours leur bande de figure cubique, carree en tout sens, et en dressent un corps de bataillon, solide, clos, et environné tout à l'entour, à six faces toutes esgalles; puis nagent en ceste ordonnance carree, autant large derriere que devant, de façon que qui en void et compte un rang, il peut aisément nombrer toute la trouppe, d'autant que le nombre de la profondeur est esgal à la largeur, et la largeur, à la longueur.

  Quant à la magnanimité, il est malaisé de luy donner un visage plus apparent, qu'en ce faict du grand chien, qui fut envoyé des Indes au Roy Alexandre : on luy presenta premierement un cerf pour le combattre, et puis un sanglier, et puis un ours, il n'en fit compte, et ne daigna se remuer de sa place; mais quand il veid un Lyon, il se dressa incontinent sur ses pieds, monstrant manifestement qu'il declaroit celuy-là seul digne d'entrer en combat avecques luy.

  Touchant la repentance et recognoissance des fautes, on recite d'un Elephant, lequel ayant tué son gouverneur par impetuosité de cholere, en print un dueil si extreme, qu'il ne voulut onques puis manger, et se laissa mourir.

  Quant à la clemence, on recite d'un tygre, la plus inhumaine beste de toutes, que luy ayant esté baillé un chevreau, il souffrit deux jours la faim avant que de le vouloir offencer, et le troisiesme il brisa la cage où il estoit enfermé, pour aller chercher autre pasture, ne se voulant prendre au chevreau, son familier et son hoste.

  Et quant aux droicts de la familiarité et convenance, qui se dresse par la conversation, il nous advient ordinairement d'apprivoiser des chats, des chiens, et des lievres ensemble. Mais ce que l'experience apprend à ceux qui voyagent par mer, et notamment en la mer de Sicile, de la condition des halcyons, surpasse toute humaine cogitation. De quelle espece d'animaux a jamais nature tant honoré les couches, la naissance, et l'enfantement ? car les Poëtes disent bien qu'une seule isle de Delos, estant au paravant vagante, fut affermie pour le service de l'enfantement de Latone; mais Dieu a voulu que toute la mer fust arrestée, affermie et applanie, sans vagues, sans vents et sans pluye, cependant que l'halcyon fait ses petits, qui est justement environ le Solstice, le plus court jour de l'an; et par son privilege nous avons sept jours et sept nuicts, au fin coeur de l'hyver, que nous pouvons naviguer sans danger. Leurs femelles ne recognoissent autre masle que le leur propre; l'assistent toute leur vie sans jamais l'abandonne; s'il vient à estre debile et cassé, elles le chargent sur leurs espaules, le portent par tout, et le servent jusques à la mort. Mais aucune suffisance n'a encores peu atteindre à la cognoissance de ceste merveilleuse fabrique, dequoy l'halcyon compose le nid pour ses petits, ny en deviner la matiere. Plutarque, qui en a veu et manié plusieurs, pense que ce soit des arestes de quelque poisson qu'elle conjoinct et lie ensemble, les entrelassant les unes de long, les autres de travers, et adjoustant des courbes et des arrondissemens, tellement qu'en fin elle en forme un vaisseau rond prest à voguer; puis quand elle a parachevé de le construire, elle le porte au batement du flot marin, là où la mer le battant tout doucement, luy enseigne à radouber ce qui n'est pas bien lié, et à mieux fortifier aux endroits où elle void que sa structure se desmeut, et se lasche pour les coups de mer; et au contraire ce qui est bien joinct, le batement de la mer le vous estreinct, et vous le serre de sorte, qu'il ne se peut ny rompre ny dissoudre, ou endommager à coups de pierre, ny de fer, si ce n'est à toute peine. Et ce qui plus est à admirer, c'est la proportion et figure de la concavité du dedans; car elle est composée et proportionnée de maniere qu'elle ne peut recevoir ny admettre autre chose, que l'oiseau qui l'a bastie; car à toute autre chose, elle est impenetrable, close, et fermée, tellement qu'il n'y peut rien entrer, non pas l'eau de la mer seulement. Voyla une description bien claire de ce bastiment et empruntée de bon lieu : toutesfois il me semble qu'elle ne nous esclaircit pas encor suffisamment la difficulté de ceste architecture. Or de quelle vanité nous peut-il partir, de loger au dessoubs de nous, et d'interpreter desdaigneusement les effects que nous ne pouvons imiter ny comprendre ?

 Pour suyvre encore un peu plus loing ceste equalité et correspondance de nous aux bestes, le privilege dequoy nostre ame se glorifie, de ramener à sa condition, tout ce qu'elle conçoit, de despouiller de qualitez mortelles et corporelles, tout ce qui vient à elle, de renger les choses qu'elle estime dignes de son accointance, à desvestir et despouiller leurs conditions corruptibles, et leur faire laisser à part, comme vestemens superflus et viles, l'espesseur, la longueur, la profondeur, le poids, la couleur, l'odeur, l'aspreté, la polisseure, la dureté, la mollesse, et tous accidents sensibles, pour les accommoder à sa condition immortelle et spirituelle; de maniere que Rome et Paris, que j'ay en l'ame, Paris que j'imagine, je l'imagine et le comprens, sans grandeur et sans lieu, sans pierre, sans plastre, et sans bois : ce mesme privilege, dis-je, semble estre bien evidemment aux bestes. Car un cheval accoustumé aux trompettes, aux harquebusades, et aux combats, que nous voyons tremousser et fremir en dormant, estendu sur sa litiere, comme s'il estoit en la meslée, il est certain qu'il conçoit en son ame un son de tabourin sans bruict, une armée sans armes et sans corps.

Quippe videbis equos fortes, cum membra jacebunt
In somnis, sudare tamen, spiraréque sæpe,
Et quasi de palma summas contendere vires.
18

  Ce lievre qu'un levrier imagine en songe, apres lequel nous le voyons haleter en dormant, alonger la queuë, secoüer les jarrets, et representer parfaictement les mouvemens de sa course : c'est un lievre sans poil et sans os.

Venantúmque canes in molli sæpe quiete,
Jactant crura tamen subito, vocesque repente
Mittunt, et crebas reducunt naribus auras,
Ut vestigia si teneant inventa ferarum :
Experge factique, sequuntur inania sæpe
Cervorum simulacra, fugæ quasi dedita cernant :
Donec discussis redeant erroribus ad se.
19

  Les chiens de garde, que nous voyons souvent gronder en songeant, et puis japper tout à faict, et s'esveiller en sursaut, comme s'ils appercevoient quelque estranger arriver ; cet estranger que leur ame void, c'est un homme spirituel, et imperceptible, sans dimension, sans couleur, et sans estre :

consueta domi catulorum blanda propago
Degere, sæpe levem ex oculis volucrémque soporem
Discutere, et corpus de terra corripere instant,
Proinde quasi ignotas facies atque ora tueantur.
20

  Quant à la beauté du corps, avant passer outre, il me faudroit sçavoir si nous sommes d'accord de sa description. Il est vray-semblable que nous ne sçavons guere, que c'est que beauté en nature et en general, puisque à l'humaine et nostre beauté nous donnons tant de formes diverses, de laquelle, s'il y avoit quelque prescription naturelle, nous la recognoistrions en commun, comme la chaleur du feu. Nous en fantasions les formes à nostre appetit.

Turpis Romano Belgicus ore color.21

  Les Indes la peignent noire et basannée, aux levres grosses et enflées, au nez plat et large : et chargent de gros anneaux d'or le cartilage d'entre les nazeaux, pour le faire pendre jusques à la bouche, comme aussi la balievre, de gros cercles enrichis de pierreries, si qu'elle leur tombe sur le menton, et est leur grace de montrer leurs dents jusques au dessous des racines. Au Peru les plus grandes oreilles sont les plus belles, et les estendent autant qu'ils peuvent par artifice. Et un homme d'aujourdhuy, dit avoir veu en une nation Orientale, ce soing de les agrandir, en tel credit, et de les charger de poisants joyaux, qu'à touts coups il passoit son bras vestu au travers d'un trou d'oreille. Il est ailleurs des nations, qui noircissent les dents avec grand soing, et ont à mespris de les voir blanches : ailleurs ils les teignent de couleur rouge. Non seulement en Basque les femmes se trouvent plus belles la teste rase : mais assez ailleurs; et qui plus est, en certaines contrées glaciales, comme dit Pline. Les Mexicanes content entre les beautez, la petitesse du front, et où elles se font le poil par tout le reste du corps, elles le nourrissent au front, et peuplent par art; et ont en si grande recommandation la grandeur des tetins, qu'elles affectent de pouvoir donner la mammelle à leurs enfans par dessus l'espaule. Nous formerions ainsi la laideur. Les Italiens la façonnent grosse et massive; les Espagnols vuidée et estrillée; et entre nous, l'un la fait blanche, l'autre brune; l'un molle et delicate, l'autre forte et vigoureuse; qui y demande de la mignardise, et de la douceur, qui de la fierté et majesté. Tout ainsi que la preferance en beauté, que Platon attribue à la figure spherique, les Epicuriens la donnent à la pyramidale plustost, ou carrée; et ne peuvent avaller un Dieu en forme de boule.

  Mais quoy qu'il en soit, nature ne nous a non plus privilegiez en cela qu'au demeurant, sur ses loix communes. Et si nous nous jugeons bien, nous trouverons que s'il est quelques animaux moins favorisez en cela que nous, il y en a d'autres, et en grand nombre, qui le sont plus. A multis animalibus decore vincimur : voyre des terrestres nos compatriotes. Car quant aux marins, laissant la figure, qui ne peut tomber en proportion, tant elle est autre; en couleur, netteté, polissure, disposition, nous leur cedons assez; et non moins, en toutes qualitez, aux aërées. Et ceste prerogative que les Poëtes font valoir de nostre stature droicte, regardant vers le ciel son origine,

Pronáque cum spectent animalia cætera terram,
Os homini sublime dedit, coelúmque videre
Jussit, et erectos ad sydera tollere vultus.
22

elle est vrayement poëtique; car il y a plusieurs bestioles, qui ont la veuë renversée tout à faict vers le ciel; et l'encoleure des chameaux, et des austruches, je la trouve encore plus relevée et droite que la nostre.

  Quels animaux n'ont la face au haut, et ne l'ont devant, et ne regardent vis à vis, comme nous; et ne descouvrent en leur juste posture autant du ciel et de la terre que l'homme ?
  Et quelles qualitez de nostre corporelle constitution en Platon et en Cicero ne peuvent servir à mille sortes de bestes ?
  Celles qui nous retirent le plus, ce sont les plus laides, et les plus abjectes de toute la bande; car pour l'apparence exterieure et forme du visage, ce sont les magots :

Simia quam similis, turpissima bestia, nobis !23

pour le dedans et parties vitales, c'est le pourceau. Certes quand j'imagine l'homme tout nud (ouy en ce sexe qui semble avoir plus de part à la beauté) ses tares, sa subjection naturelle, et ses imperfections, je trouve que nous avons eu plus de raison que nul autre animal, de nous couvrir. Nous avons esté excusables d'emprunter ceux que nature avoit favorisé en cela plus que nous, pour nous parer de leur beauté, et nous cacher soubs leur despouille, de laine, plume, poil, soye.

  Remerquons au demeurant, que nous sommes le seul animal, duquel le defaut offence nos propres compagnons, et seuls qui avons à nous desrober en nos actions naturelles, de nostre espece. Vrayement c'est aussi un effect digne de consideration, que les maistres du mestier ordonnent pour remede aux passions amoureuses, l'entiere veuë et libre du corps qu'on recherche; que pour refroidir l'amitié, il ne faille que voir librement ce qu'on ayme.

Ille quod obscoenas in aperto corpore partes
Viderat, in cursu qui fuit, hæsit amor.
24

  Et encore que ceste recepte puisse à l'aventure partir d'une humeur un peu delicate et refroidie : si est-ce un merveilleux signe de nostre defaillance, que l'usage et la cognoissance nous dégoute les uns des autres. Ce n'est pas tant pudeur, qu'art et prudence, qui rend nos dames si circonspectes, à nous refuser l'entrée de leurs cabinets, avant qu'elles soyent peintes et parées pour la montre publique.

Nec veneres nostras hoc fallit, quo magis ipsæ
Omnia summopere hos vitæ post scenia celant,
Quos retinere volunt adstrictóque esse in amore.
25

  La où en plusieurs animaux, il n'est rien d'eux que nous n'aimions, et qui ne plaise à nos sens : de façon que de leurs excremens mesmes et de leur descharge, nous tirons non seulement de la friandise au manger, mais nos plus riches ornemens et parfums.

  Ce discours ne touche que nostre commun ordre, et n'est pas si sacrilege d'y vouloir comprendre ces divines, supernaturelles et extraordinaires beautez, qu'on voit par fois reluire entre nous, comme des astres soubs un voile corporel et terrestre.

  Au demeurant la part mesme que nous faisons aux animaux, des faveurs de nature, par nostre confession, elle leur est bien avantageuse. Nous nous attribuons des biens imaginaires et fantastiques, des biens futurs et absens, desquels l'humaine capacité ne se peut d'elle mesme respondre; ou des biens que nous nous attribuons faucement, par la licence de nostre opinion, comme la raison, la science et l'honneur; et à eux, nous laissons en partage des biens essentiels, maniables et palpables, la paix, le repos, la securité, l'innocence et la santé; la santé, dis-je, le plus beau et le plus riche present, que nature nous sçache faire. De façon que la Philosophie, voire la Stoïque, ose bien dire qu'Heraclitus et Pherecydes, s'ils eussent peu eschanger leur sagesse avecques la santé, et se delivrer par ce marché, l'un de l'hydropisie, l'autre de la maladie pediculaire qui le pressoit, ils eussent bien faict. Par où ils donnent encore plus grand prix à la sagesse, la comparant et contrepoisant à la santé, qu'ils ne font en ceste autre proposition, qui est aussi des leurs. Ils disent que si Circé eust presenté à Ulysses deux breuvages, l'un pour faire devenir un homme de fol sage, l'autre de sage fol, qu'Ulysses eust deu plustost accepter celuy de la folie, que de consentir que Circé eust changé sa figure humaine en celle d'une beste. Et disent que la sagesse mesme eust parlé à luy en ceste maniere : « Quitte moy, laisse moy là, plustost que de me loger sous la figure et corps d'un asne.» Comment ? ceste grande et divine sapience, les Philosophes la quittent donc, pource ce voile corporel et terrestre ? Ce n'est donc plus par la raison, par le discours, et par l'ame, que nous excellons sur les bestes : c'est par nostre beauté, nostre beau teint, et nostre belle disposition de membres, pour laquelle il nous faut mettre nostre intelligence, nostre prudence, et tout le reste à l'abandon.

  Or j'accepte ceste naïfve et franche confession. Certes ils ont cogneu que ces parties là, dequoy nous faisons tant de feste, ce n'est que vaine fantasie. Quand les bestes auroient donc toute la vertu, la science, la sagesse et suffisance Stoique, ce seroyent tousjours des bestes : ny ne seroyent comparables à un homme miserable, meschant et insensé. Car en fin tout ce qui n'est comme nous sommes, n'est rien qui vaille. Et Dieu pour se faire valoir, il faut qu'il y retire, comme nous dirons tantost. Par où il appert que ce n'est par vray discours, mais par une fierté folle et opiniastreté, que nous nous preferons aux autres animaux, et nous sequestrons de leur condition et societé.

  Mais pour revenir à mon propos, nous avons pour nostre part, l'inconstance, l'irresolution, l'incertitude, le deuil, la superstition, la solicitude des choses à venir, voire apres nostre vie, l'ambition, l'avarice, la jalousie, l'envie, les appetits desreglez, forcenez et indomptables, la guerre, la mensonge, la desloyauté, la detraction, et la curiosité. Certes nous avons estrangement surpayé ce beau discours, dequoy nous nous glorifions, et ceste capacité de juger et cognoistre, si nous l'avons achetée au prix de ce nombre infiny des passions, ausquelles nous sommes incessamment en prinse. S'il ne nous plaist de faire encore valoir, comme fait bien Socrates, ceste notable prerogative sur les bestes, que où nature leur a prescript certaines saisons et limites à la volupté Venerienne, elle nous en a lasché la bride à toutes heures et occasions. Ut vinum ægrotis, quia prodest raro, nocet sæpissime, melius est non adhibere omnino, quam, spe dubiæ salutis, in apertam perniciem incurrere : Sic, haud scio, an melius fuerit humano generi motum istum celerem, cogitationis acumen, solertiam, quam rationem vocamus, quoniam pestifera sint multis, admodum paucis salutaria, non dari omnino, quam tam munifice et tam large dari.26

 


1- "Et les bêtes privées de la parole et même les animaux sauvages font entendre des cris différents et variés, selon que la crainte, la douleur ou la joie les agite." (Lucrèce, V, 1058) 
2- "C'est à peu près de la même manière qu'on voit les enfants conduits au langage des gestes par l'impuissance de leur langue." (Lucrèce, V, 1029) 
3- "Le silence même sait prier et se faire entendre." (Le Tasse, Aminta, II, 34)
4- "A ces signes et selon de tels exemples, certains ont dit que les abeilles avaient reçu une parcelle de l'âme divine et des émanations de l'éther." (Virgile, Géorgiques, IV, 219)
5- "Brûle-moi la tête, si tu veux, et traverse-moi le corps d'un glaive, ou déchire-moi le dos à coups de fouet."  (Tibulle, I, IX, XXI) 
6- "La cigogne nourrit ses petits de serpents et de lézards trouvés dans les lieux écartés, et les nobles oiseaux ministres de Jupiter chassent dans les gorges boisées le lièvre ou le chevreuil." (Juvénal, XIV, 74, 81)
7- "S'il est vrai que leurs ancêtres aient servi le Carthaginois Hannibal, nos généraux et le roi des Molosses, et qu'ils aient porté sur leur dos des cohortes ou servaient de cavalerie au combat." (Juvénal, XII, 107) 
8- "Ils ont un nom, et chacun d'eux vient à la voix de son maître qui l'appelle." (Martial, IV, XXIX, 6)
10-  "Il semble bien que ce soit dans l'attitude des animaux quadrupèdes que la femme est le plus souvent fécondée, parce qu'ainsi les germes atteignent sans peine leur but grâce à l'inclinaison de la poitrine et au soulèvement des reins." (Lucrèce, IV, 1264)
11-  "Car la femme s'empêche elle-même et s'interdit de concevoir, si de ses fesses elle stimule en folâtrant le désir de l'homme et fait jaillir de son corps déhanché les flots de sa liqueur. Elle rejette ainsi le soc de la ligne du sillon et détourne de son but le jet de la semence." (Lucrèce, IV, 1269) 
12- "Elle n'a pas besoin du con de la fille d'un grand consul." (Horace, Satires, I, II, 69)
13- "La génisse n'a pas honte de se laisser couvrir par son père et la cavale par le cheval dont elle est née; le bouc s'unit aux chèvres qu'il a engendrées, et l'oiseau est fécondé par l'oiseau de qui il a reçu l'être." (Ovide, Métamorphoses, X, 325)
14- "Quand un lion a-t-il arraché la vie à un lion moins courageux ? Dans quel bocage jamais un sanglier a-t-il expiré sous les défenses d'un sanglier plus fort ?" (Juvénal, XV, 160)

15- "Souvent entre deux reines s'élève une grande querelle; nous laissons à penser dès lors la fureur guerrière dont le peuple est animé." (Virgile, Géorgiques, IV, 67)
16- "Là l'éclat [des armes] s'élève jusqu'au ciel, toute la terre à l'entour s'illumine de leurs reflets, le pas robuste des hommes fait résonner le sol, et l'écho des monts, ému par leurs clameurs rejette leurs voix jusqu'aux astres du ciel." (Lucrèce, II, 325)
17- "Puis vient Ethon, son cheval de guerre, dépouillé de ses ornements, qui pleure et qui mouille son visage de grosses larmes." (Virgile, Énéide, XI, 89)
18- "Ainsi tu verras des chevaux ardents, même couchés en endormis, se couvrir de sueur pendant leurs songes, souffler souvent, tendre leurs dernières énergies, comme s'il s'agissait de conquérir la palme." (Lucrèce, IV, 987)
19
- "Souvent les chiens de chasse, dans le laisser-aller du repos, bondissent tout à coup sur leurs jarrets, donnent brusquement de la voix, reniflent l'air à plusieurs reprises, comme s'ils avaient découvert et tenaient la piste du gibier. Souvent même ils s'éveillent et poursuivent l'image illusoire d'un cerf, comme s'ils le voyaient prendre la fuite, jusqu'à ce que l'erreur se dissipe et qu'ils reviennent à eux." (Lucrèce, IV, 991)
20- "De même, l'espèce caressante des chiots de maison s'agite soudain et se lève en hâte, s'imaginant apercevoir des visages inconnus et des figures suspectes." (Lucrèce, IV, 998)
21-  "Le teint d'un Belge serait laid sans un visage romain." (Properce, II, XVIII, 26)
22- "Et tandis que les autres animaux, la face en bas, regardent la terre, Dieu a dressé le front de l'homme, et il lui a commandé de contempler le ciel et de lever les yeux vers les astres." (Ovide, Métamorphoses, I, 84)
23- "Comme le singe, la plus laide des bêtes, nous ressemble !" (Ennius, cité par Cicéron, De natura deorum, I, 35)
24- "Tel, pour avoir vu à découvert les parties secrètes du corps de sa belle, a senti au milieu des transports s'éteindre son amour." (Ovide, Remèdes à l'amour, 429)
25- "Et nos maîtresses ne l'ignorent pas; aussi n'en cachent-elles que mieux toutes ces coulisses de la vie à ceux qu'elles veulent retenir et enchaîner dans leur amour." (Lucrèce, IV, 1185)

26
- "De même que le vin qui est rarement bon aux malades leur est très souvent nuisible, aussi vaut-il mieux ne pas leur en donner du tout que de les exposer à un dommage manifeste dans l'espoir d'une guérison douteuse; de même peut-être serait-il préférable pour l'espèce humaine que la  nature lui eût refusé cette activité de pensée, cette pénétration, cette industrie que nous appelons raison et qu'elle nous a si libéralement et largement donnée, puisque cette faculté n'est salutaire qu'à un petit nombre et fatale à tous les autres." (Cicéron, De natura deorum, III, 27)

 

 

 

 


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